Insuffisance cardiaque
Publié le 13 nov 2018Lecture 8 min
Insuffisance cardiaque décompensée, comment traiter la congestion ?
Nicolas BIHRY, Jean-François AUPETIT, Département de cardiologie, Hôpital Saint-Joseph-Saint-Luc, Lyon
L’insuffisance cardiaque (IC) est un problème croissant de santé publique à travers le monde en raison d’une importante morbi-mortalité et du coût de sa prise en charge, avec des hospitalisations et réhospitalisations en constante augmentation, qui représentent 75 % du coût total de la prise en charge de l’IC. Malgré des avancées thérapeutiques dans l’IC chronique, le pronostic des patients décompensés reste mauvais, avec un taux de mortalité intrahospitalière d’environ 4 %, de réhospitalisations à 30 jours de 23 % et de mortalité à 6 mois approchant les 20 %. La rétention hydrosodée et la congestion sont responsables de 90 % des hospitalisations pour IC et les diurétiques intraveineux (IV) restent depuis 20 ans le socle du traitement de cette congestion.
Malgré leur large utilisation, de nombreuses incertitudes persistent sur les modalités d’administration et les posologies des diurétiques qui, à la différence des autres traitements de l’IC chronique, n’ont pas fait l’objet d’essais thérapeutiques contrôlés.
L’importance de la congestion, outre son incidence sur la gêne fonctionnelle et la qualité de vie des patients, est corrélée aux atteintes rénales et hépatiques. La pérennité de sa réduction est d’un intérêt majeur pour soulager le patient, diminuer la durée et le nombre des hospitalisations et améliorer le pronostic.
Rappel de physiologie rénale
(figure 1)
Plus de 99 % de la charge sodée (soit 26 000 mmol/24 h) est filtrée par le glomérule puis va être réabsorbée le long des tubules.
Figure 1. Site d’action des diurétiques sur le néphron.
Tubule proximal (TP)
Le TP réabsorbe 65 à 70 % du sodium et du chlore, avec une réabsorption proportionnelle d’eau (= réabsorption iso-osmotique). Dans la première moitié du TP, le sodium est réabsorbé en grande partie avec l’ion HCO3 - et de nombreuses autres molécules telles que le glucose, les acides aminés, le phosphate inorganique.
Branche ascendante large de l’anse de Henle
Il s’agit d’un segment imperméable à l’eau (avec donc une baisse de l’osmolalité, d’où le nom de segment de dilution), qui réabsorbe 25 % du NaCl filtré, grâce notamment à un cotransporteur (NKCC2 ou NaKCl2, cible des diurétiques de l’anse) qui est situé sur la membrane apicale de la cellule tubulaire. Il permet l’’entrée de NaCl via un mécanisme passif par différence de concentration et de potentiel entre la lumière tubulaire rénale et la cellule tubulaire (faible concentration intracellulaire de Na+ et électronégativité de la cellule). Le NaCl est ensuite excrété dans le capillaire péritubulaire via un mécanisme actif par la pompe NaK-ATPase.
Tubule distal et tubule collecteur
Ce segment imperméable à l’eau réabsorbe 5 à 10 % du NaCl filtré via des cotransporteurs Na/Cl (dans la partie initiale du tubule distal, site d’action des diurétiques thiazidiques), et des contre-transporteurs (ENaC, site d’action des diurétiques épargneurs potassiques comme l’amiloride).
L’aldostérone stimule la pompe NaK-ATPase (et augmente ainsi la réabsorption de Na+ et l’excrétion de K+) et augmente le nombre de canaux sodés.
Les diurétiques
(figure 1)
Mode d’action
Les diurétiques augmentent l’élimination d’eau et de sel en bloquant leur réabsorption tubulaire.
• Inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (acétazolamide, Diamox®)
Ces diurétiques proximaux sont surtout utilisés dans le traitement de l’alcalose métabolique (en bloquant la réabsorption de HCO3-) et du glaucome (rôle de l’anhydrase carbonique dans la production d’humeur aqueuse).
