Publié le 22 sep 2013Lecture 8 min
Triple association antithrombotique : état des lieux
E. FERRARI, CHU, Nice
La trithérapie antithrombotique associant deux antiagrégants plaquettaires et un anticoagulant oral est une association qui inquiète du fait du sur-risque hémorragique potentiel. Cependant, une grande partie des patients conjuguent fibrillation atriale et coronaropathie. Où en sommes-nous de leur prise en charge ?
La double association antiplaquettaire
Elle représente le traitement de choix chez tous les patients ayant présenté un syndrome coronaire qu’ils soient traités ou non par une procédure invasive(1). Il est bien étayé dans la littérature que l’aspirine seule dans ces conditions ne suffit pas et que l’association à une thiénopyridine, que ce soit le clopidogrel, le prasugrel (étude TRITON) ou un nouvel antiplaquettaire comme le ticagrelor (étude PLATO), améliore le pronostic.
Même dans l’angioplastie programmée, une double asso- ciation antiplaquettaire reste le traitement de référence pour une période moyenne à longue.
Le traitement antithrombotique pour la fibrillation atriale
Un niveau très similaire d’évidences existe pour le bénéfice des anticoagulants dans la fibrillation atriale (FA). Lorsque l’indication existe, ces anticoagulants diminuent de 50 à 60 % le risque d’embolie, en particulier cérébrale, à un prix hémorragique jugé acceptable.
La nouvelle donne sur les nouveaux anticoagulants oraux élargit encore certainement les indications pour des patients qui ne pouvaient bénéficier des AVK avec un bénéfice attendu qui est au moins équivalent et un risque hémorragique, en particulier cérébral, moindre.
L’association des deux pathologies
Le problème apparaît lorsque coexistent les deux affections, une coronaropathie aiguë et une indication d’anticoagulant, en particulier sur une FA.Cela peut survenir chez un patient déjà sous AVK qui présentera un syndrome coronaire ou chez un patient qui tout de suite après un syndrome coronaire fera de l’arythmie par fibrillation atriale.
Dans ces conditions, le rapport bénéfice/risque de l’association d’un traitement anticoagulant et d’une bithérapie antiplaquettaire, qui pourrait paraître en théorie indiquée, n’a pas été clairement évalué. La plupart des guidelines ne font que suggérer des attitudes qui sont peu, ou pas du tout documentées par des données factuelles (tableau 1).
Tableau 1.
Les principes, a priori pertinents, qui ont pu fonder ces recommandations sont :
- qu’une triple association peut apparaître nécessaire pendant un certain temps ;
- que le bénéfice à attendre est supérieur au risque hémorragique ;
- dans ce contexte, il a été proclamé que si la mise en place d’une endoprothèse coronaire devait être faite, il fallait choisir un stent nu.
Dans de telles situations, les recommandations proposaient de mettre en route une trithérapie en limitant la durée du traitement à un mois après un stenting préférentiellement nu.
La littérature dispose de peu d’études sur l’efficacité d’une telle attitude, en revanche quelques données sur la sécurité de ces choix existent montrant que le choix de prescrire 3 médicaments antithrombotiques en même temps n’est pas une « mince affaire ». Grosso modo tous les registres ayant évalué la faisabilité d’une trithérapie antithrombotique montrent une augmentation très significative du risque hémorragique, multiplié par un facteur 3 en fonction des critères utilisés. L’incidence des saignements graves à J30 avec 3 médicaments antithrombotiques, mesurée dans une métaanalyse des données accessibles, est de 2,2 %(3) avec un intervalle de 0,7 à 3,7 %, et des petites séries rapportent jusqu’à 15 % de saignements graves à 30 jours.
Lorsqu’un tel traitement est mis en œuvre, les recommandations de l’ESC préconisent donc de ne l’envisager que pour la plus courte période possible (IB)(2). Cette recommandation de prudence est d’ailleurs d’un niveau de preuve bien supérieur à celui de la recommandation de la prescription elle-même.
Au-delà des recommandations
Trois éléments nouveaux viennent apporter des renseigne- ments importants qui devraient largement bousculer cette approche et modifier rapidement ces recommandations :
• Un registre danois a pu colliger, très récemment, la sécurité d’utilisation des antithrombotiques après une angioplastie coronaire chez des patients en arythmie complète(4).
Chez 11 480 patients, d’âge moyen 75 ans, les thérapeutiques prescrites à la sortie de l’hôpital se subdivisent en trithérapie : AVK + aspirine + clopidogrel, bithérapie par AVK + un antiplaquettaire, ou bithérapie antiplaquettaire par aspirine + clopidogrel (le prasugrel ou le ticagrelor n’étaient pas encore utilisés à cette période). À un an, tous saignements confondus, le taux est de 22,6 % par personne et par an avec la trithérapie, 20,3 % avec l’association AVK et antiplaquettaire, et 14,3 % avec la bithérapie antiplaquettaire.
Le point clé de ce travail est que, quel que soit le choix du traitement antithrombotique, le risque hémorragique est très augmenté lors des premiers mois. Ainsi avec une trithérapie, le risque hémorragique est multiplié par 2,35 le premier mois par rapport au même traitement maintenu plus longtemps. Ce sur-risque hémorragique des premières semaines est également vrai avec l’association AVK + antiplaquettaire ou avec la bithérapie antiplaquettaire. En valeur absolue, c’est bien la trithérapie antithrombotique qui reste le choix le plus hémorragique.
