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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 14 avr 2016Lecture 11 min

Fibrillation atriale silencieuse détectée par une prothèse cardiaque implantée - Conséquences pronostiques et thérapeutiques

A. LEENHARDT, A. MESSALI, É. VARLET, F. EXTRAMIANA, Unité de rythmologie, service de cardiologie, hôpital Bichat, Paris

Les prothèses cardiaques implantées permettent d’apprendre que de nombreux patients présentent de la fibrillation atriale (FA), en particulier asymptomatique. La FA augmente le risque d’accidents vasculaires cérébraux emboliques, qui se révèlent être, dans de nombreux cas, infracliniques. Néanmoins la relation temporelle entre FA et accident vasculaire n’est pas établie dans certaines études, laissant planer un doute sur le mécanisme physiopathologique de ces accidents ischémiques. Ainsi, en raison des risques et des inconvénients des anticoagulants, la prudence est recommandée avant de les prescrire à ces patients. Des données complémentaires seront nécessaires, concernant en particulier la durée des épisodes de FA enregistrés. La recommandation actuelle est de se baser sur les facteurs de risque thromboemboliques traditionnels (score CHA2DS2-VASc). 

La fibrillation atriale (FA) paroxystique enregistrée par un stimulateur, un défibrillateur ou un Holter implantable, peut être asymptomatique. Elle est alors qualifiée de silencieuse. L’enjeu principal de cette forme de FA est d’en faire le diagnostic afin de prévenir les accidents thromboemboliques. Sur le plan rythmique, les recommandations actuelles conseillent de privilégier une stratégie de contrôle de la fréquence lorsque la FA est asymptomatique. Des études récentes apportent un nouvel éclairage sur la signification et la prise en charge de cette entité quant à la nécessité d’une anticoagulation.   Épidémiologie   Une FA n’est en fait que rarement révélée par des symptômes et notamment des palpitations. On estime que pour 1 épisode de FA symptomatique, 12 sont asymptomatiques. Plus de 90 % des épisodes de FA détectés par des prothèses implantées sont asymptomatiques. De plus, les symptômes censés être liés à la FA ne le sont en réalité que dans 20 % des cas environ. Il est très fréquent de détecter des épisodes de FA lors de l’interrogatoire d’une prothèse implantée. L’étude MOST en 2002(1) montrait la présence de FA silencieuse chez environ 50 % des patients porteurs de stimulateurs cardiaques (PM) pour dysfonction sinusale. Il est néanmoins possible que le fait de s’intéresser aux accès de FA détectés par des prothèses cardiaques majore la prévalence de ces arythmies car ces patients implantés sont plus à risque d’arythmies précisément en raison des pathologies électriques qui justifient l’appareillage (dysfonction sinusale, maladie de l’oreillette, etc.). Le diagnostic électrocardiographique de certitude est le préalable indispensable à la prise en charge éventuelle de ces arythmies sur le plan thérapeutique. Il ne faut pas se contenter du diagnostic d’arythmie atriale fait par la prothèse et notés dans le rapport imprimé. Il est indispensable de valider les signaux détectés comme étant effectivement en rapport avec une arythmie atriale. Une sous-étude de ASSERT(2), que nous verrons plus loin, rapporte que la très grande majorité (82,7 %) des épisodes détectés correspond effectivement à des arythmies atriales. Les diagnostics erronés sont souvent (13,9 %) en rapport avec des oreillettes rétrogrades répétitives tombant pendant la PRAPV, moins souvent avec du far-field ventriculaire ou du bruit dans le canal atrial.   FA détectée par une prothèse cardiaque implantée et AVC ischémique   L’étiologie d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique n’est pas identifiée dans environ un quart des cas et une FA asymptomatique (ou infraclinique) est alors souvent suspectée. Cependant, la prévalence de la FA infraclinique et le risque embolique associé sont mal connus. La première étude ayant démontré une corrélation entre des épisodes atriaux détectés et la survenue d’AVC ischémique est une étude ancillaire de l’étude MOST(3). Les auteurs montraient à partir de 312 patients ayant eu au moins 1 épisode de tachycardie atriale durant plus de 5 minutes avec une fréquence atriale d’au moins 220/min, une