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Cardiologie générale

Publié le 15 nov 2019Lecture 7 min

Interprétation de la VO2 : quand le poumon s'en mêle

Amel MAMERI et coll.*, Institut de Cardiologie, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, IHU ICAN, Paris ; Service EFR pôle Prague, GHU Pitié-Salpêtrière, Paris

En cardiologie, l’exploration d’une fatigue ou d’une dyspnée lors d’un test d’effort avec mesure des échanges gazeux (EFX ou VO2) s’attache principalement à évaluer la réserve systolique, la qualité de l’adaptation circulatoire, la réponse chronotrope ou encore les pressions de remplissage. Mais en pratique, cette approche cardio-centrée est souvent prise en défaut. D’autres organes — poumon ou muscle squelettique — peuvent contribuer à la limitation à l’effort, soit parce que la cardiopathie les affecte, soit parce qu’il existe une pathologie associée. Une exploration plus globale de l’effort s’impose. Elle peut être facilement réalisée lors d’une EFX en mesurant des paramètres simples de la ventilation et de l’hématose. S’appuyant sur des cas cliniques rencontrés en routine, cet article décrit les démarches diagnostiques permettant de faire la part entre le poumon et le cœur.

Avant d’aborder les cas cliniques, il est probablement utile de rappeler ce qu’est une réponse ventilatoire normale lors d’un exercice et les paramètres utilisés pour la caractériser (figure 1 ) . Figure 1. Réponse ventilatoire à l’effort. A. Les différents volumes mobilisés. B. Courbe débit volume enregistré contrôle de repos et lors de l’effort. C. Évolution des volumes de réserve inspiratoire (VRI) et expiratoire (VRE). Cas clinique 1 : obstruction bronchique Monsieur S., âgé de 65 ans, se plaint d’une dyspnée invalidante. Il est suivi en cardiologie pour une cardiopathie dilatée primitive et souffre d’un asthme ancien. La dernière échocardiographie montre un ventricule gauche (VG) dilaté avec une fraction d’éjection du ventricule gauche modérément altérée (FEVG 45 %), les pressions de remplissage ventriculaire sont normales au repos, le débit cardiaque conservé et il n’existe pas d’hypertension pulmonaire (HTP). La spirométrie réalisée à l’aide d’un embout buccal juste avant de démarrer l’EFX, documente une obstruction bronchique de repos (VEMS 1,8 l ; rapport de Tiffeneau : VEMS/CV 35 %) non réversible après inhalation d’un bronchodilatateur. L’épreuve triangulaire (pente 10 W/minute) est arrêtée pour une dyspnée cotée 8/10 sur l’échelle de Borg ; la charge atteinte est de 80 W et la VO2 au pic de 16 ml/min/kg (48 % de la VO2 théorique). Il s’agit bien d’une limitation importante à l’effort. Le premier seuil ventilatoire (SV1 [correspond au passage d’un métabolisme purement aérobie à un métabolisme mixte, aéro/anaérobie, avec production d’acide lactique]) tardif (charge 70 W) et la montée régulière de la pression artérielle indiquent une réponse circulatoire normale. En revanche, la réserve ventilatoire est épuisée en fin d’effort (normalement > 20 % de la VMM [volume maximal minute]). Le volume courant (Vt) atteint rapidement un plateau à mi effort alors qu’une tachypnée apparaît (figure 2). La diminution, durant l’exercice, de la capacité inspiratoire (CI) et l’augmentation de la capacité résiduelle fonctionnelle (figure 2) sont typiques d’un phénomène de distension dynamique. Figure 2. Profil obstructif. A. Courbe débit volume enregistré avant le début de l’exercice (tracé bleu) montrant un profil obstructif. Lors de l’effort, on demande au patient d’effectuer une inspiration forcée pour mesurer la CI (tracé rouge). On voit que la CI diminue et se déplace vers la