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Thérapeutique

Publié le 14 mai 2016Lecture 8 min

Regards croisés sur les AVK

M. DEKER

Le nombre de patients en France traités par un anticoagulant oral ne cesse d’augmenter, atteignant aujourd’hui près de 1,5 million. Les anti-vitamine K (AVK) restent les anticoagulants les plus prescrits en France, chez les trois quarts des patients. Il est donc impératif de savoir les manier afin d’en tirer les bénéfices en prévention des événements thromboemboliques et d’éviter le risque iatrogène hémorragique.
La stratégie de prescription passe par une évaluation du bénéfice/risque individuel de chaque patient.

FA : quelle place pour les AVK ?   La fibrillation atriale est une maladie rythmique qui entraîne une incompétence myocardique de la contractilité accompagnée d’une akinésie, favorisant la formation de caillots, avec un risque d’embolisation cérébrale ou périphérique. Cette maladie, dont la prévalence augmente régulièrement avec l’âge, touche principalement les sujets âgés (20 % des sujets de plus de 80 ans ont une FA). Elle pourrait même résulter, selon certains, d’un vieillissement physiologique de l’oreillette. Si l’âge est un facteur de risque de FA, d’autres facteurs de risque lui sont associés. Notamment, la FA est étroitement corrélée à l’hypertension artérielle (HTA), retrouvée chez près de 90 % des patients. L’HTA est responsable d’une surcharge barométrique. En conséquence, le ventricule gauche se contracte davantage et s’hypertrophie pour lutter contre le surcroît de pression artérielle ; ses parois se rigidifient, ce qui constitue une entrave au remplissage. Les pressions en amont, en particulier dans l’oreillette gauche, augmentent ; les parois atriales se distendent et une véritable myopathie atriale se développe. L’existence d’une myopathie atriale peut être soupçonnée sur un simple électrocardiogramme, montrant en V2, V3, Vf une onde P allongée, parfois bifide, microvoltée, signant une dilatation de l’oreillette. Cette maladie atriale résulte de la présence d’une fibrose disséminée infiltrant le myocarde atrial. Un espoir est fondé dans le biomarquage qui pourrait permettre un profilage des patients à risque de myopathie atriale. En effet, le génotypage des patients avec FA a permis de découvrir de nouveaux gènes qui codent pour des protéines impliquées dans la fibrose myocardique et la myopathie atriale. Cette démarche de génotypage pourrait déboucher sur une identification des patients à risque de FA. La prise en charge rythmique de la FA dépend du type de FA (inaugurale, paroxystique, persistante, permanente). La prescription du traitement anticoagulant préventif est le fruit d’une démarche probabiliste établie en fonction des scores de risque embolique (score CHA2DS2-VASc) et hémorragique (HASBLED) individuel du patient, en sachant que ces scores ne sont pas parfaits. La mise en évidence d’une myopathie atriale conditionne le risque embolique mais elle aussi ouvre la voie à des traitements visant à supprimer le substrat arythmogène grâce aux techniques d’isolation des veines pulmonaires par cryoablation par voie transseptale. Un bilan cardiologique complet est toujours indispensable, y compris chez les patients en FA ayant fait un accident vasculaire cérébral. La prévention de la FA passe non seulement par le contrôle de la pression artérielle mais aussi par une prise en charge agressive des autres facteurs de risque que sont le surpoids, les dyslipidémies, les troubles du métabolisme glucidique et le syndrome d’apnées du sommeil.   Le traitement anticoagulant en pratique   Un patient âgé de 87 ans (poids 65 kg) consulte son médecin traitant pour des brûlures mictionnelles. Ce patient est traité par AVK depuis 6 mois pour une FA paroxystique ; son INR est stable entre 2 et 3. Il a dans ses antécédents une maladie coronarienne stentée, il y a 5 ans, stable, pour laquelle il reçoit un traitement par antiplaquettaire 160 mg/j et antagoniste calcique spécifique 40 mg x 2/j. Sa clairance de la créatinine (ClCr) est évaluée à 42 ml/min par la formule MDRD et 29 ml/min par la formule de Cockcroft. Devant cette situation, très fréquente en pratique, se posent plusieurs questions en sachant qu’il va recevoir un traitement par quinolone pour sa prostatite : poursuivre le traitement AVK, l’interrompre ou lui substituer un anticoagulant oral direct (AOD) ? Poursuivre l’antiplaquettaire ? En vie réelle, les AVK représentent 75 % des prescriptions d’anticoagulants et les AOD 25 %, comme l’a montré l’étude CACAO réalisée auprès de 463 médecins généralistes chez plus de 7 000 patients (www.etudecacao.fr). En outre, la prescription des AVK concerne davantage les patients plus âgés et insuffisants rénaux sévères. Cette même étude a montré que les patients sous AOD sont moins nombreux à savoir qu’ils prennent un anticoagulant : 1/20 déclare ne pas prendre d’anticoagulant, soit 2 fois plus que sous AVK. • Chez un patient dont l’INR est bien équilibré sous AVK, il n’y a pas de justification à interrompre cet anticoagulant pour le remplacer par un AOD. • La poursuite du traitement AVK est justifiée mais il faudra renforcer la surveillance de l’INR. En effet, toute infection intercurrente est susceptible de déséquilibrer l’INR, a fortiori si elle est traitée par un antibiotique, surtout pendant une durée prolongée, qui risque de détruire partiellement le flore intestinale, donc d’induire un surdosage. Des enquêtes réalisées chez des patients âgés surdosés ont montré jusque dans 60 % des cas une modification du traitement médicamenteux dans les jours précédents, en particulier