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Cardiologie générale

Publié le 15 jan 2018Lecture 8 min

Prise en charge des pathologies cardiovasculaires du sujet âgé

Michèle DEKER, Paris

Dans toutes les études évaluant le risque cardiovasculaire, le premier facteur est l’âge, en tant que tel et en tant que durée d’exposition au risque. Le vieillissement du système cardiovasculaire conjugue des altérations anatomiques des parois vasculaires et des modifications fonctionnelles. À mesure de l’avancée en âge, les mécanismes impliqués dans les pathologies cardiovasculaires évoluent, ce qui implique d’adapter les traitements.

Accélération du vieillissement vasculaire Les trois composantes du risque artériel sont l’artériosclérose, l’athérosclérose et la dysfonction endothéliale associée au déficit d’angiogenèse. L’artériosclérose est caractérisée par un épaississement de l’intima et de la média artérielle, une augmentation de dépôts de collagène, une perte et une fracture des fibres élastiques, une glycation des protéines et une calcification de la média, tous phénomènes qui rigidifient la paroi comme l’ensemble des tissus de l’organisme. Le vieillissement de la paroi artérielle est marqué par une diminution de la production de monoxyde d’azote (NO) et une augmentation de facteurs vasoconstricteurs, en particulier la production d’angiotensine II, responsable d’une augmentation du stress oxydatif, de l’inflammation, de la fibrose, du remodelage de la matrice et d’une hypertrophie de la média. Ces phénomènes rendent compte d’une augmentation de la pression pulsée (PP) avec l’âge et d’une réduction de la compliance vasculaire, corrélées avec le risque cardiovasculaire. L’athérosclérose est une altération de la paroi artérielle à début très précoce, dès la fin de l’adolescence, caractérisée par des stries lipidiques et la formation de plaques artérielles, pouvant se rompre et être à l’origine de thromboses. L’une des raisons de ce phénomène est l’épaississement de la média, d’autant plus que le sujet est hypertendu. Les particules LDL oxydées circulantes pénètrent dans les parois artérielles ; elles sont récupérées chez le sujet jeune par les vasa vasorum ou récupérées par les macrophages qui vont les dégrader. Chez les sujets âgés, les LDL oxydées sont piégées par la paroi où elles sont captées par les macrophages qui, ne pouvant pas les dégrader, forment les cellules spumeuses. Les protéines glyquées (AGE, produits de glycation avancée) participent à la formation des plaques d’athérome. Ces dernières se développent de manière excentrique pendant une longue durée, conservant ainsi la lumière vasculaire, et c’est l’érosion de la plaque fibreuse protégeant le noyau lipidique qui, en exposant ce dernier, est particulièrement thrombogène. Le vieillissement s’accompagne d’une réduction progressive de la vasodilatation endothélium-dépendante. La concentration en O2 des cellules diminue en raison soit d’une augmentation de sa consommation, soit d’une réduction des apports. Cette hypoxie cellulaire déclenche le « facteur induit par l’hypoxie » (HIF), responsable d’une augmentation des paramètres de vasodilatation : vasodilatation, angiogenèse, métabolisme anaérobie, érythropoïèse, modification de l’activité sympathique, autant de phénomènes aboutissant en quelques secondes à une vasodilatation. Si la vasodilatation obtenue est insuffisante, le métabolisme des cellules passe d’un métabolisme aérobie à anaérobie. La persistance de l’hypoxie induit un pic d’angiogenèse, c’est-à-dire la naissance de nouveaux capillaires à partir de capillaires préexistants (en 2-3 jours). Le dernier recours de l’organisme est de relancer l’érythropoïèse en augmentant la production d’EPO (en 2-3 semaines). Les deux principaux facteurs agissant à la phase précoce et retardée de l’hypoxie sont le NO et le VEGF, qui sont eux-mêmes intimement liés, le processus d’angiogenèse étant permanent, même en l’absence d’hypoxie, pour maintenir une densité capillaire nécessaire à l’apport d’oxygène dans tous les tissus. La prise en charge de l’HTA doit s’adapter à l’âge La pression artérielle évolue au cours du temps en fonction du capital génétique et du vieillissement vasculaire, lui-même fonction des facteurs de risque vasculaire (tabac qui calcifie les artères, sucre qui les « caramélise », cholestérol qui favorise l’athérosclérose). Les mécanismes qui favorisent l’élévation de la pression artérielle ont vocation à changer au cours du temps. Les trois principales voies de régulation de la pression artérielle, qui sont le système rénine-angiotensine (SRA), la sensibilité au sel et le système sympathique, évoluent au cours du temps. Les deux premiers participent aux prémices de l’élévation de la PA puis s’éteignent avec le temps, alors que la sensibilité au sel s’installe progressivement. Les objectifs du traitement évoluent aussi avec le temps. En prévention primaire, le traitement antihypertenseur est basé sur les bloqueurs du SRA, les inhibiteurs calciques (Ica) et les diurétiques thiazidiques ; chez l’hypertendu en prévention secondaire (après un infarctus ou un accident vasculaire cérébral), les bêtabloquants (BB) redeviennent souhaitables et le traitement fera appel de préférence une trithérapie BB, IEC + ICa si la fonction ventriculaire est conservée, ou + diurétique en cas d’insuffisance cardiaque. Il est nécessaire de revoir la pertinence des médicaments antihypertenseurs prescrits à mesure que les patients avancent en âge, en prenant en compte l’atteinte des organes cibles pour prévenir les complications tardives et l’hétérogénéité des patients dans chaque groupe d’âge. Le blocage du SRA a incontestablement bénéficié à une large