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Coronaires

Publié le 01 mar 2018Lecture 11 min

Occlusion coronaire chronique : quand et comment ?

Benjamin FAURIE, Cardiologue interventionnel, Institut Cardiovasculaire, Groupe Hospitalier Mutualiste, Grenoble

Les occlusions coronaires chroniques (CTO) ont une définition coronarographique : occlusion sans passage d’iode (TIMI 0), depuis une durée supérieure à 3mois. Sur le plan anatomo-pathologique, cette occlusion est athéromateuse fibro-calcique, contrairement à l’occlusion thrombotique traitée en urgence lors d’un infarctus. Il s’agit de lésion stable dont l’angioplastie est complexe et nécessite un matériel spécifique, un opérateur dédié et expérimenté.

Quand proposer une revascularisation d’une occlusion coronaire chronique (CTO) à mon patient ? Il s’agit d’une question d’apparence simple mais qui suscite beaucoup de discussions, de méfiance et de débats alors que pour un cardiologue interventionnel, les choses sont souvent assez simples : les occlusions chroniques sont l’archétype de la maladie coronaire stable sévère. Il serait donc logique que l’on traite ces lésions comme les autres lésions non complètement obstructives. C’est-à-dire avec la même rigueur de stratification d’amont. Or, les angioplasties de CTO souffrent d’une sorte de racisme par rapport à leurs cousines les sténoses serrées. Les sténoses serrées découvertes lors d’une coronarographie bénéficient-elles toutes d’une recherche d’ischémie ou de viabilité ? Notamment celles irriguant un territoire infarci ? Une artère récemment occluse (moins de 1 mois) est facile à recanaliser mais, comme nous l’a montré l’étudeOAT(1), sa réouverture sans être guidée par la recherche d’ischémie-viabilité n’est pas spécialement bénéfique pour le patient. La faisabilité ne doit pas guider l’indication Ce qui gangrène le sujet des CTO dans l’esprit de certains cardiologues, y compris interventionnels, est le fait que l’on confonde la faisabilité et la nécessité de traiter telle ou telle lésion. « Je ne sais pas faire, donc je dis (aux patients et à leur cardiologue) qu’il ne faut pas le faire et même que c’est dangereux de le faire. » Comme le disait Jean de La Fontaine dans sa fable Le Renard et les Raisins : il est facile de discréditer ce qui nous semble inaccessible après avoir tenté d’y arriver. C’est ainsi que certains cardiologues interventionnels se sont mis à détester ce qu’ils avaient toujours fait (recanaliser des coronaires) du fait d’une mise en échec plus fréquente. C’est dans cette ambiance de défiance que nous avons mis en place le programme CTO dans notre institution en 2009. Ce climat quelque peu adverse a, à mon avis, fait progresser le monde de la CTO et même celui de l’angioplastie « classique » avec l’idée centrale et irréfutable que l’ischémie et la viabilité sont le cœur de l’indication de revascularisation. L’ischémie guide l’indication de revascularisation Au regard des données récentes de la littérature, une CTO est retrouvée dans 15-20 % des coronarographies(2). Ce n’est pas pour cela que toutes sont revascularisées par angioplastie ou par chirurgie. Ce n’est donc pas l’anatomie et la faisabilité technique qui portent l’indication d’une revascularisation myocardique, mais plutôt la charge ischémique ou la quantité de viabilité. En 2013, les recommandations européennes sur la coronaropathie stable ont précisé que les CTO devraient avoir les mêmes indications de revascularisation que les sténoses coronaires : symptômes, ischémie, viabilité conséquente. Depuis une dizaine d’années, les progrès techniques et technologiques permettent de proposer une tentative d’angioplastie de CTO avec une sécurité et une efficacité très élevées. Comme toute revascularisation et tout traitement au sens large, l’objectif est d’améliorer la qualité de vie et si possible l’espérance de vie des patients. Pour diminuer les symptômes des patients et les conséquences de l’ischémie Toutes les études publiées avec