Cardiologie générale
Publié le 31 mar 2016Lecture 12 min
Événements cardiaques et météo
Les maladies cardiovasculaires sont une des principales causes de mortalité dans le monde. Cette mortalité varie en fonction de la température journalière ou saisonnière mais surtout de la variation de celle-ci modulée par les conditions climatiques. En effet, les études épidémiologiques ont montré que la mortalité globale dans le monde dépendait des conditions climatiques avec une augmentation des décès en fonction des variations de température (sur une journée, sur une année). Par exemple en Europe la mortalité est de 16 % de plus en hiver par rapport à l’été. Ce phénomène est évident pour les maladies respiratoires qui montrent une variation saisonnière attribuée à la grippe et différentes infections.
L’impact de la météo sur les événements cardiaques a fait l’objet de très nombreuses publications. La conséquence de ces impacts est une prise en charge adaptée en fonction de la saison et ou des conditions climatiques.
Variation saisonnière des maladies cardiovasculaires
Tout récemment, Marti-Soler et coll. ont étudié la mortalité mensuelle de 19 pays sur environ 54 millions de décès. Les auteurs ont calculé le nombre de décès attendus sans variation saisonnière. La mortalité toutes causes (cardiovasculaire et non cardiovasculaire/non cancer) montre une variation saisonnière.
Dans les deux hémisphères, le nombre de décès est plus haut qu’attendu en hiver.
Dans les pays proches de l’équateur, les variations saisonnières de la mortalité toutes causes sont moins importantes. Pour la mortalité CV, la différence entre pic et nadir va de 0,185 à 0,466 dans l’hémisphère Nord, de 0,087 à 0,108 près de l’équateur et de 0,219 à 0,409 dans l’hémisphère Sud. Il n’a pas été retrouvé de variation saisonnière pour la mortalité par cancer dans la plupart des pays.
Toujours dans le registre des grandes études parues l’année dernière, il faut citer l’étude de Xu faite en Chine portant sur 626 950 patients à partir des données de 32 hôpitaux à Pékin. Cette étude montre que les patients cardiaques hospitalisés sont plus âgés pendant les mois d’hiver, avec un risque de mortalité augmentant de 30 à 50 % (p < 0,01) par rapport à ceux hospitalisés les autres mois. Cette variation saisonnière n’est pas retrouvée chez les patients les plus jeunes. L’augmentation de décès en hiver chez les patients âgés est associée aux maladies ischémiques (RR : 1,22), au cœur pulmonaire (RR : 1,42), aux troubles du rythme (RR : 1,67), à l’insuffisance cardiaque (RR : 1,30), aux AVC (RR : 1,3) et autres maladies cérébrales. On retrouve la variabilité saisonnière, que le patient ait une maladie pulmonaire ou pas.
Variation saisonnière des facteurs de risque cardiovasculaires
À l’origine de la plupart des maladies cardiovasculaires, il existe des facteurs de risque. Il a été démontré tout récemment qu’il existe une variation saisonnière des facteurs de risque. Cette étude a porté sur plus de 230 000 participants recrutés dans 15 pays aussi bien dans l’hémisphère Nord que l'hémisphère Sud.
Les facteurs de risque étudiés ont tendance à être plus élevés en hiver et plus bas pendant les mois d’été.
Dans l’hémisphère Nord, les variations saisonnières enregistrées sont de 0,26 kg/m² pour l’IMC (indice de masse corporelle), 0,6 cm pour le tour de l’abdomen, 2,9 mmHg pour PAS (pression artérielle systolique), 1,4 mmHg pour la PAD (pression artérielle diastolique), 0,02 mmol/l de triglycérides, 0,10 mmol/l pour le cholestérol total, et 0,11 mmol/l pour le LDL-cholestérol (low density lipoproteine cholestérol) et enfin de 0,07 mmol/l pour la glycémie. Ces résultats sont semblables, que le bilan biologique soit réalisé à jeun ou pas. Des résultats similaires sont retrouvés dans l’hémisphère Sud à l’exception du tour de taille et du LDL-cholestérol.
Enfin, en mai 2015 dans l’EHJ, Yang a étudié les variations saisonnières de la pression artérielle et la mortalité cardiovasculaire chez les patients avec antécédent de maladie CV.
Ils ont étudié 23 000 personnes avec des antécédents CV et recrutés dans une dizaine de régions en Chine de 2004 à 2008. Après 7 ans de suivi, 1 484 décès CV sont survenus.
