Valvulopathies
Publié le 25 mai 2015Lecture 8 min
Le traitement percutané des insuffisances mitrales
N. MÉNEVEAU, Pôle Cœur-Poumon, hôpital Jean-Minjoz, Besançon
Les insuffisances mitrales (IM) représentent 24 % des valvulopathies de l’adulte, et touchent 7 % des sujets âgés de plus de 75 ans. Elles constituent la deuxième cause de valvulopathie en Europe. La chirurgie mitrale reste aujourd’hui le traitement de référence des IM symptomatiques. Quand les caractéristiques anatomiques le permettent, le choix de la technique se porte préférentiellement sur les plasties chirurgicales au détriment du remplacement valvulaire. La réparation mitrale offre la possibilité de restaurer le fonctionnement normal de la valve. Elle est associée à une mortalité opératoire très basse (de l’ordre de 2 %) et à d’excellents résultats au long cours. Quelle que soit l’approche chirurgicale choisie, seule une minorité de patients souffrant d’IM symptomatique est soumise à une intervention. Cette situation, qui touche plus particulièrement les sujets âgés ou ayant de lourdes comorbidités, a conduit à envisager une approche percutanée du traitement de l’IM, dans la continuité des avancées réalisées dans la prise en charge du rétrécissement aortique.
L’anatomie complexe de l’appareil valvulaire mitral est à l’origine de différents mécanismes de fuite mitrale. Le prolapsus mitral des IM dégénératives est lié à une atteinte organique des feuillets et des cordages, alors que les IM fonctionnelles résultent d’une modification de la géométrie du ventricule gauche avec ou sans dilatation de l’anneau, en rapport avec une cardiomyopathie dilatée ou ischémique. Idéalement, le traitement percutané des IM doit prendre en compte le mécanisme de la fuite, et être aussi efficace et sûr que la chirurgie conservatrice. Différents dispositifs sont aujourd’hui en cours d’évaluation qui font appel à la suture des feuillets mitraux, à l’annuloplastie du sinus coronaire, à l’implantation de néocordages ou au remodelage de l’anneau mitral par application directe d’une source de radiofréquence. La suture des feuillets mitraux et l’annuloplastie du sinus coronaire sont les deux approches les plus avancées aujourd’hui.
La technique "bord à bord"
Le principe de la technique « bord à bord » consiste à rapprocher les deux feuillets mitraux en les réunissant par un clip positionné sur le bord libre de leur segment médian, reproduisant ainsi la technique chirurgicale d’Alfieri. Le MitraClip (Abbott Inc.) est un dispositif biomédical métallique disposé à l’extrémité d’un cathéter mis en place par voie veineuse fémorale jusque dans l’oreillette et le ventricule gauche après cathétérisme transseptal. Le système est libéré après que le clip a pu être refermé de façon à accoler la partie médiane des deux feuillets mitraux, créant ainsi un double orifice mitral (figure 1). Il s’agit d’une technique complexe réalisée sous anesthésie générale avec contrôle angiographique et échographie œsophagienne. Le MitraClip a été implanté chez près de 3 000 patients à travers le monde, et vient d’obtenir son marquage CE.
Figure 1. Système MitraClip® (Abbott Inc.).
L’étude EVEREST II (Endovascular Valve Edge to edge REpair STudy), conduite dans 37 centres américains, a permis de recruter 279 patients porteurs d’IM importantes à majeures (grades 3 et 4), dont 73 % étaient organiques. Les patients devaient être symptomatiques ou avoir une dysfonction ventriculaire gauche, une fibrillation auriculaire ou une hypertension pulmonaire. La randomisation comparait l’implantation de MitraClip (n = 184) au remplacement valvulaire ou à la plastie mitrale (n = 95). Le succès de la procédure, défini par une fuite de grade ≤ 2 après intervention, a été obtenu chez 74 % des patients traités par MitraClip. Les taux d’événements cardiovasculaires graves étaient significativement moins fréquents à 1 mois dans le groupe traité par voie endovasculaire, comparé au groupe traité chirurgicalement (15 % versus 48 % ; p < 0,001 pour le critère de supériorité) (figure 2). Cette supériorité du groupe MitraClip était à mettre sur le compte d’une réduction des épisodes de fibrillation auriculaire et des complications hémorragiques graves. Le critère d’évaluation principal, défini par la survie à 1 an sans réintervention chirurgicale et sans fuite résiduelle > 2, atteignait 55 % dans le groupe MitraClip et 73 % dans le groupe chirurgie (p = 0,007) (figure 2). La mortalité à 1 an et la proportion de fuites résiduelles importantes (grades 3 et 4) ne différaient pas entre les 2 groupes. En revanche, la nécessité d’une réintervention chirurgicale était plus fréquente dans le groupe MitraClip qu’après chirurgie (20 % versus 2 % ; p < 0,001). Une amélioration significative des volumes ventriculaires, de la symptomatologie clinique (classe NYHA) et de la qualité de vie a été observée dans les 2 groupes par rapport à l’état basal. Le taux d’IM résiduelle importante (grade > 2) à 1 an était de 18% après implantation du clip et de 3 % après chirurgie, sans que cela ait eu de répercussion en termes de symptomatologie fonctionnelle (figure 3).
