Publié le 11 sep 2018Lecture 9 min
L’insuffisance cardiaque, qu’en pensent les Américains ?
Abdelkrim SEDRAT, service de cardiologie, CHU d’Annaba, Algérie
Quelques mois après la sortie des recommandations européennes sur l’insuffisance cardiaque ; une mise au point des recommandations américaines est apparue, mettant à jour les pratiques sur le diagnostic et la prise en charge de ce syndrome à l’aune des dernières études ; mais y a-t-il des différences entre recommandations européennes et américaines bien qu’elles se basent sur les mêmes grands essais thérapeutiques ?
Les biomarqueurs
Les peptides natriurétiques (BNP et NT-proBNP) sont indiqués afin d’établir ou d’éliminer le diagnostic d’insuffisance cardiaque chronique comme la cause des symptômes ou dans le cadre de l’urgence lorsque la cause d’une dyspnée n’est pas évidente (figure 1).
Ainsi chez les patients se présentant pour une dyspnée, le dosage des peptides natriurétiques est recommandé (classe IA) pour aider à confirmer ou à éliminer le diagnostic d’insuffisance cardiaque ; ainsi chez les patients en insuffisance cardiaque chronique, le dosage apporte un poids supplémentaire au jugement clinique lorsque la cause d’une dyspnée est inconnue, mais dans le cadre de l’urgence ils ont une forte valeur prédictive négative à cause d’une sensibilité plus forte que la spécificité.
Également chez les patients à risque de développer une insuffisance cardiaque (hypertendus, diabétique ou connus pour des maladies vasculaires), le dépistage basé sur le dosage des peptides natriurétiques suivie par une optimisation des thérapeutiques peut être utile pour prévenir la survenue d’une dysfonction du VG, ou une nouvelle insuffisance cardiaque classe IIa B-R. (Il a été démontré sur de petites études que chez les patients à haut risque avec une élévation du BNP ou NT-proBNP, un traitement précoce à base d’inhibiteurs du SRAA et de bêtabloquants entraîne la réduction des événements cardiaques et de la survenue d’une dysfonction VG systolique ou diastolique chez des patients sans atteinte cardiaque initiale.) Mais le développement d’une stratégie standardisée de dépistage est d’intervention chez ces patients à risque est difficile à cause de l’absence d’un consensus sur la définition du risque d’insuffisance cardiaque, l’hétérogénéité des populations et les interventions variables selon le facteur de risque (diabète, HTA…).
Ces dosages sont également recommandés afin d’établir un pronostic et d’évaluer la sévérité de l’insuffisance cardiaque (classe IA) ; et les niveaux de base des peptides natriuretiques ainsi que celui des troponines cardiaques lors de l’admission permettent de juger du pronostic chez les patients admis pour une décompensation d’une insuffisance cardiaque (classe IA) ; ainsi le niveau de peptides natriurétiques avant la sortie du patient de l’hôpital permet de juger de l’évolution après sa sortie (classe IIa B-NR).
Chez les patients en insuffisance cardiaque chronique, la mesure des biomarqueurs de lésion myocardique ou de fibrose peut être envisagée pour plus de stratification du risque classe IIb B-NR.
Mais en l’absence de données suffisantes, des recommandations thérapeutiques guidées par les peptides natriurétiques n’ont pas été émises.
Figure 1. Indication d’utilisation des biomarqueurs dans l’insuffisance cardiaque.
D’après J Am Coll Cardiol 2017 ; 70 : 776-803.
Diagnostic et classification
(tableau)
Les recommandations ESC 2016 ont introduit la notion d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection modérément altérée FE de 40 à 49 % soulignant la difficulté de classer les patients entre ceux chez qui les études ont prouvé un bénéfice à traiter et ceux pour qui les médicaments n’ont pas prouvé d’efficacité sur la mortalité et les hospitalisations, cette distinction a été introduite en 2013 sur les recommandations américaines avec une insuffisance cardiaque avec FE altérée HFrEF ≤ 40 %, FE conservée HFpEF ≥ 50 %, sous cette dernière dénomination on trouve deux autres sous-groupes avec une insuffisance cardiaque à FEVG préservée améliorée après traitement HFpEF improved > 40 % et insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection préservée limite HFpEF borderline avec une FEVG comprise entre 41 et 49 %. La mise au point ACC/AHA de 2017 n’est pas revenue sur cette définition.