des questionnaires de qualité de vie adapté (SAQ) ont montré une amélioration de la qualité de vie, de la limitation fonctionnelle et de la fréquence de l’angor. Nous, cardiologues, habitués depuis des décennies aux grands progrès thérapeutiques augmentant considérablement la survie de nos patients, négligeons souvent la qualité de vie de nos patients qui parfois vont consulter leur cardiologue ou leur rhumatologue car ils ont une plainte fonctionnelle : de l’angor, une arthrose de hanche invalidante. Et, il est étonnant de voir que le cardiologue a beaucoup plus de scrupules à envoyer son patient se faire revasculariser d’une CTO anginogène que le rhumatologue d’envoyer son patient bénéficier d’une PTH. Nous sommes d’accord sur le fait que tous ces gestes visent à améliorer le bienêtre et la santé de nos patients. De plus, attention aux « faux asymptomatiques » qui, du fait d’une installation très progressive de la CTO s’installent dans l’angor chronique larvé puis évitent soigneusement l’angor en s’adaptant à leur seuil ischémique. Ces patients se sentent souvent formidablement améliorés par la revascularisation et certains disent même qu’ils n’ont plus mal dans la poitrine alors qu’ils étaient soi-disant non angineux. Les études randomisées L’exigence envers les CTO est forte et on réclame à ce type de traitement des choses que l’on ne demande pas ou plus à l’angioplastie des lésions stables. En effet, on rappellera que l’angioplastie des lésions stables n’améliore pas la survie(3) et que peu d’études randomisées récentes ont été publiées comparant l’angioplastie au traitement médical. • L’étude COURAGE a montré que si l’on ne sélectionne pas bien nos patients (moins de 8 % ischémie), nous n’obtiendrons pas de bénéfice en termes de mortalité. Pour l’angioplastie de CTO, c’est un peu la même chose et le bénéfice en termes de mortalité ne pourra s’établir que chez les patients bien sélectionnés avec forte charge ischémique, des techniques et opérateurs éprouvés et surtout avec un nombre de patients étudié très élevé. Plusieurs études et métaanalyses ont tout de même montré une amélioration de la survie des patients post-recanalisation réussie versus non réussie(4). Ce gain en termes de mortalité, alors que l’angioplastie des lésions stables non obstructive ne le montre pas ou peu, s’explique par le phénomène « d’interdépendance artérielle ». En effet, lorsqu’un lit coronaire en aval d’une CTO est irrigué par des collatérales venant d’un autre tronc épicardique, tout accident survenant sur cette artère dite « donneuse » a des conséquences beaucoup plus importantes. C’est aussi ce que l’on appelle « la double peine ». Un infarctus inférieur sur une thrombose de la coronaire droite survenant chez un patient qui a une CTO de l’IVA reprise par la droite fait un infarctus inférieur et antérieur à la fois. On imagine aisément que la mortalité est augmentée par rapport à un patient présentant le même accident sans CTO controlatérale. Dans les études, elle est même 3 à 4 fois supérieure à la mortalité des autres patients qui font un infarctus(5). À l’inverse, les patients recanalisés avec succès chez qui on aura cassé cette interdépendance artérielle auront une tolérance accrue aux événements aigus futurs du fait des collatérales préexistantes à l’intervention. Or, pour le démontrer par essai clinique, en recrutant une population de coronariens stables avec une CTO, un échantillon énorme devrait être considéré, ce qui rend impossible une telle étude, en raison du bas taux d’événements majeurs chez ces patients. Toutefois, cela ne veut pas dire que les bénéfices ne sont pas réels. • L’étude EXPLORE(6) visait à vérifier si la désobstruction de CTO chez les patients porteurs d’une CTO ayant subi un IDM ST+ et ayant été traités par angioplastie primaire pourrait améliorer la fonction ventriculaire à 4 mois. Cette étude s’est révélée négative(6). Toutefois, l’hypothèse de cette étude était plus que discutable : nul ne peut prétendre