Publié le 15 jan 2019Lecture 5 min
Une atteinte cardiaque rare de la syphilis : la myopéricardite
Grégoire ALBENQUE et coll.*, Groupe Hospitalier public Sud de l’Oise (GHPSO), service de cardiologie – site de Creil
Nous rapportons le cas d’un patient âgé de 35 ans, adressé à l’USIC pour douleurs thoraciques évocatrices d’angor dans un contexte de syndrome bronchique fébrile. Le bilan biologique initial met en évidence un syndrome inflammatoire associé à des troponines et des D-dimères augmentées. L’évolution clinique et les différents examens paracliniques effectués ont confirmé le diagnostic de myocardite syphilitique. L’évolution a été bonne sous traitement par pénicilline parentérale. Le patient est suivi en consultation suites simples.
Introduction
La syphilis est une infection bactérienne responsable de lésions cutanées et muqueuses pouvant intéresser plusieurs organes. La fréquence exacte de la maladie reste peu connue, on sait néanmoins qu’elle est importante dans les pays développés.
Le germe responsable est une bactérie, Treponema pallidum (tréponème pâle), appartenant à la famille des Spirochètes. La transmission est interhumaine et se fait le plus souvent par voie sexuelle.
La maladie évolue par phases successives. La première se caractérise par l’apparition de lésions pourpres, le plus souvent indolores, non inflammatoires bien délimitées. Elles sont généralement localisées au niveau des organes génitaux mais aussi extra-génital (lèvres, langue, amygdales, anus) rendant le diagnostic difficile.
Nous ne détaillerons pas la symptomatologie clinique de la maladie largement connue.
Nous rappelons seulement la syphilis secondaire survenant entre 1 mois et 1 an après la contamination. La syphilis tertiaire apparaît en l’absence de traitement après quelques années silencieuses.
Le traitement fait appel à la pénicilline parentérale, c’est la thérapeutique à tous les stades. Son efficacité a été prouvée, et contrairement à beaucoup de germes vis-à-vis des antibiotiques, il n’a pas été retrouvé, de souches résistantes.
Nous évoquons un cas de syphilis responsable d’une myocardite qui malgré sa rareté reste grevé d’une morbidité importante.
Cas clinique
Monsieur L., âgé de 35 ans, a été hospitalisé pour douleur thoracique avec fièvre, toux évoluant depuis une semaine. Il n’a aucun antécédent cardiovasculaire et pour seul facteur de risque un tabagisme actif.
L’examen clinique à l’entrée est sans particularité hormis une fièvre à 40°C. Aucun signe clinique d’insuffisance cardiaque. Auscultation cardiaque : bruits du cœur bien perçus, réguliers, sans souffle ni frottement péricardique. L’auscultation pulmonaire est normale. Le reste de l’examen est sans particularités, et notamment pas d’hépatosplénomégalie, d’éruption cutanée, de douleurs articulaires, de pathologies ophtalmiques ou de troubles neurologiques.
L’électrocardiogramme enregistre un rythme sinusal, régulier, à 100/min des QRS fins sans trouble du rythme/conduction ni de la repolarisation.
La biologie met en évidence une anémie microcytaire à 11 g/l, des globules blancs à 16 g/l, CRP à 200 mg/l, troponine à 250 ng/l, créatinine à 79 μmol/l, bilan hépatique normal.
L’échocardiographie transthoracique montre une FEVG à 45 %, avec un petit décollement péricardique postérieur, sans troubles de la cinétique segmentaire et une altération au 2DSLG de -14 % (figure 1).
Figure 1. ETT avec réalisation du strain longitudinal global à -14 %.
Vu le contexte clinique (douleur thoracique) et biologique (troponines élevées), il a bénéficié d’une coronarographie qui est normale.
Devant une forte suspicion de myopéricardite, un traitement par aspirine et colchicine est prescrit. L’IRM myocardique réalisée 2 jours après confirme le diagnostic de myocardite (figure 2).