La PAS est significativement plus élevée en hiver qu’en été (145 vs 136 mmHg ; p < 0,001). Au-dessous de 5 °C, chaque chute de 10 °C de la température extérieure est associée à une élévation de 6,2 mmHg. Par ailleurs, le PAS prédit la mortalité CV : toutes les augmentations de 10 mmHg de la PAS est associée à 21 % augmentation du risque de mortalité CV. Les auteurs retrouvent une augmentation de la mortalité en hiver (+41 %) chez ces patients.
Ainsi chez les personnes aux antécédents CV, il y a une augmentation de la PAS et de la mortalité CV en hiver.
Les auteurs suggèrent d’augmenter le traitement de l'hypertension artérielle (HTA) l’hiver.
Les résultats nous encouragent à préconiser l’automesure avec surveillance de la PA toute l’année.
Les personnes âgées ou très âgées sont plus sensibles, de même que les patients aux faibles revenus (pas de chauffage central en hiver).
Impact dans l’insuffisance cardiaque
Variation saisonnière
Dès 1999, nous avons publié dans Circulation, l’effet des saisons en France sur la mortalité et les hospitalisations chez les patients en insuffisance cardiaque (IC).
En collaboration avec le service d’épidémiologie de Nice, nous avons étudié tous les décès pour insuffisance cardiaque entre 1992 et 1996 en France soit 138 602 patients et toutes les hospitalisations dans les hôpitaux publics de 1995 à 1997, soit 324 013 patients.
La fréquence des décès pour insuffisance cardiaque chronique en France suit une périodicité saisonnière avec un pic en hiver (de décembre à janvier) dans toutes les populations de patients.
La différence entre le pic en hiver (+20 %) et le nadir en été (-15 % au-dessus de la moyenne) au mois d’août est de 35 %. Il en est de même pour les décès pendant l’hospitalisation (différence de 28 %). La différence est encore plus nette pour les patients de plus de 85 ans avec une différence de 43 % entre le pic hivernal (+26 % en janvier) et le nadir en août (-17 %). Pour l’hospitalisation, on retrouve des variations similaires avec une différence de 30 % (+10 % en janvier et -20 % au mois d’août) (figures 1 et 2).
Figure 1. Variation saisonnière mois par mois de la mortalité (population totale de 1992 à 1996) et des hospitalisations (dans les hôpitaux publics de 1995 à 1997) dans l’insuffisance cardiaque chronique.
Figure 2. Variation saisonnière de la mortalité et des hospitalisations chez les patients insuffisants cardiaques.
Nous avions alors évoqué plusieurs hypothèses : les variations saisonnières de l’HTA et des maladies coronariennes, variations saisonnières des facteurs déclenchants (fibrillation atriale [FA] et infections pulmonaires), augmentation du tonus sympathique l’hiver, responsable d’une augmentation de la postcharge, baisse de la déperdition d’eau et de sel (transpiration) l’hiver, les variations saisonnières des fonctions thyroïdiennes et surrénaliennes (durée du jour), l’augmentation de calorie et de sel en hiver, enfin la pollution (figure 3)….
Figure 3. Hypothèse de l’augmentation des décès et des hospitalisations de l’insuffisance cardiaque en hiver.
Ces résultats ont été confirmés par la suite en Italie. Gallerani a fait une étude semblable plus récente avec une méthodologie voisine (database, ID-9 code) de janvier 2002 à décembre 2009 sur 15 900 patients. L’hospitalisation pour IC est plus fréquente en Italie en hiver (28,4 %) et plus faible en été (20,4 %). Il existe un pic significatif en janvier pour tous les groupes. En effet, les auteurs n’ont pas retrouvé de différence selon le sexe, l’âge, la sévérité, la présence d’une HTA, d’un diabète.
Il n’est pas non plus retrouvé de différence que le code insuffisance cardiaque (ICDg) soit en premier diagnostic ou en diagnostic secondaire. La faible admission peut être en rapport avec la fermeture de lits en été et la réduction de la population partie en vacances (mais l’étude a inclus les touristes).
Enfin la PAS semble également jouer un rôle dans les variations saisonnières. En effet, Hirai dans un travail récent a divisé en 3 groupes les 582 patients insuffisants cardiaques étudiés selon le PAS : groupe 1 (223 patients) avec une PAS à l’admission > 140 mmHg, groupe 2 (295 patients) PAS entre 100 et 140 mmHg et groupe 3 (64 patients) avec une PAS < 100 mmHg.
Les auteurs constatent une augmentation des hospitalisations en hiver seulement pour les patients du groupe 1 avec PAS > 140 mmHg à l’admission.
Dans l’analyse multivariée, c’est l’absence de diurétiques chez de tels patients qui est corrélée avec l’augmentation de l’hospitalisation en hiver.
