Coronaires
Publié le 01 mai 2019Lecture 7 min
Les points clefs des recommandations sur la revascularisation myocardique
Michel ZEITOUNI, Jean-Philippe COLLET, Sorbonne Université, ACTION Study Group, INSERM UMRS 1166, Institut de Cardiologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP), Paris
Les recommandations européennes de 2018 sur la revascularisation myocardique ont la particularité d’avoir été rédigées par 3 sociétés savantes : la Task Force sur la revascularisation myocardique de l’ESC, l’association européenne de chirurgie cardiothoracique (EACTS) et l’association européenne de cardiologie interventionnelle (EAPCI). Cette 3e édition 2018 porte toujours le même objectif : répertorier les nouveautés scientifiques et leur niveau de preuve afin de proposer des stratégies de revascularisation myocardique adaptées à chaque situation et à chaque patient.
Les points forts
Sont mises en avant des nouveautés fortes pour l’angioplastie, la chirurgie et les traitements antithrombotiques (figure 1) :
Figure 1. Nouvelles indications dans les recommandations ESC 2018 sur la revascularisation myocardique.
• Les outils FFR (Fractional Flow Reserve) et iwFR (instantaneous wave Flow Reserve) doivent être utilisés en première intention pour évaluer l’ischémie myocardique dans les lésions intermédiaires (IA). L’IVUS et l’OCT peuvent être utilisés en routine pour l’évaluation des lésions du tronc commun non protégé (IIA) et optimiser les résultats de l’angioplastie avec stent (IIA).
• La complexité des lésions évaluée par le score SYNTAX (Synergy Between Percutanous Coronary Intervention with Taxus and cardiac surgery) et le diabète sont les deux critères décisifs pour la Heart Team dans le choix de la stratégie de revascularisation (chirurgicale ou par angioplastie). Dans tous les cas, il faut choisir l’option qui permet la revascularisation la plus complète tout en prenant en compte le souhait du patient et ses comorbidités (figure 2 et tableau).
Figure 2. Algorithme pour la prise en charge de lésions tritronculaires ou tronc commun stable.
• Les stents actifs sont recommandés pour toutes les présentations cliniques, quel que soit le type de lésion, de durée prédite de double antiagrégation plaquettaire (DAPT) ou en association avec une anticoagulation.
• Au-delà des durées classiques de DAPT recommandées (angioplastie stable : 6 mois, infarctus : 12 mois), cette durée est réévaluée au cours du suivi pour chaque patient. Ainsi, en fonction du profil de risque des patients, des traitements aussi courts que 1 mois et prolongés jusqu’à 3 ans sont envisageables.
• Dans le choc cardiogénique, seule l’artère coupable de l’infarctus doit être traitée. L’angioplastie de tous les vaisseaux peut être justifiée lorsque l’artère coupable est difficile à identifier où lorsque plusieurs vaisseaux sont identifiés comme coupables. Enfin, dans certains cas particuliers, l’angioplastie immédiate de toutes les lésions est envisageable lorsque la perfusion d’un territoire très large est compromise et liée à l’artère non coupable.
• Il faut privilégier le pontage aorto-coronarien « tout artériel », avec artères mammaires internes ou artère radiale. En cas de pontage veineux saphène, il convient de recourir à la technique de prélèvement « no touch vein » qui consiste à prélever le tissu autour de la veine.
Les nouveautés dans la maladie coronaire stable
Mesure de l’ischémie et de la viabilité : FFR et iwFR au premier plan
En 2011, une sous-étude de l’essai clinique STICH qui évaluait la revascularisation dans la dysfonction ventriculaire gauche après évaluation de la viabilité par SPECT ou échographie dobutamine versus le traitement médical a démontré l’absence d’association entre la viabilité myocardique et les bénéfices de la revascularisation. Ceci confirme les résultats de l’essai randomisé PARR-2 quelques années plus tôt, dans lequel la revascularisation guidée par la viabilité établie par FDG-PET n’avait pas montré de diminution des événements ischémiques et de la mortalité.
Par conséquent, l’évaluation de l’ischémie et de la viabilité par imagerie non invasive est recommandée au cas par cas (IIb, niveau de preuve B) en cas de dysfonction ventriculaire gauche d’origine ischémique.
A contrario, les recommandations mettent au premier plan la mesure de la FFR et de l’iwFR avec une classe I et un niveau de preuve A. La FFR prend aussi sa place dans l’évaluation des lésions pluritronculaires avec une classe IIa niveau B. L’iwFR fait son entrée dans les recommandations suite aux études iFR-SWEDEHEART et DEFINE-FLAIR qui ont démontré la noninfériorité de cette technique en comparaison à la FFR.
Imagerie endocoronaire pour évaluer les lésions et guider l’angioplastie
Ces recommandations font une place importante à l’imagerie endocoronaire par tomographie en cohérence optique (OCT) et par échographie endocoronaire (IVUS). Trois études publiées depuis 2005 ont démontré la sécurité et le bénéfice de l’IVUS par rapport à l’œil de l’opérateur pour évaluer les lésions et une tendance à la diminution de la mortalité à long terme. Ces études ont mené à 3 recommandations distinctes de l’utilisation de ces techniques pour guider la revascularisation myocardique :
– pour l’évaluation anatomique des lésions du tronc commun non protégé (IVUS : IIa-B) ;
– pour l’évaluation des resténoses liées à des malpositions ou défects de stent (OCT et IVUS : IIa-C) ;
– pour optimiser l’implantation des stents lors des angioplasties (IIa-B).
Lésions pluritronculaires : PAC ou angioplastie (ATL) ?
(tableau)
Les essais randomisés SYNTAX et PRECOMBAT et les registres ont démontré que le degré de revascularisation coronaire avait un impact direct sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaires.
