Insuffisance cardiaque
Publié le 30 avr 2014Lecture 6 min
Insuffisance cardiaque aiguë : diagnostic, évaluation et investigations
P. ATTALI, CHU Strasbourg
L’insuffisance cardiaque est un problème de santé publique car c’est une pathologie fréquente (800 000 patients en France) et grave. En effet, sa mortalité est élevée (plus de 200 000 morts par an en France, avec une mortalité intrahospitalière de 8 % et une mortalité à 5 ans de 60,3 %). De plus, elle est à l'origine de nombreuses hospitalisations (216 000 hospitalisations en 2012 en France) et de réhospitalisations (45,1 % en 2012) avec, de ce fait, un coût financier considérable (1,6 milliard d’euros en 2007, en France). À chaque admission pour une insuffisance cardiaque aiguë (ICA), l’état de santé du patient s’améliore à court terme, mais sa fonction cardiaque se dégrade après sa sortie de l’hôpital aggravant davantage son pronostic vital. La loi de Santé Publique de 2004 a préconisé de diminuer la mortalité et la fréquence des décompensations aiguës des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque.
Les autres facteurs qui augmentent la mortalité intrahospitalière de l’insuffisance cardiaque (accroissement de 50 à 100 %) sont l’âge avancé (> 80 ans), la PAS (≤ 130 mmHg) et la fonction rénale (créatininémie > 110 μmol/l).
Rappelons que cette pathologie touche surtout la personne âgée : les données du PMSI de 2012 ont confirmé qu’elle reste la 1re cause d’hospitalisation des sujets de plus de 65 ans.
Classiquement, on distingue 6 tableaux cliniques d’insuffisance cardiaque aiguë : insuffisance cardiaque hypertensive, œdème aigu du poumon, syndrome coronarien aigu avec insuffisance cardiaque associée, choc cardiogénique, décompensation aiguë d’une insuffisance cardiaque chronique et insuffisance cardiaque droite.
Le diagnostic repose sur la clinique complétée par la réalisation d’examens complémentaires dont surtout l’échocardiographie et le dosage des peptides natriurétiques.
Évaluation initiale et suivi des patients
Trois évaluations doivent être menées parallèlement lors de l’examen initial :
- le patient est-il atteint d’une insuffisance cardiaque ou y a-t-il une autre cause à l’origine de ses symptômes et signes (par exemple, maladie pulmonaire chronique, anémie, insuffisance rénale ou embolie pulmonaire) ;
- si le patient est atteint d’une insuffisance cardiaque aiguë, y a-t-il un facteur déclenchant nécessitant un traitement ou une correction immédiate (par exemple, une arythmie rapide ou un syndrome coronarien aigu) ?
- l‘état de santé du patient met-il sa vie immédiatement en danger du fait de l’hypoxémie ou de l’hypotension artérielle conduisant à une hypoperfusion de ses organes vitaux (cœur, reins et cerveau) ?
Le diagnostic et le traitement sont généralement effectués en parallèle, en particulier chez les patients qui sont au plus mal. Une surveillance étroite des fonctions vitales du patient est essentielle lors de l’évaluation et le traitement de certains patients qui seront ainsi mieux pris en charge en unité de soins intensifs. Bien que l’objectif immédiat du traitement soit de soulager le patient de ses symptômes et de stabiliser son état hémodynamique, la prise en charge à plus long terme est aussi particulièrement importante afin de prévenir les récidives et d’améliorer le pronostic.
Les données en provenance des registres sur l’insuffisance cardiaque ont précisé le profil des patients avec une insuffisance cardiaque nécessitant une hospitalisation. De façon caractéristique, ce sont des personnes plutôt âgées, avec généralement des antécédents d’hypertension, ainsi que d’autres comorbidités, telles qu’une insuffisance rénale chronique, une hyponatrémie, des anomalies hématologiques ou une pathologie pulmonaire chronique obstructive.
Un pourcentage relativement égal de patients atteints d’insuffisance cardiaque aiguë décompensée ont une insuffisance cardiaque à FE préservée et à FE réduite. La morbidité et la mortalité sont élevées pour ces deux entités.
Les acteurs intervenant dans la prise en charge et le diagnostic
La qualité de la prise en charge des patients avec une insuffisance cardiaque aiguë dépend non seulement de la rapidité du diagnostic et de la bonne évaluation des critères de gravité mais aussi du recours rapide aux structures adaptées. La continuité de la prise en charge doit être assurée du domicile du patient à l’hôpital, grâce à la transmission écrite des données médicales.
