Congrès et symposiums
Publié le 14 oct 2016Lecture 7 min
Le rythme dans la galère romaine
J.-Y. LE HEUZEY, Hôpital européen Georges Pompidou, Université René Descartes, Paris
ESC
Le propos ici n’est pas de parler de celui qu’on appelle l’« hortator » qui, comme chacun sait, imprimait le rythme des rameurs dans les galères romaines, mais plutôt de rapporter l’actualité de la rythmologie au congrès européen de cardiologie qui s’est déroulé à Rome du 27 au 31 août. Pour tous les congressistes présents, le souvenir sera celui d’une épouvantable galère dans un centre de congrès défraîchi situé à une distance inacceptable du centre-ville de Rome, totalement inaccessible du fait de l’absence de taxis les premiers jours et du temps largement excessif nécessaire pour le rejoindre par les transports en commun. Ce fut une galère pour tous les confrères qui y ont assisté et encore plus pour ceux qui avaient à y faire des présentations, le nombre de retards de modérateurs ou de présentateurs a été rédhibitoire… L’ambiance était par ailleurs bien entendu à la tristesse car à environ 100 kilomètres de Rome près de 300 personnes avaient perdu la vie quelques jours avant le début du congrès dans le tremblement de terre.
Que retiendra-t-on d’autre ? Le passage du pape probablement ! Pour ce qui est de l’actualité en rythmologie il s’agit d’un cru honnête, sans plus. Elle a été faite principalement par la présentation de nouvelles recommandations 2016 sur la fibrillation atriale mais il ne s’agit, comme on va le voir, que d’une actualité toute relative. Sur le plan des présentations d’études « hotline » on en retiendra 3 : l’une sur le défibrillateur, les deux autres sur les anticoagulants oraux directs. À côté de cela, bien entendu, on a pu noter l’habituel foisonnement de communications et d’informations qui sont si utiles aux cardiologues. Les participants étaient au nombre de 33 000 mais si l’ESC veut garder une assistance aussi importante, il conviendra de ne pas renouveler ce genre d’échec…
Recommandations 2016 sur la prise en charge de la fibrillation atriale
Elles constituent en fait un non-événement. En effet, les précédentes étaient une mise à jour en 2012 pour des recommandations écrites en 2010. Depuis 2012, il n’y a pratiquement pas eu de très grandes études faites dans la fibrillation atriale qui auraient pu modifier radicalement nos pratiques et notre prise en charge. Pour ce qui est de l’anticoagulation, sujet qui a le plus d’actualité, en 2012 on connaissait déjà les résultats des essais RE-LY, ROCKET-AF et ARISTOTLE. Depuis a été publiée l’étude ENGAGE AF TIMI 48 qui a installé l’edoxaban au côté des 3 médicaments déjà disponibles mais la stratégie d’anticoagulation n’a pas changé.
Il est intéressant de noter dans ces nouvelles recommandations l’existence d’un certain nombre d’algorithmes et de tableaux concernant des problématiques, principalement thérapeutiques, qui n’étaient pas évoquées en 2012. Mais ceci en fait plus un guide thérapeutique ou un guide de prise en charge car, encore une fois, il n’y a pas de données en termes d’« evidence based medicine » réellement nouvelles.
C’est ainsi que l’on retrouvera un tableau évoquant la prise en charge des patients présentant des AHRE (Atrial High Rate Episodes), qui sont des rythmes auriculaires rapides détectés chez les patients porteurs de prothèses, pacemaker ou défibrillateur et pour lesquels il est à l’heure actuelle bien dif ficile de savoir s’il convient d’anticoaguler ces patients et si oui lesquels. On citera également deux tableaux intéressants sur les modalités d’initiation ou de poursuite des anticoagulants chez les patients victimes d’un accident vasculaire cérébral ou d’un accident ischémique transitoire alors qu’ils étaient déjà sous anticoagulant. Il y a également un tableau qui parle de l’initiation ou de la reprise des anticoagulants chez les patients qui ont eu un saignement intracrânien. Ces nouveautés sur la prise en charge neurologique sont dues à un neurologue, Hans Diener, dans le groupe qui a rédigé ces recommandations, ce qui n’était pas le cas auparavant. Deux tableaux résument les recommandations concernant la prescription des anticoagulants chez les coronariens, qu’il s’agisse de patients ayant eu une angioplastie ou de patients ayant eu un syndrome coronarien aigu. Là aussi il n’y a pas de nouvelles données mais ces deux tableaux clarifient les schémas qui avaient été proposés auparavant.
Pour ce qui concerne la prise en charge rythmique, il n’y a vraiment pas de grande innovation, là aussi parce qu’aucune donnée récente n’a pu modifier ce qui était considéré jusqu’ici comme la meilleure stratégie. Il y a cependant un tableau intéressant concernant les choix en matière de contrôle du rythme à faire après l’échec d’une première thérapie. Un dernier point à souligner, là aussi en rapport avec la composition du groupe qui a rédigé ces recommandations, la présence d’un chirurgien travaillant à Zurich, Stefano Benussi, a fait largement augmenter la place réservée aux techniques d’ablations chirurgicales.
