Cardiologie interventionnelle
Publié le 29 mar 2015Lecture 7 min
Thrombectomie coronaire : une valeur ajoutée pour l’angioplastie primaire de l’infarctus du myocarde
P. COSTE, E. GERBAUD et L. LEROUX, USIC et SAU cardiothoracique, CHU de Bordeaux
L’infarctus du myocarde est la conséquence d’une lésion athéromateuse compliquée par un processus dynamique qui associe agrégation plaquettaire et formation de fibrine par activation de la coagulation. Les éléments figurés du sang sont piégés dans ce réseau et la dislocation spontanée du thrombus devient de plus en plus improbable et son volume est conséquent.
L’angioplastie primaire désobstrue l’artère par une fragmentation mécanique du caillot, et aussi par une distension de la paroi artérielle qui prévient la réocclusion immédiate. Cependant, l’embolisation du thrombus et des débris athéromateux dans le lit d’aval compromet souvent gravement la perfusion tissulaire en générant le phénomène angiographique de « no reflow » qui est corrélé à la taille finale de l’infarctus(1). En conséquence, l’ablation du bouchon cruorique apparaît logique, peu complexe et apparemment sans risque pour le patient.
Quels intérêts pour la thrombectomie ?
À côté d’un potentiel thérapeutique évident, la thromboaspiration ou thrombectomie coronaire a apporté ces dernières années des renseignements inestimables sur la physiopathologie des syndromes coronaires aigus et sur l’histoire de l’athérothrombose en général.
Les thrombi extirpés pendant une angioplastie primaire sont hétérogènes, composés de strates superposées évoquant des processus thrombotiques d’âge différent(2,3). Ainsi le matériel recueilli au moment d’un infarctus traité avant la 6e heure qui suit le début des signes cliniques a une structure compatible avec une thrombose récente dans seulement 50 % des cas, et on ramène un mélange de thrombus et de matériel athéromateux dans 41 % des cas, réalisant ici une véritable athérectomie.
L’analyse fine montre que dans les 2 premières heures qui suivent le début des symptômes, le thrombus est essentiellement composé de plaquettes, puis à partir de la 4e heure, il associe un réseau de fibrine englobant les hématies(4). La résistance aux enzymes protéolytiques qui attaquent la fibrine augmente aussi avec le temps, ce qui rend compte des échecs de fibrinolyse lorsque les délais dépassent les 6 heures.
La quantité de thrombus varie donc dans le temps, et il faut souligner qu’elle dépend aussi de l’activation de la coagulation préalable à la thrombose, du niveau de l’inflammation générale, et de la quantité de facteur tissulaire contenu dans la plaque d’athérome. On comprend ainsi qu’une lésion coronaire peu obstructive puisse entraîner une occlusion, surtout si un spasme modifie les conditions rhéologiques du flux coronaire.
Les technologies à notre disposition : les limites des systèmes
Les cathéters de thrombectomie sont nombreux, et leur efficacité n’a jamais été comparée dans des essais cliniques : dans un esprit de simplification, on raisonne selon un principe de non-différence.
On distingue ainsi deux grandes familles : les systèmes d’aspiration manuelle simple comme les cathéters Export™ (Medtronic), Illuminate™ (Terumo) ou Proxis™ (St Jude Medical) qui sont les plus diffusés, et les systèmes de thrombectomie mécanique, avec aspiration tel l’AngioJet™ (Possis). Une technologie unique d’extraction, l’X-Sizer™ (eV3), n’est plus disponible, alors que son efficacité sur le « no reflow » avait été validée dans des essais randomisés.
Des opérateurs astucieux ont testé leur capacité d’aspiration sur des bancs d’essai in vitro. La taille de la lumière est probablement le paramètre le plus important, mais travailler avec un cathéter-guide de 7 French pose des problèmes pour l’accès radial chez les malades de petite corpulence. Ces travaux suggèrent que l’efficacité est fonction de l’ancienneté présumée du thrombus, mais également des angulations de la coronaire qui peuvent plier le tube et limiter l’accessibilité de la sténose(5). Soulignons aussi que le contrôle de la pression coronaire est parfois difficile dans certains cathéters-guides de 6 French et que la thrombectomie expose à des complications iatrogènes, notamment les dissections coronaires par retrait « musclé » du cathéter d’aspiration. En revanche, ces systèmes autorisent l’injection sélective dans le lit d’aval de produit de contraste et de vasodilatateurs artériolaires tels que la papavérine, l’adénosine ou le nicorandil pour améliorer la qualité de la perfusion myocardique.
La thrombectomie coronaire est validée dans l'angioplastie primaire par plusieurs essais contrôlés pour prévenir le « no reflow»
Les premières séries observationnelles ont été faites avec des systèmes de tubes coaxiaux, alors même que certains avaient déjà tenté de retirer le thrombus dans des cas simples tels que l’occlusion proximale de la coronaire droite ou de l’interventriculaire antérieure. Ils avaient initié les bases du futur, en remarquant qu’ils retiraient des thrombi d’âge différent(2). Les années 2000 ont ensuite produit plusieurs petites séries, souvent en faveur de la technique, mais parfois des données contradictoires sont venues semer le doute en montrant une augmentation de la taille de l’infarctus après thrombectomie(6).
