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Valvulopathies

Publié le 31 aoû 2014Lecture 10 min

Quantification du rétrécissement aortique : reste-t-il une place pour le cathétérisme cardiaque en 2014 ?

P.-V. ENNEZAT, S. MARÉCHAUX, B. IUNG, M.-C. MALERGUE, É. ABERGEL, CHU de Grenoble, Hôpital Saint-Philibert-Groupement des Hôpitaux de l’Institut catholique de Lille, Hôpital Bichat AP-HP, Institut Mutualiste Montsouris Paris, Clinique Saint-Augustin Borde

Le rétrécissement aortique (RAo), maladie dégénérative de la valve ou évolution sténosante d’une bicuspidie, touche environ 1 % des patients de plus de 65 ans. Le remplacement valvulaire aortique est discuté lorsque le RAo est sévère et que le patient présente des symptômes en rapport avec la sténose aortique ou lorsque le RAo est très sévère, même sans symptôme.
L’essor récent de l’implantation des valves aortiques percutanées (TAVI) tend à s’accompagner d’une augmentation de l’évaluation diagnostique par cathétérisme cardiaque alors que la valeur diagnostique et pronostique de l’écho-Doppler cardiaque est largement démontrée.

Définir la sévérité d’un RAo peut apparaître simple de prime abord lorsqu’on se réfère aux recommandations (vélocité maximale transvalvulaire > 4 m/s, gradient moyen > 40 mmHg, surface fonctionnelle (SF) < 1 cm2 ou 0,6 cm2/m2, indice de perméabilité ITV sous-aortique/ ITV aortique < 0,25). Cependant en pratique clinique, dans au moins 30 % des cas on observe une discordance entre ces différents paramètres(1). Le diagnostic de RAo serré repose historiquement sur des mesures réalisées en cathétérisme cardiaque nécessitant le franchissement de la valve aortique. Cependant une série prospective randomisée comparant coronarographie diagnostique avec (n = 101) ou sans (n = 51) franchissement de la sténose valvulaire, démontrait que le taux d’AVC ischémiques détectés par IRM cérébrale (avant et après le cathétérisme cardiaque) était de 22 %, dont 3 % avec déficits neurologiques cliniques dans le groupe franchissement alors qu’il était de 0 % dans le groupe coronarographie simple(2). La quantification du RAo devrait en pratique clinique reposer en première ligne uniquement sur des méthodes non invasives : écho-Doppler cardiaque systématique, et parfois d’autres examens complémentaires comme le score calcique valvulaire par scanner ou l’échographie transœsophagienne. La coronarographie doit être réalisée lorsqu’un remplacement valvulaire aortique est envisagé chez un patient à risque de coronaropathie. Le franchissement de la valve doit rester exceptionnel, et ne devrait être effectué à titre diagnostique que lorsqu’il y a discordance entre la présence de symptômes et des données non invasives rassurantes(3,4). Si l’on obtient alors des différences entre les données échographiques et les données invasives, celles-ci ne doivent pas être interprétées comme des erreurs de mesure.   Les discordances KT-Doppler proviennent donc du fait que nous ne mesurons pas la même chose   Évaluation du RAo par écho-Doppler L’évaluation d’un RAo par écho- Doppler cardiaque (comme pour toutes les valvulopathies en général) repose sur des mesures systématiques entre des mains expertes(5). L’estimation des gradients de pression ΔP par Doppler se fonde sur des mesures de vitesses (Vvao) transvalvulaires des hématies (HE) par effet Doppler et l’alignement du faisceau Doppler sur le flux doit être optimal Vvao=VHExcosθ. Ainsi, un angle de 30° revient à minorer les vitesses de 14 %. Pour cette raison l’utilisation de plusieurs voies (voies parasternale droite avec l’indispensable sonde Pedoff, sous-costale, suprasternale, etc.) doit être systématique pour obtenir un alignement optimal avec le flux transvalvulaire (figure 1) . Un travail de l’équipe de David Messika-Zeitoun démontre que dans 21 % des cas la sévérité du RAo est sous-estimée en l’absence d’enregistrement des vitesses par sonde Pedoff(6). Les vitesses Doppler sont ensuite dérivées en gradient de pression ΔP par l’équation de