Publié le 01 jan 2017Lecture 12 min
Neuropathie douloureuse diabétique : diagnostic et prise en charge
B. GUERCI, Diabétologie, Maladies métaboliques & Nutrition, Hôpital Brabois, CHU de Nancy ; CIC Inserm, ILCV, Vandœuvre-lès-Nancy
La neuropathie diabétique est insuffisamment connue par les médecins de même que sa prise en charge malgré des consensus clairement établis, notamment sur le maniement des molécules destinées à améliorer la symptomatologie douloureuse. Pourtant on estime à plus de 60 000 le nombre de patients diabétiques qui en souffrent.
Données épidémiologiques récentes
Il existe relativement peu de données concernant la fréquence de la neuropathie douloureuse d’origine diabétique. Trois études récentes, dont deux issues de registres de médecine générale, définissent comme douleurs neurologiques périphériques des douleurs persistantes au-delà d’un an, avec une prévalence de 16 % de douleurs neuropathiques périphériques dans la population diabétique comparativement à 5 % dans la population générale. La prévalence semble également différente selon le type de diabète touchant préférentiellement les diabétiques de type 2 pour 18 % d’entre eux et les diabétiques de type 1 pour 6 % d’entre eux. Le risque est majoré en présence de polyneuropathie sensitivo-motrice qui, lorsqu’elle est présente, favorise l’émergence de la composante douloureuse pour 44 % des patients (51 % auprès des diabétiques de type 2 et 25,6 % auprès des diabétiques de type 1). Mais sans doute le fait le plus marquant est l’insuffisance de prise en charge des douleurs rapportées par les patients puisqu’en présence de douleurs neuropathiques périphériques, 12,5 % des patients ne rapportent pas leur symptôme à leur médecin et 39 % des patients souffrant de douleurs n’ont jamais reçu de traitement adapté.
En d’autres termes, la prévalence des polyneuropathies symptomatiques varie selon les études de 5 à 35 %, soit une prévalence des neuropathies douloureuses liées au diabète touchant de 65 000 à 100 000 diabétiques avec une répercussion sur la qualité de vie.
Facteurs de risque de neuropathie périphérique symptomatique chez le patient diabétique
Différents facteurs de risque ont été identifiés comme favorisant la survenue ou l’aggravation d’une symptomatologie de neuropathie périphérique symptomatique chez le patient diabétique. Il n’est pas étonnant que la durée d’évolution du diabète et donc l’âge du patient constituent les principaux facteurs de risque de survenue d’une neuropathie périphérique symptomatique. Le taux d’HbA1c est également un facteur aggravant non seulement pour la neuropathie périphérique symptomatique mais également pour la polyneuropathie sensitivomotrice. Et même en l’absence de diabète, dès le stade d’intolérance au glucose, on observe une augmentation de la prévalence de cette pathologie neurologique. Il semble exister également un rôle indépendant du poids, de l’hypertension artérielle, du taux élevé de triglycérides et du taux abaissé de HDL, ce qui laisse suggérer que le syndrome métabolique constituerait également une situation à haut risque de développement d’une neuropathie périphérique symptomatique.
D’autres facteurs tels que le tabagisme, l’alcool sont également impliqués dans ces symptomatologies douloureuses mais souvent avec une intrication de neuropathie liée non seulement au diabète mais à l’effet propre de ces toxiques. L’hypoxie cellulaire constitue également un facteur de risque et, à ce titre, la présence d’un syndrome obstructif d’apnées du sommeil est associée à une plus grande prévalence des neuropathies douloureuses comme le sont l’insuffisance rénale chronique et l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs où une composante mixte artérielle et neurologique intervient dans la survenue des douleurs des membres inférieurs. Enfin, à titre plus anecdotique, la taille du patient apparaît comme facteur de risque avec l’hypothèse d’une altération longueurdépendante des fibres nerveuses impliquées dans les manifestations douloureuses.
Physiopathologie
Concernant la polyneuropathie diabétique douloureuse, sa physiologie comporte toujours une atteinte des petites fibres nerveuses. Ces petites fibres sont les plus nombreuses et sont celles qui sont atteintes le plus précocement. C’est également en les explorant que l’on fait le diagnostic de polyneuropathie sensitivo-motrice. Il est donc important de rappeler l’existence de différents types de fibres nerveuses (tableau 1) :
- les petites fibres myélinisées (A delta) qui interviennent dans la sensibilité au froid et à la piqûre ;
- des petites fibres non myélinisées (C) qui interviennent dans la sensibilité à la chaleur et à la douleur (ces petites fibres A delta et C ne sont pas explorées par des examens de type électromyogramme) ;
- des grosses fibres myélinisées qui interviennent dans la sensibilité au tact (monofilament) et à la proprioception (diapason). Ces grosses fibres myélinisées ont une atteinte beaucoup plus tardive par rapport aux petites fibres. En revanche, elles sont explorées par des examens de type électromyogramme et l’atteinte des grosses fibres myélinisées expose le patient au risque podologique.
