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Cardiologie générale

Publié le 01 fév 2018Lecture 11 min

Les statines ne sont plus les seuls hypolipémiants efficaces à réduire le risque d’événements CV majeurs

François DIEVART, clinique Villette, Dunkerque

Dans les recommandations nord-américaines de 2013 puis anglaises de 2014 pour la prise en charge des dyslipidémies, seules les statines devaient être utilisées. Elles étaient alors la seule classe thérapeutique dont le rapport bénéfice-risque était jugé favorable. Depuis, deux autres traitements ont démontré qu’ils apportent un bénéfice clinique sans risque particulier : l’ézétimibe en 2015 par l’étude IMPROVE IT et l’évolocumab en 2017 par l’étude FOURIER. On pourrait y ajouter l’anacetrapib en 2017 dans l’étude HPS-3 REVEAL mais le développement de ce traitement a été arrêté et ne donnera pas lieu à un enregistrement. Au passage, les bénéfices de ces nouveaux traitements ont renforcé l’hypothèse lipidique. L’effet modeste de l’ézétimibe et le prix élevé de l’évolocumab posent la question de leur place dans la stratégie thérapeutique.

Avant 2015 : supports de l’hypothèse lipidique Si avant 2015 l’hypothèse lipidique a été controversée, on peut envisager que cela tient à deux raisons principales et complémentaires. Rappelons que l’hypothèse lipidique propose que les paramètres lipidiques — en l’occurrence et principalement le LDL-C — sont des facteurs de risque majeurs de la maladie athérothrombotique et de ses complications et que leurs modifications par la diététique ou un traitement pharmacologique réduira le risque d’événements CV majeurs. Or, avant les études faites avec les statines, cette hypothèse ne pouvait être confirmée, notamment du fait des résultats neutres, voire parfois défavorables des études ayant évalué cette hypothèse. Rappelons que dans l’étude WHO avec le clofibrate, ayant enrôlé 10 000 patients, la mortalité totale était significativement augmentée (les résultats de cette étude concernant la mortalité totale ont été disponibles en deux épisodes : 1978 et 1992). C’est à partir des études faites avec les statines que la situation a complétement changé. Pour certains, les résultats positifs des études avec les statines ont confirmé l’hypothèse lipidique. Pour d’autres, elles n’ont fait qu’indiquer que les statines étaient une classe pharmacologique particulière dont les effets cliniques pourraient résulter d’un effet non lipidique, qualifié d’effet pléiotrope. Enfin, les contempteurs des statines ont écrit une histoire particulière dont quelques éléments sont les suivants : les travaux faits en dehors des statines ont démontré que l’hypothèse lipidique n’est pas valide et si les essais cliniques avec les statines ont eu des résultats positifs, c’est que ces essais étaient biaisés, que leurs concepteurs et investigateurs étaient à la solde de l’industrie pharmaceutique qui allait, avec les statines, réaliser un des plus grands bénéfices économiques qui soient. C’est donc d’une théorie du complot qu’ils se revendiquaient les dénonciateurs et ils ont donc tenté de démontrer que les études « négatives » étaient les bonnes études puisque conformes à leur théorie et que les études positives étaient des tromperies en insistant, notamment en prévention CV primaire sur le fait que pratiquement aucune étude n’avait démontré de réduction de mortalité totale, etc. (voir article précédent). De fait, une analyse particulière des études faites avec les divers hypolipémiants permettait de conforter l’hypothèse lipidique : ce sont les études dites de régression dont les premières datent de la fin des années 1980 et du début des années 1990, et dont deux importantes sont celles menées par Lance Gould en 1995 et 1998. La dernière en date est celle menée par M.G. Silverman et coll. et parue en septembre 2016 dans le JAMA (figure 1). Figure 1. Métarégression : association entre la diminution absolue du LDL-C (en mmol/L) et la réduction relative du risque CV avec les