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Cœur et sport

Publié le 12 juin 2018Lecture 20 min

Le cœur de l’athlète ultra-endurant

François CARRÉ, CHU Pontchaillou-Université Rennes 1

Pendant longtemps terrain de jeu privilégié de quelques vétérans, l’ultra-endurance devient de plus en plus « courue ». Dans le domaine de la course à pied, la plus pratiquée avec les triathlons type « Iron-man », on dénombre annuellement plus de 300 épreuves de 100 km ou plus à travers le monde. Les traversées de l’Europe, des États-Unis et de l’Australie régulièrement proposées arrivent à réunir une centaine de participants qui les parcourent en 60 à 70 jours, soit une moyenne de 70 à 80 km par jour (vitesse moyenne 8 à 9 km/h) !
Cette courte revue de la pratique de l’ultra-endurance, limitée aux retentissements cardiovasculaires, avec leurs potentielles limites, n’abordera ni les retentissements sur l’appareil locomoteur ni les motivations psychologiques des pratiquants

Endurance, ultra-endurance, définition, caractéristiques, pratiquants Dans le Larousse, endurance, du verbe endurer, est défini comme « l’aptitude à résister aux fatigues physiques ou aux épreuves morales » et l’exemple d’illustration choisi est l'endurance du coureur de fond. En physiologie de l’exercice, l’endurance d’un sujet correspond à sa capacité à maintenir le plus longtemps possible le pourcentage le plus élevé possible de sa consommation maximale d’oxygène (VO2 max), qui elle ne peut être maintenue que 4 à 7 minutes, selon le niveau d’entraînement. Dans le monde du sport, on distingue l’endurance et l’ultra-endurance, qui regroupe les efforts (course à pied en terrain plat ou (très) vallonné, vélo, triathlon, ski de fond, voile, multisports, étapes journalières…) qui dépassent 4 ou 6 heures (selon les définitions) d’exercice ininterrompu. Concernant les contraintes pour l’organisme de l’ultra-endurance, c’est la course à pied, accessible à tous, qui a été la plus étudiée. Cependant quelle que soit la discipline pratiquée, les contraintes principales des efforts d’ultra-endurance sont musculo-squelettiques et mentales (motivation). Plus l’épreuve est longue et son parcours accidenté et plus ces contraintes sont importantes. Se décider à participer à des épreuves d’ultra-endurance réclame en plus une grande quantité d’entraînement régulier. Ainsi, un cycliste professionnel prend le départ du Tour de France avec en moyenne 25 000 km dans les jambes, un triathlète de très haut niveau s’entraîne entre 30 et 35 h/semaine et les meilleurs marathoniens parcourent entre 150 et 200 km/semaine. En course à pied, les ultra-endurants « amateurs » sont âgés en moyenne de 45 ans, leur passé sportif est long, leur kilométrage hebdomadaire est supérieur à celui des marathoniens, et ils réalisent leur meilleure performance entre 30 et 54 ans pour les femmes et 30 et 49 ans pour les hommes. Les données publiées sur les particularités cardiovasculaires des athlètes proviennent toutes de comparaisons transversales entre sujets entraînés et non entraînés, ce qui est une limite majeure par rapport aux études longitudinales dont la réalisation sur de grands échantillons reste très difficile. Très peu d’études ont spécifiquement comparé les endurants et les ultra-endurants. Historique du cœur d’athlète En 1899, le Docteur Henschen, interniste suédois, rapporte pour la première fois les particularités du cœur des skieurs de fond. Avec ses dix doigts pour seul outil et par la simple percussion thoracique, il décrit un « sportherz » lent et dilaté à gauche comme à droite, hyper fonctionnel, à la différence du gros cœur défaillant des cardiaques hospitalisés dans son service ! Il en conclut aussi que le skieur avec le plus gros cœur avait le plus de chance de gagner la course. On sait aujourd’hui que ces adaptations liées à l’entraînement intense concernent le myocarde et le système vasculaire. Le terme « cœur d’athlète », regroupe ainsi les modifications de l’ensemble du système cardiovasculaire (SCV), cliniques, électriques, fonctionnelles et morphologiques, induites par un entraînement physique relativement intense (≥ 60 % VO2 max) et prolongé (≥ 6h/semaine et depuis ≥ 6 mois) le plus souvent réalisé dans un but de compétition et donc de performance. Devant l’observation des signes du cœur d’athlète, un praticien peu habitué doit avant tout se convaincre que ce qui est