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Études

Publié le 16 oct 2017Lecture 8 min

Le registre RACE Paris - Quelles conséquences pour la pratique ?

Benoît GÉRARDIN* et Jean-Philippe COLLET**, GRCI (Groupe de réflexion sur la cardiologie interventionnelle), *Hôpital Marie-Lannelongue, Le Plessis-Robinson ; **Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris

Le Registre prospectif des Accidents Cardiaques lors des courses d’Endurance parisiennes (RACE Paris), conduit par le Groupe de réflexion sur la cardiologie interventionnelle (GRCI) et soutenu par les SAMU 75 et 92, étudie depuis 2006 les accidents non traumatiques mortels ou menaçant le pronostic vital sur cinq grandes courses de la capitale (marathon de Paris, semi-marathons de Paris et de Boulogne-Billancourt, « 20 km de Paris » et « Paris-Versailles »).

Les résultats de la première cohorte   Ils portent sur les 512 000 participants à ces épreuves entre 2006 et 2012 et viennent d’être publiés dans l’European Heart Journal(1). Les coureurs sont majoritairement des hommes (80 %), « âgés » (âge moyen de 39 ans, 63 %  35 ans) amateurs (vitesse moyenne comprise entre 10 et 11,7 km/h) mais « éclairés » (2 % d’abandons en moyenne seulement). Les caractéristiques médicales et sportives de chacun des accidents ont été scrupuleusement recueillies par l’interrogatoire des victimes ou de leur conjoint et l’analyse approfondie de leur dossier médical. Dix-sept accidents graves (1 accident/ 30 000 coureurs) ont été enregistrés pendant cette période. La présentation clinique la plus fréquente est l’arrêt cardiaque (9/17). Parmi les arrêts cardiaques, seuls 2 se sont compliqués d’un décès (~ 1/ 250 000 coureurs) grâce aux premiers secours effectués immédiatement dans tous les cas. La fréquence de ces événements est comparable sur les marathons et les courses plus courtes, se produisent du début à la fin des courses, mais avec une nette prédominance en fin de parcours et juste après (figure). Hormis 4 hyperthermies malignes d’effort, ces accidents sont tous d’origine cardiaque (13/17 soit 76 %), dont 8 sont de nature ischémique (62 % des accidents cardiaques), les autres causes relevant de pathologies rythmiques (1 dysplasie arythmogène du ventricule droit [DAVD] confirmée, 1 DAVD probable, 1 syndrome de Brugada et 1 asystolie récupérée d’étiologie non déterminée malgré des investigations cardiologiques approfondies) et d’un choc hémodynamique révélateur d’une hyperthermie maligne. L’incidence des accidents cardiaques est faible mais pas moins importante que dans les pays où la « visite de non-contre-indication à la pratique sportive » (VNCI) n’est pas requise(2-6). Figure. RACE Paris : lieu de survenue des accidents cardiaques. L’analyse des 8 accidents ischémiques est riche en informations • Les victimes sont exclusivement des hommes âgés de 45 à 56 ans (âge moyen 42 ans). La prédominance masculine et l’âge « avancé » des victimes d’accidents cardiaques concordent avec les données épidémiologiques(2-6). Hormis leur âge, 7 de ces 8 hommes ne présentaient pas ou peu de facteurs de risque cardiovasculaires. Deux fumaient très modérément (2-3 cigarettes/j). Ces hommes étaient tous raisonnablement entraînés (entre 5 et 7 h d’entraînement par semaine pour les marathons, entre 2 et 4,5 h pour les autres courses) et expérimentés (participation à au moins une course similaire auparavant), sauf 1 qui ne s’entraînait qu’une heure par semaine et dont c’était la première course d’endurance. Plusieurs victimes étaient particulièrement aguerries (5 marathons et plus de 25 semi-marathons pour un, 1 marathon et plus de 50 semi-marathons pour un autre…). Ces deux premières constatations confirment que la pratique sportive – si elle est globalement bonne pour la santé(7,8) – n’immunise pas contre la cardiopathie ischémique et ce, même en l’absence de facteurs de risque cardiovasculaires. • La fréquence de ces accidents est équivalente sur les marathons et les courses plus courtes, et lors de ces courses, ils se produisent sur tout le trajet, mais avec une nette prédilection pour les derniers mètres de la course et la zone d’arrivée (2 infarctus se sont produits après l’arrivée, l’un 1 h après et l’autre 2 h après). Fait remarquable, un