diverses classes d’hypolipémiants. La relation est linéaire tel qu’à toute mmol/L de réduction de LDL-C correspond une réduction relative du risque d’événements CV majeurs de 23 %, quelle que soit la classe thérapeutique, à l’exception des inhibiteurs de la CETP (JAMA, 2016). Que disent ces études ? Globalement, elles arrivent toute à la même conclusion : il y a une corrélation linéaire entre la baisse du LDL-C exprimée en valeur absolue et en mmol/L sous traitement et la réduction relative du risque d’événements CV majeurs. Ce résultat peut être exprimé comme suit : à toute mmol/L de réduction du LDL-C correspond une réduction relative du risque d’événements CV majeurs de 23 %, quelle que soit la classe thérapeutique, à l’exception des inhibiteurs de la CETP. Et ces résultats sont en concordance parfaite avec ce qui a été obtenu dans des travaux de même nature effectués par la collaboration CTT (Cholesterol Treatment Trialists). Cette analyse permet parfaitement d’expliquer les résultats potentiellement différents des études conduites avec des hypolipémiants : – la baisse absolue du LDL-C permet de prévoir la diminution relative du risque d’événements majeurs ; – les résultats négatifs de certaines études s’expliquent par une trop faible diminution absolue du LDL-C ne permettant pas, avec la puissance de l’étude, d’obtenir un résultat significatif sur les événements CV majeurs ; – les résultats parfois défavorables s’expliquent par des effets indésirables spécifiques à certaines molécules, comme avec le torcetrapib, ou certaines classes thérapeutiques (comme les fibrates, hors gemfibrozil, qui, notamment, augmentent le risque de phlébite, d’embolie pulmonaire et de pancréatite). Dès lors, les conditions du bénéfice clinique sont les suivantes : obtenir une baisse substantielle et absolue du LDL-C avec une molécule n’ayant pas d’effet indésirable pouvant obérer son bénéfice clinique, condition d’autant plus importante que la diminution absolue du LDL-C serait faible. Il reste à ajouter un élément (déjà mis en évidence en 2003 par une métaanalyse de M. Law et coll. parue dans le BMJ et confirmée par une métarégression de la collaboration CTT). La pente de la droite de régression reliant diminution absolue du LDL-C et diminution relative des événements CV majeurs varie en fonction du temps d’exposition à la baisse du LDL-C. Cette pente est d’autant plus forte que l’exposition est prolongée, c’est-à-dire que le bénéfice relatif augmente au fil du temps. Ainsi, pour 1 mmol/L de réduction du LDL-C, la réduction relative des événements CV majeurs est de 12 % après un an de traitement, de 17 % après 2 ans de traitement de 20 % après 3 ans de traitement et de 22 % après 4 ans de traitement. Et donc le modèle d’analyse doit prendre en compte cette variable. Confirmations spécifiques de l’hypothèse lipidique En suivant ce schéma, il avait été possible de prédire dès 2005 quels seraient les résultats des deux grands essais alors parus, les études TNT et FIELD qui ont été parfaitement conformes au modèle. Surtout, ce mode d’analyse explique aussi parfaitement les résultats de deux essais plus récents, l’étude IMPROVE IT dont les résultats ont été disponibles en 2015 et ceux de l’étude FOURIER dont les résultats ont été disponibles en 2017. L’étude IMPROVE IT Dans l’étude IMPROVE IT, la molécule évaluée, l’ézétimibe, est la seule représentante de sa classe pharmacologique, les inhibiteurs de la réabsorption digestive du cholestérol. L’effet lipidique de cette molécule est modeste, caractérisé par une diminution relative de 15 à 20 % du LDL-C. Cet effet lipidique modeste ne laissait pas envisager de bénéfice clinique du traitement ou alors un effet clinique lui aussi modeste dans son étude pivot. Et ce d’autant que dans cette étude dénommée IMPROVE IT, la molécule a été évaluée chez des patients traités par statine et dont le LDL-C de base était à 0,94 g/L soit 2,4 mmol/L. Une réduction de 20 % de ce taux conduit à une réduction absolue