qu’ouvrir une CTO post-IDM ST+ ait un impact significatif sur le remodelage, certainement beaucoup plus dépendant de la reperfusion du territoire infarci que celui de la CTO. De plus, cette étude randomisait les patients qui avaient bien entendu survécu à leur IDM ST+ ; ainsi, ceux qui sont décédés au cours de la présentation initiale ne peuvent plus bénéficier d’une CTO ouverte, qui leur aurait peut-être permis de passer au travers de l’événement. C’est la raison pour laquelle il est important de considérer les bénéfices sur la survie de la désobstruction en amont d’un événement coronarien majeur d’http. L’étude randomisée sud-coréenne DECISION-CTO, présentée à l’ACC 2017, a rapporté l’absence de bénéfices de la désobstruction en termes de critère primaire (mortalité, AVC, infarctus et revascularisation) à 3 ans. Toutefois, en raison de biais méthodologiques multiples, les conclusions de l’étude sont hautement contestables. D’abord, cette étude de 834 patients n’a pas pu atteindre la totalité de son échantillon prévu (1 284 patients) en plus de 6 ans, en raison d’un recrutement trop lent. En moyenne, pas plus de 6 patients par année et par centre ont été recrutés. Alors que l’on visait une revascularisation complète de toutes les lésions non CTO, la mise en évidence d’une différence de seulement 0,4 stent/patient de plus dans le bras désobstruction est étrange. Aussi, seuls 15 % des patients avaient déjà subi une angioplastie dans le passé, et moins de 1 % des pontages, rendant la généralisation de ces chiffres à la population hors Asie contestable. Aussi, un taux élevé de 18 % de cross-over est rapporté dans le groupe traitement médical optimal et l’analyse per-protocole montre que l’angioplastie de CTO fait mieux que le traitement médical (critère de non-infériorité non atteint). L’étude montre en revanche moins de décès cardiovasculaires (1,9 % vs 3,6 %) et moins d’AVC dans le groupe angioplastie. L’étude a également rapporté de façon singulière l’absence d’impact de la désobstruction sur la qualité de vie chez, certes, des patients très peu gênés par leur CTO. Nous pourrons davantage comprendre cette étude après sa publication qui se fait toujours attendre. • L’étude EURO-CTO (étude aussi arrêtée prématurément), présentée au congrès Euro-PCR de mai 2017 et non encore publiée, a démontré une amélioration de la qualité de vie avec diminution de la fréquence de l’angine et des limites fonctionnelles. Toutefois, ces 2 derniers essais cliniques arrêtés prématurément témoignent de la difficulté de recruter des malades très symptomatiques dans un essai clinique. Une stratégie qui a échoué chez beaucoup de malades. En pratique, c’est la question du bénéfice d’une revascularisation complète qu’il faut poser. La grande majorité des travaux confirme le bénéfice fonctionnel et pronostique d’une revascularisation myocardique complète (par pontage ou angioplastie) versus incomplète avec une diminution de la mortalité et des événements majeurs cardiovasculaires(7). Comment revasculariser une occlusion coronaire chronique (CTO) ? Comme nous le disions en préambule, ces lésions de CTO mettent plus souvent en échec le cardiologue interventionnel. Il doit donc s’armer contre les difficultés qu’il va rencontrer, se former, s’organiser avec ses collègues et au sein de son centre et/ou de sa région pour devenir expert de cette « sous-spécialité » et ainsi pouvoir proposer aux patients un taux de succès très élevé avec un taux de complication faible. Ce mode d’organisation se voit pour l’activité de TAVI ou de MitraClip ou de fermeture d’auricule qui sont pratiquées par des personnes dédiées à telle ou telle procédure. Ce fonctionnement a prouvé son efficacité mais il faut reconnaître qu’en termes d’angioplastie coronaire, il n’est pas dans la culture des opérateurs de passer la main. Ceci peut donc grever quelque peu l’organisation en réseau des angioplasties de CTO et donc le volume de patients traités. Or, on connaît parfaitement dans