Publié le 31 déc 2015Lecture 11 min
La cardiologie moderne à Orlando
E. NOIROT, A.-G. ROTHE, R. ROBERT, Y. COTTIN, Service de cardiologie, CHU de Dijon
AHA
Sprint : le phare du congrès
Une nouvelle fois l’AHA a été une grande édition sur l’ensemble des thématiques de la cardiologie moderne. L’étude la plus médiatisée a été SPRINT (Systolic Blood Pressure Intervention Trial), étude randomisée dont l’objectif était la comparaison de deux cibles théra - peutiques : < 120 mmHg et < 140 mmHg. Mais le contexte est particulier, si toutes les études randomisées ont démontré que la baisse des chiffres de pression artérielle réduisait les événements cardiovasculaires majeurs (AVC, infarctus du myocarde ou hospitalisations pour insuffisance cardiaque) à ce jour la cible thérapeutique reste non déterminée. De plus, certaines études observationnelles avaient souligné une réaugmentation du risque en dessous de 115 mmHg et en conséquence le niveau d’évidence généralement admis issu des grands essais était en 140 mmHg.
Enfin, l’étude SPRINT a débuté en 2012 et l’étude ACCORD qui n’avait inclus que des patients diabétiques n’avait démontré aucune différence entre deux objectifs thérapeutiques < 120 mmHg et < 140 mmHg sur les événements cardiovasculaires majeurs.
Les critères d’inclusion de SPRINT étaient également très particuliers et doivent être soulignés : 1/ un âge ≥ 50 ans ; 2/ une pression artérielle systolique entre 130 et 180 mmHg avec ou sans traitement ; 3/ et au moins des critères suivants : a. une atteinte cardiovasculaire clinique ou subclinique (sauf un ATCD d’AVC) ; b. une altération de la fonction rénale définie par un débit de filtration entre 20 et < 60 ml/min/1,73 m2 ; c. un score de risque selon le score de Framingham à 10 ans ≥ principaux qui étaient : 1/ un antécédent d’accident vasculaire cérébral ; 2/ un diabète ; 3/ une insuffisance cardiaque clinique ou une fraction d’éjection < 35 % ; 4/ et une insuffisance rénale en MDRD < 20 ml/min/1,73 m2.
Des résultats impressionnants
Cette étude d’intervention a inclus 9 361 patients et à un an la pression artérielle systolique moyenne était de 121,4 mmHg pour le groupe intensif et de 136,2 mmHg pour les patients du groupe standard (figure 1).
Figure 1. Étude SPRINT.
Après 3 ans de suivi, l’étude a été interrompue prématurément en raison d’une réduction hautement significativement du critère de jugement principal de 25 % en faveur du bras intensif (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, autres SCA, décompensation cardiaque ou décès cardiovasculaire) (HR = 0,75 ; IC95% : 0,64-0,89 ; p < 0,001). Et il faut également souligner une réduction significative de la mortalité toutes causes en faveur du bras intensif (HR = 0,73 ; IC95% : 0,60- 0,90 ; p < 0,003).
Des effets secondaires à prendre en compte
Dans l’étude SPRINT c’est bien sûr les effets secondaires qui ont été particulièrement discutés, avec un taux très élevé respectivement de 38,3 % et 37,1 % pour les patients du bras intensif et standard (tableau). Parmi les patients du bras intensif les auteurs soulignent une augmentation significative des hypotensions, des syncopes et des insuffisances rénales aiguës, mais surtout les auteurs ont mis en évidence une incidence de dégradation du débit de filtration glomérulaire ≥ 30 % de 1,25 %/par an dans le bras intensif contre seulement 0,35 %/par an dans le bras standard chez les patients avec une fonction rénale à l’inclusion entre 20 et < 60 ml/min/1,73 m2 (p < 0,001).
Pour les auteurs, à ce stade, l’explication reste liée aux thérapeutiques du bras intensif avec un pourcentage plus élevé de thérapeutiques bloquant le système rénine-angiotensine mais un impact direct rénal n’est pas exclu.