augmentation de la mortalité d’un facteur 2,48 et de l’association mort et accident vasculaire d’un facteur 2,78. Plusieurs études vont, les années suivantes, dans le même sens dont un travail de Botto et coll. en 2009(4), à propos de 568 patients porteurs d’un PM et ayant des antécédents de FA. Le risque thromboembolique global de ces patients est évalué à 2,5 % par an. Il varie de manière importante selon le score CHADS2 et la durée d’arythmie enregistrée, sauf pour les scores extrêmes. Schématiquement, les patients ayant un score CHADS2 = 0 ont un risque thromboembolique faible à 0,8 % par an quelle que soit la durée de l’arythmie sur 24 heures. Les patients ayant un score CHADS2 ≥ 3 ont un risque thromboembolique élevé à 5 % par an quelle que soit la durée de l’arythmie sur 24 heures. Pour ce qui est des scores CHADS2 intermédiaires entre 1 et 2, le risque thromboembolique varie en fonction de la durée de l’arythmie et du score CHADS2. Si ce dernier est égal à 1, les patients ont globalement un risque thromboembolique faible de 0,6 % par an, sauf chez les patients chez lesquels est enregistrée une FA de plus de 24 h (risque : 4 % par an). Si le score CHADS2 est à 2, le risque thromboembolique est élevé à 4 % par an, sauf chez les patients qui n’ont pas de FA enregistrée (risque : 0,6 % par an). L’étude ASSERT publiée en 2012(5) a été réalisée pour répondre à la question du rapport entre la FA infraclinique et le risque thromboembolique en utilisant les mémoires de prothèses cardiaques (PM ou défibrillateur implantable [DAI]) permettant une détection optimale des épisodes de FA. Au total, 2 580 patients hypertendus, de plus de 65 ans et ayant une indication à un PM ou un DAI ont été inclus. Les mémoires des prothèses ont été interrogées 3 mois après l’implantation. Était considéré comme de la FA infraclinique, tout épisode asymptomatique de fréquence atriale > 190/min, durant plus de 6 minutes. Lors de l’interrogation des mémoires, au moins 1 épisode de FA infraclinique a été enregistré chez 10 % des patients. Cette constatation était associée, lors du suivi ultérieur de 2,5 ans, à une multiplication par 5 du risque de présenter une FA clinique (HR = 5,56 ; IC95% : 3,78-8,17 ; p < 0,001). Mais surtout, ces FA infracliniques pendant les 3 premiers mois étaient associées à une majoration significative du risque d’AVC ou d’embolie systémique (HR = 2,49 ; IC95% : 1,28-4,85 ; p = 0,007) qui persistait après ajustement sur les facteurs de risque d’AVC. La FA infraclinique ne reflète pas seulement la présence de FA clinique puisque la première était 8 fois plus fréquente que la deuxième. Onze des 51 patients ayant présenté un AVC avaient eu de la FA infraclinique, mais aucun de la FA symptomatique. Enfin, les patients ayant un score CHADS2 > 2 et au moins un épisode de FA infraclinique avaient un risque d’AVC de 3,78 % par an. Ces résultats sont riches d’enseignements. Parmi les patients inclus dans cette étude, la FA infraclinique est un phénomène fréquent (10 % des patients après 3 mois de suivi et plus d’un tiers sur un suivi de 2,5 ans). L’âge > 65 ans et l’HTA sont des facteurs connus de FA, mais la prévalence observée est forte. L’étude montre également que ces FA infracliniques sont un facteur de risque d’AVC important. Les taux d’AVC observés dans l’étude suggèrent fortement une balance bénéfice/risque en faveur de l’instauration d’un traitement anticoagulant au long court chez ces patients avec un score de CHADS2 > 2. Compte tenu du risque attribuable d’AVC ou d’embolie systémique associé à la FA infraclinique, sa prise en charge permet d’espérer un impact significatif sur la prévalence des AVC. Cet espoir devra cependant être validé par une étude d’intervention randomisée. En tout état de cause, il ne sera dorénavant plus possible de négliger la présence d’épisodes de FA asymptomatiques de plus de 6 minutes découvert sur un enregistrement Holter ou dans les mémoires des prothèses. Les résultats de l’étude ASSERT ne sont cependant pas transposables directement à la population générale. En effet, il est probable que la prévalence de la FA infraclinique soit majorée par la présence concomitante d’une pathologie nécessitant une stimulation cardiaque définitive ou l’implantation d’un DAI. Par ailleurs, si la détection de ces FA infracliniques semble pertinente, cela ne sera pas chose facile en pratique clinique. En effet, dans la moitié des cas de cette étude, le premier épisode de FA infraclinique est survenu après plus de 36 jours de surveillance. Le Holter ECG de 24 heures, ou même de plusieurs jours, ne sera donc pas le bon outil diagnostique. La détection de ces FA infracliniques devra passer par l’utilisation de Holter de longue durée (plusieurs semaines), voire de Holter implantable (plusieurs mois).   