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Cardiologie générale

Publié le 15 avr 2020Lecture 7 min

COVID‑19 et système cardiovasculaire : quelles interactions ?

Étienne PUYMIRAT, Département de cardiologie, Hôpital européen Georges Pompidou, Paris

Le COVID-19 est une infection secondaire à un virus appelé coronavirus 2 (SARS-CoV-2), responsable d’un syndrome respiratoire aigu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les coronavirus sont fréquents en période hivernale et responsable de syndromes grippaux le plus souvent sans gravité. Les premières données épidémiologiques du COVID-19 montrent un risque de contamination très fort et un risque cardiovasculaire réel (décompensation cardiaque, infarctus du myocarde, myocardite aiguë…).

Profils de risque des premiers patients contaminés Les premières données épidémiologiques du foyer de l’épidémie en Chine portent sur un échantillon de 1 099 patients confirmés COVID-19+ au sein de 30 provinces (552 hôpitaux)(1). L’âge médian des patients était de 47 ans (42 % de femmes) ; 5 % ont été admis dans des unités de réanimation, 2,3 % ont été ventilés mécaniquement et 1,4 % sont décédés. Ces premières données ont permis d’en savoir plus sur cette infection. La durée médiane d’incubation est de 4 jours (2-7 jours). La présentation clinique la plus fréquente est une toux fébrile. La fièvre est toutefois absente chez la moitié des patients lors de la prise en charge initiale mais devient quasi constante en cours d’hospitalisation (90 % des cas). Ces symptômes sont accompagnés d’un syndrome pseudo-grippal (myalgies, courbatures…) dans 10 à 40 % des cas. Les symptômes digestifs sont plus rares (8 %). Les patients présentent le plus souvent un syndrome alvéolo-interstitiel à la radio pulmonaire ou au scanner thoracique (56 %) illustré sur la figure 1 ; un syndrome inflammatoire biologique (61 %) et une lymphopénie (83 %). Figure 1. Imagerie pulmonaire à l’admission d’un patient pris en charge pour une infection COVID-19 confirmée. Radiographie pulmonaire (à gauche) ; scanner thoracique (à droite) : montrant une pneumopathie interstitielle aiguë d'origine infectieuse pouvant entrer dans le cadre d'une infection à SARS-CoV-2 (plages de verre dépoli, diffuses et bilatérales, à prédominance sous-pleural, sans épanchement pleural). La majorité des patients (84 %) présente une forme bénigne mais 16 % d’entre eux ont présenté une forme grave définie soit par une saturation < 93 % en air ambiant, soit une polypnée (> 22/min), soit des opacités alvéolaires > 50 % des poumons, soit un rapport PaO2/FiO2 < 300. Les formes les plus sévères surviennent plus fréquemment chez des patients > 65 ans (risque x 2) et les patients présentant des comorbidités (hypertension, diabète et antécédents de cardiopathie ischémique et de bronchopneumopathie chronique). Chez les patients sévères le taux de décès est de l’ordre de 8 %. D’autres données provenant d’une série de 138 patients hospitalisés dans la région de Wuhan en Chine ont également montré une forte prévalence d’au moins une comorbidité cardio-métabolique (HTA et diabète notamment) ou cérébro-vasculaire (46 %)(2). Chez les patients développant les formes les plus sévères, l’HTA est retrouvé chez 58 % des patients, le diabète chez 22 % et une « pathologie cardiaque » chez 25 %. Il semblerait qu’une surmortalité soit observée chez les patients ayant des antécédents CV y compris par rapport à ceux ayant des antécédents de pathologies respiratoires chroniques (BPCO…). Une élévation de la troponine I a été rapportée chez 10 à 20 % des patients hospitalisés pour une infection au COVID-19 sans que les patients soient forcément être symptomatiques(3). L’augmentation de la troponine serait un facteur pronostique péjoratif(4). Principales interactions cardiovasculaires Les interactions entre le SARS-CoV-2 et le système cardiovasculaire sont schématisés sur la figure 2(5) : • DIRECTES liées aux réponses de l’organisme à l’inflammation systémique, à la décharge de cytokines (entre J6 et J8) et à la liaison entre le virus et les cellules exprimant certains récepteurs dont celui de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2. En effet, Les infections SARS-CoV seraient déclenchées par la liaison d’une protéine virale à l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2, très présente dans les poumons mais également dans le cœur, localisé dans les macrophages, l’endothélium vasculaire, le muscle lisse et les myocytes(6). En pratique, cette interaction directe se manifeste le plus souvent par de l’hypotension, de la tachycardie ou de la bradycardie, des arythmies (fibrillation atriale essentiellement) et des morts subites. • INDIRECTES liées à l’inflammation systémique à l’origine de déstabilisation de plaques d’athérome (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral) et d’inflammation du myocarde (myocardite) mais aussi à un aspect procoagulant pouvant favoriser des thromboses de stent et entraîner des manifestations thromboemboliques. L’infection COVID-19 peut donc être responsable d’une déstabilisation des pathologies cardiovasculaires chroniques en rapport à une augmentation des besoins métaboliques et une diminution des réserves cardiaques. Les patients les plus à risque seraient les coronariens et ceux ayant une insuffisance cardiaque (notamment avec une dysfonction ventriculaire gauche). Figure 2. Interactions entre le SARS-CoV-2 et le système cardiovasculaire. Faut-il arrêter les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (IEC) et les antagonistes des récepteurs AT1 de l'angiotensine (ARA-2) ? Une toxicité des