anormal n’est pas forcément pathologique. Le cœur ultra-endurant au repos Le cœur de l’athlète ultra-endurant est le modèle le plus extrême d'adaptation du SCV aux stress de l’exercice physique. Signes cliniques du cœur ultra-endurant L’interrogatoire doit retrouver un sportif asymptomatique avec un niveau de performance adapté à son entraînement. L’examen physique observe un cœur lent, assez souvent un réseau veineux marqué, et une pression artérielle plutôt basse qui diminue au passage en orthostatisme. Signes électriques du cœur ultra-endurant C’est chez les spécialistes de l’endurance que les aspects ECG classiques de l’athlète (figure 1) sont les plus fréquents et les plus marqués. Ils sont dominés par une bradycardie sinusale, dont la profondeur n’est pas synonyme de performance, les rythmes ectopiques (sinus coronaire, jonctionnel, wandering pacemaker…) haut situés sont fréquents, une conduction atrio-ventriculaire ralentie mais curieusement mal corrélée avec la bradycardie, des complexes QRS très amples et souvent un peu élargis. Des aspects de repolarisation précoce marqués sont très banaux, de même qu’une repolarisation « bizarre » qui ne doit pas inquiéter tant que les ondes T restent positives (sauf en avR, D3 et V1). En effet, le sport intense ne négative pas les ondes T. Ces particularités électriques disparaissent à l’effort et se normalisent rapidement (2-4 semaines) avec l’arrêt total de l’entraînement. Par contre une normalisation à l’effort d’ondes T négatives de repos n’a aucune valeur en faveur de leur bénignité. Il n’est pas rapporté, à notre connaissance, de différence majeure entre ECG de l’endurant et de l’ultra-endurant.   Figure 1. Attitude recommandée devant des particularités ECG chez un athlète. Imagerie du cœur ultra-endurant Morphologiquement, le cœur de l’ultra-endurant, comme celui de l’endurant, est caractérisé par une dilatation modérée et harmonieuse des 4 cavités cardiaques, avec conservation des rapports volumiques VD/VG et OD/OG. Cette dilatation est associée au niveau du ventricule gauche à une discrète hypertrophie pariétale symétrique réactionnelle (loi de Laplace). L’épaississement pariétal est un peu plus marqué chez les cyclistes et les triathlètes que chez les coureurs à pied. Des trabéculations marquées sont régulièrement observées. La fonction myocardique systolique, appréciée par la fraction d’éjection (FEVG), est le plus souvent normale. La FEVG peut atteindre sa limite inférieure (45-50 %) chez certains ultra-endurants très entraînés et asymptomatiques. Elle ne doit pas inquiéter si elle est associée à une bradycardie nette et à un niveau de performance en rapport avec l’entraînement réalisé. En cas de doute, son augmentation immédiate et d’au moins 15 % à l’écho d’effort est rassurante. Les fonctions diastoliques doivent être normales ou supranormales. L’observation fréquente d’une fuite valvulaire minime ou modérée ne nécessite pas de surveillance particulière sauf anomalie associée de la morphologie et/ou de la cinétique valvulaire. Des études réalisées sur des larges populations d’athlètes ont permis de proposer des valeurs moyennes et des limites supérieures échographiques acceptables chez les athlètes (figure 2). Figure 2. Schéma résumant les valeurs (moyenne, range et limite) des principaux paramètres échographiques observables sur un cœur d’athlète ultra endurant (d’après revue de la littérature et données personnelles). Au-dessous, valeurs limites proposées, un bilan complémentaire est justifié. EP = épaisseur pariétale; DTD, VTD, diamètre, volume télediastolique ; FE = fraction éjection ; E/A rapport composantes flux remplissage ; Sm, Em valeurs moyennées Doppler tissulaire ; SRL = strain rate longitudinal global ; DTr, Dmo, DLg = diamètres tricuspide, moyen, Longitudinal ; RS = rapport des surfaces ; DmTM, Dm2D : diamètres TM et 2D, AnAO = anneau aortique, Sval = sinus Valsalva  La racine aortique, est en moyenne un peu plus large chez les athlètes, en particulier au niveau des sinus de Valsalva, cependant une augmentation marquée ne doit pas être abusivement attribuée à la pratique sportive et nécessite un bilan. Les nouvelles techniques (strain, échographie 3D) et méthodes d’imagerie (IRM) confirment les données de l’échocardiographie « standard » et leur utilisation en routine chez l’athlète n’est pas justifiée. Leur intérêt est par contre majeur