Détection de FA après AVC ischémique Le but de l’étude EMBRACE(6) était de tester la valeur d’un enregistrement Holter de longue durée chez 572 patients âgés de 55 ans ou plus, ayant fait dans les 6 mois précédents un AVC cryptogénique c’est-à-dire sans cause retrouvée. Un épisode de FA de 30 secondes ou plus est détecté chez 45 des 280 patients (16,1 %) du groupe surveillé par Holter prolongé versus 9 des 277 patients (3,2 %) du groupe contrôle (différence absolue : 12,9 % ; IC95% : 8,0 à 17,6 ; p < 0,001). Un épisode de FA durant 2,5 minutes ou plus a été détecté chez 28 des 284 patients (9,9 %) du groupe surveillé par Holter prolongé versus 7 des 277 patients (2,5 %) du groupe contrôle (différence absolue 7,4 % ; IC95% : 3,4 à 11,3 ; p < 0,001). La surveillance par Holter prolongé (30 jours) se révèle donc très efficace pour détecter des épisodes de FA asymptomatique après un AVC cryptogénique et multiplie par 5 la chance de détecter un tel épisode par rapport au suivi classique par un Holter de 24 h. La détection de ces épisodes de FA a entraîné la prescription significativement plus fréquente d’un traitement anticoagulant, comme attendu, dans le groupe de patients sous Holter prolongé. Cette étude n’était pas dimensionnée pour étudier l’effet à terme du traitement anticoagulant sur la récidive d’accident thromboembolique. Dans le même numéro du New England Journal of Medicine est publiée l’étude CRYSTAL-AF(7), dont le but était de tester la valeur d’un moniteur cardiaque implanté dans la détection de la FA chez 441 patients âgés de 40 ans ou plus, ayant fait dans les 3 mois précédents un AVC cryptogénique. Après 6 mois de suivi, une FA a été détectée chez 8,9 % (19 patients) des patients porteurs du dispositif implanté versus 1,4 % des patients du groupe contrôle (3 patients) suivis de manière traditionnelle (HR = 6,4 ; IC95% : 1,9 à 21,7 ; p < 0,001). Après 12 mois de suivi, une FA a été détectée chez 12,4 % (29 patients) des patients porteurs du dispositif implanté versus 2,0 % des patients du groupe contrôle (4 patients) (HR = 7,3 ; IC95% : 2,6 à 20,8 ; p < 0,001). Ces résultats montrent donc la supériorité évidente d’un dispositif implanté par rapport au suivi traditionnel dans la détection de FA après un AVC sans cause retrouvée initialement. Il faut ajouter que 79 % des épisodes de FA détectés à 12 mois étaient asymptomatiques, soulignant le peu d’utilité de la clinique dans cette recherche. Un travail récent fait état d’une incidence importante (25,7 % à 12 mois) d’accidents ischémiques cérébraux infracliniques détectés par scanner cérébral systématique chez des patients présentant des épisodes de rythme atrial rapide (définis par une fréquence atriale ≥ 225 bpm sur une durée de 5 minutes minimum) détecté par une prothèse cardiaque implantée, PM ou DAI(8). La présence d’un accident ischémique cérébral est corrélé à l’âge des patients, à un antécédent de FA, d’AVC ou d’AIT et à des score CHADS2 ou CHA2DS2-VASc élevés. Néanmoins l’analyse multivariée montre que la présence d’un épisode de rythme atrial rapide est un facteur de risque indépendant d’accident ischémique cérébral dans la population globale de cette étude (HR = 3,05 ; IC95% : 1,06- 8,81 ; p < 0,05) comme chez les patients n’ayant jamais présenté de FA ou d’AVC/AIT (HR = 9,76 ; IC95% : 1,76-54,07 ; p < 0,05). Les résultats des études précédentes n’empêchent pas la mise en place d’une étude multicentrique prospective de grande ampleur, dans 30 centres en Allemagne (MonDAFIS)(9), avec l’espoir d’inclure 3 470 patients qui seront randomisés après un AVC entre la détection classique de la FA ou un Holter intrahospitalier de 7 jours. L’objectif principal de cette étude est le nombre de patients sous anticoagulants à 1 an et un des objectifs secondaires est le nombre de patients ayant eu un AVC chez lesquels sera diagnostiquée une FA jusque-là méconnue. Points intéressants, cette étude a aussi pour objectif d’explorer la signification de courts épisodes de tachycardie atriale et d’extrasystoles atriales fréquentes.   