En d’autres termes, les outils très largement utilisés en clinique de diabétologie que sont le diapason et le monofilament ne sont en aucun cas des outils de diagnostic de la polyneuropathie sensitivo-motrice ou de la douleur neuropathique périphérique. Ce sont des outils de dépistage du pied à risque podologique.
Démarche diagnostique d’une douleur neuropathique périphérique
Une part essentielle du diagnostic positif repose sur les données de l’interrogatoire, ce que rappellent les recommandations de la HAS. Il est donc essentiel de recueillir le mode d’installation des troubles cliniques, l’ancienneté et le rythme des douleurs, ainsi que l’efficacité des traitements préalablement instaurés. Un des points essentiels consiste à définir si les douleurs sont d’ordre neuropathique. Selon les définitions de consensus européens, une douleur neuropathique est une douleur initiée ou causée par une lésion primitive ou un dysfonctionnement du système nerveux. Cette douleur neuropathique est parfois à prédominance nocturne, se caractérise par une mauvaise réponse aux antalgiques classiques et associe des manifestations telles que brûlure, froid douloureux, sensations d’étau, piqûre, sensation de marcher sur du gravier, accentuation de la douleur par le contact, etc.
Après l’interrogatoire, les données de l’examen clinique sont évidemment essentielles à la recherche de signes sensitifs : paresthésie, dysesthésie, hypoesthésie, troubles subjectifs distaux, existence de réelles douleurs rapportées par le patient, mais également troubles de l’équilibre, allodynie ou hyperpathie. Les réflexes ostéo-tendineux ne sont pas discriminants puisqu’ils peuvent être tous présents ou être abolis notamment au niveau achilléen dans ce contexte de douleur de neuropathie périphérique. En revanche, les signes moteurs sont souvent présents mais parfois difficiles à diagnostiquer, notamment une faiblesse musculaire des 4/5es avec une évaluation de la force en distalité, l’existence de crampes ou de fasciculations, une amyotrophie notamment des muscles interosseux, ce qui concourt au développement d’orteils en griffe ou en marteau.
Enfin, les signes neuropathiques végétatifs sont un élément d’orientation vers l’existence d’une douleur neuropathique périphérique car souvent associés : on peut rapporter des malaises orthostatiques ou postprandiaux, des troubles de la sudation, des troubles mictionnels, des troubles érectiles et/ou d’éjaculation, une diarrhée motrice, une sensation de plénitude gastrique témoignant d’une gastroparésie, des symptômes trophiques, une hyperkératose. En d’autres termes, la douleur neuropathique périphérique et plus spécifiquement la neuropathie douloureuse diabétique présente une sémiologie particulièrement riche (figure 1). Il existe des douleurs spontanées ou des douleurs provoquées :
- lorsqu’elles sont spontanées, elles sont soit continues, soit paroxystiques, pouvant s’intensifier notamment en période nocturne ;
- lorsque les douleurs sont provoquées, elles rendent compte d’une stimulation normalement non nociceptive, et à ce titrelà on parle d’allodynie, ou à l’inverse ces douleurs provoquées rendent compte d’une stimulation normalement nociceptive et on parle alors d’hyperalgésie. Dans les deux cas, il s’agit donc d’une hyperesthésie mécanique et/ou thermique.
En plus de ces douleurs spontanées et provoquées, il peut exister des phénomènes atypiques de type dysesthésie ou paresthésie qui correspondent à des sensations anormalement désagréables, également spontanées ou provoquées.
Une partie essentielle du diagnostic positif repose sur le questionnaire DN4 qui constitue un outil fiable et simple d’utilisation pour rechercher les douleurs neuropathiques périphériques.
Ce questionnaire développé par une équipe de recherche française est basé sur 10 questions d’interrogatoire ou d’examen clinique (tableau 2). Un score supérieur ou égal à 4/10 permet d’identifier correctement 86 % des patients avec une sensibilité du score chiffré à 82,9 % et une spécificité à 89,9 %. C’est donc l’étape essentielle du diagnostic positif mais audelà, il convient de coter la douleur neuropathique par une échelle visuelle analogique ou une échelle visuelle numérique qui permettra en particulier de juger de l’efficacité des traitements mis en place.