du LDL-C de 0,48 mmol/L de LDL-C et donc à une réduction possible du risque d’événements CV majeurs de l’ordre de 10 %. Or, la réduction absolue du LDL-C a été de 0,43 mmol/L, rendant difficile selon le protocole initial d’envisager de mettre en évidence un résultat significatif par manque de puissance, les investigateurs ayant initialement prévu d’enrôler 12 000 patients. Comment faire dès lors pour y arriver ? Augmenter la puissance et comment ? En augmentant le nombre de patients jusqu’à 18 000 et prévoir d’arrêter l’étude quand le nombre d’événements enregistrés permettrait d’observer un résultat significatif avec une puissance suffisante, ce qui fut fait, le protocole prévoyant que l’étude s’arrêterait lorsque 5 250 événements du critère primaire serait survenus. Et c’est comme ça qu’au terme de 7 ans de suivi moyen (figure 2) ayant permis de colliger 5 314 premiers événements du critère primaire, il a été possible de démontrer que le traitement réduit significativement le risque d’événements CV majeurs avec une réduction relative du risque de 6 % (HR : 0,936 ; IC95% : 0,89-0,99 ; p = 0,016). On se doute que, compte tenu des paramètres pris en compte, il aurait été impossible de démontrer une réduction de la mortalité totale ce qui fut le cas. En parallèle, aucun événement indésirable grave n’a été enregistré sous traitement. Figure 2. Résultats principaux de l’étude IMPROVE IT. Critère primaire ITT. La conclusion était simple, pour la première fois, en dehors des statines, il était démontré qu’un traitement diminuant le LDL-C diminue le risque d’événements CV majeurs. Si le bénéfice enregistré a été modeste, cela est dû à deux facteurs : un effet de diminution relative du LDL-C de faible ampleur et un LDL-C de base bas, de ce fait la réduction absolue du LDL-C a été faible mais le résultat obtenu est conforme à ce qui pouvait être prévu, confortant de nouveau l’hypothèse lipidique (figure 3). Figure 3. Le résultat de l’étude IMPROVE IT est conforme à l’hypothèse lipidique. Le bénéfice clinique relatif est proportionnel à la diminution absolue du LDL-C procurée par le traitement. Faut-il se baser sur les résultats de la seule étude IMPROVE-IT pour restreindre l’utilisation de l’ézétimibe du fait d’un effet clinique modeste ? En toute rigueur, oui. Mais si l’on prend en compte 1) l’hypothèse lipidique ; 2) les caractéristiques de l’étude IMPROVE IT qui expliquent son résultat et 3) le fait que le traitement est sans risque et bénéfique, on peut aussi envisager qu’il procure un résultat nettement moins modeste dans d’autres circonstances. Par exemple, chez des patients dont le LDL-C de base serait à 2 g/L, c’est-à-dire à 5,17 mmol/L, ce traitement procurerait une diminution absolue du LDL-C de 1,00 mmol/L et devrait donc permettre de réduire de 23 % le risque d’événements CV majeurs, acquérant ainsi une utilité peu contestable. L’étude FOURIER Dans l’étude FOURIER, la molécule évaluée, l’évolocumab est un représentant d’une nouvelle classe thérapeutique, les anti-PCSK9, permettant par cette action d’augmenter le nombre de récepteurs LDL et donc de diminuer le LDL-C et ce de façon intense, de l’ordre de 50 à 60 % en valeur relative. Cet effet lipidique important laisse envisager un bénéfice clinique important, mais qui sera toutefois lui aussi conditionné par la baisse absolue du LDL-C obtenue, qui est elle-même contingente de la valeur du LDL-C de base des patients. Cette molécule a été évaluée contre placebo chez des patients dont le LDL-C de base était à 0,92 g/L soit 2,4 mmol/L et qui a diminué à 0,30 g/L soit 0,78 mmol/L sous traitement avec donc une différence absolue de LDL-C de 1,62 mmol/L laissant envisager une réduction relative du risque d’événements CV majeurs de 35 % en 4 à 5 ans mais seulement de 27 % après 2 ans de traitement. L’étude FOURIER a inclus 27 564 patients ayant totalisé rapidement 2 907 événements du critère primaire (figure 4), et a été arrêtée au terme de 2,2 ans de suivi moyen et a mis en évidence