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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 14 avr 2016Lecture 10 min

La fibrillation atriale en médecine d’urgence

Pierre TABOULET, Service des urgences, Hôpital Saint-Louis, Paris

La prévalence de la FA dans un service d’urgence (SU) varie entre 0,5 et 3,2 % selon les méthodes d’analyse pro- ou rétrospective, la population (urgences médicales strictes ou médico-traumatologiques) et les systèmes de santé(1-3). Cette prévalence augmente sensiblement depuis vingt ans(4,5), avec un pourcentage de formes récentes (< 48 heures) compris entre 20(3) et 50 %(1,6,7). La prise en charge en médecine d’urgence pose plusieurs problèmes : quel bilan initial et comment stratifier le risque hémodynamique ou thromboembolique ? Comment choisir et réaliser un traitement ralentisseur (contrôle de la fréquence) ou une cardioversion (contrôle du rythme) ? Faut-il initier, stopper ou modifier un traitement anticoagulant ? Comment réduire les hospitalisations des patients stables ? La Société française de médecine d’urgence (SFMU), en partenariat avec la Société française de cardiologie (SFC), a décidé d’adapter les recommandations de la Société européenne de cardiologie(8-11) aux situations rencontrées en médecine d’urgence hospitalière et préhospitalière(12).

Bilan et stratification du risque Le diagnostic de FA repose sur l’enregistrement de l’activité électrique du coeur, en général un ECG(8). L’ECG permet le calcul précis de la fréquence cardiaque et la recherche de signes en faveur d’une cardiopathie structurelle, un facteur déclenchant (infarctus, myocardite, dyskaliémie), une aberration ventriculaire (bloc de branche, permanent ou fréquence-dépendant), une préexcitation ventriculaire, une imprégnation en digitalique (cupule digitalique), une électrostimulation. L’examen clinique cherche à préciser le type de FA (paroxystique, persistante ou permanente), l’heure de début d’une forme inaugurale ou récidivante, les signes d’accompagnement et la tolérance, une complication thromboembolique artérielle, un facteur déclenchant, le terrain cardiologique, les comorbidités et le traitement. Des examens biologiques sont nécessaires en urgence devant toute FA inaugurale/récidivante ou mal tolérée (ionogramme, créatinine, NFS surtout). Une radiographie thoracique peut être utile pour déceler une anomalie de la silhouette cardiaque, des artères pulmonaires ou de l’aorte, une pathologie pulmonaire ou encore des signes d’oedème pulmonaire. Une échocardiographie transthoracique (ETT) est recommandée en cas de FA mal tolérée(8). Néanmoins, il n’est pas toujours possible de réaliser cette ETT en urgence. L’avènement des échographes portables permet une imagerie ultrasonographique centrée sur le cœur et le poumon qui peut être réalisée au lit du patient par tout médecin formé à l’échographie clinique en médecine d’urgence (ECMU)(13).   Stratification des risques thromboembolique et hémorragique Le calcul du score CHA2DS2-VASc(14) est fortement recommandé pour évaluer le risque thromboembolique en cas de FA non valvulaire(8) et guider la thromboprophylaxie. Ce score clinique est simple et réalisable par tout médecin. Il varie de 0 à 9 points et prédit une incidence annuelle d’AVC variable entre < 1 % et > 20 % (respectivement 0,8 ; 2,0 ; 3,7 ; 5,9 ; 9,3 ; 15,3 ; 19,7 ; 21,5 ; 22,4 ; 23,6 %)(15). Le score CHA2DS2-VASc d’un patient en FA doit être calculé et figurer dans le dossier médical lorsqu’un traitement antithrombotique est envisagé ou modifié en médecine d’urgence. Pour évaluer le bénéfice clinique net de la thromboprophylaxie d’un patient, il est recommandé d’évaluer son risque hémorragique(8). Ce risque peut être évalué par exemple à l’aide du score HASBLED qui varie entre 0 et 9 points(16). L’intérêt majeur du score HAS-BLED, moins évalué que le score CHA2DS2-VASc, est qu’il indique un « risque élevé » de saignement avec un médicament antithrombotique (antiagrégant plaquettaire ou anticoagulant) en cas de score ≥ 3 points. Le score de risque hémorragique d’un patient en FA (ex. le score HAS-BLED) doit être calculé et figurer dans le dossier médical lorsqu’un traitement antithrombotique est envisagé ou modifié en médecine d’urgence. Néanmoins, ce score peut être difficile à calculer, car il nécessite des informations sur les comorbidités et le traitement qui ne sont pas toujours disponibles de façon fiable en urgence.   