Figure 1. Séméiologie de la neuropathie douloureuse diabétique.
Diagnostic différentiel
Il est important d’éliminer les autres causes de douleur neuropathique qui ne seraient pas d’origine diabétique et certains paramètres cliniques et biologiques et/ou contexte environnemental doivent faire évoquer une autre étiologie. En particulier, un début aigu et une asymétrie des symptômes, l’existence d’un déficit moteur franc, une abolition des réflexes au niveau des membres en particulier lorsqu’elle touche les quatre membres et, enfin, une atteinte proximale sont autant d’éléments qui remettent en cause l’étiologie diabétique de la douleur neuropathique. Le bilan complémentaire repose alors sur un dosage de la créatinine, du bilan lipidique, de la fonction hépatique et, en fonction des signes d’appel, la réalisation d’un bilan autoimmun, de sérologies virales, d’une immunoélectrophorèse à la recherche d’une gammapathie monoclonale, d’un dosage des vitamines notamment B12 et de manière plus exceptionnelle des tests génétiques. Dans le cadre du diagnostic différentiel, l’erreur la plus fréquente consiste à confondre des douleurs d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs avec une douleur neuropathique. Dans ce cas, la clinique, notamment la recherche d’abolition des pouls périphériques, de troubles trophiques d’origine artérielle, de souffle vasculaire sur les axes iliofémoraux, et la réalisation d’examens complémentaires comme la mesure d’indice de pression systolique, de Doppler et/ou échoDoppler des membres inférieurs vont permettre de corriger le diagnostic. Parmi les causes de diagnostic différentiel, on retrouve :
- les radiculopathies liées notamment à une hernie discale ou un canal lombaire étroit ;
- les mononeuropathies à type de cruralgies ou de plexopathies survenant en situation posttraumatique, postchirurgicale, postradique, liées à un syndrome néoplasique, à l’utilisation de toxiques, ainsi que les syndromes canalaires de type névrome de Morton ou canal carpien ;
- les neuropathies par carences en vitamine ou secondaires à un alcoolisme chronique ;
- les neuropathies d’origine virale, en particulier en lien avec le virus de l’hépatite C ou du sida, ainsi que les maladies de système de type lupus, périartérite noueuse ou syndrome de Sjögren ;
- plus rarement des causes génétiques héréditaires de type de maladie de Fabry, maladie de Tangier, maladie sensorielle héréditaire dysautonomique ;
- le syndrome des jambes sans repos, dont le diagnostic différentiel est relativement aisé à porter de même que les symptômes liés à une insuffisance veineuse ou à une arthrose. Les examens complémentaires à effectuer sont essentiellement des explorations visant les axes vasculaires (Doppler des membres inférieurs, échoDoppler des membres inférieurs), ainsi que IRM, ou autres explorations radiologiques à la recherche de conflits ostéoarticulaires, réalisation d’un électromyogramme pour la recherche d’une atteinte radiculaire).
Traitement de la neuropathie douloureuse diabétique
Il est maintenant bien démontré que l’amélioration de l’équilibre glycémique joue un rôle favorable sur la prévention des complications de type microet macroangiopathique et sur la réversibilité de certaines complications microangiopathiques telles que la néphropathie diabétique ou la rétinopathie diabétique. Les données sont beaucoup plus controversées en ce qui concerne l’effet de l’équilibre glycémique sur l’amélioration de la polyneuropathie sensitivomotrice ou douloureuse. Dans les études VADT et ADVANCE, l’amélioration de l’équilibre glycémique n’a pas été associée à une amélioration de la neuropathie alors que le contraire a été observé dans les études DCCT et UKPDS et ACCORD. Plus récemment, une étude de méthodologie irréprochable a analysé l’efficacité du traitement par pompe à insuline sur la symptomatologie douloureuse sur une période de 24 mois. Le traitement par pompe n’a pas été associé à une amélioration de la proprioception ou de la sensibilité thermique. De même, l’électromyogramme n’a pas été statiquement modifié, ni la densité des fibres nerveuses évaluées sur biopsie. Bien au contraire, il apparaît délétère de normaliser trop rapidement les glycémies, avec un risque de majoration des douleurs neuropathiques comme cela a été décrit dans le passé sur la rétinopathie diabétique. Ainsi, une étude de 2015 retrouve une fréquence des neuropathies induites par un traitement insulinique intensifié plus importante selon la réduction de l’HbA1c observée entre le début d’intensification du traitement et le suivi à 3 mois. En d’autres termes, une aggravation des douleurs de neuropathie a été observée chez 15,8 % des patients pour lesquels l’HbA1c était réduite de 2 % et 95 % des patients pour lesquels l’HbA1c avait été réduite d’un facteur 5. On parle alors de névrite insulinique dont la pathogénie est discutée mais qui semble reliée à l’ouverture des shunts artérioveineux avec vol vasculaire au niveau de l’endoderme qui deviendrait ischémique. Les principes du traitement de la neuropathie douloureuse consistent donc en trois points essentiels :