Bernoulli ΔP = 4x(V2 vao- V2 ccvg) ; les vitesses sous-aortiques (CCVG) sont négligées si elles sont < 1,5 m/s et le calcul devient ΔP = 4xV2 vao. Les vitesses maximales et les gradients dérivés en Doppler sont mesurés au niveau de la vena contracta située quelques millimètres en aval de la surface anatomique réelle, du fait d’une accélération maximale post-sténotique du flux sanguin . Figure 1. L’utilisation de la sonde Pedoff par voie parasternale droite a permis d’enregistrer une vélocité maximale de 6 m/s (à droite) alors qu’elle était de 4 m/s par voie apicale (à gauche). Le gradient moyen transvalvulaire est la différence moyenne de pression divisée par le temps d’éjection. On comprend d’emblée que lorsque la durée de la systole se raccourcit et que le débit transvalvulaire augmente (exercice, dobutamine, etc.) le gradient moyen augmente, excepté en cas de diminution importante du volume transvalvulaire (dysfonction VG, élévation excessive de la pression artérielle systémique). L’autre mesure échographique cruciale est celle du diamètre (D) de la jonction aorto-ventriculaire à l’insertion des sigmoïdes (ou communément anneau aortique) ; chaque millimètre d’erreur est porté au carré (Sccvg =π x SD2/4) et donc produit une variation de 0,1 cm2 de surface effective. Ainsi la surface valvulaire effective ou fonctionnelle du RAo (SF) est dérivée de l’équation de continuité : SF = (ITVccvgxSccvg)/ ITVvao. Le produit ITVccvgxSccvg est une mesure du flux transvalvulaire que l’on indexe à la surface corporelle (ml/m2), il définit si la sténose a été évaluée dans des conditions de bas débit (< 35 ml/m2) ou de débit transvalvulaire normal ou élevé (≥ 35 ml/m2). Comme il existe une accélération du flux sanguin dont la vitesse maximale est quelques millimètres au-delà de la sténose, c’est donc la surface de la vena contracta (endroit le plus étroit où la vélocité Doppler des hématies est maximale = Vmax) qui est estimée par écho-Doppler et non pas une surface anatomique (figure 2) . Le développement du scanner et aussi de l’échocardiographie tridimensionnelle a permis de mieux étudier la jonction aortoventriculaire (anneau aortique basal, qui est très souvent non circulaire) en particulier en cas de bicuspidie pouvant expliquer certaines discordances surface- gradient. Le flux sous-aortique doit être laminaire en prenant la valeur maximale à proximité de la jonction ventriculo-aortique en coupe apicale 5 cavités. En cas de bourrelet sous-aortique associé à une accélération du flux sous-aortique, il est recommandé de se placer (aussi bien pour le mode Doppler pulsé que pour la mesure de la CCVG) en amont de la jonction aorto-ventriculaire dans la chambre de chasse du VG à un endroit où le flux est laminaire afin de ne pas surestimer le débit transvalvulaire et par conséquent la surface fonctionnelle du RAo. Figure 2. Les mesures Doppler évaluent la surface valvulaire effective ou fonctionnelle qui n’est autre que la surface de la vena contracta ; la vélocité y est maximale (Vmax) et la pression minimale. Lorsque l’aorte ascendante est de petite taille, l’énergie cinétique est partiellement reconvertie en énergie potentielle. Cette restitution de pression est à l’origine de discordances entre les mesures Doppler et les mesures de gradient par cathétérisme cardiaque.   Évaluation du RAo par cathétérisme cardiaque L’évaluation du RAo par cathétérisme cardiaque nécessite tout d’abord la réalisation d’un cathétérisme gauche pour étudier les gradients de pression transvalvulaire. Le cathétériseur mesure ainsi directement un gradient (une différence) de pression entre le ventricule gauche et l’aorte sus-tubulaire. Le gradient moyen de pression et le gradient maximal obtenus en hémodynamique sont représentés dans la figure 3 . Le fameux gradient pic-à-pic ne doit pas être utilisé en pratique clinique car il n’a pas de réalité physiologique : les pics de pression VG et aortique ne sont pas simultanés et sont d’autant plus décalés dans le temps que le RAo est