Quel traitement à visée rythmique en médecine d’urgence ?   Le contrôle de la fréquence cardiaque L’objectif thérapeutique en cas de mauvaise tolérance est d’obtenir une fréquence cardiaque cible entre 80 et 100 bpm(8). En l’absence d’insuffisance cardiaque associée ou dysfonction systolique, les bêtabloquants et les inhibiteurs calciques non dihydropyridines intraveineux (IV) sont les molécules à envisager en première intention pour ralentir une FA aiguë(8). Les bêtabloquants injectables disponibles en France sont l’aténolol et l’esmolol (tableau). En cas d’insuffisance cardiaque concomitante ou d’hypotension artérielle, les bêtabloquants et les inhibiteurs calciques peuvent aggraver l’hémodynamique, en particulier si la fraction d’éjection du VG est altérée. Dans ce cas, la digoxine ou l’amiodarone IV sont préférables(8). La digoxine IV est généralement envisagée en premier choix dans cette indication, mais cela suppose le contrôle préalable de la kaliémie. Elle est efficace à dose optimale, seule ou si besoin en association avec l’amiodarone. Le relais PO s’effectue généralement après 24 heures de traitement. L’amiodarone IV est un meilleur choix que la digoxine, en cas d’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection du VG basse et instabilité hémodynamique(8). Néanmoins, elle augmente le risque d’embolie de régularisation associée à une éventuelle cardioversion. L’association avec la digoxine est envisageable. Dans tous les cas, le traitement de l’insuffisance cardiaque aiguë doit être optimisé(11). Chez les patients stables d’emblée ou stabilisés après le traitement initial d’une FA aiguë, le contrôle de la fréquence cardiaque peut être réalisé par l’administration orale de bêtabloquant, d’inhibiteur calcique ou de digoxine. L’amiodarone ne doit pas être donnée de façon chronique pour le contrôle de la fréquence cardiaque au long cours, sauf exception. D’autres situations ont fait l’objet de recommandations (dysfonction ventriculaire gauche, syndrome coronarien aigu, syndrome de préexcitation, pathologie broncho-pulmonaire, grossesse). Le contrôle du rythme : cardioversion Les indications de cardioversion précoce sont : - l’urgence vitale (insuffisance cardiaque, syndrome coronarien aigu, syndrome de préexcitation) ; - une FA/flutter de moins de 48 heures dont la cadence ventriculaire reste rapide et symptomatique malgré les mesures pharmacologiques initiales ; - un premier accès (ou première récidive) de FA qui persiste chez un patient stable dans le but d’orienter la stratégie ultérieure vers un contrôle du rythme. La cardioversion d’une FA en SU dans une stratégie de contrôle du rythme est une méthode répandue dans de nombreux pays(17). Cette stratégie a pour résultats un séjour hospitalier plus court et une restauration plus fréquente du rythme sinusal(5,7,18-20). De plus, les chances de succès d’une cardioversion précoce sont plus grandes que celles d’une cardioversion retardée de plusieurs semaines. Enfin, le risque thromboembolique d’une cardioversion semble plus faible si la cardioversion est entreprise avant la 12e heure(21). Une cardioversion précoce peut être réalisée en SU si son organisation le permet. Dans la revue de von Besser et coll.