Publié le 14 jan 2016Lecture 11 min
VIH et pathologie cardiovasculaire : quoi de neuf ?
F. BOCCARA, Service de cardiologie, INSERM 938, APHP, Hôpital Saint-Antoine, Paris
Cela fait 10 ans que j’ai publié un article dans Cardiologie Pratique sur le thème Coeur et VIH. Quoi de neuf en 10 ans ? Beaucoup de nouveautés thérapeutiques et physiopathologiques qui nous amènent à mieux traiter les patients atteints du VIH et à mieux comprendre les relations complexes entre ce virus et les maladies cardiovasculaires.
Le monde compte toujours autant de sujets infectés par le VIH, environ 35 millions dont plus de 60 % se trouvent en Afrique sub-saharienne. L’accès aux antirétroviraux efficaces demeure toujours un challenge pour ces pays du Sud même si les choses s’améliorent lentement. C’est ainsi que les complications cardiovasculaires des sujets infectés par le VIH sont très différentes du Nord au Sud en fonction de l’accessibilité aux antirétroviraux. Dans les pays qui ont accès au traitement anti- VIH, les complications artérioscléreuses sont au 1er plan et constituent la 3e cause de décès chez les sujets infectés par le VIH après les causes infectieuses et néoplasiques(1). Dans les pays sans accès aux antirétroviraux, les complications cardiovasculaires sont liées à l’état d’immunodépression et sont toujours représentés par l’insuffisance cardiaque (myocardites) et les épanchements péricardiques, en particulier liés à la tuberculose. Nous décrirons dans cette revue les complications coronaires et leur prise en charge qui intéressent les individus infectés par le VIH et sous antirétroviraux.
Complications coronaires chez les individus porteurs du VIH et traités
Épidémiologie
Avant l’ère du traitement antirétroviral efficace, les complications cardiovasculaires au cours de l’infection par le VIH étaient dominées par l’atteinte myocardique et péricardique (tableau 1) en rapport avec l’état d’immunodépression(2). Leur pronostic était effroyable en raison de l’absence d’agent étiologique identifiable et de traitement efficace. Depuis maintenant 20 ans, grâce à l’accès au traitement antirétroviral efficace, on note une nette diminution, voire une quasi-disparition des cardiomyopathies d’origine infectieuse (myocardite) et des péricardites. Ces complications restent toujours d’actualité dans les pays n’ayant pas accès aux antirétroviraux.
Actuellement, le risque d’infarctus du myocarde est supérieur chez les sujets infectés par le VIH traités d’environ 50 % par rapport à la population générale du même âge(3,4).
Très récemment, il semble que ce sur-risque tende à se réduire en particulier aux États-Unis et en France en raison d’une meilleure prévention du risque cardiovasculaire dans cette population à haut risque cardiovasculaire.
Physiopathologie
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce sur-risque par rapport à la population générale.
Une fréquence élevée de facteurs de risque cardiovasculaires « classiques » chez les patients infectés par le VIH, notamment du tabagisme(2). Il ne faut pas négliger aussi l’utilisation fréquente de drogues illicites (cannabis, cocaïne, amphétamines) ayant un impact sur le risque d’IDM mais aussi d’artériopathie.
L’exposition aux antirétroviraux(2) et en particulier la durée d’exposition aux inhibiteurs de protéase (IP). Le plus souvent le traitement antirétroviral comporte une association de plusieurs molécules comprenant deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase (INTI) associés soit à une antiprotéase soit à un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase (INNTI) soit plus récemment à la famille des antiintégrases. C’est ainsi que les traitements antirétroviraux ont été simplifiés depuis plus de 10 ans avec, pour un grand nombre de sujets, en particulier les nouveaux infectés, un seul comprimé par jour comprenant une association de 3 molécules (deux INTI et 1 anti-intégrase).
Cette simplification du schéma thérapeutique s’est accompagnée de nouvelles molécules ayant beaucoup moins d’impact sur le métabolisme glucido- lipidique (anti-intégrases) en comparaison aux effets métaboliques important des IP en particulier pour les plus anciennes.