Figure 2.
Figure 3.
Ces données appellent plusieurs commentaires. Elles confirment celles du registre européen ACCESS, et montrent que la correction de la fuite mitrale bien qu’imparfaite est mieux tolérée que la chirurgie conventionnelle et qu’elle permet une amélioration fonctionnelle qui persiste à 1 an. Toutefois, le nombre de réinterventions sur la valve, qui est 10 fois plus important chez les patients ayant bénéficié d’un clip, peut apparaître décevant. Surtout, les séries chirurgicales nous ont appris que la persistance d’une fuite mitrale résiduelle en postopératoire était de mauvais pronostic au long cours. Le suivi à 2 ans des patients d’EVEREST II, présenté au congrès de l’ACC 2011, ne rapporte aucune complication mécanique liée au dispositif lui-même (thrombose, embolisation, migration, érosion, désinsertion ou rupture). En revanche, la survie sans événement (critère primaire d’efficacité) reste plus faible dans le groupe MitraClip que dans le groupe chirurgie (51,7 % versus 66,3 % ; p < 0,001). Enfin, il est regrettable qu’aient été inclus indistinctement IM dégénératives et fonctionnelles, dont les pronostics et les résultats postopératoires peuvent être très différents.
L'annuloplastie du sinus coronaire
Plusieurs dispositifs d’annuloplastie sont en cours d’évaluation. La technique consiste à implanter par voie veineuse jugulaire un dispositif rétractable à l’intérieur du sinus coronaire afin de raccourcir l’anneau mitral en déplaçant le segment postérieur de l’anneau vers l’avant. Le rationnel de cette approche, qui repose sur la proximité entre sinus coronaire et anneau mitral, souffre de certaines limitations. Il existe une certaine distance entre sinus coronaire et anneau mitral, proportionnelle à l’importance de la fuite. L’annuloplastie n’est que partielle, le sinus ne couvrant que la moitié de la circonférence de l’anneau. L’utilisation du sinus coronaire est incompatible avec la présence de sondes de stimulation multisite entrant dans le cadre d’une resynchronisation. Enfin, le trajet du sinus coronaire croise celui de l’artère circonflexe qui peut être comprimée lors de la rétraction du dispositif.
Trois de ces dispositifs ont déjà fait l’objet d’une évaluation clinique (figures 4 et 5). Le système MONARC TM (Edwards Lifesciences Inc.) est composé de 2 stents reliés par un tendeur rétractable. Le système CARILLON TM Mitral Contour System (Cardiac Dimensions Inc.) comporte 2 systèmes d’ancrage en nitinol autoexpandables reliés par un segment dont la position peut être ajustée sous contrôle échographique ou fluoroscopique. Enfin, le système VIACOR TM PTMA est composé de 3 fils de nitinol, permettant de modifier la géométrie de l’anneau en faisant varier la rigidité et la longueur des fils de nitinol. Les résultats des premières évaluations cliniques font état d’un taux de succès d’implantation variant de 48 à 82 %, associé à une faible mortalité à 1 mois. En revanche, les complications à type de tamponnade ou de compression coronaire sont fréquentes, liées à l’approche spécifique de ces dispositifs.
Figure 4.
Figure 5.
L’étude AMADEUS a évalué la faisabilité de l’annuloplastie réalisée à l’aide du dispositif CARILLON TM à partir d’une population de 48 patients symptomatiques ayant une cardiomyopathie dilatée (FEVG < 40 %) et porteurs d’IM fonctionnelles modérées à sévères. L’implantation du dispositif a pu être conduite avec succès dans 63 % des cas et s’est accompagnée d’une réduction de l’orifice régurgitant de 30 % et du volume régurgitant de 22 %, sans diminution des volumes ventriculaires gauches associée. Une amélioration fonctionnelle significative a été observée à 1 et 6 mois, en termes de classification NYHA ou de distance parcourue au test de marche. Le taux d’événements secondaires à 30 jours était de 13 %, avec en particulier 6,5 % d’infarctus du myocarde et 6,5 % de dissection/perforation du sinus coronaire responsables de tamponnade.