serré. L’examen doit être complété par un cathétérisme cardiaque droit pour évaluer le débit cardiaque ; la surface aortique pouvant alors être évaluée à partir de la formule de Gorlin (validée sur l’orifice mitral) : surface aortique = Qc/(temps d’éjection systolique) x √GM x constante (Gorlin et Gorlin). Figure 3. Enregistrement par sonde Millar (permettant d’éviter les artéfacts liés aux sondes de cathéter) de courbes ventriculaire gauche et aortique. Notez que le gradient pic-à-pic n’a pas de réalité physiologique. La formule de Gorlin est souvent considérée comme « référence », surtout pour des raisons historiques car elle a précédé l’évaluation échocardiographique. En fait, la valeur de la constante a été déterminée dans des conditions normales de débit et par conséquent sa validité en cas de bas débit est discutable. La pression aortique invasive est mesurée non pas au niveau de la vena contracta mais quelques centimètres plus haut dans l’aorte où une partie de l’énergie cinétique a pu être reconvertie en énergie potentielle, restitution (ou recouvrement) de pression d’autant plus importante que l’aorte ascendante est de petite taille (7). Pour réconcilier les mesures dérivées du Doppler et celles du cathétérisme, H. Baumgartner et coll. ont proposé une formule pour estimer la restitution de pression (« pressure recovery ») : Grest = P3-P2 = 4V2 x 2 x SF/SAorte x (1-SF/SAorte) ; SAorte étant la surface de section aortique mesurée environ 1 cm en aval de la jonction sinotubulaire(8). L’Energy Loss Index (indice de perte d’énergie) est une surface fonctionnelle « corrigée » qui tient compte du phénomène de restitution de pression en cas de petite aorte et qui finalement correspond à la surface hémodynamique par la méthode de Gorlin : ELI = SF x SAorte/(SAorte – SF) ; SAorte étant la surface de l’aorte 1 cm au-delà de la jonction sino-tubulaire(9). Une sous-étude de SEAS montre que le calcul de l’ELI reclasse 47 % des patients ayant un RAo serré par équation de continuité dans le groupe des patients avec un RAo non serré(10). La même équipe démontre la valeur pronostique additionnelle de l’ELI pour prédire les événements combinant remplacement valvulaire aortique, insuffisance cardiaque valvulaire et décès cardiovasculaire(11). Ainsi pour un patient donné avec une sténose aortique associée à un gradient moyen de 30 mmHg, maximal de 50 mmHg, une surface fonctionnelle de 0,85 cm2 et un diamètre aortique de 2,4 cm on peut, à partir des équations citées ci-dessus, calculer la discordance KT-Doppler (restitution de pression : 30 mmHg) et l’ELI (1,05 cm2). Il est important de souligner que la qualité des courbes de pression doit être vérifiée et qu’elle est souvent inférieure avec l’utilisation courante des sondes 4 F par rapport à celle obtenue avec des sondes 6 ou 7 F. Les tubulures de raccordement doivent être les plus courtes possibles. Les tracés de pression sur- ou sous-amortis, les artéfacts liés aux oscillations de cathéter, la formation de petits thrombi, le blocage du cathéter doivent être détectés et corrigés. Les autres causes de discordance entre le cathétérisme et l’échocardiographie peuvent résulter de différences entre le niveau de pression artérielle entre mesures invasives et non invasives. En effet, la pression artérielle systémique est un déterminant majeur des gradients transvalvulaires et de la surface valvulaire. L’augmentation de la charge tensionnelle réduit les gradients transvalvulaires ; la surface fonctionnelle augmente ou diminue en fonction de l’importance de la baisse du débit transvalvulaire (augmentation du stress pariétal ventriculaire gauche). En pratique clinique, la réévaluation du RAo est conseillée après normalisation de la pression artérielle.   