IEC et des ARA-2 a été évoquée chez les patients infectés à cause de l’interaction du virus avec certains récepteurs dont celui de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2. Une prise de position par la Société européenne d’hypertension (https://www.eshonline.org/spotlights/esh-statement-on-covid-19/) recommande de maintenir ces traitements (encadré 1). L’arrêt de ces traitements doit s’envisager au cas par cas (hypotension…). Encadré 1. Prise de position de la Société européenne d’hypertension (ESH) concernant la prescription des IEC des ARA2. *https://www.ecdc.europa.eu/en/novel-coronavirus-china **https://www.eshonline.org/spotlights/esh-statement-on-covid-19 Peut-on proposer des stratégies de prévention aux complications cardiovasculaires ? Plusieurs stratégies ont été suggérées pour lutter contre les effets de l’inflammation systémique et l’aspect procoagulant. • Majoration des traitements de prévention secondaire : antiagrégeant plaquettaire, statines à fortes doses, bêtabloquant, et inhibiteur de l’enzyme de conversion. • Poursuite des antithrombotiques chez les patients ayant eu une revascularisation par angioplastie récente. • Instauration d’un traitement de prévention secondaire chez les patients à haut risque CV sans antécédent de pathologies CV documentées. Toutes ces stratégies mériteraient d’être évaluées dans des essais cliniques En attendant d’éventuelles résultats, l’optimisation des traitements ne pourra être envisagée qu’au cas par cas selon la balance bénéfices/risques. Prise en charge des syndromes coronariens aigus (SCA) Les conséquences du COVID-19 sur la prise en charge des syndromes coronariens sont importantes. L’American College of Cardiology (ACC) préconise de ne réaliser en urgence que les patients présentant un infarctus avec sus-décalage du segment ST ou sans sus-décalage ST à haut risque (douleur thoracique persistante, choc cardiogénique, sus-ST transitoire, troubles du rythme ventriculaire). La prise en charge invasive des autres patients devant être soit différée (le temps d’avoir le résultat du test de dépistage en cas de suspicion d’infection), soit annulée (en privilégiant le traitement médical). On observe actuellement un peu partout en France une diminution des admissions en USIC pour un SCA. Plusieurs hypothèses sont avancées : service médical préhospitalier saturé, peur des patients d’être hospitalisés et d’être contaminés. Les délais de prise en charge (patient delay et system delay) semblent s’allonger. À Hong Kong, 7 patients ont été pris en charge entre le 27 janvier et le 10 février (contre 108 patients aux même dates l’année précédente) avec un délai entre le premier symptôme et le premier contact médical multiplié par 4 (318 h vs 82 h). Quelles protections pour les soignants ? Les « gestes barrières » sont évidemment essentiels pour limiter la propagation du virus. Il faut toutefois rappeler qu’environ 30 % des patients contaminés seraient asymptomatiques. Le port d’un masque (patient et professionnel de santé) et le respect d’une certaine distance (minimum 1 mètre) sont essentielles. Le report des examens non urgents et des consultations non urgentes relève du bon sens. La télécardiologie semble une solution pour la plupart des patients « stables ». Enfin, depuis le passage en phase 3 de l’épidémie, le syndicat national des cardiologues a publié une circulaire pour le cardiologue libéral face à cette épidémie (encadré 2). Encadré 2. Circulaire pour le cardiologue libéral face à cette épidémie publiée par le Syndicat national des cardiologues. Principaux essais cliniques : attention aux complications cardiaques potentielles Des études observationnelles ont été mises en place en France, notamment à l’initiative de l’INSERM (cohorte French COVID19). Plusieurs essais vont être initiés prochainement impliquant la chloroquine, la colchicine, les immunomodulateurs (anti-IL1, anti-IL6, anti-IL17, anti-complément, anti-TNF, anti-JAK), les anti-VEGF. L’utilisation des traitements antiviraux peut toutefois engendrer des complications cardiovasculaires tels que les arythmies (avec l’oseltamivir), des troubles de conduction (ribavirine). Enfin, la chloroquine semblerait pouvoir réduire la charge virale via une inhibition de la fusion des membranes cellulaires et virales, et la glycosylation des récepteurs cellulaires du virus. La chloroquine est cependant à l’origine de potentiels effets indésirables, notamment cardiaques : allongement du QTc (favorisant ainsi les troubles du rythme ventriculaire et les morts subites), troubles de la conduction (toxicité chronique) et dysfonctions ventriculaires gauches. L'étude très médiatisée du Pr Didier Raoult à Marseille justifie en tout cas la mise en place d'études bien construites avec cette molécule. En pratique Le COVID-19 est une infection secondaire à un virus appelé coronavirus 2 (SARS-CoV-2), responsable d’un syndrome respiratoire aigu. Les manifestations cardiovasculaires liées à directement au COVID-19 sont l’hypotension, la tachycardie/bradycardie, les arythmies et les morts subites. Les manifestations cardiovasculaires indirectes du COVID-19 (inflammation systémique, contexte procoagulant) sont responsables de déstabilisation de pathologies CV chroniques (décompensation cardiaque), d’infarctus du myocarde, de myocardite aiguë et de manifestations thromboemboliques. De nombreux essais thérapeutiques viennent de débuter avec des molécules potentiellement génératrices de complications cardiaques à prendre en compte (trouble de conduction, troubles du rythme, allongement du QTc…).

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