gauche, témoin d’une augmentation de la CRF. B. Plateau de Vt (carré bleu) et tachypnée (triangle vert). Clairement, la limitation importante à l’effort chez ce patient est d’origine ventilatoire, l’adaptation cardio-circulatoire est conservée pour ce niveau d’exercice. À côté des pathologies bronchiques, la distension dynamique est fréquemment observée chez les patients obèses, âgés, ou insuffisants cardiaques chez qui l’œdème interstitiel pulmonaire peut entraîner une obstruction des bronches distales (voir cas n°3). Ce piégeage expiratoire de l’air contenu dans les alvéoles est responsable d’une dyspnée importante. Cas clinique 2 : restriction Monsieur P., 48 ans, suivi pour une cardiomyopathie dilatée à coronaires saines avec une altération de la fonction systolique (FEVG à 35 %) est adressé pour bilan d’une dyspnée NYHA III. Sa principale comorbidité est une obésité (IMC 45). Son traitement associe bisoprolol et ramipril. L’EFX est mené jusqu’à une charge de 140 W, arrêtée principalement pour dyspnée à 80 % de la FMT. Le pic de VO2est à 21,7 ml/min/kg soit 71 % de la théorique. L’adaptation cardiocirculatoire est correcte comme l’indique un premier seuil ventilatoire SV1 atteint tardivement (58 W et une VO2 de 11,3 ml/ min/kg) et une montée régulière de la pression artérielle. La pente ventilatoire VE/VCO2 = 40 est à la limite supérieure. La récupération est lente avec T1/2 > 80 s. La spirométrie réalisée en début d’examen montre un aspect de restriction (figure 3) avec une diminution de la capacité vitale forcée (CVF) et du VEMS alors que le rapport de Tiffeneau est normal. Figure 3. Profil restrictif. Courbe débit volume enregistrée avant le début de l’exercice (tracé gris) montrant un profil restrictif marqué par une augmentation du Vt en début d’effort (tracé bleu) puis qui atteint un plateau, la réserve inspiratoire est quasi nulle à mi-effort. Lors de l’effort, le patient est incapable de mobiliser sa réserve ventilatoire : le Vt augmente peu, la réserve inspiratoire en fin d’inspiration est d’emblée < 100 ml et la CRF est fixe. La limitation à l’effort chez ce patient est d’origine ventilatoire liée à la restriction. Cas clinique 3 : dyspnée multifactorielle Il s’agit d’un patient de 64 ans, obèse, porteur d’une cardiopathie ischémique (FEVG 30 %) appareillée avec un DAI, d’un emphysème et d’un syndrome d’apnée du sommeil. Son traitement comporte ramipril, bisoprolol et 20 mg de furosémide. Une fatigue et une dyspnée survenant pour les efforts du quotidien motivent l’EFX. Le test est arrêté à 65 % des valeurs théoriques (pic VO2 15 ml/min/kg charge à 100 W). Le premier seuil ventilatoire atteint pour une charge de 60 W est correct, la pression artérielle monte régulièrement, la réponse chronotrope est plate, 52 % de la FMT est atteinte, témoin d’un bêtablocage important ; l’entraînement ventriculaire est permanent. Ces données indiquent une adaptation cardiocirculatoire conservée pour ce niveau d’effort malgré une limitation de la réponse chronotrope. En revanche, il existe une limitation ventilatoire franche marquée par l’épuisement de la réserve ventilatoire en fin d’effort (11 %), un plateau de Vt atteint à mieffort et une tachypnée. Cette limitation ventilatoire est liée à une distension dynamique typique qui peut être attribuée à l’obstruction bronchique distale bien vue sur la courbe débit volume de repos (figure 4) et à l’obésité (difficulté à augmenter le Vt proche du VR). Une désaturation franche en fin d’effort (85 %) témoigne d’un trouble de la diffusion et d’un effet shunt (obésité et emphysème). En conclusion, cette limitation à l’effort est due par ordre d’importance