L’effet délétère des IPs sur le risque cardiovasculaire s’explique en partie par leurs effets métaboliques ; la dyslipidémie, l’insulinorésistance et le diabète de type 2. L’effet de l’exposition aux INNTI n’est pas mis en évidence dans l’étude D:A:D, mais la durée d’exposition à cette famille de molécules est moins importante. Le même groupe a rapporté en 2008 une analyse portant non plus sur une famille mais sur chaque médicament de la famille des INTI(6). Dans ce travail, les auteurs ont mis en évidence une association entre le risque d’infarctus du myocarde et l’utilisation d’abacavir (RR = 1,90 ; IC95 % : 1,47-2,45) ou de ddI (RR = 1,49 ; IC95 % : 1,14-1,95) (Lancet 2008). L’association était mise en évidence sous médicament et jusqu’à 6 mois après l’arrêt. Cette association n’était pas expliquée par les facteurs de risque classiques d’infarctus du myocarde. Plusieurs études ont suivi (rétrospective, registre, pharmacovigilance du laboratoire) avec des résultats contradictoires(7). Le mécanisme physiopathologique expliquant cet effet de l’abacavir sur le risque d’IDM n’est toujours pas connue. Des études in vitromontrent un effet de l’abacavir sur la cellule endothéliale et les leucocytes pouvant in vitro interagir avec les plaquettes et activer l’aggrégation plaquettaire. La relevance clinique de ces résultats in vitro nécessite une confirmation chez le sujet traité par cette molécule.
Les effets propres de l’infection à VIH, ont été mis en lumière par les résultats inattendus de l’essai SMART(8). Cet essai a été interrompu précocement en raison du nombre plus élevé de décès et d’événements cliniques dans le bras traitement antirétroviral intermittent guidé sur le taux de CD4 versus le bras maintien du traitement antirétroviral (HR = 2,6 ; IC95 % : 1,9- 3,7). Contrairement à ce qui était attendu, le taux d’événements cardiovasculaires a été plus élevé dans le bras interruption que dans le bras maintien (HR = 1,6 ; IC95 % : 1,0-2,5). Il faut avoir à l’esprit que cette étude n’avait pas la puissance nécessaire pour démontrer cela. Plusieurs hypothèses physiopathologiques ont été soulevées en ce qui concerne le développement de l’athérosclérose coronaire chez les patients infectés par le VIH sous traitement antirétroviral (figure 1). Il existe, chez le patient infecté par le VIH et traité par antirétroviraux, un phénomène d’accélération ou d’accentuation de l’athérosclérose(2) qui est polyfactoriel associant des facteurs classiques à des facteurs inflammatoires et immunologiques qui sont de plus en plus reconnus. L’inflammation et l’infection chronique par le VIH associées à une augmentation de production des cytokines inflammatoires (TNF alpha, interleukine 1, interleukine-6), la dysfonction endothéliale secondaire à la dyslipidémie et au traitement, à l’insulinorésistance, et à l’augmentation du stress oxydatif, la présence de molécules d’adhésion cellulaire en excès, un état prothrombotique lié à l’infection par le VIH et/ou au traitement antirétroviral favoriseraient, de façon synergique avec les facteurs traditionnels, l’athérosclérose et l’athérothrombose. Certains ont évoqué le statut immunologique comme facteur de risque de syndrome coronarien aigu, avec une augmentation du risque cardiovasculaire en cas d’immunodépression. Ceci souligne l’importance de l’inflammation et de l’immunité dans la genèse de l’athérothrombose. Les études autopsiques, réalisées avant l’ère du traitement antirétroviral, montraient que les jeunes patients infectés par le VIH (décédés d’une autre cause qu’une cause cardiovasculaire) avaient tous des lésions coronaires associant une athérosclérose banale et une artérite inflammatoire ressemblant à l’histologie coronaire des patients transplantés cardiaques. Enfin, l’inflammation chronique et l’activation des lymphocytes T semblent jouer un rôle central dans le développement de l’athérosclérose.
Le rôle potentiel de l’infection par le VIH elle-même est soustendu par des observations montrant que le niveau de lymphocyte CD4 et la charge virale sont associés à une augmentation des maladies cardiovasculaires et en particulier l’athérosclérose et la dysfonction endothéliale (nadir de CD4 et charge virale élevée)(9).
La cellule endothéliale semble jouer un rôle majeur dans la relation entre VIH et athérosclérose en lien avec des effets procoagulants sur la fibrinolyse et une augmentation de la réactivité plaquettaire.