Tableau. Classification de l’insuffisance cardiaque ACC/AHA 2017.
D’après J Am Coll Cardiol 2013 ; 62 : e147-239.
Traitement de l’insuffisance cardiaque à fonction VG altérée
L’inhibition du système rénine angiotensine aldostérone avec des IEC classe IA ou ARAII classe IA ou ARNi classe I B-R est recommandée en association avec les bêtabloquants et l’antialdostérone chez les patients en HFrEF pour réduire la mortalité et la morbidité.
L’IEC est indiqué pour réduire la mortalité et la morbidité chez les patients avec des symptômes antérieurs ou récents d’insuffisance cardiaque chronique avec HFrEF classe IA (mêmes recommandations qu’en 2013).
Les ARAII sont recommandées pour réduire la morbidité et la mortalité chez les patients symptomatiques avec HFrEF et qui sont intolérants aux IEC classe IA (contre IB ESC 2016.)
Les ARNi ont été introduits sur les recommandations américaines du fais du bénéfice prouvée par l’étude PARADIGM-HF et la supériorité par rapport à l’IEC sur la réduction de la mortalité et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque, ils sont recommandés chez les patients symptomatiques classe II ou III NYHA avec une HFrEF qui tolèrent les IEC ou les ARAII en leur remplacement pour réduire davantage la morbidité et la mortalité classe I B-R alors que dans les recommandations européenne les ARNi sont introduits en remplacement des IEC chez les patients demeurant symptomatiques sous TMO à base d’IEC, BB et MRA classe IB condition qu’on ne trouve pas sur les recommandations américaines ou on peut passer aux ARNi avant les antialdostérones (figure 2).
Les ARNi sont contre-indiqués (dangereux) en association avec un IEC ou dans les 36 heures suivant l’arrêt de l’IEC classe III Harm B-R, et ils ne doivent pas être prescrits chez les patients avec une histoire d’angio-œdème classe III C-EO.
L’ivabradine est indiquée en Europe depuis 2012, mais ne figure pas sur les recommandations américaines de 2013 et n’a été introduite qu’en 2017 pour réduire les hospitalisations chez les patients symptomatiques ; stade II-III NYHA avec IC chronique HFrEF avec une FE ≤ 30 % (35 % dans les recommandations européennes) recevant un TMO incluant un BB à dose maximale tolérée et qui sont en rythme sinusal avec une FC ≥ 70 bpm au repos avec une classe IIa B-R (nouvelle indication par rapport aux recommandations de 2013) ; dans les recommandations européennes est ajoutée la mention pour réduire le risque de mortalité cardiovasculaire (ceci est lié à la réduction du critère composite de mortalité cardiovasculaire dans l’étude CHIFT) et sa prescription est conditionnée par l’utilisation préalable à doses basée sur les preuves de BB, IEC et de MRA classe Iia B dans ces mêmes recommandation de l’ESC 2016 est ajoutée une indication de l’ivabradine en remplacement du BB chez les patients qui ont une contre-indication ou qui ne le tolèrent pas (classe Iia C).
L’association hydralazine dinitrate d’isosorbide a démontré chez les patients s’identifiant de race noire une efficacité sur la réduction la morbi-mortalité et une amélioration des symptômes dans l’étude A-HeFT mais la taille relativement petite de l’étude 1 050 patients et l’arrêt prématuré au profit de la mortalité laissent une incertitude quant à l’efficacité réelle de cette association, en particulier chez les non-Noirs ; cette association est indiquée malgré ça avec une classe IA chez les patients de race noire avec HFrEF NYHA III-IV ; ACC/AHA 2017. Sur les recommandations ESC 2016, cette association est indiquée avec une classe Iia B et se retrouve à la toute fin de l’algorithme décisionnel.
La digoxine qui est toujours indiquée sur les recommandations européennes avec une classe IIb chez les patients en rythme sinusal qui demeurent symptomatiques malgré un traitement à base d’IEC (ou ARAII) ; bêtabloquant et antialdostérone pour réduire le risque d’hospitalisation, cette même molécule était indiquée avec une classe IIa sur les recommandations américaines de 2013 mais elle est absente sur l’algorithme de 2017.
