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Cardiologie générale

Publié le 15 déc 2020Lecture 7 min

Aujourd’hui, on devrait « traiter » nos patients fumeurs comme on traite nos hypertendus…

Kamel ABDENNBI, tabacologue, cardiologue, service réadaptation cardiaque, hôpital Léopold Bellan, Paris

En France, en 2017, 26,9 % des 15-75 ans déclaraient fumer du tabac quotidiennement(1) ces taux sont parmi les plus élevés des pays occidentaux. Responsable de plus de 73 000 décès par an en France(2), le tabac constitue la première cause de mortalité évitable. Parmi les victimes d’un infarctus, à moins de 45 ans, plus de 80 % sont fumeurs. Afin de réduire la part importante du risque cardiovasculaire lié au tabac, il est impératif d’arriver à un arrêt total et définitif du tabac, sans laisser de place au « petit fumeur ».

Comme l’a bien montré l’étude Oslo Heart Study(3), fumer 1 à 4 cigarettes par jour augmente le risque relatif (RR) de décès par maladie coronaire des fumeurs à 2,79 chez les hommes et 5,03 chez les femmes, par rapport aux nonfumeurs. Même si l’arrêt du tabac après un événement coronarien est validé par toutes les recommandations avec un niveau de preuve : I, A, forte, il est mal pris en charge par les cardiologues, comme l’illustrent les différentes enquêtes EUROASPIRE(4) qui montrent un statu quo affligeant en termes de résultats sur le sevrage tabagique des coronariens puisque 50 % des patients sont à nouveau fumeurs 6 mois après leurs accidents coronaires ! Immenses désillusions et aveux d’échecs pour la prévention des rechutes. Que font les cardiologues français pour leurs patients fumeurs, ceux-ci recommandent l’arrêt du tabac à leurs patients dans 85 % des cas, mais ne sont que 5,4 % à proposer un traitement(5) ! Avec la publication récente des dernières recommandations américaines de l’ATS(6), un espoir est peutêtre né, qui va peut-être bouleverser nos pratiques face aux fumeurs et nous rendre plus proactifs et prescrire la varénicline à nos patients même chez ceux qui ne sont pas prêts à arrêter de fumer ? Nous pouvons et devons changer de stratégie pour modifier nos piètres résultats obtenus jusque-là ! Changer de stratégie : A, B, C A, B, C : A (ask), B (brief advice), C (cessation support) pour tous les fumeurs Après les différentes stratégies prônées par L’OMS depuis des années, sans trop de succès, il est temps de suivre les « bons élèves » néo-zélandais qui eux, appliquent simplement leur acronyme (A, B, C) avec succès puisque le niveau de prise en charge des fumeurs dans ce pays est un exemple avec des taux de fumeurs autour de 16 % seulement. Pour le personnel soignant de ce pays, A B C est une règle d’or : A comme ask (demander) : fumez-vous ? Si la réponse est oui, passer à l’étape d’après, B comme brief advice (conseiller l’arrêt du tabac) : le message doit être fort, clair et personnalisé. Exemple d’une phrase type à utiliser : « Je pense qu’il est important pour vous d’arrêter de fumer maintenant et je pourrais vous aider ». Sans être expert en entretien motivationnel, le cardiologue doit saisir toutes les occasions, lors, par exemple de toute exploration invasive ou non invasive pour parler du bénéfice de l’arrêt du tabac à son patient ; il faut surtout mettre en avant les bénéfices rapides de l’arrêt. C comme cessation support : proposer un traitement du tabagisme et ne pas laisser partir le fumeur sans ordonnance exactement comme on le ferait pour traiter une HTA, une dyslipidémie ou un diabète. Les recommandations actuelles plaident sans ambiguïté pour cette stratégie et sur la prescription de varénicline en première intention(6). Des recommandations HAS très en retard sur l’actualité… Les recommandations françaises sur la prise en charge du tabac sont malheureusement très en retard (HAS 2014) et auraient besoin d’être réactualisées. En 2014, elle recommandait en premier lieu un accompagnement par un professionnel de santé avec un soutien psychologique, et un traitement médicamenteux si nécessaire, avec priorité aux substituts nicotiniques, voire combiner les formes orales (gommes, comprimés, pastilles, inhaleurs ou sprays buccaux) à des patchs puis arrive la varénicline (Champix®) en seconde intention après échec des stratégies comprenant des substituts nicotiniques. Dans ces indications, ce médicament est remboursé à 65 % par l’Assurance maladie, et délivré uniquement sur prescription médicale. En France, depuis le 1er janvier 2019, ces traitements sont remboursés sur prescription à 65 % par l’Assurance maladie obligatoire et ne sont plus soumis à un plafonnement annuel de remboursement. Malheureusement, les recommandations de la HAS (2014) sont dépassées, car nous avons de nouvelles évidences qui devraient les faire réviser. Le traitement par la varénicline plébiscité en 2020 L’American Thoracic Society a émis de nouvelles recommandations en mai 2020, evidence based, tenant compte des différentes études validées et la varénicline est passée en première intention. La varénicline est un médicament agoniste partiel des récepteurs nicotiniques cérébraux indiqué dans le sevrage tabagique, il diminue les symptômes de sevrages en agissant sur le système nerveux à la place de la nicotine et réduit le plaisir de fumer en diminuant la sensibilité du système nerveux à la nicotine. Il est contre-indiqué chez les femmes enceintes et non recommandé chez les femmes qui allaitent. Plusieurs études ont démontré des réductions substantielles de la morbi-mortalité chez les patients atteints de maladies cardiovasculaires ayant