la prise d’antibiotiques. Le surdosage peut débuter très précocement (2-3 jours) après la prise d’antibiotique ou plus tardivement (dans la semaine suivante). Il faut prendre le temps d’expliquer au patient le risque de surdosage, la nécessité de faire un INR à J3 puis à J7, puis au minimum une fois par semaine pendant toute la durée du traitement. De même, la fonction rénale doit être surveillée et le risque de sous-dosage à l’arrêt de l’antibiotique doit être prévenu. • Le rôle de l’alimentation dans l’équilibre de l’INR a fait couler beaucoup d’encre alors que l’on ne connaissait pas les facteurs génétiques pourvoyeurs d’instabilité. En pratique, le meilleur garant d’une stabilité de l’INR sous AVK est une alimentation riche en légumes verts, non carencée en vitamine K. • Chez un patient coronarien stable, à distance de la pose d’un stent, la poursuite du traitement antiplaquettaire n’est pas justifiée en association à un anticoagulant, en raison de l’augmentation du risque hémorragique ; chez certains patients particuliers, elle peut être discutée. • L’indication du traitement anticoagulant est en revanche bien justifiée par le calcul du score CHA2D2S-VASc. Un patient en FA âgé de ≥ 75 ans, à risque cardiovasculaire élevé du fait de ses antécédents, doit recevoir un traitement anticoagulant, en prévention des AVC. Considérant qu’il n’existe pas d’études spécifiques chez les patients très âgés fragiles (> 85 ans) traités par AOD et que ces derniers sont contre-indiqués dès que la ClCr s’abaisse en deçà de 30 ml/min, le traitement par AVK est indiqué. Il faut aussi tenir compte des traitements associés (certains antagonistes calciques spécifiques) qui augmentent l’aire sous la courbe des AOD. Plus de 40 % des patients de > 75 ans prennent au moins un inhibiteur P-gP ou CYP3A4 susceptibles d’augmenter l’exposition au traitement. • Les AVK restent la meilleure option chez les patients ayant une insuffisance rénale sévère (ClCr < 30 ml/min). La clairance doit être calculée avec la formule de Cockcroft, qui a été la seule utilisée dans les essais cliniques. Les AVK restent la meilleure option chez les patients ayant une insuffisance rénale sévère (ClCr < 30 ml/min). La clairance doit être calculée avec la formule de Cockcroft, qui a été utilisée dans les essais cliniques car elle évalue un risque hémorragique et non spécifiquement la fonction rénale. • Un avantage paradoxal des AVK réside dans leur demi-vie longue. En cas d’oubli chez un patient mal observant, le patient reste protégé même si son INR diminue. En revanche, l’oubli de prise d’un AOD dont la demi-vie est courte, peut augmenter le risque thrombotique. On peut considérer que la nécessité d’une surveillance biologique régulière fournit indirectement une estimation de l’observance du traitement.   Comment gérer les complications hémorragiques sous AVK ?   Les recommandations (GEHT & HAS avril 2008) sont claires en cas de surdosage : - INR < 4 : pas de saut de prise ni d’apport de vitamine K ; - 4 ≤ INR < 6 : saut de prise, pas d’apport de vitamine K ; - 6 ≤ INR < 10 : arrêt du traitement ; 1 à 2 mg de vitamine K per os (1/2 à 1 ampoule buvable forme pédiatrique) ; - INR ≥ 10 : arrêt du traitement ; 5 mg de vitamine K per os (1/2 ampoule buvable forme adulte). L’INR doit être contrôlé le lendemain. S’il reste supra-thérapeutique, les mesures correctrices doivent être renouvelées. En cas d’hémorragie grave ou potentiellement grave nécessitant une prise en charge hospitalière, l’administration de concentré de complexe prothrombinique (CCP/PPSB), en plus de la vitamine K (10 mg), est réalisée, la dose étant fonction de la disponibilité ou non de l’INR. En cas d’hémorragie grave, l’objectif est d’amener l’INR < 1,5. L’administration en bolus (3 min) de 20 UI/kg de CCP permet de corriger immédiatement l’hypocoagulabilité(1). La voie d’administration orale doit être privilégiée pour la vitamine K afin d’optimiser son effet(2). L’efficacité de cette stratégie thérapeutique est bien vérifiée, en particulier dans une étude prospective nationale ayant inclus 822 patients sous AVK pris en charge pour une hémorragie grave qui a montré une réduction par 3 de la mortalité(3).   Reprendre ou non le traitement AVK après un accident hémorragique grave ?   La décision de reprendre le traitement après un accident hémorragique nécessite de reposer la question de son indication et d’analyser les circonstances de l’événement. En cas d’hémorragie cérébrale, la réévaluation du bénéfice/risque du traitement s’impose. • Plaident contre sa reprise, une hémorragie cérébrale profonde ou la présence de microbleeds en IRM, le calcul d’un risque ischémique bas et des difficultés anticipées du contrôle de l’INR ; un traitement antiplaquettaire peut être envisagé pour prévenir un infarctus cérébral. • Si la décision de reprendre le traitement AVK est prise (risque thromboembolique élevé), les recommandations indiquent qu’« il peut être raisonnable de reprendre les AVK 7 à 10 jours après le début de l’hémorragie cérébrale ». • En cas d’hémorragie grave non cérébrale, si l’indication des AVK est maintenue et lorsque le saignement est contrôlé, le traitement peut être repris après 48 à 72 heures, voire plus précocement si un geste hémostatique endoscopique a été réalisé (saignement digestif). Un traitement par héparine avec relais par l’AVK est institué sous surveillance clinique et biologique en milieu hospitalier.   D’après un débat organisé par Merck avec la participation de P. Chevalier, V. Siguret, Y. Zerbib, K. Tazarourte et H. Demurs-Clavel

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