Valvulopathies
Publié le 01 avr 2018Lecture 5 min
Reste-t-il une place à la valvuloplastie aortique ?
Christophe TRON, Nicolas BETTINGER, Najime BOUHZAM, Eric DURAND, Hélène ELTCHANINOFF, Service de cardiologie, Hôpital Charles Nicolle, CHU de Rouen
La prévalence du rétrécissement aortique calcifié (RAC) de l’adulte ne fait que croître du fait du vieillissement de la population. A. Cribier a révolutionné la prise en charge de cette valvulopathie en développant à Rouen le concept de traitement percutané du RAC par la réalisation en 1985 de la première valvuloplastie aortique au ballonnet, de nombreux patients ne pouvant être opérés du fait d’un âge très avancé ou de comorbidités(1). Après un engouement initial, la technique avait été progressivement abandonnée par la plupart des équipes du fait d’un taux de resténose très élevé à court terme. Les travaux ultérieurs d’A. Cribier ont alors conduit en 2002 à Rouen à la première implantation de valve aortique par voie transfémorale (TAVI)(2). Plusieurs études randomisées ont validé la place de la valvuloplastie aortique qui est devenue la technique de référence pour les patients ayant une contre-indication ou à haut risque chirurgical(3,4) et est même récemment apparue comme au moins équivalente, voire supérieure à la chirurgie chez des patients à risque intermédiaire(5,6). Ce développement du TAVI s’est accompagné d’un regain d’intérêt pour la valvuloplastie aortique, un TAVI ne pouvant pas raisonnablement être réalisé en première intention chez certains patients.
Technique
Longtemps considéré comme à haut risque de complications, la valvuloplastie aortique percutanée est devenue un geste relativement simple de cardiologie interventionnelle, bien toléré, ne nécessitant qu’une anesthésie locale et une courte hospitalisation.
La procédure débute par la mise en place dans l’artère fémorale d’un introducteur artériel de calibre 9 à 12 Fr selon le cathéter à ballonnet utilisé. La valve aortique est alors franchie avec un cathéter diagnostique et un guide droit. Le gradient transvalvulaire est mesuré, puis un guide long de 260 cm de type Amplatz Extra-stiff est positionné de façon non traumatique à la pointe du ventricule gauche. Une stimulation ventriculaire rapide à une fréquence d’environ 200/mn est réalisée pendant le gonflage du ballon dans le but de provoquer un arrêt circulatoire bref (4 à 5 secondes), parfaitement contrôlé et permettant une excellente stabilisation du ballon à travers l’orifice aortique. Cette stimulation rapide peut être réalisée soit en montant une sonde d’entraînement électro-systolique par la veine fémorale, soit directement par l’intermédiaire du guide positionné à la pointe du ventricule gauche(7). On réalise ensuite la dilatation aortique par gonflages brefs du ballon sous stimulation ventriculaire rapide. Le diamètre du ballon est choisi en fonction de la taille de l’anneau aortique et de l’importance des calcifications valvulaires, en débutant en général par un diamètre de 20 mm chez les femmes et de 23 mm chez les hommes. Deux à 3 gonflages sont généralement réalisés, puis le cathéter à ballonnet est retiré et remplacé par un cathéter diagnostique type « pigtail » permettant de mesurer le gradient résiduel ventriculo-aortique.
Le but est d’obtenir une réduction du gradient transvalvulaire aortique d’environ 50 % (si possible inférieur à 25 mmHg) et une augmentation de la surface aortique proche de 100 % (exemple: 0,5 à 1 cm2).
En cas de résultat insuffisant, un cathéter à ballonnet de diamètre supérieur est utilisé.
En fin d’intervention, l’hémostase vasculaire artérielle est assurée par un système de fermeture artérielle percutanée Angio-Seal 8-Fr (Terumo) ou Proglide (Abbott). Le patient peut généralement sortir de l’hôpital le lendemain du geste.
Résultats hémodynamiques immédiats
La figure 1 montre les résultats hémodynamiques immédiats obtenus dans notre série avec une réduction du gradient transvalvulaire résiduel à 21 mmHg et une surface finale à 1,12 cm2(8).
Ce résultat, bien qu’inférieur à celui procuré par un TAVI, est cependant le plus souvent suffisant pour entraîner une nette amélioration fonctionnelle et hémodynamique chez les patients.
Figure 1. Évolution du gradient et de la surface aortique après valvuloplastie dans la série rouennaise(8).