Plusieurs hypothèses
En conséquence chez les patients à haut risque cardiovasculaire non diabétique, l’étude SPRINT rabat totalement les cartes des objectifs thérapeutiques optimaux. Mais surtout, les différences entre SPRINT et ACCORD doivent être expliqués avec plusieurs hypothèses à ce jour : 1/ l’impact spécifique du diabète sur les flux artériels rénaux ; 2/ les différences majeures entre les 2 études en termes de fonction rénale à l’inclusion ; 3/ des stratégies thérapeutiques différentes avec dans ACCORD le plus souvent de l’hydrochlorotiazide alors que dans SPRINT c’était plus fréquemment de la chlorthalidone : 4/ enfin un design complexe de l’étude ACCORD.
La durée de la bithérapie : une question cruciale
La durée de la bithérapie après implantation d’un stent reste une question cruciale pour tous les cardiologues avec 2 situations et/ou approches très différentes : la première dont le rationnel est la poursuite de la bithérapie après implantation d’un actif et la seconde qui est guidée par le rapport risque ischémique/hémorragique chez des patients à haut risque. À l’AHA 2015, les résultats de ces deux approches ont été rapportées avec toujours une réelle difficulté pour le clinicien pour le cas particulier de son patient.
DAPT
Une sous-étude de DAPT (Individualizing Treatment Duration of Dual Antiplatelet Therapy after Percutaneous Coronary Intervention) a été présentée à l’AHA dont l’objectif était d’identifier les patients pouvant bénéficier de la prolongation de la bithérapie antiagrégante après l’implantation d’un stent au-delà du 12e mois. Il faut rappeler que deux points majeurs du design de l’étude DAPT : le premier c’est que l’étude était en ouvert pendant les 12 mois après l’implantation du stent et que seules les patients ayant une bonne tolérance de la bithérapie antiagrégante pouvaient être randomisés ; et le second point c’est une randomisation en 2 groupes : aspirine + placebo ou aspirine + clopidogrel. Les résultats présentés en 2014 et publiés dans le New England Journal of Medecine avaient démontré une réduction significative des thromboses de stents (-1 %), des événements cardiovasculaires majeurs (décès, infarctus ou AVC de 1,6 %) par contre les auteurs soulignaient une augmentation significative des hémorragies modérées ou majeures selon les critères de GUSTO de 1,6 % et des décès toutes causes de 1 %. À partir de cette large étude, les auteurs ont prédéterminé les facteurs prédictifs du risque hémorragique (l’âge), du risque ischémique (les antécédents d’angioplastie ou d’infarctus du myocarde, des stents de diamètre < 3 mm ou des stents actifs au paclitaxel, les patients insuffisants cardiaques ou avec une fraction d’éjection < 30 %, les fumeurs, les diabétiques et les angioplasties de pontages veineux et des facteurs prédictifs communs ischémiques et hémorragiques : une hypertension, une artériopathie des membres inférieurs et une insuffisance rénale. Un score a donc été établi pour chaque patient au 12e mois post-implantation du stent (figure 2) et les auteurs proposent le maintien de la bithérapie pour les scores ≥ 2 (figures 3 et 4).
Figure 2. Le score DAPT.
Figure 3. DAPT et PEGASUS. Extension de la bithérapie.
Figure 4. PEGASUS. Événements indésirables (EI).
Les résultats de DAPT sont donc applicables à des patients stables ayant bien supporté une bithérapie (aspirine + clopidogrel) un an minimum, et doivent donc mis en parallèle avec les données de PEGASUS.
Mais il faut souligner que les profils des patients sont très différents ; en effet les patients de PEGASUS sont à haut risque ischémique mais également hémorragique (figure 5).
Figure 5. Événements indésirables conduisant à l’arrêt du traitement.