• Diurétiques de l’anse (furosémide, bumétanide, pirétanide, torsémide)
Les diurétiques de l’anse sont transportés dans la circulation en étant liés aux protéines, d’où l’absence de filtration par le glomérule. Ils doivent donc être sécrétés dans la lumière tubulaire par des transporteurs (OAT1 et 2 notamment) puis vont jusqu’à leur site d’action (branche ascendante large et macula densa) où ils vont bloquer le cotransporteur NKCC2 en agissant par compétition au niveau du site Chlore et donc inhibent la réabsorption de chlore puis de Na+. Ils permettent ainsi l’excrétion de 20 à 25 % du NaCl filtré.
Ils ont également pour propriété d’augmenter la production de prostaglandines (PGE2) ce qui entraine une légère vasodilatation systémique et rénale.
• Diurétiques distaux
- Thiazidiques
On distingue principalement l’hydrochlorothiazide (Esidrex®). D’autres diurétiques agissent à ce niveau du tubule distal comme l’indapamide [Fludex®] qui est un sulfamide non thiazidique, ou la chlortalidone [compris dans le Tenoretic®], non utilisés dans l’ICA mais dans l’HTA.
Les diurétiques thiazidiques inhibent directement la réabsorption de NaCl également par compétition avec le site Cl du cotransporteur NaCl. Ils stimulent aussi directement la réabsorption de calcium d’où le risque d’hypercalcémie.
Leur effet diurétique seul est faible ; ils permettent une excrétion de 5 à 10 % du sodium filtré.
- Épargneurs potassiques (amiloride, Triamtérène®)
Ils interviennent sur la partie corticale du tube collecteur en inhibant les canaux sodés.
- Antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes (spironolactone, éplérénone, canrénoate de K+)
Ils inhibent l’action de la pompe NaK-ATPase en bloquant le récepteur à l’aldostérone.
• Antagonistes des récepteurs à la vasopressine (vaptans)
En bloquant la vasopressine (également appelée hormone antidiurétique), ils entraînent une excrétion d’eau libre d’où le nom d’aquarétiques. Leur intérêt n’a pas été établi dans l’ICA.
Pharmacocinétique
Le bumétanide est 40 fois plus puissant que le furosémide. La biodisponibilité est très variable pour le furosémide, de 10 à 100 % (en moyenne de 50 %), d’où d’importantes disparités d’efficacité interindividuelle, alors qu’elle est de 80-100 % pour le bumétanide.
Il y a donc un facteur de conversion de 2:1 pour le furosémide entre la dose orale et IV, qui n’est pas nécessaire avec le bumétanide.
Le délai d’action PO est de 30 à 60 minutes mais inférieur à 5 minutes par la voie IV. L’élimination est principalement rénale (50 à 65 %) pour le furosémide et principalement biliaire pour le bumétanide.
Leur demi-vie d’élimination est de 1 à 2 h d’où la nécessité après 4 demi-vies (soit 6 à 8 h) de réinjecter le diurétique.
Modalités d’utilisation
Bien que les diurétiques soient en général délivrés en bolus, il y aurait des effets bénéfiques potentiels à la perfusion continue (IVSE). Celle-ci permet une délivrance constante dans le tubule et ainsi diminuerait l’effet rebond de réabsorption sodée post-diurétiques tout en maintenant une diurèse constante, au prix d’une diminution des effets secondaires (ototoxicité, désordres hydro-électrolytiques, aggravation de la fonction rénale).
Ces données pharmacologiques n’ont pas été confirmées dans des études cliniques puisque notamment l’étude DOSE (figure 2) qui a étudié l’effet de faibles versus hautes doses (2,5 fois la dose habituelle du patient) et la voie IV en bolus versus IV en continu, n’a pas retrouvé de différence significative en termes d’autoévaluation ou de variation de créatinine à 72 h.
En revanche, la forte dose semble être plus efficace sur la décongestion, au prix d’une dégradation plus importante de la fonction rénale, mais sans aggraver le pronostic à 60 jours.
Figure 2. Étude DOSE (Felker GM et al. N Engl J Med 2011 ; 364).
