Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 15 sep 2018Lecture 6 min
Anticoagulants et ablation de FA au congrès EHRA
Walid AMARA, unité de rythmologie, GHI Le Raincy-Montfermeil
L’année 2017 avait déjà été riche en études concernant la gestion des anticoagulants en cas d’ablation de fibrillation atriale. Après l’étude RE-CIRCUIT, présentée à l’ACC 2017 et publiée dans le NEJM, qui a validé la sécurité des ablations de FA sous dabigatran sans arrêter le traitement, et l’étude AEIOU qui a comparé deux stratégies basées sur l’apixaban, puis l’étude ABRIDGE J présentée à l’AHA 2017 qui montrait que le dabigatran (avec une courte suspension) fait mieux que la warfarine en cas d’ablation de FA, il ne manquait plus qu’une étude avec l’apixaban et idéalement un consensus d’experts. C’est maintenant chose faite suite au dernier congrès EHRA avec la publication de l’étude AXAFA et la publication du guide EHRA sur les AOD.
Ce que l’on savait avant l’EHRA
La pratique de choix de gestions des anticoagulants varie d’un centre à l’autre. De la réalisation de l’ablation sous AVK ininterrompus à sa réalisation sous anticoagulants oraux directs (AOD), de nombreuses attitudes sont effectuées en pratique(1) (figure 1).
Ainsi, l’étude COMPARE(2), publiée en 2014, avait montré que la poursuite de la warfarine, en comparaison à son arrêt pour l’ablation, est associée à une réduction des AVC/AIT, ainsi que des hémorragies.
Concernant les AOD, plusieurs études randomisées les ont évalués dans le cadre de l’ablation de la FA.
Figure 1. Pratiques de gestion des anticoagulants en pratique réelle dans différents centres.
VENTURE-AF
L’intérêt de réaliser l’ablation de FA sous AOD ne remonte pas à hier. L’étude VENTURE-AF avait été publiée en 2015(2). L’étude a inclus 248 patients qui ont été randomisés entre rivaroxaban 20 mg x 1/j et un AVK (les 2 non arrêtés pour une ablation de FA). Le critère primaire de jugement comprenait les hémorragies majeures après l’ablation de FA. Les critères secondaires comprenaient les événements thromboemboliques, les autres hémorragies et tous les événements non hémorragiques attribuables à la procédure.
L’incidence des hémorragies majeures était faible dans cette étude (0,4 %). Les événements thromboemboliques étaient également rares (0,8 %). Tous ces événements sont survenus dans le groupe AVK. La différence entre les 2 groupes n’était pas significative(3).
RE-CIRCUIT
L’étude RE-CIRCUIT(4) a, elle, randomisé des patients adressés pour ablation de FA entre dabigatran 150 mg deux fois par jour (non interrompu pour l’ablation, le traitement étant donné dans les 8 heures précédant la procédure) et warfarine non interrompue avec un INR cible entre 2 et 3. Elle a été publiée dans le NEJM cette année.
L’étude a inclus 704 patients. Le traitement anticoagulant a été débuté 4 à 8 semaines avant l’ablation et maintenu jusqu’à 8 semaines après.
Les patients sous dabigatran ont présenté significativement moins d’hémorragies majeures durant l’ablation ou dans le mois qui a suivi, en comparaison à la warfarine (1,6 % versus 6,9 %, p < 0,001). Ce sont particulièrement les taux de tamponnade et d’hématome au point de ponction qui étaient significativement moindres sous dabigatran.
Il n’y a pas eu de différence sur le taux d’hémorragies mineures (figure 2). Concernant les événements thromboemboliques, il n’en a été noté qu’un dans le groupe warfarine.
Figure 2. Dabigatran ininterrompu versus warfarine dans l’ablation de la FA (RE-CIRCUIT).
Au total, cette étude montre que l’ablation de la FA peut être effectuée sans arrêter le sous dabigatran avec moins d’hémorragies majeures comparativement à la warfarine.
La métaanalyse AOD vs AVK ininterrompus
Celle-ci a été publiée dans Heart Rhythm l’année passée(5). Elle a inclus des essais randomisés, ainsi que des études observationnelles. Elle montre significativement moins d’hémorragies majeures sous AOD que sous AVK. Le taux d’AVC/AIT n’était pas significativement différent.
ABRIDGE J : la nouveauté du congrès de l’AHA
L’étude ABRIDGE J(6) a été présentée en Late Breaking au congrès de l’AHA. Cette étude randomisée a inclus 504 patients adressés pour ablation de FA. Les patients ont été randomisés entre une interruption transitoire et brève d’au moins 8 heures du dabigatran et la réalisation de l’ablation sous warfarine non interrompue. Le critère principal de jugement comprenait les hémorragies majeures (selon les critères ISTH) à 3 mois de suivi. L’ensemble des critères de jugement ont été évalués à 12 mois.