en cas de doute diagnostique, comme cela est détaillé plus loin. En bref, chez les athlètes endurants sains, une diminution de la torsion, surtout au niveau apical, positivement corrélée à la masse ventriculaire gauche, est observée au repos. Les réserves fonctionnelle, systolique et diastolique, déterminées par l’analyse du strain sont améliorées chez l’endurant par rapport aux athlètes d’autres disciplines et aux contrôles. Les très rares études qui ont comparé les cœurs endurants et ultra-endurants ne rapportent pas de différence sur le remodelage morphologique et fonctionnel des cavités gauches. Les résultats pour les cavités droites sont par contre discordants. Une dilatation plus marquée des cavités droites mais avec un strain longitudinal respectivement augmenté et diminué pour le ventricule et l’oreillette sont rapportés. D’autres études sont justifiées pour confirmation. Dans l’immense majorité des cas, la dilatation et l’hypertrophie pariétale sont toujours très modestes par rapport aux modifications d’origine pathologique. Dans de rares cas (4-5 %) la question du diagnostic différentiel entre cœur d‘athlète et cœur pathologique peut se poser. Chez l’ultra-endurant cela concerne surtout la cardiomyopathie dilatée, la maladie arythmogène du ventricule droit et plus rarement la non-compaction du ventricule gauche (figure 3). Figure 3. Résumé des principaux éléments cliniques, électriques et d’imagerie aidant au diagnostic différentiel entre cœur d’athlète endurant et cœur pathologique. MAVD = maladie arythmogène ventricule droit, CMD = cardiopathie dilatée, NVCG = non compaction ventricule gauche, BBG = bloc de branche gauche, HVG = hypertrophie ventriculaire gauche, RP = repolarisation précoce Les vaisseaux de l’ultra-endurant L'entraînement en endurance, s’accompagne au niveau artériel d’un remodelage fonctionnel et structurel dont le délai d’apparition et l’importance varient selon la durée et l'intensité de l'entraînement et les lits vasculaires impliqués. Cette dilatation artérielle adaptative concerne surtout les artères brachiales et fémorales. L’aorte de l’endurant n’est pas significativement dilatée mais sa distensibilité est accrue. Le rapport intima-média des artères fémorales est diminué en moyenne de 25 % chez les endurants par rapport à la population générale appariée. Concernant la circulation coronaire, les artères épicardiques « entraînées en endurance » sont plus larges et surtout la réserve coronaire est augmentée grâce à une densité artériolaire et une capacité de vasodilatation accrues même en cas d’hypertrophie myocardique associée. La dilatation de la veine cave inférieure classiquement observée chez l’endurant paraît plus marquée chez l’ultra-endurant. Le risque d’incontinence veineuse n’est pas majoré chez ces sportifs. Le cœur ultra-endurant à l’effort C’est à l’exercice que les bénéfices des adaptations du SCV induites par l’entraînement en endurance apparaissent clairement, en particulier pour l’augmentation de sa VO2 max (figure 4). Le débit cardiaque (DC) maximal d’un ultra-endurant peut atteindre 30-35 L/min contre 20-25 l/min pour un sujet sain apparié non entraîné. L’entraînement n’augmente pas la fréquence cardiaque (FC) maximale qui peut au contraire être diminuée de quelques battements. C’est l’augmentation du volume d’éjection systolique (VES) qui a le rôle principal dans cette augmentation du débit cardiaque maximal. Le premier facteur, souvent méconnu, responsable de cette augmentation est la majoration rapide (4-6 semaines) de la volémie due aux réponses hormonales induites par l’entraînement répété. Les adaptations morphologiques et fonctionnelles, un peu retardées, du SCV de l’athlète, jouent aussi un rôle majeur dans les adaptations du VES à l’effort. Son augmentation dépend des effets synergiques de plusieurs mécanismes fonctionnels et morphologiques, majoration de la pré-charge grâce à la dilatation cavitaire et à une compliance plus efficace avec effet majoré du mécanisme de Frank-Starling (figure 5), amélioration de la réponse contractile aux effets des catécholamines, et baisse marquée de la post-charge. Il existe une relation positive entre la masse ventriculaire gauche et la VO2 max de l’endurant. Des données échographiques récentes ont montré que les phases de torsion (vidange) - détorsion (remplissage) du cœur de l’endurant à l’exercice étaient plus rapides