une réduction significative de 15 % en valeur relative de ces événements sous traitement (HR : 0,85 ; IC95% : 0,79-0,92 ; p < 0,001) et de 20 % en valeur relative des événements du critère secondaire principal comprenant les décès CV, les IDM et les AVC (HR : 0,80 ; IC95% : 0,73-0,88 ; p < 0,001), deuxième résultat dans la fourchette basse de ce qui devait être attendu du traitement conformément à la diminution absolue du LDL-C obtenue et avec une durée d’étude courte, mais résultat concordant avec le modèle d’analyse reliant variation du LDL-C et réduction du risque d’événements CV majeurs (figure 5). Figure 4. Résultats de l’étude FOURIER sur le critère primaire (mortalité CV, IDM, AVC et hospitalisations pour angor instable ou revascularisations). Figure 5. Le résultat de l’étude FOURIER est conforme à l’hypothèse lipidique, compte tenu de la baisse absolue de LDL-C obtenue et de la durée de l’étude. Les droites de régression représentent la relation linéaire entre réduction relative du risque d’événements CV majeurs et diminution absolue du LDL-C et en fonction du temps de traitement. Là encore, il est démontré qu’un traitement abaissant le LDL-C est efficace à réduire les événements CV majeurs et qu’il ne comporte pas de risque spécifique pouvant obérer ce bénéfice clinique. De ce fait, ce traitement pourrait être particulièrement utile dans diverses circonstances cliniques, notamment celles où le LDL-C est très élevé. Cette conclusion est à prendre avec quelques réserves toutefois. La première est que la durée de l’étude FOURIER a été relativement courte et que les effets à long terme du traitement ne sont donc pas connus. Toutefois, les suivis prolongés d’un sous-groupe de 6 000 patients est prévu, et les études de faible ampleur disponibles avec cette molécule et de suivi prolongé n’ont pas montré de signal d’effets indésirables notoires. La deuxième est que le résultat obtenu est dans la partie basse de la fourchette de ce qui pouvait en être attendu : est-ce un effet hasard ? Est-ce un effet spécifique à la population enrôlée ? Est-ce un effet dû aux valeurs très basses de LDL-C obtenus sous traitement (pour mémoire : 0,30 g/L) ? Est-ce un effet spécifique à la molécule ou à la classe thérapeutique ? La troisième est le prix du traitement qui est élevé car il s’agit d’un anticorps monoclonal. Une publication récente dans le JAMA, considérant les seuls États-Unis, rendait compte que l’utilisation large d’un tel traitement poserait un réel problème : au coût actuel de 14 000 dollars par an, si 20 millions d’Américains étaient traités, le coût annuel du traitement reviendrait à 280 milliards de dollars par an, ce qui serait supérieur à l’ensemble du coût des prescriptions pharmaceutiques annuelles aux États-Unis. Si des arbitrages devront donc être faits concernant les indications, les populations cibles et le coût acceptable du traitement dans ces circonstances, cela ne retire rien au fait qu’il existe un nouveau traitement du risque cardiovasculaire cliniquement efficace et bien toléré. Implications, perspectives et limites Deux études parues depuis 2015 ont apporté deux enseignements importants pour la pratique : – le renforcement du bien-fondé de l’hypothèse lipidique lorsque celle-ci repose sur le LDL-C ; – il existe d’autres molécules hypolipémiantes que les statines qui peuvent apporter un bénéfice clinique sans risque particulier. De ce fait, une conclusion simple peut en être déduite : l’effet clinique bénéfique des statines semble a posteriori bien en rapport avec leur effet lipidique sur le LDL-C. Il existait toutefois, jusqu’à septembre 2017, une donnée perturbante, dans l’étude ACCELERATE, un inhibiteur de la CETP, l’évacétrapib, permettait de diminuer de 37 % le LDL-C mais ne procurait aucun bénéfice clinique. Cette donnée pouvait à elle seule légitimement faire douter de la validité de l’hypothèse lipidique. Mais cela, c’était avant septembre 2017.

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