Complications
Le tableau présente les complications rapportées dans la série rouennaise(8), tout à fait comparables à celles rapportées dans d’autres séries récentes(9,10). Les risques sont dominés par les complications vasculaires (de 2 à 7 % selon les séries) liées à l’utilisation d’introducteurs artériels de gros calibre, mais en diminution par rapport aux séries historiques du fait de l’utilisation des systèmes de fermeture artérielle(11). Le taux de décès est également proche de 2,5 %, essentiellement les patients ayant une procédure réalisée en situation de choc cardiogénique. Le risque d’accident vasculaire cérébral est inférieur à 2 % et la survenue d’une insuffisance aortique sévère est également rare.
Patients
L’étude PARTNER a clairement montré la supériorité du TAVI par rapport au traitement médical chez les patients présentant un rétrécissement aortique et ayant une contre-indication à un remplacement valvulaire chirurgical(3). Or, dans le groupe des patients traités « médicalement », 84 % des patients ont eu une valvuloplastie aortique.
Cette dilatation ne peut donc être considérée comme une fin en soi, mais doit toujours être utilisée en pont vers une solution thérapeutique plus durable, remplacement valvulaire aortique chirurgical ou, le plus souvent dans cette population, TAVI.
La figure 2 montre la diminution du nombre de valvuloplasties aortiques réalisées au CHU de Rouen depuis le remboursement du TAVI en 2010. Cependant, la valvuloplastie aortique garde une place dans toutes les situations où il n’apparaît pas raisonnable de réaliser directement un TAVI, en raison d’une balance bénéfice-risque suboptimale.
Figure 2. Évolution du nombre de valvuloplasties aortiques (en bleu) et de TAVI (en rouge) au CHU de Rouen. On note la diminution des valvuloplasties depuis l’accroissement de l’accessibilité et le remboursement du TAVI.
C’est le cas notamment des patients en situation hémodynamique instable : patients en choc cardiogénique, mais également en insuffisance cardiaque réfractaire, avec un tableau de bas débit, d’insuffisance rénale aiguë, ou avec au premier plan un syndrome coronarien aigu. Dans ces situations, une valvuloplastie aortique permettra le plus souvent une amélioration de la situation clinique suffisante pour stabiliser le patient et réaliser le bilan non invasif (scanner cardiaque et vasculaire), puis le TAVI dans de meilleures conditions. Un des avantages de la valvuloplastie aortique dans les situations où la fonction rénale est altérée est la possibilité de réaliser la procédure de valvuloplastie sans injection de produit de contraste. Parfois, une valvuloplastie devra être réalisée en urgence de façon à permettre une chirurgie non cardiaque urgente. Le risque de la chirurgie doit alors être pesé par rapport à celui de la valvuloplastie. La décision de valvuloplastie dépendra notamment du caractère symptomatique du rétrécissement aortique(12).
Dans des situations cliniques plus stables, une valvuloplastie pourra être proposée à titre de test diagnostique chez des patients pour lesquels une décision de TAVI paraît difficile.
Ce peut être le cas de patients présentant des symptômes pouvant ne pas être en rapport avec le rétrécissement aortique comme une dyspnée chez des patients insuffisants respiratoires, des patients coronariens, des patients ayant une insuffisance mitrale ou une dysfonction ventriculaire gauche autonome. Une valvuloplastie d’épreuve apparaît également utile pour les patients dont l’état général est fortement altéré ou ceux présentant des troubles cognitifs. Dans tous ces cas, il paraît plus raisonnable de réaliser une valvuloplastie aortique et de juger de l’amélioration clinique obtenue plutôt que de s’engager d’emblée dans la réalisation d’un TAVI dont les risques et le coût sont bien supérieurs.
Place dans les recommandations
Les recommandations européennes sur la prise en charge des valvulopathies viennent d’être mises à jour et retiennent ces indications de valvuloplastie aortique avec une recommandation de grade IIB en pont à une chirurgie ou à un TAVI chez les patients en situation hémodynamique instable ou chez les patients nécessitant une chirurgie non cardiaque majeure et urgente(12). Une valvuloplastie aortique peut également être envisagée (recommandation de grade IIB) à titre diagnostique chez les patients ayant une potentielle autre cause que le RAC à leurs symptômes (telle qu’une maladie respiratoire) ou une dysfonction ventriculaire gauche sévère, une insuffisance rénale ou une autre dysfonction d’organe potentiellement réversible après valvuloplastie, à condition que celle-ci soit réalisée dans un centre ayant accès au TAVI(12).
En pratique
La valvuloplastie aortique garde une place dans les situations où il n’est pas raisonnable de réaliser directement un TAVI en raison d’une balance bénéfice-risque suboptimale : instabilité hémodynamique, chirurgie non cardiaque urgente, symptômes d’origine incertaine.
Elle doit être réalisée en pont vers un TAVI.
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