Publié le 15 déc 2021Lecture 4 min
Et Darwin créa l'endovasculaire
Patrick LERMUSIAUX, service de chirurgie vasculaire et endovasculaire, Hospices civils de Lyon, CHU de Lyon
Aussi incroyable que cela puisse paraître, j'obtins la meilleure note lors de mon premier devoir de philosophie en terminale. Cela ne fut pas sans flatter mon ego, et je me voyais déjà tutoyer Schopenhauer. Force est de constater que la situation fut moins brillante au dernier semestre puisque je décrochais la dernière note. Et voilà que je croisais Kant et Spinoza qui me tournèrent résolument le dos en haussant les épaules.
Les philosophes aiment bâtir de grandes théories, les Grecs allant même jusqu’à faire des hypothèses sur la nature atomique de la matière ou sur l’organisation de l’univers. Mais en réalité ce sont les scientifiques qui font avancer la connaissance, car il ne suffit pas de faire une théorie, faut-il encore la démontrer. Ainsi, malgré 2 500 ans de philosophie, personne n’avait vu, ce qui était pourtant visible par tous, et que Darwin nous a révélé.
Darwin est un génie car il a construit toute sa théorie de l’évolution sur l’observation, sans qu’aucune expérience ne soit nécessaire. Darwin pensait que la sélection naturelle conduisait graduellement à créer de nouvelles espèces. Des hypothèses plus récentes (Stephen Jay Gould), suggèrent que l’évolution procéderait de manière non continue avec de longues périodes de stagnation entrecoupées par de courtes périodes de transformation rapide menant à la formation de nouvelles espèces. Il se trouve que la théorie de Darwin basée sur l’existence de mutations et d’une sélection naturelle, s’applique parfaitement aux comportements humains. Ainsi on peut considérer l’apparition du jean en tant que vêtement, comme une mutation qui va être retenue jusqu’à présent. On remarque, que les autres espèces, comme la soie ou le coton, n’ont cependant pas disparu. Chaque idée à la mode correspond à une mutation qui sera ou non sélectionnée, avec une durée de vie plus ou moins longue.
Alors qu’en est-il de la chirurgie endovasculaire ?
L’idée de traiter une sténose par un coup de ballon est une mutation brutale, ce qui donne raison à Gould. Elle avait cependant été précédée par des petites mutations, comme de traiter les sténoses avec des dilatateurs de taille progressive. L’angioplastie au ballonnet sera ensuite suivie par de multiples petites mutations qui seront sélectionnées, avec des ballons de mieux en mieux profilés. On peut aussi considérer que l’avènement du stent est une mutation brutale qui va ouvrir une pluie de mutations graduelles qui aboutiront finalement à l'endoprothèse aortique et au TAVI. Lorsque l’on regarde cette évolution, on peut s’étonner que le ballon actif apparaisse tardivement dans l’évolution. La chirurgie vasculaire laparoscopique ou robotique correspond elle aussi à une mutation brutale, mais qui, par manque de virulence, comme certains variants de la Covid, n’arrivent pas à s’imposer.
On voit chaque jour au bloc opératoire ces petites mutations qui améliorent l’endovasculaire : l’utilisation de matériel avec un diamètre de plus en plus petit permettant de réduire la taille des introducteurs, des guides de plus en plus performants, des systèmes de debulking, d’imagerie. Et avec parfois des mutations qui ne seront pas sélectionnées ou qui disparaîtront rapidement devant l’apparition d’un variant plus efficace. On peut imaginer que l’on va continuer la trajectoire actuelle, avec tout en ambulatoire, en percutané, peut-être en externe comme les dentistes, avec de nouveaux médicaments qui stopperont ou ralentiront la croissance des anévrismes, des prothèses et endoprothèses avec de meilleurs taux de perméabilité, qui ne s’infecteront pas, qui communiqueront pour alerter en cas de bas débit, des anticoagulants encore plus efficaces, des sondes pilotées par robot, de l’imagerie sans rayons X et en relief.
Mais quelle sera la future grande mutation ?
C’est la question qui se pose, comme ce fut le cas lors de l’apparition de l’espèce humaine. Récemment, une équipe a réussi à produire des porcelets génétiquement modifiés rendant ainsi leurs organes plus compatibles pour des greffes sur les humains. On comprend immédiatement l’intérêt pour la greffe d’organes mais ceci pourrait nous fournir des substituts artériels. Si l’on en croît quelques illuminés médiatiques, un jour viendra où l’on prélèvera quelques gouttes de salive du nourrisson pour en déduire les maladies qu’il aura plus tard. On lui donnera alors des traitements qui lui éviteront artérite, anévrismes et dissections, insuffisance rénale et varices.
Près de 40 ans après la découverte du virus du Sida, il n’y a toujours pas de vaccin. On utilise toujours le Dacron de 1955 et le PTFE de 1970, aussi on peut raisonnablement penser qu’au train où vont les choses, aucun de nous ne connaîtra la disparition de l›endovasculaire. Notre spécialité ne devrait donc pas subir le tragique destin des dinosaures.
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