Enfin Kaneko et coll. ont tout récemment étudié les caractéristiques des patients insuffisants cardiaques hospitalisés en hiver. Ces patients sont plus âgés et ont une plus grande prévalence d'HTA, de diabète que les patients hospitalisés pendant ces autres saisons. Les insuffisances cardiaques à FEP (fraction d’éjection préservée) sont plus fréquentes parmi les patients hospitalisés en hiver. Les bêtabloquants sont plus fréquemment prescrits chez les patients admis pendant les autres saisons. Par contre les auteurs, certes sur un petit nombre de patients, ne retrouvent pas d'augmentation de la mortalité en hiver.
Rythme circadien
Les variations de la température dans la journée semblent également jouer un rôle. En effet, Qiu et coll. ont étudié les résultats météorologiques journaliers et les hospitalisations pour IC de 2000 à 2007 à Hong Kong. L’étude a porté sur 95 000 patients.
Les auteurs retrouvent un pic d’hospitalisation pour IC en hiver, mais surtout ils constatent qu’un grand changement de température dans la journée est associé à une augmentation des hospitalisations. Toute variation de température de 1 °C augmente le risque d’hospitalisation de 0,86 %, particulièrement pendant la saison froide. Le phénomène est plus marqué chez les femmes et les personnes âgées.
Ainsi les grands changements de température en hiver dans la journée sont associés à une augmentation des hospitalisations pour IC.
À Hong Kong, l’hiver est clément avec des températures moyennes de 19,5 °C. Les habitants sont peut-être plus sensibles aux changements de températures pendant la journée. Il n’y a pas de chauffage dans la plupart des maisons. En revanche, pendant la saison chaude, les gens vivent avec l’air conditionné et font moins d’activité à l’extérieur. Ils réduisent ainsi le risque de variation important de la température. Ceci pourrait expliquer l’absence d’impact du changement de température l’été.
Qu'en est-il dans l'hémisphère Sud ?
En 2008, Inglis et coll. ont retrouvé sur 2 961 patients étudiés de 1994 à 2005 en Australie une morbidité plus élevée en hiver (juillet) et plus faible en été (février) : 70 % (IC95% : 65-76) vs 33 % (IC95% : 30-36) admission pour 1 000 patients (p < 0,001). Au total, 2 010 patients sont décédés. La mortalité est plus élevée en hiver (août) par rapport à l'été (février) : 23 % (IC95% : 20-27) vs 12 % (IC95% : 10-15) décès pour 1 000 patients (p < 0,001). Les patients âgés de plus de 75 ans ont une variation saisonnière plus marquée comme dans notre étude. Des résultats identiques ont été retrouvés par Barnett. Sur 8 Etats australiens, de janvier 1997 à novembre 2004, les décès sont plus élevés en hiver (+23,5 %). L'amplitude de cette variation saisonnière des décès chez les patients insuffisants cardiaques est variable selon les villes. En effet, cette différence est plus faible pour les villes les plus froides et les plus chaudes. Pour ces auteurs, c'est l'augmentation de la PA et le déficit en vitamine D en hiver qui seraient la cause principale de cette variation. Des résultats identiques ont été retrouvés au Brésil. Ainsi cette variation saisonnière se retrouve aussi bien dans l'hémisphère Sud que Nord.
Effet de la chaleur
Toutefois des études récentes montrent que la réalité est plus complexe. En effet Zaoq et coll. publiaient en 2013 une étude faite en Chine dans la province Hubet sur 12 hôpitaux avec un suivi de 10 ans portant sur 16 145 patients. Ces auteurs retrouvent deux pics d'hospitalisation pour IC : décembre (+40 %) et août (+23 %).
Sur l'étude multivariée, le taux de natrémie (IC95% : 2,132-2,144 ; p < 0,036) est un facteur de risque indépendant pour les hospitalisations au mois d'août.
En effet il existe une diminution significative de la natrémie chez les patients hospitalisés en août comparés aux autres mois. Les auteurs expliquent les résultats par le fait que les patients ont une plus longue exposition à la chaleur en été. Beaucoup de ces patients continuent à prendre des diurétiques à la même dose et ne font de bilan sanguin que rarement. L'exposition à la chaleur et la transpiration peuvent aggraver les effets secondaires des diurétiques avec déséquilibres ioniques.
De récentes publications font état d'une variation saisonnière avec un pic également en été. Gostman et coll., sur 320 patients suivis un an, retrouvent un pic d’admission pendant l'hiver mais un plus mauvais pronostic pour les patients admis l'été.