Quel que soit le choix de l’association antithrombotique, le risque hémorragique est très augmenté lors des premières semaines, en particulier avec la trithérapie. La limitation de cette association sur une durée de 1 mois perd donc une partie de son sens.
• L’étude WOEST, première étude randomisée sur ce thème, présentée au Congrès de la Société européenne de cardiologie à Munich (non encore publiée à ce jour), a opté pour une stratégie tout à fait innovante. WOEST concerne des patients stentés en arythmie complète. Sont comparées chez 573 patients la trithérapie conventionnelle et une association AVK + clopidogrel (sans aspirine), choix courageux puisque pour la première fois on ose ne pas donner d’aspirine à un coronarien tout de suite après un stenting.
En prenant en compte tous les saignements, le nombre d’événements hémorragiques est de 44,9 % dans le groupe trithérapie, contre 19,5 % dans le groupe bithérapie (p < 0,001) (tableau 2). Cela correspond à une réduction du risque relatif de saignement de 65 % avec le traitement « léger ». Concomitamment, on note une réduction des événements ischémiques de 40 %. La mortalité est de 2,6 % dans le groupe sous bithérapie contre 6,4 % dans le groupe trithérapie (réduction du risque relatif : 61 % ; p = 0,027).
Notons que dans WOEST, 70 % des stents utilisés ont été des stents pharmaco-actifs, battant ainsi en brèche le dogme que seuls les stents nus sont autorisés dans ces situations.
Tableau 2.
WOEST ouvre donc de nouveaux horizons :
- Non, chez un patient stenté en FA, nous n’avons pas de facto besoin de 3 antithrombotiques.
- L’aspirine n’est probablement plus l’antiplaquettaire incontournable d’une association avec les AVK.
- Le choix d’un stent actif est faisable chez un patient nécessitant des AVK après l’angioplastie.
• Le dernier pavé dans la mare est l’étude ATLAS ACS2-TIMI 51(5) . Cette étude ne concerne pas des coronariens en FA, mais des coronariens venant de subir une angioplastie (J3 à J5). Quel impact chez les coronariens stentés en FA ?
L’association aspirine + clopidogrel + rivaroxaban (2,5 mg x 2 ou 5 mg x 2) débutée à partir du 3e jour suivant la revascularisation s’avère très efficace en termes de diminution des événements ischémiques allant jusqu’à une réduction du risque de mortalité dans le bras 2,5 mg. Cela au prix d’une augmentation par près de 4 du risque hémorragique sévère (de 0,6 à 2,2 %) (figure). Le message est clair : l’adjonction d’un anti-Xa à une bithérapie antiagrégante plaquettaire peut sensiblement améliorer le pronostic ischémique.
À quelle dose ? La dose de rivaroxaban utilisée dans ATLAS ASC2-TIMI 51 n’est pas celle ayant l’AMM dans la FA. Mais, compte tenu de la forte tendance au moindre risque hémorragique de tous les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) dans la FA, on peut penser que ce médicament pourrait avantageusement remplacer les AVK lorsqu’une association AAP + anticoagulant est nécessaire.
Cela serait-il vrai avec les autres NACO ? Rien n’est moins sûr puisque le dabigatran semble ne pas être coronaro-protecteur. D’après une métaanalyse tenant compte de tous les essais publiés, y compris ceux en prévention veineuse, il serait même délétère sur les événements ischémiques coronariens(6).
Quant à l’apixaban, l’étude APPRAISE-2, qui testait ce NACO après un SCA(7), a dû être arrêtée en raison d’un sur-risque hémorragique jugé inacceptable.
Figure.
Quid des nouveaux AAP : prasugrel et ticagrelor ?
Ni WOEST ni ATLAS ACS2- TIMI 51 ne les ont utilisés en association avec un AVK ou un nouvel anticoagulant.
Ces deux AAP majorent le risque par rapport au clopidogrel, et il n’est pas sûr que l’association de ces nouveaux AAP avec un AVK ou un NACO comme le rivaroxaban ne s’accompagne pas d’un taux prohibitif d’hémorragies. Cela signifie que des études sont nécessaires pour évaluer et comparer ces diverses possibilités d’association.
L’association d’un nouvel antiagrégant plaquettaire : prasugrel ou ticagrelor, avec un AVK ou un nouvel anticoagulant oral, comme le rivaroxaban, doit être évaluée. En particulier sur le versant de la sécurité. À ce jour, ce type de prescription ne peut être galvaudé.
Ce qu’il faut retenir
Les recommandations antérieures pour la gestion d’un traitement antithrombotique chez un coronarien nécessitant un anticoagulant étaient fondées sur peu de données.
De récentes études remettent en cause la plupart des dogmes qui avaient servi de support à ces recommandations, ainsi :
- nous pouvons possiblement nous passer d’une trithérapie ;
- le choix d’un stent nu n’est pas impératif ;
- l’aspirine n’est possiblement pas l’antiplaquettaire incontournable à associer à un AVK.
Les nouveaux antiplaquettaires ainsi que les NACO devraient encore chambouler ces règles.
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