Une augmentation de la concentration plasmatique en facteur de von Willebrand, ICAM-1 et VCAM-1 a été rapportée, corrélée à la charge virale et à l’inflammation chronique (mesurée par le taux de TNF-alpha). Enfin, de plus en plus d’études soulignent le rôle du microbiote intestinal dans le développement de l’athérosclérose chez les sujets infectés par le VIH.
Figure 1. Hypothèses physiopathologiques de la maladie coronaire chez le sujet infecté par le VIH. SRA : système rénine-angiotensine ; HVB : virus de l’hépatite B ; HVC : virus de l’hépatite C ; Lx T : lymphocytes T ; FDR : facteur de risque.
Pronostic de la maladie coronaire
Différentes études ont évalué le pronostic de la maladie coronaire chez le sujet infecté par le VIH(2), les patients avaient le plus souvent moins de 50 ans, une durée moyenne d’infection et de traitement longue (> 8 ans) associés à un tabagisme important et une dyslipidémie induite par les antirétroviraux. Notre équipe évalue depuis 20 ans le pronostic de la maladie coronaire chez les sujets infectés par le VIH. Nous avons montré qu’après un syndrome coronarien aigu, les sujets infectés par le VIH ont un risque accru de récidive d’événement ischémique après un suivi de 1 et 3 ans (risque multiplié par 3)(10).
Les facteurs associés de façon indépendante à ce sur-risque étaient le VIH lui-même mais aussi la persistance d’une dyslipidémie athérogène.
En effet, nous avons observé que les sujets infectés par le VIH étaient traités moins agressivement que les sujets non infectés avec une utilisation moins importante des statines puissantes (atorvastatine, rosuvastatine) à forte posologie. Ceci peut s’expliquer par le risque d’interaction médicamenteuse entre certaines statines et antiprotéases (tableau 2). Chez un sujet infecté par le VIH sans antiprotéase, toutes les statines peuvent être utilisées. Il reste néanmoins le problème des douleurs musculaires qui sont plus fréquentes chez les sujets infectés par le VIH en raison de la toxicité musculaire de certains antirétroviraux (INTIs anciens) et qui limitent souvent l’escalade des doses de statines.
Prise en charge du risque cardiovasculaire
Les médecins prenant en charge les patients infectés par le VIH doivent maintenant faire face aux complications d’une maladie chronique et aux effets secondaires du traitement au long cours sans remettre en cause son efficacité immunovirologique (qui reste le 1er objectif du praticien). L’athérosclérose, en particulier coronaire, est maintenant la 1re complication cardiovasculaire devenant ainsi la 3e cause de mortalité des patients infectés par le VIH aux États-Unis et la 4e cause en France après les causes infectieuses, cancéreuses et hépatiques. Il est nécessaire d’évaluer le risque cardiovasculaire de ces patients en début et en cours de traitement pour tenter de réduire ce sur-risque d’IDM en particulier chez les patients âgés de plus de 45 ans, fumeurs, dyslipidémiques avec une longue durée d’infection et d’exposition aux antirétroviraux. Les nouveaux agents anti-VIH (anti-intégrases et anti- CCR5) semblent prometteurs d’un point de vue de la protection cardiovasculaire car a priori sans risque athérogène mais ceci reste à vérifier sur le long terme. Le rapport Morlat a proposé une évaluation cardiovasculaire en prévention primaire chez un sujet infecté par le VIH asymptomatique en fonction du nombre de facteurs de risque cardiovasculaires (figure 2).
Figure 2. Arbre décisionnel de prise en charge du risque cardiovasculaire(1). FDR CV : facteur de risque cardiovasculaire ; EE : épreuve d’effort maximale ; SME : scintigraphie myocardique d’effort ; ESD : échographie de stress ; TSA : tronc supra-aortique ; AMI : artères des membres inférieurs ; CI : claudication intermittente ; CV : cardiovasculaire.
C’est ainsi que si le sujet présente au moins 3 facteurs de risque cardiovasculaires, une consultation cardiologique avec un ECG, un écho-Doppler vasculaire et une épreuve d’effort est conseillée.