- diminuer la douleur car la disparition complète est difficile à obtenir ;
- améliorer la qualité de vie ;
- en ayant à l’esprit que les traitements n’ont aucune efficacité sur les sensations anormales. Une diminution de 30 % de la douleur est jugée comme cliniquement acceptable, d’où l’importance d’utiliser lors du diagnostic des échelles visuelles analogiques ou numériques pour quantifier la douleur audelà du simple diagnostic positif posé par le score DN4. Le traitement repose sur des doses initiales les plus faibles pour viser à atteindre les doses maximales tolérées avec une évaluation régulière du patient notamment au premier mois suivant l’introduction des molécules antalgiques. En cas d’efficacité insuffisante, c’est-à-dire inférieure à 30 % à la dose maximale d’un traitement, il est recommandé de changer de classe thérapeutique. En règle générale, la première étape est une monothérapie suivie d’une bithérapie lorsque l’efficacité du traitement dépasse 30 %, mais lorsque l’intensité de la douleur reste supérieure à 3/10 en troisième étape, le recours à l’utilisation de traitements opiacés est envisagé. Les traitements pharmacologiques de la neuropathie douloureuse sont nombreux, reposant essentiellement sur les antidépresseurs tricycliques, les inhibiteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, les anticonvulsivants, les opiacés, les psychotropes etles benzodiazépines. Tous ces médicaments ne se valent pas en termes d’efficacité ni en termes d’évaluation clinique. Ainsi, le niveau de preuve, les AMM et les recommandations sont dépendants du type de molécule utilisée.
Les antidépresseurs tricycliques ont un niveau de grade A, une autorisation de mise sur le marché pour les douleurs neuropathiques et peuvent être utilisés en première intention.
Les antidépresseurs de type inhibiteurs mixtes de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline ont également un grade A, une autorisation de mise sur le marché pour la duloxétine et peuvent être utilisés en première intention. Pour la venlafaxine, il n’y a pas d’AMM et ce produit est recommandé en deuxième intention seulement.
En ce qui concerne les antiépileptiques, ils sont de grade A en termes d’efficacité, ont l’AMM et peuvent être utilisés en première intention.
Enfin, pour les opiacés, ils ont un niveau de grade A, une AMM pour les douleurs neuropathiques autres que le diabète et doivent donc être utilisés en deuxième intention. Par ailleurs, l’ensemble de ces molécules présente des avantages, mais également certains effets secondaires qu’il faut connaître et qui, pour certains, constituent une réelle contre-indication à leur utilisation. Concernant la stratégie thérapeutique, elle a été récemment actualisée pour permettre au clinicien de suivre un algorithme d’escalade thérapeutique et d’ajustement des traitements pharmacologiques.
En pratique
Ainsi, le diagnostic de neuropathie douloureuse repose sur l’interrogatoire et l’examen clinique à la recherche de signes évoquant avant tout une atteinte des petites fibres. Une aide diagnostique simple est apportée par le questionnaire DN4 auquel doit être ajoutée une évaluation quantitative de la douleur par une échelle visuelle numérique ou analogique. Il s’agit avant tout d’une analyse positive clinique et non d’un diagnostic d’élimination.
L’électromyogramme ne doit pas être demandé pour confirmer le diagnostic de neuropathie douloureuse d’origine diabétique mais strictement réservé à des formes atypiques, notamment pour éliminer un diagnostic différentiel. Cette approche ne doit en rien amener à négliger le risque podologique lié à une atteinte neuropathique simple sans caractère douloureux.
Cette pathologie est insuffisamment connue par les médecins ainsi que sa prise en charge malgré des consensus clairement établis, notamment sur le maniement des molécules destinées à améliorer la symptomatologie douloureuse. Un temps clinique spécifique est nécessaire pour définir la meilleure stratégie sur le plan thérapeutique. Cela doit amener à revoir régulièrement le patient pour adapter au plus près les posologies aux doses maximales tolérées, pour envisager des associations thérapeutiques parfois complexes et difficiles à manier avec si besoin le recoursà des centres anti-douleur spécifiques organisés dans les centres de neurologie.
Figure 2. Algorithme thérapeutique de prise en charge des neuropathies douloureuses (d’après Hartemann A et al. 2012).
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