accident (arrêt cardiaque par fibrillation ventriculaire [FV]) est survenu avant le début de la course, dans l’aire de départ. La durée de l’effort est donc un élément favorisant, mais non déterminant de la survenue de l’accident. • Pendant la course, tous les accidents ischémiques se sont traduits par un arrêt cardiorespiratoire (ACR), 5 FV et 1 asystolie, seule cette dernière ayant conduit à un décès. Les deux accidents survenus après la course se sont manifestés par des douleurs thoraciques non compliquées d’arrêt. Ces constations suggèrent que l’ischémie aiguë en plein effort est volontiers pourvoyeuse d’ACR, avant même que la douleur ne se manifeste. • Parmi les 8 victimes, une avait présenté 1 mois auparavant un épisode d’angor d’effort typique qui avait été négligé. Les autres étaient asymptomatiques. En réalité, l’interrogatoire a posteriori retrouve chez trois de ces coureurs des symptômes atypiques modérés à type d’essoufflement et surtout une limitation de la performance sportive habituelle. Le tracé électrique chez 6 de ces 8 coureurs qui avaient bénéficié d’un ECG pré-course était normal. Enfin, 4 d’entre eux avaient pratiqué récemment des épreuves d’effort maximales négatives avec de bons niveaux de performance (entre 180 et 270 watts). Les 8 victimes ont bénéficié immédiatement de coronarographies : 3 présentaient des lésions monotronculaires, 4 des lésions bitronculaires et 1 des lésions tritronculaires. Ils ont tous été traités par angioplastie primaire, sauf le patient tritronculaire qui a bénéficié de pontages aortocoronaires. L’artère coupable de l’accident est facilement identifiable chez sept des patients ; il s’agit de lésions obstructives comparables à celles identifiées dans les infarctus tout venant, l’artère coupable étant parfois encore occluse (4 patients) ou déjà partiellement reperfusée. Seul le patient avec des lésions tritronculaires ne présentait pas d’occlusion ni de sub-occlusion aiguë. La confrontation des données coronarographiques à l’absence de tout signe précurseur chez quatre des patients concorde avec le classique mécanisme de rupture de plaque évoqué chez la majorité de ces patients. Cela explique aussi la normalité de l’épreuve d’effort pour au moins deux d’entre eux. La rupture de plaque se produisant volontiers sur des lésions peu sténosantes, une partie de ces accidents est par nature imprédictible, quelle que soit la modalité (fonctionnelle ou anatomique) de dépistage envisagé. Les 4 victimes d’accidents rythmiques n’avaient jamais présenté de symptômes et leurs ECG de repos étaient normaux. En dehors des accidents cardiaques, les hyperthermies malignes sont l’autre cause d’accidents vitaux enregistrés sur ces courses : quatre des hyperthermies sont survenues pendant les 5 seules courses où la température moyenne était supérieure à 20 °C. La victime de la cinquième hyperthermie, révélée par un choc hémodynamique, présentait un syndrome viral et a couru l’épreuve avec un vêtement imperméable non respirant. La responsabilité des hyperthermies dans les accidents est confirmée, en particulier lorsque la température est élevée(9). Enfin, cette première partie de RACE Paris enregistre un succès élevé de « ressuscitations » des ACR : sept sur neuf pour les ACR toutes causes confondues, cinq sur six pour les ACR ischémiques (cas clinique n°1). Cela dément une croyance répandue attribuant des difficultés de réanimation accrues pour les ACR survenant à l’effort. Ici, comme dans d’autres études récentes, c’est bien la présence de témoins actifs entreprenant immédiatement le massage cardiaque qui améliore le pronostic de ces accidents(5,10,11). La métaanalyse pratiquée à l’occasion de RACE indique que l’étiologie ischémique d’un ACR survenant lors d’une course d’endurance est un facteur de bon pronostic et que l’ACR avec un rythme non choquable est un facteur de mauvais pronostic. Les résultats de la seconde cohorte   Cette seconde cohorte de RACE Paris comprend les 500 000 participants aux courses (2012 à avril 2016). L’effectif global de ce registre dépasse maintenant un million de coureurs. Les données sont en cours d’analyse, mais déjà quelques enseignements supplémentaires sont disponibles. Si le taux d’accidents est globalement