Les dispositifs non chirurgicaux du traitement de l’insuffisance cardiaque gardent les mêmes indications sur les recommandations américaines et européennes du fait d’un bénéfice prouvée dans la réduction du risque de la mort subite pour le DAI et pour la réduction de lu risque de décès toutes causes confondues, des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et l’amélioration de la fonction cardiaque pour la thérapie de resynchronisation (CRT).
On note que le cheminement de l’introduction des thérapeutiques selon l’algorithme américain après celle des bêtabloquants et des IEC (ou ARAII), à la 3e étape n’obéit pas à une hiérarchie claire ainsi l’hydralazine-dinitrate d’isosorbide peut être introduit avant l’Ivabradine et que l’antialdostérone n’est pas introduite avant cette étape et se retrouve ainsi à pied d’égalité avec les autres thérapeutiques bien que les études démontrent clairement un bénéfice en matière de mortalité. On note également sur cet algorithme décisionnel (figure 3) l’absence de la digoxine qui a défaut de réduire la mortalité a prouvé un bénéfice dans la réduction des hospitalisations chez les patients en rythme sinusal.
Les omega-3 PUFA étaient indiqués avec une classe Iia B sur les recommandations américaines de 2013 chez les patients symptomatiques en classe II à IV avec une HFrEF ou HFpEF pour réduire la mortalité et les hospitalisations cardiovasculaires confirmée par la réduction du critère composite de décès ou d’hospitalisation d’origine cardiovasculaire de 10% dans l’étude GISSI, et GISSI pereventione (après un IDM recent) ceci est probablement liées à la diminutions des évènement vasculaires IDM, AVC et suppose peut être de cibler des patients avec une atteinte vasculaire avérée d’où une classe d’indication de IIb B ESC 2016. La mise au point ACC/AHA 2017 n’a pas abordé ce point.
*TMGR traitement médical guidé par les recommandations.
Figure 2. Traitement de l’insuffisance cardiaque stade C et D. ACC/AHA 2017.
D’après J Am Coll Cardiol 2017 ; 70 : 776-803.
Traitement de l’IC avec une fonction VG préservée
Les recommandations américaines insistent pour le traitement de la HFpEF sur le fait de traiter les pathologies associées.
Les diurétiques restent indiqués pour soulager les symptômes liés à une surcharge volumétrique avec une classe IC.
Le contrôle de la pression artérielle systolo-diastolique demeure également un objectif thérapeutique avec comme cible des chiffres < 130/80 mmHg chez les patients à risque d’IC classe I B-R ; cette recommandation est également retrouvée dans le traitement de l’IC à FE réduite avec comme cible une PAS < 130 mmHg classe I C-E. Il est aussi mentionné que l’usage des BB, IEC, et ARAII est raisonnable pour contrôler la pression artérielle chez les patients avec une HFpEF.
La revascularisation coronaire doit être envisagée chez les patients avec une coronaropathie chez qui l’angor ou une ischémie myocardique documentée est jugé néfaste pour les symptômes de HFpEF classe IIa C.
La gestion de la FA doit être envisagée pour améliorer les symptômes de l’insuffisance cardiaque classe IIa C.
La nouvelle recommandation vient pour les antialdostérones qui peuvent être envisagés chez des patients sélectionnés avec une HFpEF (définie par une FEVG ≥ 45 %, des BNP élevées ou une hospitalisation pour une insuffisance cardiaque dans l’année avec un DFG > 30 ml/min ; créatinine < 2,5 mg/dl ; K < 5 mEq/l) classe IIb B-R.
Ceci est lié aux résultats d’études ayant démontré une amélioration sous antagonistes des récepteurs de minéralo-corticoïdes de la fonction diastolique par un effet probable sur le remodelage.
Figure 3. Traitement de l’insuffisance cardiaque ESC 2016.
En pratique
Le traitement de l’insuffisance cardiaque reste un enjeu de santé publique malgré le développement de thérapeutiques qui ont prouvé leur efficacité sur la réduction de la mortalité et des hospitalisations pour insuffisance cardiaque, mais des différences entre pratiques américaines et européennes existent quant à la meilleure façon d’utiliser ces moyens, notamment pharmacologiques dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fonction VG altérée.
Chez les patients avec une fonction VG préservée FEVG > 40 % ; le traitement est celui des pathologies associées et aucune thérapeutique n’a pu démontrer une efficacité sur la réduction des critères de mortalité ou d’hospitalisations.
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