et plus efficaces (gradient apex-base). Au total, à l’effort le cœur de l’ultra-endurant et de l’endurant se remplit plus et se vide mieux qu’un cœur non entraîné. Cette « super adaptation » du SCV à l’effort ne peut pas s’expliquer par la seule amélioration myocardique. Elle dépend aussi du couplage ventriculo-artériel, qui est la relation entre les élastances ventriculaire gauche et artérielle. Les fonctions endothéliales améliorées des endurants expliquent l’optimisation du couplage ventriculo-artériel observée. Les qualités veineuses à l’effort de capacitance (dilatation), de compliance (moindre augmentation de la pression) et de veinoconstriction (impliquée dans la vitesse de vidange veineuse) sont aussi améliorées. Figure 4. Effets de l’entraînement sur la consommation maximale d‘oxygène (VO2 max) et ses composantes. Revue de la littérature concernant des sujets jeunes (20-25 ans) et sains. DC = débit cardiaque, FC = fréquence cardiaque, VES = volume d’éjection systolique, D(a-v) O2 = différence artério-veineuse en O2). Rappel VO2 = DC x D(a-v)O2. Figure 5. Comparaison des relations pressions-volume (A) et des courbes de Frank-Starling (B) du ventricule gauche observés chez de sujets sans non-entraînés et des athlètes endurants. Physiopathologie du cœur ultra-endurant Les adaptations du SCV de l’athlète ultra-endurant sont physiologiques. Elles peuvent se voir à tout âge et sont plus marquées chez les hommes que chez les femmes. Comme au niveau des muscles squelettiques, l’entraînement module l’expression du génome codant pour les protéines structurelles et métaboliques du SCV. Le niveau des réponses observées dépend beaucoup du patrimoine génétique du pratiquant. Ces adaptations répondent à trois contraintes synergiques principales, hémodynamiques (élévation de la pré-charge, du débit et de la vitesse sanguine sans élévation marquée tensionnelle), mécaniques (tachycardie, inotropisme positif), et neuro-hormonales (système nerveux autonome [SNA] catécholamines, cortisol, hormones thyroïdiennes, système rénine-angiotensine-aldostérone). Les mécanismes de ces adaptations sont de mieux en mieux compris. Les principales données expérimentales directes, cellulaire et moléculaire, à notre disposition, ont été sans surprise décrites chez l’animal (surtout rongeurs) entraîné. Malgré toutes les limites de leur extrapolation à l’homme, elles autorisent à proposer des mécanismes généraux d’explication des adaptations observées. Les particularités électriques Leurs mécanismes sont multifactoriels. Il n’est pas surprenant que l’hyperstimulation catécholergique, associée aux longues séances d’endurance, modifie l’équilibre des acteurs du SNA. La densité et de la sensibilité des canaux ioniques (responsables du potentiel d’action) et des récepteurs bêta-adrénergiques (mais pas muscariniques) membranaires cardiomyocytaires sont modifiées (figure 6). De plus, les modifications de la balance autonomique avec une hyposympaticotonie très marquée et une hypertonie vagale plus modérée module l’activité de ces canaux et récepteurs. Deux adaptations principales expliquent la classique bradycardie de repos de l’endurant. La baisse de la fréquence cardiaque intrinsèque est due à la surexpression de l’isoforme HCN4 du canal If impliqué dans la pente de dépolarisation diastolique spontanée des cellules du nœud sinusal et la baisse de la densité des récepteurs bêta-1 adrénergiques très impliqués dans la fonction chronotrope. Des modifications fonctionnelles des canaux calciques et potassiques expliquent respectivement l’allongement du plateau de dépolarisation (élargissement du QRS) et la modification de la repolarisation du potentiel d’action cardiaque des cardiomyocytes. Figure 6. Schéma résumant les adaptations à l’entraînement physique intense des cardiomyocytes, de leur environnement, des récepteurs autonomiques et des principaux canaux ioniques membranaires impliqués dans le potentiel d’action cardiaque. Les particularités morphologiques La dilatation cavitaire qui domine s’explique par l’hypervolémie induite par l’entraînement et par une prédisposition génétique. Les constituants histologiques et moléculaires du myocarde de l’athlète (figure 6) sont équilibrés (absence de fibrose, vascularisation adaptée) ou améliorés (densité et volume des mitochondries, canaux ioniques, etc.). Ces adaptations répondent aux contraintes mécaniques