L'admission en été est un facteur pronostique indépendant.
De même, Yamamuto au Japon sur 661 patients a montré en 2014 que l'admission en été était un facteur de mauvais pronostic indépendant avec un HR à 1,58 (IC95% : 1,01-2,48 ; p = 0,044). Les patients hospitalisés en été ont une FE plus faible, un plus grand besoin de dobutamine et décèdent plus.
Variation saisonnière de la maladie coronarienne
Pour l'infarctus, dès 1985, Muller et coll. montraient une variation circadienne de la fréquence des infarctus du myocarde avec un pic à 6 heures jusqu'à midi (x 3 à 9 heures). Vingt ans plus tard, Morabito et coll. montrèrent une relation entre la météo et l’infarctus. En effet ces auteurs montrent que la fréquence de l'infarctus du myocarde augmente avec la chute de la température. Une chute de 10 °C dans la journée est associée à une augmentation de 19 % des infarctus chez les patients de plus de 65 ans. Inversement une température élevée pendant plus de 9 heures augmente également significativement l'admission pour infarctus. Les auteurs s'attachent surtout à la notion de discomfort ou gêne sévère causée par les conditions climatiques chaudes ou froides plutôt que sur la température. Des études récentes retrouvent une augmentation des infarctus en hiver. Enfin, récemment (février 2015), Caussin et coll., à partir du registre Cardio ARSIF (Registre Agence Régionale de Santé Ile-de-France), avec l'aide de Météo-France, GROG (Groupe Régionaux d’Observation de la Grippe) et AIRPARIF (pollution de l'air) ont analysé l'association entre une brève exposition (entre 1 et 7 jours) aux paramètres environnementaux et l'apparition d'un infarctus. Entre 2003 et 2008, 11 987 patients présentant un syndrome coronarien aigu (SCA) avec sus-décalage de ST ont été étudiés. Ces auteurs ont retrouvé une augmentation de 5 % de risque de faire un infarctus par chute de 10 °C de température maximale et 8,9 % pendant une période d'épidémie de grippe après ajustement avec les week-ends et les jours de congés. Ainsi l'association entre les basses températures et l'infarctus du myocarde (IDM) est plus forte en période d'épidémie de grippe. Une exposition brève à la pollution n'est pas associée à un IDM.
Seule la chute de température est associée à l'IDM.
En effet, les auteurs ne retrouvent pas d'effet de la chaleur malgré le fait que la période étudiée inclut les années de canicule (2003 et 2006). Pendant une épidémie de grippe, 5 à 15 % de la population est touchée et 62 % de la population des patients à risque sont vaccinés. Ces résultats du lien entre IDM et grippe ont été décrits dans d'autres pays en particulier en Angleterre et en Écosse (augmentation de la mortalité par IDM de 3,1 % et 3,4 % respectivement), ainsi qu'à Hong Kong (+3,9-5 %),avec également une corrélation avec les hospitalisations par IDM (+3-3,3 %). Enfin Udell, dans une métaanalyse portant sur 6 735 patients, montre que la vaccination contre la grippe est associée à une diminution du risque d'accident coronarien particulièrement pour les patients à risque.
L'explication avancée est l'inflammation aiguë sévère pendant la grippe, responsable de rupture de plaques et d'hypercoagulabilité. Pour la chute de la température, il est évoqué la stimulation sympathique et du système de la coagulation. En effet les récepteurs cutanés de la peau stimulent le système sympathique. La température basse augmente la PA du fait d'une vasoconstriction. Une augmentation du système sympathique va entraîner une tachycardie, une augmentation du travail cardiaque, de la consommation d'oxygène et une réduction du flux coronaire ainsi qu'un effet prothrombotique en rapport avec une augmentation de l'hématocrite, de la viscosité sanguine, du fibrinogène, de la CRP (C-reactive protein).
En pratique
Les conditions climatiques et les saisons ont une influence sur les maladies cardiovasculaires.
Les maladies cardiovasculaires sont plus fréquentes et plus sévères en hiver, en particulier pour l’insuffisance cardiaque et les maladies coronariennes aussi bien dans l’hémisphère Nord que Sud.
Il en est de même pour les principaux facteurs de risque. Toutefois les études récentes montrent que pendant l’été, les malades cardiaques peuvent être plus sévères également par rapport aux saisons intermédiaires.
Les modifications journalières de la température augmentent également le risque d’hospitalisation surtout en hiver.
Les patients les plus sensibles à ces variations sont les femmes, les personnes âgées, les insuffisances cardiaques à fraction d’éjection préservée, les patients diabétiques ou présentant une HTA.
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