Sous dabigatran, la majorité des patients ont été interrompus moins de 24 heures et la majorité n’ont pas eu de relais par héparine (à l’exception de l’héparine per-procédure). Pour la majorité des patients traités par dabigatran, l’interruption de l’AOD est inférieure à 24 heures (près de 60 %). Une faible proportion (14 %) reçoit une héparinothérapie de relais. En cas d’interruption d’au moins 24 heures, la majorité des patients recevaient un relais par héparine.
Il a été noté significativement moins d’hémorragies majeures sous dabigatran soit 3 événements (1,4 %) dans le groupe dabigatran versus 11 événements (5 %) dans le groupe warfarine. Ce résultat s’observe dans tous les sous-groupes de patients. Ce bénéfice se maintient à 12 mois sans augmentation des accidents thromboemboliques.
AXAFA et AEIOU
L’étude AXAFA(7) (figure 3) est la nouveauté de l’EHRA 2018. Elle a randomisé des patients adressés pour ablation de FA entre un traitement par apixaban ininterrompu et un traitement par warfarine. Le critère primaire de jugement est le bénéfice clinique net combinant les hémorragies et les événements ischémiques. Ce critère primaire est évalué à 3 mois. Elle comprend une sous-étude avec évaluation de l’IRM cérébrale à 3-48 heures après l’ablation.
Figure 3. Étude AXAFA.
L’étude AEIOU(8) a randomisé des patients sous apixaban entre deux stratégies : pas d’arrêt et une suspension de l’apixaban le matin de l’ablation. Ces patients étaient comparés à une stratégie appariée (et non randomisée) de patients sous anti-vitamine K. Les taux d’hémorragies majeures et mineures étaient similaires dans les 2 groupes apixaban. Il n’a pas été noté d’AVC dans aucun des groupes. Il y a eu 1 AIT dans chacun des groupes apixaban et 2 sous warfarine.
Le critère primaire était la présence d’une hémorragie cliniquement pertinente selon les critères BARC ≥ 2 (11,3 % sous apixaban non arrêté, 9,7 % sous apixaban suspendu le matin, et 9,8 % sous warfarine). Les hémorragies majeures selon les critères BARC ≥ 3 n’étaient significativement différentes (figure 4).
Figure 4. Apixaban ininterrompu versus interruption minime (AEIOU).
Le consensus d’experts
Alors que les recommandations européennes de prise en charge de la FA de 2016 confirmaient qu’il fallait faire l’ablation de la FA sous AVK sans les arrêter, la recommandation EHRA qui prévalait jusque-là était l’arrêt des AOD 48 h avant l’ablation de la FA car celle-ci était considérée à haut risque, notamment en cas de survenue d’une hémorragie majeure, telle qu’une tamponnade.
Cela n’est plus le cas avec la publication du consensus d’experts HRS/EHRA/ECAS/APHRS/SOLAECE(9) (figure 5).
Figure 5. Consensus d’experts 2017.
Dans ces recommandations, l’ablation sous warfarine ou dabigatran est maintenant recommandée en classe I (niveau de preuve A) et sous rivaroxaban ininterrompu en classe I (niveau de preuve B). L’ablation sous apixaban interrompu est recommandée en classe IIa (niveau de preuve B), et l’ablation avec saut de 1 à 2 prises avant l’ablation est recommandée en classe Iia (niveau de preuve B).
Ce que l’on sait avec l’EHRA
AXAFA
Il n’a pas été noté de différence sur le critère primaire.
Concernant l’évaluation des emboles asymtomatiques en IRM cérébrale, il n’a également pas été noté de différence entre le groupe apixaban et le groupe AVK.
Le message est donc que l’ablation peut être effectuée avec sécurité sous apixaban sans arrêter le traitement.
Le guide EHRA sur les AOD(10)
Le guide EHRA offre la possibilité de réaliser l’ablation sous AOD avec ou sans arrêt suivant l’expérience et les habitudes du centre, le niveau de risque du patient, l’injection ou pas d’héparine avant le transeptal (figure 6).
Le standard semble toutefois l’arrêt de l’AOD 12 h avant la procédure.
Figure 6. Guide EHRA.
En pratique
Il ressort clairement qu’il faudrait effectuer les ablations de FA sous warfarine ininterrompue.
Pour les AOD, il ressort des études accomplies qu’il est possible de réaliser l’ablation sans les arrêter.
Pour le dabigatran, une courte interruption est également possible comme l’indique l’étude ABRIDGE J.
En tous cas, on est très tentés de ne plus arrêter les AOD pour l’ablation de la FA, et si toutefois certains préféreraient les arrêter, ne faire qu’une courte suspension en sautant une prise.
Le guide EHRA va dans ce sens.
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