physiopathologique : à une insuffisance de la mécanique ventilatoire, à une anomalie des échanges gazeux puis à une réponse chronotrope insuffisante. Figure 4. A. Lors de l’effort, le Vt atteint un plateau au dernier tiers (flèche verte) associée à une tachypnée (flèche rouge). B. La courbe débit volume montre une banale obstruction distale au repos (courbe grise) ; lors de l’effort, il se produit un phénomène typique de distension dynamique avec déplacement du Vt vers la gauche et une augmentation de la CRF (tracé bleu repos). Autres anomalies La VO2, un examen performant pour l’étude de la circulation pulmonaire La PeTCO2 (l’enrichissement en CO2 des alvéoles), la pente VE/VCO2 (le débit ventilatoire développé pour éliminer un litre de CO2 aussi appelé efficience ventilatoire) et le rapport espace mort/volume couvrant (Vd/Vt) sont trois paramètres qui dépendent du rapport ventilation/perfusion alvéolaire, c’est-à-dire en grande partie de l’augmentation du débit circulatoire artériel pulmonaire à l’effort. La figure 5 montre un profil typique d’HTP qui s’aggrave à l’effort : PETCO2 basse au repos (< 25 mmHg) et qui chute dès le début de l’effort, pente VE/VCO2 abrupte à 40 et absence de diminution de (Vd/Vt) (0,54 repos et 0,45 fin d’effort). Figure 5. Profil d’HTAP. A. Pressions partielles en O2 (bleu) et en CO2 (rouge) en fonction de la VO2, chute de la PetCO2 dès le début de l’effor. B. Équivalent respiratoire pour le CO2 : pente ventilatoire augmentée. C. Équivalent respiratoire pour l’O2. L’analyse fine du mode ventilatoire est un temps important de l’EFX En cardiologie, on connaît bien les oscillations ventilatoires amples enregistrées lors de longues périodes de repos chez des patients au stade terminal de l’insuffisance cardiaque. La figure 6 montre un autre type de mode ventilatoire anormal marqué par des oscillations ventilatoires incessantes, amples et associé à un hyper débit ventilatoire disproportionné par rapport au niveau d’effort. Il s’agit d’un syndrome d’hyperventilation inappropriée (SHV) qui peut être facilement confirmé par un test d’hyperventilation provoquée et le questionnaire de Nijmengen. Un SHV n’est pas rare chez les patients de cardiologie, notamment après chirurgie cardiaque. La physiopathologie est mal connue, elle pourrait faire intervenir un défaut de commande centrale de la respiration séquelle de la circulation extracorporelle ou d’une ventilation assistée. Quel qu’en soit le mécanisme, la non reconnaissance d’un SHV est responsable d’une inflation d’examens complémentaires et d’adaptations thérapeutiques inefficaces, alors, qu’une prise en charge simple par un kinésithérapeute peut en améliorer la tolérance. Temps (minutes) Temps (minutes) Figure 6. Profil d’hyperventilation inappropriée. EFX anormale avec oscillations respiratoires de plus de 15 % pendant plus de 60 % de l’exercice. En pratique L’intolérance à l’effort est le plus souvent la somme de limitations touchant les différentes étapes du transport de l’oxygène de l’alvéole au muscle. L’identification de ces étapes limitantes et leur hiérarchisation sont essentielles pour comprendre pourquoi un patient est limité à l’effort, et pouvoir y apporter une réponse adaptée (figure 7). Ainsi, la place grandissante prise par l’exercice dans le bilan, le suivi et le traitement des patients de cardiologie font, aujourd’hui, de l’EFX un examen majeur en cardiologie. L’analyse de la réponse ventilatoire est un temps important de cette exploration. Figure 7. Algorithme pour le diagnostic étiologique d’une dyspnée à l’aide des paramètres de l’EFX.

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