Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 14 juil 2015Lecture 6 min
La fibrillation atriale de l’athlète
P. JACON, P. DEFAYE et B. MONDESERT, Unité de rythmologie et de stimulation cardiaque Clinique cardiologique et urgences cardiologiques, CHU, Grenoble
L’incidence de la fibrillation auriculaire (FA) est augmentée par l’activité sportive, notamment intense et endurante. Les conséquences en termes de baisse des performances, parfois de restriction à la compétition peuvent être importantes chez l’athlète. Le traitement médical est particulièrement difficile à manier, et la place des techniques ablatives encore discutée.
Épidémiologie
Bien qu’il n’existe pas d’étude prospective de grande envergure, plusieurs travaux récents se sont intéressés à l’impact du sport sur le développement de la FA sur cœur sain. Six études cas-témoins ont été réunies dans la méta-analyse d’Abdulla(1) rassemblant 695 athlètes versus 895 sujets contrôles, d’âge moyen 51 ans ± 9 ans, dont 93 % d’hommes. Toutes les études retrouvent un risque de développer une FA significativement plus élevé chez l’athlète, avec un odds ratio global de 5,5 (p = 0,0001).
Les travaux réalisés concernent en majorité des athlètes d’âge moyen pratiquant des sports d’endurance (course, cyclisme, etc.). Ces sports semblent les plus pourvoyeurs d’arythmies : Heidbüchel(2) a pu mettre en évidence qu’après ablation de flutter, la pratique d’un sport d’endurance est un facteur de risque significatif de développer une FA (HR 1,81, p = 0,02), contrairement aux autres sports.
L’intensité de l’activité sportive est également certainement un facteur déterminant. Récemment, Aizer(3) a étudié l’impact du sport sur une large cohorte de 16 921 médecins, comparant 4 groupes ayant des niveaux d’entraînement différents à un groupe contrôle. L’analyse multivariée à 3 ans démontre un risque augmenté de FA seulement dans le groupe le plus entraîné (RR 1,2 ; 1,02-1,41).
Enfin, la seule étude peu concluante quant à la corrélation FA et sport(4) se distingue des autres travaux essentiellement par l’âge très jeune des athlètes laissant supposer qu’une certaine charge de sport est nécessaire avant de développer des symptômes : chez Pellicia, sur une population de 1 823 athlètes au pic de leur activité, d’âge moyen 24 ans ± 8 ans, la prévalence de la FA est seulement de 0,4 %, identique à celle de la population générale.
Physiopathologie
Le triangle classique de Coumel peut être adapté à l’athlète pour comprendre les mécanismes de la FA chez le sportif (5) (figure 1).
Il est démontré que les extrasystoles atriales, et plus particulièrement les extrasystoles veineuses pulmonaires, sont le « trigger » de la majorité des épisodes de F A paroxystique.
Triangle classique de Coumel adapté aux facteurs physiopathologiques possibles du développement de la FA chez l’athlète
Figure 1.
On peut se demander si cette hyperexcitabilité atriale n’est pas exacerbée chez le sportif. Néanmoins, dans l’étude récente de Baldesberger(6), l’incidence des extrasystoles atriales n’est pas plus élevée dans une population d’anciens cyclistes professionnels que chez les sujets contrôles, malgré un taux de FA plus important (p = 0,028). Des travaux sur de plus larges cohortes restent nécessaires pour éclaircir ce point. On doit également souligner le rôle aggravant potentiel des drogues illicites en tant que « triggers ». Elles peuvent, par leur effet arythmogène direct ou indirect, favoriser arythmies focales et réentrées (7).
Il existe certainement chez le sportif des modifications du système nerveux autonome favorables au développement de la FA. De manière générale, chez l’athlète, on observe une augmentation de l’activité parasympathique et une diminution de l’activité sympathique(5). Les données expérimentales montrent que cette augmentation du tonus vagal peut favoriser le raccourcissement et la dispersion des périodes réfractaires atriales. Chez les anciens athlètes, il persiste également à long terme une tendance bradycarde significative(6) qui pourrait être favorable au développement d’arythmies atriales.