PEGASUS
Les données complémentaires de l’étude PEGASUS qui comparait chez des coronariens stables 3 stratégies : aspirine + placebo, aspirine + faible dose de ticagrelor et aspirine + ticagrelor 90 mg ont également été présentées à l’AHA. Il faut remarquer qu’il s’agissait dans la majorité des cas d’une introduction de ce nouveau P2Y12 car moins de 1 % des patients avaient été préalablement traités par du ticagrelor, ce qui explique en partie les arrêts à 3 ans plus élevés sous ticagrelor, respectivement : 32 % avec la dose de 90 mg deux fois par jour, de 29 % avec la dose de 60 mg deux fois par jour et de 21 % avec le placebo. Ce point est important car la traduction dans la pratique clinique de PEGASUS-TIMI 54 sera probablement la poursuite au-delà de la première année de la bithérapie aspirine/ticagrelor. Autre information présentée, les causes d’arrêt lié à des effets secondaires, surtout par décision des patients, et il faut observer que ce sont les saignements et les dyspnées qui sont les principales causes d’arrêt de traitement (figures 4 et 5). Par contre, comme c’est le cas depuis IMPROVE-IT, les auteurs ont présenté les résultats en comparant les données en intention de traiter (ITT) et sous traitement avec un bénéfice sur le critère de jugement principal encore plus significatif. Ainsi, pour le critère combiné (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, AVC) en intention de traiter, pour le ticagrelor 60 (HR = 0,84 ; IC95% : 0,74-0,95 ; p = 0,004) et sous traitement (HR = 0,79 ; IC95% : 0,68-0,91 ; p < 0,001) (figure 6). Pour les auteurs de PEGASUS, les conclusions étaient : 1/ les saignements « non graves » et les dyspnées ont des conséquences importantes, y compris sur l’arrêt du traitement ; et 2/ que ces nouvelles données soulignent la nécessité de l’information des patients lors de la réintro- duction d’une thérapie antiagrégante afin de maximiser l’adhérence et améliorer les résultats.
Figure 6. Décès CV, IDM ou AVC à 3 ans de la randomisation du groupe patients traités.
Le cardiologue en oncologie
Une autre étude importante présentée est l’étude PRADA pour (Prevention of Cardiac Dysfunction During Adjuvant Breast Cancer Therapy). Le rationnel de PRADA est que les thérapies adjuvantes sont de plus en plus nombreuses avec des conséquences majeures sur la fonction ventriculaire gauche, et parallèlement le pronostique du cancer du sein s’améliore avec pour conséquence à 12 ans une mortalité cardiaque équivalente à la mortalité par cancer (figure 7). Dans cette étude, l’évaluation de la fonction ventriculaire gauche était réalisée par IRM et les patients étaient randomisés en 4 bras de traitement en prévention : métoprolol/ candesartan, métoprolol/placebo, candesartan/placebo, et placebo/placebo. L’étude est monocentrique mais confirme un effet protecteur du blocage du système rénineangiotensine et l’absence d’effet du bêtabloqueur. Les données de PRADA devront être confirmées par une plus large étude, multicentrique mais surtout à plus long terme.
Figure 7. Programme MI-Genes. Des études complémentaires sont nécessaires pour ceux dont les ancêtres ne sont pas originaires d’Europe.
Les Big Data
L’usage des Big Data dans la santé est une révolution, et l’AHA a été le premier grand congrès international à avoir proposé des sessions complètes sur la thématique. Les Big Data vont s’imposer et avoir un impact extrêmement structurant sur le système de santé en général. Dans le domaine de la santé, l’exploitation des données va permettre de supporter la médecine sur divers plans :
- la médecine prédictive : c’est-à-dire prévoir un risque de maladie chez certains patients à partir du génome en particulier ;
- la médecine participative, c’est-à-dire la collecte des données de santé grâce au patient lui-même « quantified self » ;
- la médecine personnalisée : toutes les données connues grâce à la génétique vont permettre d’adapter les traitements à certains types de patients, en fonction de leur profil génétique ;
- la médecine pertinente : des algor i thmes déci s ionnel s, proposant une ébauche de diagnostic ont été développés, permettant aux médecins de prendre des décisions grâce à l’intelligence artificielle ;
- la pharmacovigilance : la collecte à grande échelle par le biais des bracelets connectés par exemple, permettra d’en déduire des données sur les effets secondaires des médicaments et de mieux les prévenir.