La résistance aux diurétiques
La résistance aux diurétiques est définie par l’incapacité d’obtenir une décongestion satisfaisante malgré l’utilisation de fortes doses de diurétiques. Cet écueil du traitement diurétique est rapporté chez près de 30 % des patients hospitalisés pour décompensation cardiaque avec échec de décongestion et est corrélé au pronostic.
Les mécanismes pouvant être impliqués sont résumés sur la figure 3.
• Diminution de la biodisponibilité des diurétiques : la congestion intestinale peut être responsable d’une diminution de l‘absorption digestive du diurétique par voie orale.
• Diminution du débit de filtration glomérulaire : secondaire à la baisse de perfusion rénale due à un bas débit cardiaque ou à la congestion veineuse, éventuellement surajouté à une maladie rénale chronique préexistante. Cette atteinte rénale peut diminuer la sécrétion active du furosémide dans le tubule proximal.
• Phénomène de seuil : une dose suffisante de diurétique doit être utilisée pour obtenir l’effet thérapeutique. Dans l’insuffisance cardiaque aiguë, il y a une déviation vers la droite de la courbe dose-efficacité (figure 4) ; pour la même dose de diurétique, l’effet natriurétique est moindre chez l’insuffisant cardiaque décompensé. Ainsi, pour obtenir une excrétion sodée équivalente, il est nécessaire d’augmenter les doses.
• Réabsorption excessive de NaCl dans le tubule proximal et l’anse de Henlé en raison de :
– hyperactivation neurohormonale (SRAA) ;
– rétention (ou rebond) sodé postdiurétique, pendant les périodes sans diurétique (en cas d’administration en bolus) ;
– excès d’apport en sodium qui peut conduire à une réabsorption proximale augmentée.
• Adaptation rénale :
– l’utilisation chronique des diurétiques entraine une augmentation de la concentration sodée dans le tubule distal avec pour conséquences une hypertrophie cellulaire avec hyperplasie, ainsi qu’une hyperfonctionnalité adaptative, avec donc une rétention hydrosodée plus importante que chez un patient naïf de diurétique ;
– phénomène de braking ou freinage (figure 5) : il s’agit de la diminution de l’efficacité des diurétiques et donc de la natriurèse avec le temps, en raison d’une up-régulation des transporteurs sodés et donc d’une augmentation de la réabsorption de NaCl.
• Rétention excessive de sodium et d’eau dans le tubule distal et collecteur en raison d’une hyperactivité de l’aldostérone et de la vasopressine.
• Interactions pharmacologiques avec d’autres molécules comme les AINS, corticoïdes, ou pioglitazones notamment.
Figure 3. Mécanismes et prises en charge possibles de la résistance aux diurétiques (Jentzer et al. JACC 2010).
Figure 4. Courbe dose-efficacité des diurétiques dans l’ICA.
Figure 5. Phénomène de Braking et de rétention sodée post-diurétiques.
Traitement de la résistance aux diurétiques
• Confirmer la réelle résistance et non une dose insuffisante (ou bien sûr un défaut d’observance du patient). Donc augmenter les doses, jusqu’à 1 g voire 1,5 g de furosémide.
• En cas d’administration par voie orale, on peut remplacer le furosémide par le dont la biodisponibilité est meilleure.
• Passer à la voie IV continue afin d’éviter le rebond de rétention sodée post-diurétique, mais effet probablement minime.
• Associer au diurétique de l’anse un diurétique distal type 25 mg puis 50 mg, en monitorant de façon rapprochée l’ionogramme sanguin.
• Si le patient reste congestif malgré une dose maximale de furosémide associé à un thiazidique, envisager l’ultrafiltration.
En pratique
(tableau)
Les diurétiques restent le traitement de première ligne dans la décongestion malgré le manque de preuve sur la morbi-mortalité.
Aucun mode d’administration ne ressort de façon évidente entre la voie IV fractionnée ou IVSE.
Les diurétiques gardent des limites (hypovolémie, activation du système rénine-angiotensine-aldostérone, aggravation de la fonction rénale puis résistance aux diurétiques).
Intérêt prouvé d’obtenir une déplétion optimale malgré l’aggravation de la fonction rénale en associant 2 voire 3 classes de diurétiques.
En cas d’échec du traitement pharmacologique, envisager l’ultrafiltration.
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