La stratégie qui permet la revascularisation la plus complète est donc à privilégier (I-B). La Heart Team doit ensuite se baser sur le score SYNTAX et l’existence ou non d’un diabète (figure 2).
• En cas de lésions tritronculaires : un score SYNTAX supérieur à 22 indique fortement un PAC (ATL : III-A, PAC : I-A) ; un score SYNTAX compris entre 0 et 22 rend l’ATL et le PAC également envisageables chez le nondiabétique (I-A), mais favorise le PAC chez le patient diabétique (ATL : IIb-A, PAC : I-A)
• En cas de lésion du tronc commun, l’ATL et le PAC sont recommandés de manière équivalente si le score SYNTAX est inférieur à 22 (I-A). En cas de score SYNTAX supérieur à 22, c’est le PAC qui prime (ATL : IIa- A, PAC : I-A). En cas de score SYNTAX supérieur à 32, une prise en charge chirurgicale doit être effectuée, et l’angioplastie est très fortement déconseillée (ATL : III-B, PAC : I-A).
• En cas de dysfonction ventriculaire gauche (< 35 %), les recommandations ESC 2018 statuent fermement pour une revascularisation chirurgicale chez les patients opérables (classe I-B). Cette recommandation se base sur le suivi à 10 ans de l’étude STICH.
• Dans tous les cas, le score STS doit être calculé (I-B) pour prédire la morbi-mortalité intrahospitalière et à 30 jours après un pontage aorto-coronaire, et l’EUROSCORE II (IIb-B).
Recommandations techniques et chirurgicales
Pour l’angioplastie
• La voie radiale est pour la première fois recommandée comme la voie standard pour toute procédure d’angiographie et d’angioplastie (I-A).
• Une angioplastie par provisional T stenting est recommandée pour la bifurcation avec un stent dans le vaisseau principal et une angioplastie au ballon seul dans la branche fille (stent seulement si nécessaire) (I-A).
• Les stents actifs sont recommandés en première intention, quels que soient le contexte clinique, le type de lésions et les traitements antithrombotiques nécessaires (I-A).
• A contrario, les stents biorésorbables sont exclus de la pratique courante (III-C).
• La prévention de la néphropathie induite par l’iode doit être faite par une perfusion de sérum physiologique avant et après la procédure chez les patients porteurs d’une maladie rénale chronique modérée ou sévère (I-C).
Pour la chirurgie de pontage aortocoronarien
• Privilégier les pontages tout artériel – artères mammaires internes et/ou radiales – par rapport aux ponts veineux saphènes sujets à des involutions et resténoses (I-B).
• La méthode du prélèvement veineux saphène « no touch vein » consistant à prélever la veine saphène avec le tissu endothélial qui l’entoure doit être privilégiée en cas de pontage veineux (IIa-B).
Recommandations techniques et chirurgicales
Anticoagulation dans le syndrome coronarien aigu
• La bivalirudine est rétrogradée suite aux essais cliniques HEATPPCI et VALIDATE-SWEDE-HEART montrant l’absence de bénéfice de la bivalirudine, voire un sur-risque de thrombose de stent dans MATRIX. Cette dernière est rétrogradée à une classe IIb-A dans les syndromes coronariens aigus avec et sans susdécalage du segment ST.
• L’héparine non fractionnée reste recommandée en classe I avec un niveau de preuve C, et l’énoxaparine en IV pour le SCA ST+ et en sous-cutané pour le SCA ST- (IIa-B).
Durée de la double antiagrégation plaquettaire (DAPT)
Quels que soient le type de stent implanté et la situation clinique, la DAPT doit être adaptée au profil de risque du patient.
Elle peut être raccourcie à 1 mois chez les patients à haut risque hémorragique (IIb-C), mais prolongée jusqu’à 30 mois en cas de haut risque ischémique (IIb-A). Les scores DAPT et PRECISE-DAPT peuvent aider à établir ce risque (IIa-A).
Les inhibiteurs du P2Y12 dans la maladie coronaire stable
L’utilisation du prasugrel ou ticagrelor dans la maladie coronaire stable est reconduite avec une classe IIb et niveau de preuve C. Il conviendra d’attendre les résultats des essais ALPHEUS (NCT02617290) et SASSICAIA (NCT02548611) qui évaluent respectivement le ticagrelor et le prasugrel dans l’angioplastie programmée.
Les AOD dans la maladie coronaire avec fibrillation atriale concomitante
Suite aux résultats de PIONEER AF et REDUAL-PCI, les anticoagulants oraux directs sont recommandés en première intention en l’absence de contre-indication (IIa-A). Une durée de triple thérapie de 1 mois est recommandée par défaut, quel que soit le type de stent implanté (IIa-B) avec la dose d’AOD réduite (IIa-C).
Les anticoagulants oraux directs (AOD) dans les suites d’un infarctus du myocarde
Le rivaroxaban 2,5 mg x 2/j peut être prescrit en plus de la double antiagrégation plaquettaire après un infarctus du myocarde chez les patients à haut risque ischémique et bas risque hémorragique (classe IIb-B). Cette recommandation se base sur l’ étude ATLAS ACS -2 TIMI 51 qui a montré un bénéfice sur les événements ischémiques, au prix d’une augmentation significative des hémorragies majeures.
En pratique
Ces recommandations sont avant tout pratiques et donnent des indications claires et précises sur presque toutes les situations cliniques tout en laissant une place à une approche sur mesure.
Elles ont le mérite d’être en phase avec celles de l’ACC/AHA, mais aussi avec celles touchant des sujets aussi divers de la fibrillation atriale, l’infarctus, la durée du traitement antiplaquettaire. Un grand soin a été apporté à la facilité de leur lecture.
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