et aux effets des hormones de croissance circulantes libérées lors de l’exercice physique. Dans l’hypertrophie physiologique de l’endurant, la stimulation de récepteurs (mécanorécepteurs et récepteurs hormonaux) membranaires spécifiques activent des voies de signalisation intra cellulaires distinctes de ceux et celles décrites dans l’hypertrophie induite par une pathologie (figure 7). Figure 7. Schématisation des récepteurs (R) membranaires et des voies de signalisation intracellulaires mises en jeu en réponse aux perturbations induites par l’exercice (hypertrophie physiologique) et par les pathologies cardiovasculaires (hypertrophie pathologique). Les particularités fonctionnelles Au niveau myocardique, elles se résument principalement à une compliance et une contractilité accrues. La sensibilité augmentée des bêta-1 (densité membranaire diminuée), et bêta-2 récepteurs, (densité membranaire non modifiée), participe aux effets lusitrope (fonction diastolique) et inotrope (fonction systolique) positifs de l’entraînement en endurance chez le rat. Les bêta-3 récepteurs (densité membranaire augmentée) myocardiques participent sûrement à la limitation de l’hypertrophie pariétale observée. La capacité de remplissage ventriculaire accrue (mécanisme de Frank-Starling) et les modifications de densité et de sensibilité des canaux calciques et autres protéines impliquées dans la transitoire calcique cellulaire ont aussi un rôle dans les améliorations fonctionnelles, diastolique et systolique, du cœur endurant. L’entraînement en endurance de haut niveau améliore le coût énergétique du travail cardiaque. Par rapport à un sujet sain non entraîné, le débit sanguin par gramme de myocarde entraîné n’est pas modifié. Ceci témoigne d’une augmentation de la densité capillaire qui reste adaptée à la masse ventriculaire gauche de l’athlète. Le cœur entraîné extrait plus d’oxygène grâce à un temps de transit sanguin augmenté. Ceci s’explique par la densité et la vasoconstriction accrues des capillaires et par la bradycardie qui prolonge le temps de remplissage vasculaire en diastole. Sur le plan énergétique, le myocarde entraîné privilégie l’oxydation des acides gras et du lactate avec diminution de l’utilisation des glucides. Cette oxydation préférentielle des acides gras très « coûteuse » en oxygène peut expliquer que globalement la consommation myocardique en oxygène du cœur entraîné ne tende qu’à diminuer au repos comme à l’effort malgré la bradycardie et le moindre travail cardiaque par gramme de myocarde chez l’endurant. En résumé, le myocarde de l’endurant n’est pas plus perfusé mais extrait plus d’oxygène que celui d’un témoin sain apparié non entraîné. Trop d’endurance peut-elle devenir délétère pour le système cardiovasculaire ? Les adaptations ont à priori des limites, est-ce le cas pour le cœur ultra-endurant ? La question mérite d’être posée car l’exercice musculaire intense induit une acidose, un stress oxydatif et une inflammation. Il paraît licite de se demander si à long terme, en cas de pratique extrême de l’ultra-endurance dans un but de performance (les meilleurs triathlètes mondiaux s’imposent des périodes de 32 à 40 heures d’entraînement hebdomadaire), ces perturbations répétées de l’homéostasie ne peuvent pas être à l’origine de lésions cellulaires, en particulier myocardiques et vasculaires. La réponse à cette question fait actuellement débat. Accidents cardiovasculaires Des accidents cardiovasculaires aigus (syndromes coronaires, mort subite) sont très rarement rapportés lors des épreuves d’ultra-endurance et contrairement à une idée reçue, leur incidence est plus faible que lors des efforts d’endurance (type marathon). Outre les accidents traumatologiques, les troubles digestifs sont la principale cause d’abandon lors de ces épreuves, devant les hyponatrémies, déshydratations et coups de chaleur. La fatigue cardiaque aiguë Non le myocarde n’est pas infatigable. Oui ce muscle, fonctionnellement différent des muscles squelettiques, peut montrer des signes de fatigue non synonymes de pathologie. La notion de fatigue cardiaque est ancienne. Rapportée sur des descriptions radiologiques dans les années 70, échographiques et biologiques (élévation isolée de la CK MB après un marathon) dans les années 80, les données récentes ne font que confirmer son existence. Ainsi chez 30 à 50 % des participants aux épreuves