Les grandes études présentées en hotline et publiées simultanément
L’étude DANISH
La première étude présentée dès le début du congrès et publiée simultanément dans le New England Journal of Medicine est l’étude DANISH. Il s’agit d’un essai qui s’intéresse aux patients porteurs de cardiomyopathie dilatée. On sait que l’on disposait déjà d’études comme DEFINITE qui n’avaient pas été très concluantes sur l’intérêt de mettre en place des défibrillateurs chez les patients ayant des cardiopathies non ischémiques. Ce doute a également été retrouvé dans l’étude observationnelle CeRtiTuDe que nous avions présentée l’année dernière en hotline au congrès de l’ESC à Londres. Lars Kober, l’auteur de cette étude a enrôlé 1 116 patients avec une insuffisance cardiaque systolique non ischémique, ils ont été randomisés entre défibrillateur et thérapeutique habituelle de l’insuffisance cardiaque. Une resynchronisation a été mise en place chez 58 % des patients dans les 2 groupes. Cette étude a commencé en 2008 pour se finir en 2014. En ce qui concerne les décès toutes causes, il n’y avait pas de différence significative entre le groupe avec défibrillateur et le groupe sans défibrillateur. Pour ce qui concerne les décès de causes cardiovasculaires, il n’y avait pas non plus de différence significative. La mort subite est survenue dans 4,3 % des cas chez les patients avec défibrillateur et 8,2 % dans le groupe contrôle. Cette différence n’atteint cependant pas la significativité. L’analyse des résultats en sous-groupes montre cependant une différence, c’est-à-dire une plus faible mortalité globale, chez les patients les plus jeunes, de moins de 59 ans.
La conclusion est donc qu’il convient plutôt de privilégier la resynchronisation sans défibrillateur chez un certain nombre de patients avec une insuffisance cardiaque non ischémique. Il convient encore de faire des études complémentaires pour mieux individualiser les patients qui peuvent bénéficier du défibrillateur mais ce n’est pas le cas de tous les malades ayant une cardiopathie dilatée non ischémique.
L’étude ANNEXA
Dans le domaine de l’anticoagulation, l’actualité est aux antidotes, si réclamés par beaucoup. On sait que l’idarucizumab, qui est l’antidote (ou plutôt l’agent de réversion) du dabigatran, est disponible. Stuart Connolly d’Hamilton (Canada) a montré les résultats concernant l’agent de réversion des anti-Xa, l’andexanet alpha. Là aussi, une publication simultanée dans le New England Journal of Medicine a été réalisée. La conclusion que l’on peut retenir est que cet antidote est efficace très rapidement et est bien toléré chez des patients qui avaient des saignements potentiellement capables de mettre en jeu le pronostic vital. L’étude ANNEXA-4 est encore en cours mais Stuart Connolly a présenté ses résultats intermédiaires concernant 67 patients, d’âge moyen 77 ans. Ils avaient été traités par apixaban, rivaroxaban, edoxaban ou enoxaparine dans les 18 heures précédentes. Les sites de saignement étaient principalement gastro-intestinaux et intracrâniens. L’efficacité hémostatique a été considérée comme bonne ou excellente chez 79 % des patients à 12 heures. Des événements thrombotiques sont survenus dans les 3 jours après l’utilisation de l’andexanet chez 4 patients et dans les 30 jours chez 12 patients. Vingt-sept pour cent des patients ont pu recommencer l’anticoagulation 30 jours après.
L’étude ENSURE-AF
Le troisième essai présenté en hotline, qui lui a été publié dans le Lancet, concerne l’anticoagulation lors de la cardioversion. On sait que l’on avait déjà pu disposer de l’étude X-Vert qui avait été faite sur le sujet avec le rivaroxaban. Il s’agit cette fois-ci d’une étude qui a été faite avec l’edoxaban, elle est dénommée ENSUREAF. Il s’agissait de comparer les cardioversions faites sous edoxaban aux cardioversions faites avec de la warfarine. Les critères de jugement étaient le taux de survenue d’accident vasculaire cérébral, embolie systémique, infarctus du myocarde et décès de toutes causes. Deux stratégies différentes pouvaient être envisagées, comme habituellement : soit la stratégie de cardioversion rapide précédée d’un échocardiogramme transœsophagien, soit la stratégie de cardioversion faite après 3 semaines de traitement. Cette étude est la plus importante en nombre de malades dans ce domaine puisqu’elle a enrôlé 2 000 patients. Ils étaient des hommes pour 66 % d’entre eux. Le choc a eu lieu 2 jours après la randomisation en cas d’échocardiogramme transœsophagien et 22 jours en l’absence d’échocardiogramme transœsophagien.
La conclusion de l’étude est que, comme on pouvait le penser, le taux d’événements est excessivement faible dans les 2 groupes. Ce type d’étude ne peut être ni une étude de supériorité ni une étude de noninfériorité mais uniquement une étude de faisabilité car, heureusement, le taux d’événements est très faible dans ces procédures de cardioversion. Environ 78 % des patients sous edoxaban et 80 % des patients sous warfarine ont été cardioversés avec succès. En intention de traiter pour le critère de jugement primaire les taux d’événements inférieurs à 1 %. De même pour les saignements majeurs et les saignements non majeurs cliniquement significatifs les taux sont de 1 % dans les 2 groupes. Aucun saignement intracrânien n’a été noté dans l’essai. Le message que l’on peut tirer de ces résultats est qu’il est tout à fait possible de faire des cardioversions sous edoxaban, comme c’est le cas pour les autres anticoagulants oraux directs, soit en réalisant un échocardiogramme transoesophagien, soit en effectuant un traitement prolongé de 3 semaines par ces médicaments.
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