ce domaine la corrélation étroite entre le volume d’activité et les résultats cliniques. Ce point est particulièrement important du fait de la relative difficulté technique des CTO, du nombre de matériels et de techniques à connaître. L’Euro-CTO club par exemple recommande de pratiquer au moins 50 CTO/an/opérateur et d’en avoir fait plus de 300 avant de pratiquer des techniques rétrogrades. Imaginez le volume d’activité nécessaire si l’activité de CTO représente 5 à 8 % de l’activité globale d’angioplastie. Ce chiffre de 5 à 8 % paraît inférieur à l’incidence des CTO lors des coronarographies, et c’est normal. En effet, parmi celles-ci, environ 60-70 % ont une part de viabilité d’étendue significative et nécessitent donc une revascularisation. Ensuite, une portion non négligeable peut être proposée à la chirurgie de pontage en raison d’un score SYNTAX élevé. En résumé, les angioplasties de CTO devraient être réalisées dans un centre à haut volume, voire à très haut volume par un opérateur dédié, entraîné aux différentes techniques et technologies. Ainsi, le centre peut espérer rapidement obtenir d’excellents résultats avec environ 90 % de patients correctement revascularisés avec un taux de complication bas. Il faut reconnaître que dans ce domaine, les Anglo-Saxons nous ont fait progresser. Probablement, du fait d’une problématique médico-légale plus lourde et d’un BMI plus élevé, ils ont su développer des algorithmes décisionnels permettant d’utiliser au mieux les techniques de CTO en fonction des données cliniques et anatomiques des lésions. C’est ce que l’on a appelé l’algorithme « hybride ». Le registre européen RECHARGE publié dans le JACC en 2016(8) est le plus gros registre de CTO publié à ce jour et a recruté 1 253 lésions de CTO dans 17 centres européens. Il est très intéressant de montrer qu’en utilisant cet algorithme et après avoir reçu une formation spécifique, ces centres avaient un taux de succès de 89 % avec un taux de complication intrahospitalier faible de 2,6 %. De plus, les durées de procédures étaient relativement courtes à 90 minutes avec un temps de scopie de seulement 35 minutes. Enfin la quantité de produit de contraste était de 250 mL. Qu’en est-il des résultats à plus long terme ? Dans ce même registre publié l’année dernière(9), le suivi de cette cohorte à 1 an montre d’excellents résultats avec 91,7 % des patients libres de tout événement cardiovasculaire majeur. Le taux de décès était de 1,9 %, le taux d’infarctus de 1,4 % et un taux de revascularisation du vaisseau cible (TVR) à 5,9 %. Ce taux est faible quand on pense qu’il s’agit du taux habituel de TVR d’une angioplastie de bifurcation par exemple. Autre point à souligner, le devenir à long terme n’est pas différent selon la technique de CTO utilisée qu’elle soit de « vraie à vraie lumière » ou par dissection réentrée (sous-intimale). Figure 1. Occlusion chronique de l’IVA moyenne chez un patient angineux de 48 ans. Figure 2. Résultat après canalisation rétrograde ipsilatérale et stenting de l’IVA. En pratique L’anatomie coronaire ne doit pas dicter la nécessité de revascularisation. Une lésion d’occlusion chronique devrait être revascularisée sur des critères fonctionnels comme des symptômes invalidants, une charge ischémique étendue, ou des antécédents coronariens. Bien sûr la prise en charge de l’environnement, de la sensibilité et des comorbidités du patient est cruciale. Le mode de revascularisation quant à lui sera guidé par l’anatomie et notamment les scores SYNTAX I et II qui aideront à une décision de revascularisation plutôt chirurgicale ou interventionnelle avec toujours comme leitmotiv l’objectif d'une revascularisation complète. En cas de prise en charge percutanée, un opérateur expérimenté et entraîné aux techniques modernes pourra proposer au patient une revascularisation de sa CTO avec un taux de succès de 90 % et avec une sécurité comparable aux lésions non occlusives.

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