d’endurance, des modifications myocardiques morphologiques et fonctionnelles et/ou une élévation modeste et brève de la concentration sanguine de biomarqueurs cardiaques, sont rapportées. On peut brièvement rappeler les contraintes imposées par l’ultra-endurance à l’organisme. Elles sont dominées, on l’a vu, par les contraintes musculaires, ostéo-articulaires et mentales. Les contraintes musculaires sont les principales responsables de l’inflammation aseptique et du stress oxydatif qui accompagnent toujours les efforts ultra-endurants. Ces perturbations qui sont d’autant plus marquées que la lyse musculaire est importante, comme dans le travail excentrique de la course en descente des ultra-trails, expliquent les œdèmes (transfert de l’eau intracellulaire vers le milieu extracellulaire) périphériques observés lors de ces épreuves. La fatigue induite par ce type d’effort est périphérique (musculaire) et aussi nerveuse centrale, du fait de la privation de sommeil et des contraintes environnementales (altitude, climat) souvent associées. Sur le plan cardiorespiratoire, l’intensité moyenne maintenue est faible à modérée (45-65 % du VO2 max déterminé sur le plat). Une fatigue ventilatoire (mesures répétées du VEMS per épreuve) est observée. Expliquée par l’hyperventilation prolongée, elle est rapidement et totalement régressive. Lors d’efforts de plus de 48 heures, la VO2 augmente tout au long de l’effort du fait des adaptations musculaires périphériques (élévation de la différence artério-veineuse) alors que le DC reste à peu près stable. Les réponses des facteurs d’adaptation de ce DC varient avec la durée de l’effort. Initialement (4-6 heures d’effort) la FC augmente et le VES diminue puis (6-10 heures suivantes) la FC diminue et le VES ré-augmente, enfin dans la dernière partie de l’épreuve la FC ré-augmente. En résumé, les contraintes cardiovasculaires, DC, pression artérielle et FC sont donc prolongées mais peu élevées. Ainsi plusieurs études rapportent lors des exercices de plus de 24 heures une FC moyenne comprise entre 55 et 70 % de sa valeur maximale individuelle avec une baisse progressive (environ 10 % toutes les 10 heures) (figure 8). Cette évolution chronotrope qui ne paraît pas liée à une limitation cardiaque s’explique par deux facteurs principaux, l’augmentation relative de la volémie induite par l’état d’inflammation générale et la fatigue imposant une diminution de l’intensité de l’effort. Une diminution minime et transitoire des fonctions systoliques et diastoliques des deux ventricules est rapportée (échographie et IRM). Les altérations ventriculaires droites avec dilatation post-effort sont plus marquées. En effet, les contraintes hémodynamiques retentissent particulièrement sur le cœur droit, qui a essentiellement un rôle de réservoir (essentiel pour la précharge) et non de pompe, et sur la circulation pulmonaire qui est traversée à chaque contraction par l’ensemble du débit cardiaque. Une ouverture de shunts artério-veineux intra-pulmonaires « dormants » au repos est souvent observée lors d’efforts intenses (≥ 60-70 % de VO2 max). Elle permet de limiter l’augmentation de la pression artérielle pulmonaire sans réduire le DC. Globalement, la fatigue cardiaque (échographie, strain) observée paraît moindre après les efforts d’ultra-endurance que d’endurance. Il a même été rapportée lors du Tor des Géants (330 km de course à pied, 22 000 m de dénivelé positif) une réponse biphasique de la fonction myocardique avec une baisse initiale suivie d’une ré-augmentation grâce à une augmentation du remplissage diastolique pour une large part liée à l’hypervolémie secondaire décrite précédemment. Ce type d’adaptation est aussi rapportée lors d’épreuves de course à pied avec étapes répétées (type Marathon des Sables) n’est pas observée lors des marathons ni des triathlons type Iron-man. Concernant les biomarqueurs, l’augmentation de troponine serait liée à une fuite de son pool cytosolique à travers une membrane à la perméabilité transitoirement augmentée, possiblement par les niveaux élevés d’inflammation et de stress oxydatif. Les élévations de BNP et de NT-proBNP sont physiologiques et s’expliquent par l'étirement cellulaire lié à l’élévation de la précharge. Avant d’être un marqueur d’insuffisance cardiaque, il faut se rappeler que le BNP a des effets natriurétique, vasodilatateur, inhibiteur du système