arrêté de fumer. Deux essais contrôlés randomisés(7,8) ont examiné l’efficacité des traitements de sevrage tabagique chez les patients hospitalisés atteints de SCA. Dans l’essai EVITA(8), la varénicline, initiée à l’hôpital après le SCA est efficace pour arrêter de fumer pendant les 24 semaines suivant l’événement et pendant le suivi à 52 semaines. En termes d’événements indésirables aucune différence entre les 2 groupes. En termes de sécurité d’emploi, la varénicline a souvent été mise à mal sur les réseaux sociaux évoquant plus de suicides, d’effets psychiatriques, etc. avec probablement l’industrie du tabac en embuscade ! En réalité, une étude de cohorte(9) publiée en 2013 (125 000 personnes sur 5 ans) a conclu qu’il n’y avait pas de sur-risque de comportement suicidaire chez les patients traités par varénicline (Champix®) et bupropion (Zyban®) comparé à ceux traités avec des substituts nicotiniques et en 2016, l’étude EAGLES n’a pas montré plus d’effets secondaires neuropsychiatriques attribuables à la varénicline ou le bupropion par rapport aux patchs à la nicotine ou le placebo et a montré une efficacité de la varénicline supérieure au placebo, les patchs à la nicotine et le bupropion dans l’aide à l’arrêt du tabac. Les dernières recommandations US ont émis 7 points précis 1. Pour les adultes fumeurs chez qui un traitement est initié, il est recommandé de prescrire d’abord la varénicline plutôt qu’un patch à la nicotine (forte recommandation, certitude modérée sur les effets estimés). Remarques : pour promouvoir l’observance du traitement pharmacologique, les prescripteurs doivent être prêts à conseiller leurs patients sur l’innocuité et l’efficacité relative du traitement à la varénicline par rapport à un patch à la nicotine. 2. Pour les fumeurs adultes chez lesquels un traitement est instauré, nous recommandons plus la varénicline que le bupropion (forte recommandation, certitude modérée quant aux effets estimés). 3. Suggérer varénicline plus un patch à la nicotine par rapport à la varénicline seule (recommandation conditionnelle, faible certitude des effets estimés). 4. Suggérer la varénicline par rapport à la cigarette électronique (recommandations conditionnelles, très faible certitude quant aux effets estimés). 5. Chez les fumeurs adultes qui ne sont pas prêts à arrêter de fumer, nous recommandons aux cliniciens de commencer le traitement par varénicline plutôt que d’attendre que les patients soient prêts à arrêter de fumer (recommandation forte, certitude modérée des effets estimés). 6. Pour les fumeurs adultes atteints de troubles psychiatriques concomitants, y compris les troubles liés à l’usage de substances, la dépression, l’anxiété, la schizophrénie et/ou les troubles bipolaires, pour lesquels un traitement est instauré, nous recommandons la varénicline plutôt qu’un patch à la nicotine (recommandation forte, certitude modérée dans les effets estimés). 7. Pour les fumeurs adultes, pour lesquels un traitement est initié avec la varénicline, nous recommandons d’utiliser une thérapie de durée prolongée (> 12 semaines) plutôt que la durée standard (6-12 semaines) (recommandation forte, certitude modérée des effets estimés). Soyons proactifs et nous augmenterons le nombre de sevrages tabagiques chez nos patients Sur le tableau de risque SCORE, décocher la case tabagisme permet tout de suite de comprendre la part du risque attribuable au tabac ! En termes d’équivalences de risques cardiovasculaires, Framingham nous a appris que lorsqu’on fume, c’est comme si notre tension artérielle passait de 135 mmHg à 180 mmHg, lorsqu’on fume, c’est comme si notre cholestérol passait de 1,9 g/l à 2,75 g/l. Demande-t-on leur avis à nos patients avant de traiter leur HTA ? Dyslipidémie ou diabète ? Pourquoi le ferionsnous sur le tabac, autre facteur de risque important ? Laissonsnous sortir de nos cabinets de consultation les patients hypertendus ou dyslipidémiques avec ces chiffres sans ordonnance de prise en charge ? La réponse est évidemment NON, car face aux autres facteurs de risque, on pense tout de suite à la notion de perte de chance de nos patients si nous ne faisions rien, à notre responsabilité… On devrait désormais avoir le même réflexe et changer de paradigme, raisonner comme on le ferait pour les autres facteurs de risque cardiovasculaire. Dans une enquête nationale du Pr Victor Aboyans auprès des cardiologues français(5), 85 % ont recommandé l’arrêt du tabac, mais seuls 5,4 % ont proposé un traitement ! Et c’est précisément sur ce dernier point que l’on doit changer ! Imaginons le désastre sur nos patients et l’indignation soulevée si on proposait le traitement chez seulement 5 % de nos patients hypertendus ou dyslipidémiques ! Le cardiologue doit utiliser la magique « ordonnance » qui clôture habituellement une consultation et sur le tabagisme cela prend encore plus d’importance, car le patient va réaliser l’importance de cette ordonnance pour arriver à un sevrage tabagique. Le traitement le plus plébiscité par les recommandations actuelles est la varénicline et dans les conclusions des dernières recommandations américaines de ATS, on a une réponse très claire sur de nombreuses questions dont celle inattendue du choix entre traiter par la varénicline ou attendre la décision du fumeur ! Avantage au traitement ! En 2020, nous devrions tous être tabacologues ! Figure 1. D’après Aboyans V et al. Arch Cardiovasc Dis 2009 ; 102 : 193-9. Figure 2. Étude EVITA. Figure 3. A, B, C : le mémento magique.

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