(18), la cardioversion en SU était fréquemment un succès et ne s’accompagnait d’aucun accident thromboembolique. Cependant, cette stratégie doit s’accompagner du suivi adéquat des patients à la sortie des urgences dans une filière dédiée, pour identifier par exemple une cardiopathie sous-jacente, confirmer les thérapeutiques mises en œuvre et réduire les recours à répétition en structure de médecine d’urgence(5,7,18,22). La cardioversion pharmacologique repose en France sur l’amiodarone et les antiarythmiques de classe IC (flécaïnide et propafénone). Ces médicaments sont disponibles par voie IV (sauf propafénone) ou PO. L’amiodarone IV (5 mg.kg-1 sur une heure, puis 50 mg.h-1 en dose d’entretien jusqu’à cardioversion ou jusqu’à la 24e heure) permet l’obtention d’une cardioversion dans plus de 80 % des cas. L’amiodarone PO est moins efficace que par voie IV. Elle peut être utile pour la cardioversion d’une FA quand une restauration rapide du rythme sinusal n’est pas nécessaire. La dose d’amiodarone préconisée est 600 mg.j-1 en une prise pendant 4 semaines, puis 400 mg.j-1 en une prise pendant 4 semaines, puis 200 mg.j-1(8). En France, les doses initiales sont souvent plus élevées (≥ 20 mg/kg), mais pendant une durée moindre. La cardioversion électrique consiste à délivrer un choc électrique externe (CEE) au patient. C’est la méthode la plus efficace pour rétablir le rythme sinusal et les complications sont rares(21). Les recommandations de bonne pratique sont détaillées par Taboulet et coll.(12). En cas de FA de durée supérieure à 48 heures ou avec un début indéterminé, la cardioversion ne doit pas être entreprise en raison du risque thromboembolique. Dans ce cas, la stratégie en structure de médecine d’urgence doit reposer sur le contrôle de la fréquence cardiaque ou une stratégie de cardioversion différée(8).   Quel traitement anticoagulant en médecine d’urgence ?   En cas de FA aiguë, la décision d’anticoaguler le patient repose en première intention sur le score clinique CHA2DS2-VASc(1). Les patients qui ont un score CHA2DS2-VASc nul ne tire de bénéfice d’une prévention du risque thromboembolique par antiagrégant plaquettaire ou anticoagulant. Ceux qui ont un score CHA2DS2-VASc = 1 en tirent un bénéfice incertain(1). En cas de score CHA2DS2-VASc = 1, la décision d’anticoagulation peut être différée jusqu’à l’avis du cardiologue ou du médecin référent. En cas de score CHA2DS2-VASc ≥ 2, un traitement anticoagulant est recommandé par anti-vitamine K ou anticoagulant oral direct, sauf contre-indication(9). Les anticoagulants à la disposition de l’urgentiste sont les anticoagulants injectables, héparine non fractionnée et surtout héparine fractionnée (toujours utilisable le premier jour) et les anticoagulants oraux, anti-vitamine K (AVK) et surtout les anticoagulants oraux directs (AOD) efficaces 2 à 3 heures après la première prise. Les recommandations européennes préconisent en 2012 le choix d’un AOD de préférence aux AVK en dehors des contre-indications (classe IIa)(9). Les recommandations nordaméricaines préconisent en 2014 les deux options (coumadine ou AOD), sans émettre de préférence (classe I)(23). Les AOD qui ont l’AMM en France en 2016 dans la prévention du risque thromboembolique de la FA sont le dabigatran (inhibiteur direct de la thrombine), le rivaroxaban, l’apixaban et l’edoxaban (inhibiteurs directs du facteur Xa). En cas de FA aiguë avec facteur déclenchant, il est raisonnable de débuter un traitement anticoagulant à l’instar d’une FA sans facteur déclenchant, malgré l’absence de recommandations internationales précises. Il n’est pas toujours possible d’évaluer la balance bénéfice/risque dans le cadre de l’urgence, en particulier dans la population âgée (ex. troubles cognitifs, interférences médicamenteuses, difficulté de la surveillance biologique, risque de chute, fonction rénale altérée). Les données fournies par l’échocardiographie (ex. fonction systolique, dimension de l’oreillette gauche, lésions valvulaires) et la discussion avec le patient, son entourage et le spécialiste référent peuvent aider à prendre la décision. En cas de risque de saignement élevé (score HAS-BLED ≥ 3, défaillance multiple d’organes, saignement récent), il est préférable de différer le traitement