Place du cathétérisme cardiaque en 2014   Lorsque le diagnostic de RAo serré avec FEVG normale est basé sur des données concordantes (G moyen > 40 mmHg, Vmax > 4 m/s), les mesures hémodynamiques invasives sont inutiles (voire dangereuses) ; la seule question qui se pose est de savoir si le patient est symptomatique ; le test d’effort a ici toute sa place(3,4). En cas de RAo serré avec dysfonction VG et gradients transvalvulaires élevés, l’indication opératoire est posée. En cas de RAo serré (SF < 1 cm2) avec fraction d’éjection basse avec bas débit transvalvulaire et bas gradient (gradient moyen < 30-35 mmHg) la problématique sera de s’assurer de la sévérité du rétrécissement aortique et d’évaluer le pronostic après remplacement valvulaire par l’étude de la réserve contractile (échographie sous perfusion de dobutamine). La coronarographie permet e diagnostiquer une maladie coronaire associée. Le score calcique valvulaire aortique peut aussi dans cette situation permettre d’affirmer la sévérité de la sténose.   La description du RAo serré à bas débit/bas gradient paradoxal malgré une FEVG conservée associe SF < 1 cm2 ou 0,6 cm2/m2, gradient moyen < 40 mmHg, bas débit transvalvulaire (< 35 ml/m2) est plus récente. Ces patients (environ 10 % des patients porteurs d’un RAo serré) sont le plus souvent des femmes âgées hypertendues avec un remodelage concentrique du VG (volume télédiastolique diminué et donc volume d’éjection systolique réduit). Une méthode de validation interne des données échographiques est de s’assurer que le volume éjecté estimé à partir de la méthode Simpson et/ou 3D est proche de celui estimé à partir du Doppler sous-aortique. Cette entité est apparue dans les dernières recommandations de l’ESC et de l’ACC-AHA. Bien que toujours controversée, une prise en charge chirurgicale ou percutanée peut être envisagée chez ces patients s’ils sont symptomatiques et seulement si la réalité et la sévérité de la sténose ont pu être vérifiées.   L’évaluation du score calcique valvulaire aortique est particulièrement intéressante dans ces cas discordants(12). Le cathétérisme cardiaque peut être également indiqué chez ces patients afin de valider les mesures échocardiographiques de gradient, de débit transvalvulaire et de surface. Le test d’effort parfois complété par une échographie concomitante permet d’aider à la décision pour ces patients d’évaluation complexe et de façon générale pour les patients chez qui les symptômes semblent discordants par rapport aux données Doppler. Le cathétérisme cardiaque est également indiqué pour réaliser une coronarographie préopératoire (excepté chez le jeune patient âgé de moins de 40 ans sans facteur de risque cardiovasculaire ni symptôme d’angine de poitrine ni de signes d’ischémie myocardique ni dysfonction ventriculaire gauche), éventuellement associée à un cathétérisme cardiaque droit pour évaluer une hypertension pulmonaire disproportionnée. Le franchissement de la valve ne devrait être réalisé que pour réaliser une valvuloplastie au ballon et/ou implanter une valve percutanée. Le cathétérisme cardiaque pour des mesures hémodynamiques n’est pas recommandé lorsque les données cliniques sont concordantes avec les tests non invasifs (classe III ACC/AHA). Ni le cathétérisme cardiaque pour des mesures hémodynamiques ni la coronarographie ne sont recommandés chez les patients asymptomatiques (classe III ACC/AHA)(3,4).   En pratique   Le compte rendu échographique d’un rétrécissement aortique doit donc comporter au minimum (en plus de l’évaluation de la fonction diastolique, de la fonction ventriculaire droite etc.) : - fraction d’éjection du VG, dimensions du VG ; - degré de calcification valvulaire ; - diamètre de la jonction aorto-ventriculaire (ou anneau aortique) ; - volume d’éjection systolique indexé (ml/m2) calculé à partir de l’ITV sous-aortique ; - sur le flux aortique (Doppler continu, plusieurs fenêtres) : gradient moyen, gradient maximal ou vélocité maximale transvalvulaire (Vmax), ITV ; - surface aortique (indexée sauf chez le patient obèse) ; - diamètre de l’aorte à la jonction sino-tubulaire ou au niveau de l’aorte sus-tubulaire ; - fréquence cardiaque et pression artérielle lors de l’échocardiographie. 

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