Concernant le substrat potentiel, il est nécessaire d’éliminer une atteinte ventriculaire, notamment une cardiopathie hypertrophique. En dehors des conditions pathologiques, des altérations morphologiques de l’oreillette sont décrites dans les populations d’athlètes : dans l’étude de Pelliccia(4), 20 % des athlètes ont une OG dilatée, alors que l’incidence de la FA est faible, ce qui peut faire supposer que les changements structuraux précèdent l’apparition des arythmies. Dans l’étude GIRAFA(8), les patients présentant une FA ont une OG plus dilatée que les sujets contrôles. La taille de l’OG n’est pas un facteur prédictif de FA chez Pelliccia, alors qu’elle l’est dans GIRAFA.
Conséquences de la FA chez l’athlète
La FA chez l’athlète ne semble pas associée à un pronostic péjoratif à long terme : dans l’étude cas-contrôles de Karja- lainen(9) qui a suivi des athlètes de 1984 à 1998, la mortalité chez les athlètes est moindre que chez les sujets contrôles, malgré un taux de FA élevé. Les effets bénéfiques du sport semblent contrebalancer l’effet délétère potentiel de la maladie rythmique atriale, notamment par une diminution du taux de coronaropathies. Dans l’étude de Baldesberger(6), qui a suivi 137 cyclistes participant au tour de Suisse de 1955 à 1975, les porteurs d’une FA ont une survie identique à celle attendue dans la population générale du même âge.
Les conséquences de la FA en termes de limitation des performances sportives sont importantes : dans l’étude récente de Calvo(10), les capacités au test d’effort apparaissent nettement inférieures chez les athlètes présentant des crises d’arythmie par effort que chez les cas contrôles (p < 0,05). L’aptitude à la compétition des athlètes porteurs d’une FA doit en outre faire l’objet d’une évaluation selon les recommandations européennes de 2005 sur l’aptitude à la compétition des sportifs porteurs d’une pathologie cardiovasculaire(11) (tableau). On notera que les recommandations ne font pas mention de la F A paroxystique non contrôlée.
Tableau. Recommandations pour la participation aux sports de compétition chez les athlètes présentant des arythmies atriales.
Aspects thérapeutiques
L’évaluation du risque thromboembolique chez l’athlète est la même que dans la population générale(12). Pour la majorité, le score CHADS2 sera faible, avec indication discutable d’un traitement antiagrégant. Les anticoagulants oraux se révéleront nécessaires devant un score CHADS élevé, notamment en cas de cardiopathie sous-jacente. Leur prescription peut alors restreindre la pratique de certaines activités sportives, comme les sports de contact.
La prescription d’un traitement antiarythmique devra tenir compte des restrictions relatives à l’usage des médicaments prohibés en compétition : cela concerne essentiellement les bêtabloquants, y compris le sotalol, pour tous les sports d’adresse. Les antiarythmiques de classe III doivent être dans tous les cas maniés prudemment du fait du risque de bradycardie et d’allongement du QT, chez des patients déjà spontanément bradycardes. Enfin, les médicaments de classe I, notamment IC, peuvent être utilisés, mais leur prescription est limitée par leur potentiel proarythmique à l’effort.
La place des techniques ablatives n’est pas encore précisée dans les recommandations spécifiques à l’athlète. Plusieurs travaux récents ont néanmoins pu démontrer l’efficacité de l’ablation chez le sportif. Calvo(10) a comparé récemment dans sa série d’ablations les patients considérés comme athlètes (> 3 heures de sport par semaine) et les sujets contrôles : les résultats en termes de survie sans arythmie après une première procédure sont identiques chez les sportifs et chez les sujets contrôles. Furlanello(13) a également pu montrer la faisabilité et les bons résultats de l’ablation par radiofréquence chez les jeunes athlètes participant encore à une activité sportive de compétition.
Extrait de R-test chez une patiente de 53 ans, souffrant de palpitations, réalisé lors d’une course de ski de randonnée (A) et au repos (B)
Figure 2.
Ce qu’il faut retenir
Le risque de FA est augmenté d’un facteur 5 chez l’athlète.
Le type de sport (endurance), la « dose cumulée » et l’intensité de l’activité sportive semblent jouer un rôle dans le développement d’une arythmie atriale.
Il est essentiel d’éliminer une cardiopathie sous-jacente et/ou un problème de dopage.
Les règles d’anticoagulation sont les mêmes que dans la population générale, et le traitement antiarythmique est difficile à manier.
La place des techniques ablatives reste encore à préciser.
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