Au domicile, le diagnostic d’insuffisance cardiaque aiguë est posé sur les signes cliniques et le terrain. La recherche systématique d’un infarctus du myocarde (douleur thoracique, ECG) se justifie par la prise en charge spécifique qu’il nécessite. La mise en route rapide du traitement d’un OAP fait partie du rôle du médecin généraliste. Les critères de gravité (détresse respiratoire aiguë, épuisement, signes de choc, syndrome coronarien aigu) conditionnent l’appel au SAMU. Le SAMU va organiser une revascularisation rapide en cas d’infarctus, identifier les formes graves (choc cardiogénique), réévaluer le diagnostic (BNP), et diriger le patient vers une structure adaptée, sous monitorage. Le SAMU poursuit la prise en charge en continuité avec le médecin généraliste et le service qui accueillera le patient, et affine la recherche des facteurs déclenchants, notamment par le tracé ECG systématique et éventuellement le dosage de troponine. Aux urgences, la prise en charge est proche de celle du SAMU, avec la possibilité de bénéficier d’un avis cardiologique, nécessaire notamment si persiste un doute diagnostique, si un syndrome coronarien aigue est évoqué, si des signes de gravité sont présents, si le traitement n’entraîne pas d’amélioration ou si le patient est porteur d’une prothèse valvulaire. L’échographie et le BNP peuvent compléter les outils diagnostiques classiques dont la radiographie thoracique. La troponine et les examens biologiques standards sont réalisés systématiquement.
Enfin, le patient grave est transféré en réanimation ou en USIC, impérativement en cas de SCA ou de mise sous inotropes positifs. Les patients moins sévères sont hospitalisés en service de cardiologie.
Environ 80 % des patients des services d’urgence avec insuffisance cardiaque aiguë sont hospitalisés en cardiologie.
L’examen clinique et les examens complémentaires
Le diagnostic de l’insuffisance cardiaque aiguë est basé sur une constellation de symptômes (par exemple, orthopnée et essoufflement à l’effort) et de signes (par exemple, œdèmes des extrémités et râles crépitants). L’examen physique évalue l’état de la perfusion systémique (patient « froid » ou « chaud ») et la présence de signes de congestion (patient « humide » ou « sec »).
Les tests de laboratoire, l’électrocardiogramme, la radiographie thoracique et l’échocardiographie sont tous des examens complémentaires importants à obtenir.
La radiographie pulmonaire est de sensibilité variable pour la présence d’un œdème interstitiel ou alvéolaire, même en présence de pressions de remplissage du VG élevées. Ainsi, une radiographie pulmonaire normale ne peut pas exclure une insuffisance cardiaque aiguë.
Une légère élévation de la troponine cardiaque peut être observée dans l’insuffisance cardiaque aiguë : elle n’est pas nécessairement indicative d’un infarctus du myocarde. Néanmoins, son augmentation est associée à une augmentation du risque de décès (mortalité intrahospitalière x 3, mortalité post-hospitalisation x 2) et de réhospitalisations (x 3).
L’utilité des peptides natriurétiques (BNP ou NT-proBNP) pour exclure ou confirmer le diagnostic lors d’un scénario clinique approprié, est bien établie. Les peptides natriurétiques sont plus utiles lorsque le diagnostic est incertain : dans ce cas, leur utilité clinique et les seuils discriminants ont été bien établis. Plusieurs systèmes de scores qui combinent des caractéristiques cliniques avec des valeurs des peptides natriurétiques ont été conçus et validés pour améliorer le diagnostic et la prise de décision. Les plus couramment utilisés sont le système de notation clinique qui a été développé par Baggish et coll. De plus, l’augmentation des facteurs natriurétiques est un marqueur de mauvais pronostic : dans le registre ADHERE, la mortalité intrahospitalière a triplé quand la concentration sanguine du BNP augmentait (6 % vs 1,9 % respectivement entre le 4e et le 1er quartile), et elle a quintuplé (10,2 % vs 2,2 %) quand les deux marqueurs, troponine et BNP, augmentaient. Ainsi, le dosage des deux biomarqueurs, troponine et BNP, apporte des informations contribuant au pronostic.
La détérioration de la fonction rénale est également un marqueur de mauvais pronostic : dans une métaanalyse, la mortalité globale était plus élevée (OR : 1,48 et 3,22, respectivement) pour une détérioration rénale de classe II ou III, c’est-àdire quand la créatininémie a augmenté de plus de 26,4 μmol/l (syndrome cardiorénal aigu). À 2 ans, la survie sans hospitalisation était doublée (55 % vs 28 % ; p < 0,001) en l’absence de détérioration importante de la fonction rénale (< 3 mg/l ou < 25 %, par rapport à J0).
De même, le retentissement hépatique d’une insuffisance cardiaque contribue au mauvais pronostic : la perturbation du bilan hépatique multiplie par 2 le risque de décès à très court terme (4 semaines).
En pratique
Un facteur déclenchant de l’insuffisance cardiaque aiguë doit être recherché.
En cas d’insuffisance cardiaque nouvellement découverte, les cliniciens devraient toujours tenir compte de la possibilité d’une maladie coronaire sous-jacente.
Un ECG et une radiographie pulmonaire doivent être effectués dans les deux heures de la présentation initiale.
Les tests sanguins initiaux devraient inclure les examens suivants : hémogramme, créatinine, urée, glycémie, natrémie, kaliémie et troponine.
Une échocardiographie transthoracique doit être effectuée au mieux immédiatement ou dans les formes moins graves dans les 24 heures de la présentation du patient.
La mesure du BNP ou du NT-proBNP doit être envisagée, même avec un diagnostic d’insuffisance cardiaque déjà établi, afin d'obtenir des informations pronostiques.
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