L’essai TAPAS(7) en 2008 a fini par convaincre les angioplasticiens les plus réticents. Cette étude monocentrique, randomisée, avec un groupe contrôle, mais nécessairement réalisée en ouvert a utilisé le cathéter Export™ en calibre 6 French. Plus de 1 000 patients ont été inclus, dans un hôpital où les opérateurs étaient très entraînés à la technique, et avec des délais intrahospitaliers de moins de 30 min. Le critère principal de jugement était seulement angiographique : analyse semi-quantitative du « blush » myocardique qui est censé refléter la perfusion myocardique. Il faut noter que l’aspiration a été efficace dans 70 % des cas, mais malgré cette imperfection, la perfusion myocardique (« blush grade ») ou la résolution du segment ST ont été bien meilleures dans le groupe traité par thrombectomie. Or on sait que la qualité de la reperfusion, appréciée par la résolution du segment ST ou l’opacification du myocarde, est un facteur prédictif de mortalité et d’événements cardiaques majeurs.
Sur le plan clinique, on a observé une tendance vers l’amélioration de la survie à 30 jours, respectivement 2,1 % versus 4 % pour le groupe contrôle (p = 0,07), mais aussi une réduction du risque de nouvel infarctus (0,8 % versus 1,9 %). Après 1 an, on retrouve une diminution de la mortalité cardiaque (respectivement 3,6 % pour le groupe thrombectomie contre 6,7 % pour le groupe contrôle ; p < 0,04). Ce résultat n’a pas force de démonstration, puisque l’étude n’avait pas la puissance pour tester ce paramètre. La même tendance a été mise en évidence dans la métaanalyse ATTEMPT, et le bénéfice de la thrombectomie apparaît même supérieur chez les malades traités par des agents anti-GPIIb/IIIa(8).
Les études randomisées avec les systèmes de thromboaspiration mécanique sont décevantes, même s’ils fragmentent le thrombus avant de le retirer de la coronaire. Le système AngioJet™ a été évalué dans l’essai JETSTENT(9). Cinq cent un patients ont été inclus et le bras thrombectomie a eu une résolution du segment ST plus fréquente (86 % versus 79 % pour le bras contrôle), avec une tendance forte pour une réduction des événements cliniques à 30 jours. Pourtant, l’étude ne permet pas de conclure à une supériorité de cette approche, puisque ni le score de « blush » myocardique ni la taille de l’infarctus en scintigraphie n’ont été impactés par la thromboaspiration.
Enfin, les systèmes de protection distale auraient une action neutre, la mortalité cardiaque étant quasiment identique quelle que soit la stratégie(8) (figure 1).
Figure 1. Noter que les paramètres décisionnels sont : 1. La perméabilité coronaire obtenue après passage du guide d’angioplastie et/ou du système de thrombectomie. 2. La taille de la lumière coronaire. 3. L’accessibilité de la lésion responsable de l’infarctus.
À ce jour, on manque encore de données sur la place de la thrombectomie en fonction du volume du thrombus, de la perméabilité coronaire initiale et surtout des délais d’intervention.
Récemment, une analyse regroupant 3 essais randomisés a suggéré une interaction entre le délai d’angioplastie et le gain obtenu par la thromboaspiration : même pour une reperfusion tardive, on constate une amélioration des paramètres de reperfusion avec la thrombectomie(10) (figure 2).
L’intervention mécanique ne dispense pas d’administrer des agents anti-GPIIb/IIIa. Dans l’étude CICERO(11), l’injection intracoronaire d’abciximab n’a plus d’intérêt en comparaison avec la voie intraveineuse, et ce résultat amène à poser l’hypothèse selon laquelle une thrombectomie effectuée systématiquement après une fibrinolyse pourrait améliorer les résultats médiocres des anciens essais.
Figure 2. Pourcentages de cas avec qualité de reperfusion satisfaisante (myocardial blush grade 2 ou 3 et résolution du segment ST > 70 %), en fonction du délai d’intervention par rapport au début des symptômes.
Le futur de la thrombectomie
Il faut attendre les résultats de l’essai international TOTAL (Randomized Trial of Routine Aspiration ThrOmbecTomy With PCI Versus PCI ALone in Patients With STEMI Under-going Primary PCI) pour démontrer enfin un effet sur la mortalité(12). Il pourra valider l’effet sur les événements cliniques de la suppression du substrat thrombotique en reproduisant l’étude TAPAS qui doit ses résultats à l’excellence des opérateurs, mais aussi à des interventions rapides qui garantissent le sauvetage de la microcirculation.
Parallèlement, on doit améliorer la technologie, en gardant à l’esprit que tous les vaisseaux ne sont pas accessibles par des cathéters qui affrontent un compromis difficile entre leur calibre et la capacité à accéder à des segments coronaires distaux.
Les propriétés biomécaniques du caillot, en particulier sa propension à entrer dans un tube au calibre réduit, sont éminemment imprévisibles, et le franchissement de la lésion peut mobiliser le caillot avant son aspiration.
Ce qu'il faut retenir
L’angioplastie coronaire est le traitement de l’infarctus du myocarde, et les essais randomisés ont montré un bénéfice ajouté de la thrombectomie sur la qualité de la reperfusion, avec prévention du phénomène de « no reflow ».
Les tubes qui aspirent le thrombus ne sont pas totalement sans danger, et leur taille réduite est souvent un handicap pour enlever une quantité suffisante de matériel.
L’âge de constitution des caillots est un élément qui peut limiter cette technique.
Malgré des signes très encourageants, il n’y a pas encore de preuve formelle que la thrombectomie réduise la mortalité.
Les recommandations de la Société européenne de cardiologie proposent de réserver la thrombectomie aux situations avec une masse thrombotique conséquente (classe IIa A).
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