rénine-angiotensine-aldostérone, anti-inflammatoire et antifibrotique qui limitent le remodelage cardiaque délétère et qui peuvent améliorer les conditions de charge. Ces modifications biologiques isolées, sans aucun symptôme clinique, ECG ou d’imagerie prolongés seraient donc les marqueurs d’un remodelage myocardique et/ou de minimes lésions myocardiques à réparation rapide. Il conviendrait donc de préciser les normes post-effort de ces biomarqueurs pour préciser leurs limites supérieures acceptables comme cela a été proposé pour les adaptations morphologiques et ECG du cœur d’athlète. Figure 8. Évolution de la fréquence cardiaque et de la vitesse lors d’un épreuve de 24 heures de course à pied. Les baisses marquées de la fréquence cardiaque correspondent à des temps d’arrêt pour ravitaillement. Les anomalies cardiovasculaires chroniques • Arythmies atriales et intolérance à l’orthostatisme Deux symptomatologies, les arythmies atriales (risque x 3 à 5) et l’intolérance à l’orthostatisme (10-15 % vs 5-6 %), sont plus fréquentes chez les sportifs endurants essentiellement masculins que dans la population non entraînée. Il n’est pas rapporté de différence entre ultra-endurants et endurants. Les arythmies atriales, (extrasystoles, fibrillation et/ou flutter) concernent surtout les hommes de plus de 50 ans. L’intolérance à l’orthostatisme touchent les endurants très entraînés et survient surtout après un effort intense et prolongé. Sa symptomatologie plus ou moins marquée peut durer de quelques minutes à plusieurs heures. Elle est due à des réponses physiologiques : tachycardie et vasoconstriction réflexes, insuffisantes face aux contraintes de l’orthostatisme. Un rééquilibrage (quantité et qualité) de l’entraînement, en adéquation avec la tolérance individuelle du sportif est indispensable pour améliorer ces symptomatologies. • Les « cardiomyopathies » induites D’autres anomalies, dont l’explication physiopathologique est plus discutée, sont parfois rapportées, surtout après 45-50 ans, chez quelques endurants. La pratique pendant des décennies de l’endurance intensive pourrait favoriser le développement de foyers fibrotiques myocardiques potentiellement arythmogène, en particulier au niveau du ventricule droit qui ne supporterait pas chez certains athlètes les contraintes hémodynamiques de l’endurance. Les calcifications coronaires semblent plus fréquentes chez les endurants à faible risque cardiovasculaire que dans une population témoin non entraînée. Cependant, la composition de ces plaques paraît en faveur d’un faible risque de rupture. Enfin, des IRM systématiques ont révélées chez des vétérans endurants asymptomatiques des zones de fibrose myocardiques surtout localisées dans le septum interventriculaire et à la jonction septum-pointe du ventricule droit. Leur physiopathologie et leur valeur pronostique sont mal précisées. Au total, certains évoquent la possibilité que les « endurants de l’extrême » puissent développer une cardiopathie de Phidippides (nom donné en mémoire du soldat de Marathon). Le cœur devenant le talon d’Achille de ces rares sportifs à priori prédisposés. Mais, à notre connaissance, il n’a pas encore été décrit de cardiomyopathie chronique imputable formellement et uniquement à la seule pratique d’une activité d’endurance intense. Le manque actuel d’études longitudinales sur le devenir de ces sportifs mérite d’être souligné. Le très faible nombre de morts subites d’origine cardiovasculaire recensé chez ces athlètes et le fait que toutes les études confirment la longévité accrue des endurants de haut niveau d’entraînement par rapport à la population générale tempèrent le risque cardiologique de cette pratique sportive. En pratique Le système cardiovasculaire de l’ultra-endurant est hyper-adapté pour répondre au mieux aux contraintes de l’exercice. Ces adaptations, qui sont physiologiques, peuvent rarement poser des problèmes de diagnostic différentiel avec des cardiomyopathies. Exceptionnellement, elles peuvent se compliquer d’anomalies myocardiques potentiellement graves qui pourront imposer une recommandation de diminution de la pratique sportive. Ces très rares cas ne doivent pas pousser le praticien à déconseiller et encore moins à interdire la pratique des sports d’endurance aux sujets sains. "Cardiologie Pratique : publication avancée en ligne."

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