classe d’âge de 50 à 70 ans. Mais qu’en est-il chez les plus âgés ? Après 65 ans, l’activité du SRA diminue progressivement, comme celle du système sympathique. Son blocage électif devient donc moins efficace, la réponse tensionnelle est inadéquate et le bénéfice sur les organes cibles n’est pas obtenu. Chez le sujet âgé, un ICa a plus de chances d’être efficace. Au moins deux études sont en faveur de l’inadéquation des bloqueurs du SRA dans certaines populations. Dans l’essai ALLHAT qui comparait plusieurs monothérapies au sein d’une population nord-américaine (> 33 000 patients de ≥ 55 ans) incluant 30 % d’Afro-Américains caractérisés par une forte consommation de sel, le meilleur contrôle tensionnel a été observé dans le bras diurétique et le plus mauvais dans le bras IEC. Chez les sujets âgés et chez les Afro-Américains, le diurétique a permis une réduction des événements cardiovasculaires comparativement aux IEC, en particulier des AVC (-40 % chez les sujets à peau noire). Dans l’étude VALUE qui comparait deux associations ARAII + diurétique vs ICa + diurétique, il a été observé 20 % d’IDM en plus dans le bras comportant le bloqueur du SRA. En outre, le blocage du SRA peut être délétère dans certaines situations critiques. Ce système permet de lutter contre la déshydratation, de réagir aux situations de stress naturelles ou iatrogènes. Par exemple, en cas d’insuffisance rénale aiguë consécutive à une chirurgie cardiaque, le blocage du SRA majore la défaillance rénale. Il en est de même dans le choc septique. Il faut donc savoir interrompre un bloqueur du SRA dans certaines situations cliniques. Dans l’arsenal des combinaisons thérapeutiques proposées par les recommandations internationales, l’association diurétique + ICa a démontré son efficacité. Elle est aujourd’hui disponible en association fixe. En pratique, en dehors du cadre de la prévention secondaire qui imposerait le blocage du SRA, il n’existe aucune obligation à traiter un sujet âgé comme on le ferait d’un sujet jeune. Une association diurétique + ICa est parfaitement légitime, d’autant plus qu’elle est particulièrement bien adaptée à certains profils de patients dont le SRA est inactivé : sujets à peau noire, sujets âgés, HTA à rénine basse, abus de sel. Cette association peut être couplée à un bloqueur du SRA administré le soir, si ce blocage est indiqué. Traitement de la maladie coronaire stable du sujet âgé Après 75 ans, les maladies cardiovasculaires restent la première cause de mortalité en France, alors que pour l’ensemble de la population il s’agit des cancers. Près d’un patient âgé sur 3 est concerné par la maladie coronaire, qui présente à cet âge quelques particularités cliniques : prééminence des symptômes digestifs, œdème aigu du poumon d’emblée, fréquence du sous-décalage de ST comparativement au sus-décalage, lésions diffuses, mauvais pronostic, haut risque thrombotique et hémorragique. La prévention repose sur le traitement BASIC : BB, antiagrégants plaquettaires, statines, IEC et contrôle des facteurs de risque. L’intérêt des BB est démontré de longue date chez les sujets âgés en post-infarctus même après 85 ans, avec une diminution de la mort subite et de la mortalité cardiaque(1-3). Le bénéfice est observé essentiellement en cas d’insuffisance cardiaque, mais également retrouvé en son absence. En prévention secondaire, le blocage du SRA prend tout son sens. La première étude à avoir démontré ses bénéfices sur les événements cardiovasculaires majeurs est l’étude HOPE(4), suivie de l’étude EUROPA(5), bénéfice retrouvé quel que soit l’âge. Une métaanalyse récente évalue à 17 % le gain en mortalité cardiovasculaire conféré par les IEC chez le coronarien sans insuffisance cardiaque(6). L’étude observationnelle Euro Heart Survey ayant inclus 2 780 patients (âge moyen 85 ans) coronariens et insuffisants cardiaques a confirmé une réduction de la mortalité chez les patients recevant un IEC (-40 %) et un BB (-30 %)(7). L’étude EUROPA a montré la supériorité de l’association BB + IEC vs BB + placebo, sur le critère combiné (MACE 3 + arrêt cardiaque) et sur les IDM fatals ou non, avec une réduction du risque de 24 % et 28 % respectivement(8). Il existe aujourd’hui une association fixe BB + IEC, bisoprolol/périndopril (Cosimprel®), qui conjugue plusieurs effets — réduction de la consommation d’oxygène myocardique, baisse de la PA et réduction de l’hypertrophie VG — tout en facilitant l’adhérence au traitement. Toutes les études des statines sont concordantes pour montrer une réduction de la mortalité en prévention secondaire chez les patients âgés de > 65 ans. En revanche, chez les patients âgés (> 80 ans) en prévention primaire, les statines ne sont pas recommandées. Les recommandations pour le traitement antiplaquettaire en prévention secondaire s’appliquent au sujet âgé et très âgé, en limitant la durée de la bithérapie à 6 ou 3 mois chez les patients à haut risque hémorragique. La mortalité cardiovasculaire post-infarctus a considérablement diminué, y compris chez les patients très âgés, parallèlement à l’augmentation des revascularisations coronaires et des traitements de prévention secondaire. Toutefois, les prescriptions de traitement BASIC diminuent avec l’âge, de même que l’observance des traitements, en raison des nombreuses comorbidités et en particulier des troubles cognitifs. À cet égard, l’un des moyens d’améliorer l’observance est la prescription d’associations fixes. D’après le symposium « Prise en charge des pathologies cardiovasculaires du sujet âgé, un patient différent des autres », avec la participation de O. Hanon, M. Paccalin, B. Lévy et J.-J. Mourad

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