Le système MONARC TM (Edwards Lifesciences Inc.) a, quant à lui, fait l’objet d’une évaluation clinique dans l’étude EVOLUTION I qui a inclus 72 patients avec IM de grade ≥ 2 et cardiomyopathies dilatées ou ischémiques. Le taux de succès d’implantation du dispositif était de 82 %. À 1 an, une réduction de l’IM d’au moins un grade a été obtenue chez seulement 50 % des patients. L’amélioration est toutefois plus marquée en cas de fuite importante, et atteint 86 % des patients avec IM ≥ 3. La procédure d’implantation s’est compliquée de 2 tamponnades (3,4 %), mais surtout de compression coronaire documentée dans 25 % des cas et d’infarctus myocardique chez 2 patients (3,4 %). La survie sans événement clinique à 3 ans était de 64 %.
Les problèmes qui restent à résoudre
L’expérience clinique du traitement percutané des régurgitations mitrales est aujourd’hui encore limitée. Même si les taux de succès procéduraux sont intéressants pour ces techniques émergentes, un certain nombre de problèmes restent à résoudre. Les données permettant d’évaluer l’efficacité de cette approche sont très insuffisantes et se limitent à la seule étude randomisée EVEREST II. En particulier, on manque de recul pour juger de l’évolution au long cours des fuites mitrales résiduelles.
Il convient pour les études en cours ou à venir d’utiliser des critères cliniques robustes et de disposer d’une standardisation de l’évaluation des IM. La quantification des IM fonctionnelles varie avec les conditions de charge, et on manque de données pour évaluer la fuite en cas de double orifice (MitraClip). Il est impératif enfin que soient analysés séparément les résultats obtenus avec les IM organiques, et fonctionnelles ou ischémiques.
La technique « bord à bord » proposée par le MitraClip semble adaptée au traitement des IM dégénératives, malgré un taux de fuite résiduelle important. Ses indications risquent toutefois de se limiter aux patients à haut risque chirurgical, compte tenu des excellents résultats obtenus avec la chirurgie conservatrice dans cette indication. À l’inverse, il n’est pas établi que le traitement chirurgical des IM fonctionnelles ou ischémiques permette de réduire la mortalité. Dans ce contexte, l’approche percutanée pourrait offrir une alternative intéressante à ces patients. Pour ce faire, il conviendra d’améliorer la sécurité d’emploi des dispositifs d’annuloplastie du sinus coronaire, responsables d’un taux de complications ischémiques inacceptable. Un projet d’étude randomisée (MitraClip versus traitement médical) chez les patients porteurs d’une IM sévère fonctionnelle a été déposé en France dans le cadre d’une évaluation médico-économique (STIC) avec une dizaine de centres participants.
L’avenir du traitement percutané des régurgitations mitrales passe peut-être par une approche combinée fonction du mécanisme incriminé. Le concept d’implantation d’une prothèse mitrale par voie endovasculaire se heurte, quant à lui, à la forme asymétrique de la valve qui constitue un obstacle à la stabilisation et à l’étanchéité de la prothèse. Deux prothèses sont en cours de développement : la prothèse Endovalve Hermann (Endovalve Inc., Princeton, New Jersey) implantable par l’oreillette gauche via une minithoracotomie, et la prothèse Cardiaq (CardiAQ Valve Technologies, Inc., Winchester, Massachusetts) implantable par voie transseptale (figure 6). La seule indication clinique validée à ce jour se limite aux dégénérescences de bioprothèses .
Figure 6. A : prothèse Endovalve Hermann (Endovalve Inc., Princeton, New Jersey). B : prothèse Cardiaq (CardiAQ Valve Technologies, Inc., Winchester, Massachusetts).
Ce qu'il faut retenir
L’expérience clinique du traitement percutané des régurgitations mitrales est encore limitée. La suture des feuillets mitraux « bord à bord » et l’annuloplastie du sinus coronaire sont les deux approches les plus avancées aujourd’hui. Elles permettent une correction de la fuite mitrale, qui, bien qu’imparfaite, est associée à une amélioration fonctionnelle qui persiste à 1 an. Même si les taux de succès procéduraux sont intéressants pour ces techniques émergentes, un certain nombre de problèmes restent à résoudre. En particulier, l’évolution au long cours des fuites mitrales résiduelles reste à évaluer. L’amélioration de la sécurité d’emploi des dispositifs d’annuloplastie, responsables d’un taux de complications ischémiques important, est impérative. Enfin, la réalisation d’essais randomisés est nécessaire pour préciser l’efficacité de ces différentes techniques, particulièrement dans le cadre des IM fonctionnelles.
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