La prise en charge de la dyslipidémie du sujet infecté par le VIH n’est pas différente de la population générale(1). Le virus VIH lui-même est considéré comme un facteur de risque indépendant de maladie coronaire. C’est ainsi que tout sujet infecté par le VIH est considéré comme un sujet avec déjà un facteur de risque et donc comme à risque au moins intermédiaire avec comme objectif minimum un LDL-C à moins de 1,9 g/l (tableau 3). D’autre part, ces recommandations soulignent le risque d’interaction médicamenteuse avec les inhibiteurs de protéase (tableau 2). Enfin, le choix de l’hypolipémiant se fera en fonction du type de la dyslipidémie mais une statine reste l’arme la plus efficace pour réduire le risque d’IDM. En ce qui concerne le traitement de la dyslipidémie, une attention particulière doit être réalisée chez les patients infectés par le VIH car plusieurs statines sont contreindiquées en raison de l’interaction avec le cytochrome P-450 3A4 et le traitement par IP. En effet, certaines statines (simvastatine et atorvastatine) voient leur taux plasmatique augmenter avec un risque accru de rhabdomyolyse. Il est donc actuellement conseillé de traiter une dyslipidémie chez les patients infectés par le VIH par la pravastatine, la fluvastatine ou la rosuvastatine plus puissante. Un essai comparatif (rosuvastatine 10 mg/j versus pravastatine 40 mg/j) réalisée en France montrant une supériorité quasiment double de la rosuvastatine sur la baisse du LDL-C chez le sujet VIH sous IP incluant le ritonavir. L’atorvastatine peut être utilisée à sa dose la plus faible de 10 mg/j avec précaution (dosage de CPK rapproché). L’ezetimibe peut être associé à une statine en cas d’échec d’atteinte des objectifs sous statine ou de mauvaise tolérance d’une dose croissante de statine. Son efficacité et sa bonne tolérance ont été démontrées dans cette population. La place des fibrates reste entière en cas d’hypertriglycéridémie menaçante pour diminuer le risque de pancréatite aiguë.
En cas de dyslipidémie induite par le traitement antirétroviral, il est recommandé de modifier ce traitement pour des molécules moins lipidotoxiques(1). Ainsi, la modification du traitement antirétroviral peut comprendre la substitution de l’IP au profit d’un IP moins lipidotoxique, ou au profit d’un INNTI ou anti-intégrase si celui-ci n’a pas été utilisé.
Les recommandations européennes proposent de modifier le traitement antirétroviral en cas de risque élevé de présenter un IDM (risque > 20 %) ou de maladie cardiovasculaire avérée. Il est nécessaire de proposer le sevrage tabagique car l’association avec les IP semble être un cocktail explosif d’autant plus que s’y associe une dyslipidémie.
Prise en charge de la maladie coronaire
À la phase aiguë, la prise en charge ne diffère pas de la population générale avec l’utilisation de l’angioplastie primaire en phase aiguë d’IDM. L’utilisation des drogues antithrombotiques doit être prudente car il existe là encore des interactions entre les IP et les nouveaux antiagrégants plaquettaires (ticagrelor et prasugrel) (tableau 4). Chez un sujet infecté par le VIH et sous IP, seul le clopidogrel en association à l’aspirine peut être utilisé sans risque. Il est donc nécessaire d’évaluer avant toute prescription d’antiagrégant plaquettaire le risque potentiel d’interaction. Il n’a pas été retrouvé de risque supérieur de thrombose de stent ou de resténose de stent en cas d’implantation de stent actif chez le sujet infecté par le VIH.
En pratique
Les progrès de la prise en charge de l’infection par le VIH ont été très importants depuis 20 ans, faisant de l’infection par le VIH une maladie chronique. Les médecins prenant en charge ces sujets doivent maintenant gérer les risques de comorbidité et en particulier le risque cardiovasculaire qui est accru dans cette population.
Il est donc nécessaire qu’il existe une étroite collaboration entre cardiologues et infectiologues pour prévenir et prendre en charge le risque de maladie artérioscléreuse chez ces sujets. Ceci passe par une connaissance accrue des risques vasculaires liés à l’infection par le VIH et aux antirétroviraux et une meilleure identification des sujets à haut risque.
Enfin, le risque d’interaction médicamenteuse potentiellement dangereuse entre les drogues cardiologiques et les antirétroviraux doit être connu de tous.
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