HTA
Publié le 27 fév 2014Lecture 5 min
Faut-il vraiment prendre la pression artérielle aux deux bras ?
P. GOSSE, Service de cardiologie/hypertension artérielle, CHU Bordeaux, hôpital Saint-André, Bordeaux
Il est recommandé de mesurer la pression artérielle (PA) aux deux bras lors d’une première consultation, et en cas de différence de continuer à la mesurer sur le bras présentant la plus élevée(1). Honnêtement, le faites-vous ? Je n’ai aucune statistique sur cette pratique en France, mais un rapide sondage auprès de mes patients m’incite à penser que cette recommandation n’est pas des plus suivies, et ce sentiment est largement partagé(2). Seul 1 médecin généraliste anglais sur 10 paraît suivre cette recommandation(3).
Pourquoi le faire, vous demandez-vous ? Je vais essayer de vous convaincre, et si vous l’êtes je vous dirai comment faire en pratique.
Pourquoi mesurer la PA aux deux bras ?
La PA devrait être la même aux deux bras. Cependant, environ 20% des individus ont une différence dépassant 10 mmHg et 4 à 5% une différence dépassant 20 mmHg(4-7). Les chiffres varient largement en fonction de la population étudiée (population générale ou hypertendus) et de la méthode de mesure utilisée, simultanée ou successive (tableau 1).
Tableau 1.
Il n’y a pas de différence systématique entre bras droit et gauche, bien que 2 études européennes aient montré une tendance à une PA plus élevée au bras droit(4,5) et une étude japonaise(6) l’inverse. L’hypothèse du bras dominant n’a pu être démontrée.
Quatre raisons fondent l’importance de la recherche de cette éventuelle différence :
- la première, et c’est celle qui depuis longtemps m’a convaincu d’adhérer à cette recommandation(8), est liée à la pratique de la mesure ambulatoire de la PA (MAPA) et maintenant de l’automesure. Ces appareils sont habituellement posés sur le bras non dominant pour des raisons évidentes. Au moment de la pose de la MAPA ou lors du contrôle d’un appareil d’automesure, il est important de vérifier par une mesure simultanée à l’autre bras le bon fonctionnement de l’appareil et l’absence de différence systématique entre les deux bras qui pourrait fausser les résultats ;
- la deuxième raison est qu’en cas de différence nette, mais ignorée entre les deux bras (≥ 10 mmHg) la mesure systématique d’un seul bras peut sous-estimer nettement la réalité ou l’importance d’une HTA(9) ;
- la troisième raison est qu’une différence très nette (> 15 ou 20 mmHg) de pression entre les deux bras peut être révélatrice d’une anomalie artérielle (sténose sous-clavière, coarctation de l'aorte, Takayasu) qu’il conviendra de préciser par un examen écho-Doppler. Mais même lorsque cette recherche de cause locale reste négative, comme c’est souvent le cas(10), il faut savoir que la différence de PA entre les deux bras est corrélée à l’âge et aux facteurs de risque d’athérosclérose(6) ;
- aussi la quatrième raison est sans doute la plus convaincante. Cette différence de PA entre les deux bras indique un risque cardiovasculaire accru, indépendamment des autres facteurs de risque classiques. Les premières preuves sont venues d’un travail publié en 2007 sur une cohorte limitée de 247 hypertendus(11).
Ces résultats ont été confirmés par un suivi à plus long terme publié récemment(12). Des résultats voisins ont été retrouvés dans une population de vétérans américains dont la moitié présentait une attente rénale(13).
Dans un groupe beaucoup plus important de 1 778 sujets venant de 3 cohortes distinctes, Aboyans, et al.(14) ont montré qu’une différence de PAS de plus de 15 mmHg entre les deux bras, présente chez 9% des sujets, était associée à la mortalité cardiovasculaire et totale indépendamment des facteurs de risque d’athérosclérose.
Ainsi ce geste simple de mesurer la PA aux deux bras permet de choisir le bras sur lequel elle devra au mieux être mesurée, de vérifier qu’une automesure ou une MAPA faite sur le bras non dominant donnera des résultats fiables et en cas de différence significative (> 15 ou 20 mmHg) conduira à rechercher une anomalie vasculaire et surtout à classer le patient dans un groupe à haut risque cardiovasculaire.
Bref, cette recommandation mérite effectivement d’être suivie.
Comment faire en pratique ?
La mesure de la PA aux deux bras doit se faire pour tout nouveau patient. Ensuite la PA sera mesurée sur le bras présentant la plus élevée. Il faudra aussi en tenir compte pour l’auto-mesure ou la MAPA s’il existe une différence significative (> 10 mmHg).
L’idéal est de disposer de deux appareils de mesure automatique de la PA, fiables, validés et avec brassard. Un appareil est posé sur chaque bras, le patient étant assis, les deux appareils sont déclenchés simultanément, et cette mesure est répétée une ou mieux deux fois. Ainsi avec deux appareils, cette mesure ne prend pas plus de temps qu’avec un seul et la simultanéité des mesures permet d’obtenir un résultat plus fiable et reproductible de la différence entre les deux bras car il s’affranchit de la variabilité intrinsèque de la PA.
Une autre solution est de faire une mesure simultanée avec d’un côté la colonne de mercure et de l’autre un appareil automatique avec permutation en cas de différence significative pour vérifier qu’elle est liée au bras et non à l’appareil. C’est ainsi que je vérifie les appareils d’automesure amenés par les patients ou mes appareils de MAPA, faisant alors d’une pierre deux coups.
Je sais que la colonne de mercure tend à disparaître des cabinets, je le regrette car aucun appareil électronique n’offre aujourd’hui la garantie d’une fiabilité pérenne, et n’ayant jamais vu de colonne brisée répandre son mercure dans la nature (à la différence des thermomètres), je ne suis pas sûr que l’impact environnemental de cette mesure soit réellement justifié...
Sinon il reste possible de mesurer la PA à un bras, puis à l’autre avec le même appareil, mais en cas de différence il faut refaire une ou deux fois la comparaison car la simple variabilité de la PA peut expliquer une bonne partie des différences. D’ailleurs, cette méthode des mesures successives donne en général une amplitude de différence plus marquée entre les deux bras.
Enfin, n’oubliez pas une dernière recommandation qui paraît malheureusement également peu suivie : mesurez aussi systématiquement la PA en position debout. L’hypotension orthostatique est tout autant de mauvais pronostic…
Ce qu’il faut retenir
La PA doit être mesurée aux deux bras quand un patient est vu pour la première fois :
- une différence de PAS > 15 mmHg entre les deux bras est un marqueur indépendant de mauvais pronostic ;
- elle doit inciter à rechercher une cause vasculaire (écho-Doppler) ;
- la PA doit ensuite être mesurée au bras présentant la plus élevée ;
- attention aussi pour l’automesure et la MAPA.
L’idéal est de faire une mesure simultanée de la PA aux deux bras avec deux appareils automatiques fiables ou un appareil d’un côté et une colonne de mercure de l’autre. Des mesures successives sont possibles, mais tendent à surestimer cette difference.
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