antithrombotique jusqu’à l’avis du cardiologue ou médecin référent. En cas de cardioversion en urgence, une anticoagulation doit être réalisée. Chez les patients qui ont une instabilité hémodynamique et nécessitent une cardioversion en urgence, une héparine non fractionnée en bolus puis relais en perfusion continue, ou une HBPM doit être administrée à dose thérapeutique(8). Chez les patients stables, si une cardioversion est envisagée pour une FA de durée < 48 heures, une héparine ou un AOD doit être administré avant la cardioversion, quel que soit le risque thromboembolique. Après cardioversion, une anticoagulation doit généralement être maintenue au moins 4 semaines, puis en fonction du CHA2DS2-VASc. D’autres situations ont fait l’objet de recommandations (valvulopathie, syndrome coronarien aigu, coronaropathie stable, accident vasculaire cérébral).   Les indications d’hospitalisation ?   Le taux d’hospitalisation des patients en FA qui consultent dans une SU est voisin de 65 à 70 % aux États-Unis(4,24). Ce taux élevé s’explique par la fréquente sévérité ou la complexité des situations liées à la FA ou aux pathologies intriquées.   Indications d’hospitalisation • Une hospitalisation est recommandée pour les patients en FA lorsque la situation est critique et nécessite une thérapeutique urgente. D’autres situations nécessitent une certaine expertise pour répondre de façon fiable aux questions clés du bilan initial d’une FA inaugurale ou récidivante. Quelles sont les conséquences immédiates de la FA ? Quelles sont la date et l’heure de début de la FA ? Existe-t-il un facteur déclenchant ? Quel est le terrain général et cardiologique ? Quels sont les risques thromboemboliques et hémorragiques ? • Une hospitalisation doit être envisagée lorsqu’il est difficile d’évaluer le bénéfice/risque des différentes composantes du traitement que l’on veut initier ou modifier. • Une hospitalisation doit être envisagée lorsqu’il faut s’assurer de l’efficacité ou de la tolérance des différentes composantes du traitement que l’on veut initier ou modifier. La prise en charge d’une FA inaugurale ou récidivante peut être ambulatoire sous certaines conditions. • Il est recommandé d’orienter vers un cardiologue tous les patients dont le traitement de la FA inaugurale ou récidivante a été initié ou modifié, dans un délai court et adapté à la situation médicale. • Il est souhaitable de disposer d’une filière de soins cardiologiques pour la prise en charge des patients avec FA inaugurale ou récidivante à la sortie de la SU.  Figure. Contrôle de la fréquence ventriculaire d’une FA rapide. • Fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) altérée ou inconnue. • Bêtabloquant IV (aténolol, esmolol) ou inhibiteur calcique IV (vérapamil, diltiazem) ; traitement bêtabloquant ou inhibiteur calcique possible par voie orale. • Bêtabloquant β1-sélectif (nébivolol, carvédilol, bisoprolol, métoprolol) : débuter par la dose la plus faible. • Digoxine IV en premier choix. Amiodarone IV en premier choix, si l’hémodynamique est instable et la fraction d’éjection du VG basse. La digoxine et l’amiodarone peuvent être associées. • La digoxine doit être ajoutée quand la monothérapie ci-dessus est insuffisante. • L’amiodarone peut être envisagée par voie orale quand les autres molécules sont inefficaces ou contre-indiquées. • Choc électrique recommandé si les mesures pharmacologiques ne permettent pas une amélioration rapide des patients avec une ischémie myocardique persistante, une hypotension symptomatique, une angine de poitrine ou une défaillance cardiaque. © SFMU et Lavoisier 2015, avec l’aimable autorisation de l’éditeur : Taboulet P, Dechenne J, Lefort H et al. Prise en charge de la fibrillation atriale en médecine d’urgence. Recommandations de la SFMU en partenariat avec la SFC. Ann Fr Med Urg 2015 ; 5 : 260-79.  Bibliographie complémentaire sur demande à la rédaction : biblio@axis-sante.com

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