Relation temporelle entre des épisodes de rythme atrial rapide détectés par des prothèses implantées et un ATE   Contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre, plusieurs études réalisées sur les FA détectées par des prothèses implantées ne retrouvent pas de relation temporelle bien claire entre la FA et un accident thromboembolique (ATE). L’étude TRENDS avait inclus 2 486 patients ayant une indication de PM ou de DAI et au moins un facteur de risque d’ATE. Parmi ces patients, 40 (1,6 %), ont eu un accident cérébrovasculaire ou embolique systémique(10). Une FA n’a été détectée avant l’ATE que chez 20 de ces 40 patients. Parmi ces 20 patients ayant eu de la FA détectée, 9 (45 %) n’avaient aucun épisode détecté dans les 30 jours précédant l’ATE. Ce travail est confirmé dans une autre série de 560 patients insuffisants cardiaques implantés d’un système de resynchronisation cardiaque(11). Des troubles du rythme atrial sont détectés chez 40 % des patients, dont 11 (2 %) vont présenter des complications thromboemboliques et 24 vont décéder (4,3 %) après un suivi médian de 370 jours. Les auteurs concluent que les patients présentant des arythmies atriales de plus de 3,8 heures par jour ont un risque 9 fois supérieur d’avoir des complications thromboemboliques par rapport à ceux qui n’en présentent pas. Surtout, chez la majorité des patients (73 %), il n’existait pas de relation dans le temps entre l’arythmie atriale détectée et la complication qui survenait après un intervalle moyen de 46,7 ± 71,9 jours (intervalle : 0 j-194 j). Ces travaux remettent donc en cause la physiopathologie des accidents thromboemboliques chez les patients ayant une prothèse implantée, qui doit faire appel à d’autres mécanismes que les seules complications thromboemboliques liées à la FA.     En pratique   La détection d’une FA infraclinique ou silencieuse est fréquente par des prothèses implantées. Elle nécessite néanmoins la validation des signaux enregistrés afin d’être certain qu’il s’agit bien de signaux en rapport avec une arythmie atriale. Elle est clairement corrélée à une augmentation du risque thromboembolique. Néanmoins elle pourrait bien ne pas être la cause exclusive de ces accidents et constituer surtout un marqueur de risque, au même titre que d’autres comorbidités, comme certaines participant au score CHA2DS2-VASc. D’autres facteurs tels qu’une myopathie atriale ou une dysfonction endothéliale ont aussi été proposés comme élément pathogénique. L’enjeu principal du diagnostic de ces FA asymptomatiques est la prise en charge du risque thromboembolique associé. Ce risque dépend du terrain et doit être évalué par le score CHA2DS2-VASc indépendamment du type de la FA et de son caractère asymptomatique ou symptomatique. Sur le plan rythmique, il n’y a pas, en dehors des cas de cardiomyopathie rythmique, d’indication à opter pour une stratégie de maintien du rythme sinusal d’après les recommandations actuelles. Mais ces recommandations pourraient évoluer dans les prochaines années. Nous avons vu que le risque d’AVC augmente, au moins pour certains patients, avec la durée de la FA. Il faudra ainsi définir la limite de durée de FA ou de charge en FA à partir de laquelle un traitement anticoagulant pourrait avoir une balance bénéfice/risque positive. Cette durée de FA n’est pas précisément établie par les études publiées jusqu’à maintenant. Des études sont actuellement en cours pour tenter d’établir des recommandations solides de ce point de vue. On peut, en attendant, se fixer la durée de 5 à 6 minutes de FA ou de tachycardie atriale, retenue dans les études récentes. Le meilleur conseil, actuellement, est de s’en tenir aux recommandations publiées sur le traitement antithrombotique, en utilisant le score CHA2DS2-VASc associé à l’un des scores de risque hémorragique et en se souvenant que la détection de ces arythmies constitue un marqueur de risque dont le diagnostic doit servir à optimiser la prise en charge cardiovasculaire globale de ces patients.  

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