Déjà issu des Big Data, en 2015, Mega a publié dans le Lancet un score de risque génétique pour la cardiopathie ischémique non liée à la pression artérielle ou au niveau lipidique (SRS). Il faut souligner que ce score est dérivé de 28 variants et qu’en association avec les scores clini-ques améliore les valeurs prédictives de 50 %. La Mayo Clinic a lancé un programme majeur le MIGenes (Myocardial Infarction Genes) et présenté un travail qui faut intégrer dans la médecine prédictive mais surtout de la médecine participative. En effet, ils ont inclus 29 000 hommes et femmes randomisées en 2 groupes : traitement standard en fonction du risque cardiovasculaire ou traitement standard et information du patient sur son risque génétique. La médecine participative est majeure pour les praticiens mais également pour les patients, en effet alors que le niveau initial de LDL-C est comparable entre les 2 groupes (1,2 g/l) la baisse de LDL-C est significativement plus importante chez les patients avec information avec un niveau à 6 mois de 0,8 g/l vs 1,0 g/l lié bien à une prescription significativement plus importante de statines, d’une part, et une augmentation de l’adhérence aux règles hygiénodiététiques, d’autre part. Mais les auteurs démontrent dans le même temps une augmentation hautement significative des paramètres d’anxiété chez les patients informés passant de 20 % à 40 %.
Les Big Data sont partout et une autre étude amusante a été présentée, qui a inclus 13 millions de Canadiens. Les auteurs ont déterminé un score de marche établi à partir des données géographiques entre le domicile et certaines commodités comme les commerces, les cinémas, les banques, les écoles, etc. Avec un suivi de 12 ans, les auteurs démontrent une incidence d’hypertension de 8,6 % si la distance domicilecommodité est considéré comme acceptable sans véhicule et de 18 % pour les patients devant prendre un véhicule. Il faut souligner que bien sûr ces données sont appariées et qu’elles montrent une fois encore la puissance informatique et surtout les possibilités infinies de couplage des données. Ce n’est pas un hasard que si lors de ce congrès des annonces majeures ont été faites des liens entre l’American Heart Association et les géants du Net, en particulier Microsoft et Google.
Le diabète : l’étude EMPA-REG
Une autre étude importante présentée est l’étude EMPA-REG qui a testé l’empagliflozine chez des patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire. Le contexte est également d’actualité avec une prévalence importante de l’insuffisance cardiaque (IC) chez les diabétiques et en particulier au-delà de 65 ans où il concerne plus de 20 % des patients. Avec, de plus, une métaanalyse récente qui ne démontre aucun bénéfice du contrôle du diabète sur les hospitalisations pour IC et surtout des alertes avec certains antidiabétiques qui auraient des effets délétères sur la fonction VG. Au niveau du tubule proximal rénal, un cotransporteur sodium-glucose (SGLT-2) est responsable de la réabsorption de 90 % du glucose, et l’empagliflozine est un inhibiteur sélectif avec comme conséquence une augmentation l’excrétion urinaire du sodium et de glucose et donc une réduction signification de l’HbA1c, du poids et de la tension artérielle sans augmentation de la fréquence cardiaque. L’étude a inclus plus de 7 000 patients diabétiques à haut risque cardiovasculaire en 3 bras : placebo, empagliflozine 10 mg/j, empagliflozine 25 mg/j. Les patients devaient avoir un BMI ≤ 45 kg/m2 ; une HbA1c entre 7 et 10 % et eGFR ≥ 30 ml/min/ 1,73 m2 en MDRD. Le critère de jugement était un critère combiné incluant décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde ou AVC. Les auteurs mettent en évidence à 48 mois, une réduction significative du critère de jugement avec l’empagliflozine (OR = 0,86 ; IC95% : 0,74-0,99 ; p= 0,032).
Mais ce qui est remarquable dans ce travail c’est l’impact hautement significatif sur la mortalité cardiovasculaire (OR = 0,62 ; IC95% : 0,49- 0,79 ; p < 0,001).
Le mécanisme le plus probable est l’augmentation de l’excrétion urinaire de glucose, induite par l’inhibiteur de SGLT-2 avec pour conséquence des effets osmotiques.
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