identique (sans aucun décès, tous les ACR ont été récupérés), la gamme étiologique des accidents ischémiques s’est élargie. À côté des ruptures de plaques athéromateuses invoquées à nouveau chez plusieurs victimes, des causes moins fréquentes sont observées : • Une déshydratation (protéinémie à l’admission de 86 g/l) a été manifestement un facteur favorisant déterminant chez un coureur peu expérimenté victime d’un IDM inférieur survenu 1 h 30 après la fin de la course Paris-Versailles. Alors que le réseau gauche était parfaitement normal, la coronarographie révèle des occlusions thrombotiques de l’interventriculaire postérieure (IVP) proximale, et très distales sur une marginale droite et une branche rétroventriculaire. L’IVP a été recanalisée par thromboaspiration et l’administration d’abciximab sans implantation de stent. La déshydratation est un facteur favorisant bien identifié dans la genèse des accidents cardiaques ischémiques d’effort. • Une ischémie sur une lésion stable : une FV a compliqué une occlusion chronique proximale de l’interventriculaire antérieure méconnue, mais parfaitement authentifiée par l’analyse de la coronarographie. L’ischémie d’effort sur une lésion fixée, sans rupture aiguë de plaque athéromateuse, est un mécanisme connu et déjà décrit, en particulier dans l’étude rétrospective RACER(6). • Une anomalie de connexion coronaire a entraîné un arrêt chez la seule victime féminine du registre RACE Paris, une jeune femme de 29 ans (cas clinique n°2). En reprenant l’interrogatoire a posteriori, un angor au début de l’effort existait depuis plusieurs années. L’anomalie de connexion coronaire est une cause bien connue de mort subite du sportif et fait épisodiquement l’objet de cas cliniques(12). Seules les anomalies avec un trajet compressif et intramural entre l’aorte et l’artère ou l’infundibulum pulmonaire peuvent être incriminées(13,14). • Le trajet coronaire intramyocardique : un jeune homme de 33 ans, au km 17 d’un semi-marathon a été victime d’un arrêt cardiaque récupéré par massage cardiaque sans défibrillation (cas clinique n°3). La coronarographie pratiquée en urgence a montré un trajet intramyocardique de l’IVA particulièrement long avec une compression systolique marquée ; le bilan cardiaque extensif très approfondi s’étant révélé par ailleurs normal, le pont musculaire a été jugé responsable de l’accident. Les ponts musculaires sont très fréquents et en règle générale anodins. Ils sont exceptionnellement incriminés dans l’ischémie myocardique et encore moins dans les ACR ischémiques et seuls de rares cas ont été décrits(15). Le mécanisme invoqué est la survenue d’un trouble du rythme ischémique ventriculaire, les études anatomopathologiques ne montrant pas de nécrose.   En pratique   Les accidents mortels non traumatiques compliquant les courses d’endurance sont peu fréquents et avant tout de cause cardiaque, l’étiologie ischémique étant prédominante. L’accident peut survenir sur une lésion fixe athéromateuse ou non, mais le mécanisme le plus fréquent est l’infarctus par rupture aiguë d’une plaque athéromateuse ce qui le rend souvent imprédictible. Toutefois, approximativement un tiers des coureurs accidentés présentent préalablement des symptômes le plus souvent atypiques. Ces observations incitent : - à diffuser largement aux coureurs les symptômes d’alertes - dyspnée anormale, douleur thoracique, palpitations mais aussi le « bridage » - devant amener à consulter. Cette information relève du corps médical mais aussi des fédérations sportives, des organisateurs de courses… ; - à traquer ces symptômes lors des visites médicales, en plus de l’ECG de repos pratiqué dans le cadre de la VNCI ; - à prévoir à titre préventif par les organisateurs de courses, un nombre suffisant de points de ravitaillement en eau et, s’il fait chaud, des points d’arrosages ; à titre curatif, un service santé capable de prendre en charge un arrêt cardiorespiratoire et d’évacuer en urgence les patients vers les salles de cathétérisme et de réanimation ; - tout sportif et au-delà tout citoyen, à savoir masser et appeler simultanément les services de secours, les accidents survenant aussi lors de l’entraînement.

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