Figure 2. IRM myocardique. Sur les séquences post-gadolinium, on note une petite prise de contraste en sous-épicardique en rapport avec une myopéricardite.
Devant la persistance d’une fièvre hectique avec des pics à 41°C, nous réalisons un bilan étiologique plus exhaustif, guidé par les étiologies des maladies péricardiques évoquées par les recommandations l’ESC 2015. Hémocultures, ECBU, test grippal : négatifs. Sérologies virales EBV, CMV, VIH, VHC, VHB, adénovirus, parvovirus, coxsackie, rougeole, rubéole : négatives. Sérologies bactériennes Lyme, fièvre Q, brucellose, Chlamydia, mycoplasme : négatives. Antigènes urinaires, pneumocoque et légionnelle : négatifs. Anticorps antinucléaires, anticorps antiantigène nucléaire soluble, TSH, facteur rhumatoïde, ANCA : négatifs. EPS : élévation des alpha2 globulines sans hypergammaglobulines.
Le scanner thoracique montre un trouble ventilatoire atélectasique d’allure fibreuse rétractile postéro-basal droit et une condensation postéro-basale gauche sous-pleurale pouvant correspondre à un trouble ventilatoire surinfecté. Un deuxième scanner infirme le diagnostic d’embolie pulmonaire. De plus, l’endoscopie bronchique est normale avec des prélèvements microbiologiques négatifs, et notamment recherche BK.
À J5, une éruption cutanée prurigineuse morbilliforme du tronc est observée (figure 3). L’examen dermatologique met en évidence des papules palmaires ainsi que des plaques fauchées linguales. Une origine virale, toxidermique ou syphilitique est évoquée. Ceci a été corroboré par les résultats de sérologie syphilitique fortement positifs avec un Veneral Disease Research Laboratory (VDRL) à 1/16 et un Treponema Pallidum Haemagglutination Assay (TPHA) à 1/20 500.
Figure 3. Éruption cutanée à J5.
Après un interrogatoire plus approfondi, le patient révélera un rapport à risque 2 mois auparavant de type fellation non protégée et l’apparition d’un chancre lingual au décours.
Discussion
La syphilis est une infection causée par le Treponema pallidum, appartenant à la famille des Spirochètes (leptospirose, maladie de Lyme). Son incidence est en recrudescence depuis les années 2000, particulièrement dans la population homosexuelle(1). Il s’agit d’une maladie sexuellement transmissible. La Société française de dermatologie n’évoque pas d’atteinte cardiovasculaire dans la syphilis secondaire, qui est essentiellement cutanéo-muqueuse, plus rarement à type de fébricule, poly-adénopathies, arthrites, ostéite, hépatite, glomérulonéphrite, uvéite, méningite(2). Cependant, des atteintes cardiovasculaires lors de la syphilis tertiaire sont documentées : aortite, anévrisme, insuffisance aortique ou atteinte ostiale des troncs coronaires(3-5).
Les atteintes à type de myocardite, péricardite ou myopéricardite ne sont que très peu décrites. En effet, dans les guidelines de l’ESC 2015 sur les maladies péricardiques(6) (qui indiquent que les péricardites et les myocardites partagent des causes communes) l’étiologie bactérienne de la syphilis n’est pas précisée, contrairement à la maladie de Lyme et la leptospirose qui appartiennent à la même famille des Spirochètes. Deux cas de péricardites syphilitiques(7,8) et quelques cas de myocardites syphilitiques dont une par rupture du ventricule gauche ont été rapportés dans la littérature(9).
En pratique
Malgré le peu de cas décrits dans la littérature, compte tenu de l’anamnèse et du contexte clinico-biologique du patient, l’étiologie syphilitique dans sa forme secondaire est retenue pour cette myopéricardite aiguë.
Un traitement par aspirine, pénicilline est entrepris et a permis une bonne récupération de sa fonction cardiaque.
À travers ce polymorphisme clinique, la syphilis confirme son statut de grande simulatrice, et ce depuis la fin du XVe siècle.
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