Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 01 fév 2021Lecture 3 min
« Le cœur à l’œil » ou Salves de tachycardie atriale rapides induites par un analogue de la prostaglandine F2a en collyre
Patrick DAUDON et coll.*, service de cardiologie du CHR d’Orléans
Un patient de 70 ans, médecin à la retraite qui continue à exercer, ressent soudainement un léger étourdissement indéfinissable lors d’une discussion véhémente.
Observation
Ce patient de 70 ans, médecin à la retraite qui continue à exercer, ressent soudainement un léger étourdissement indéfinissable lors d’une discussion véhémente. En s’examinant, il note une arythmie cardiaque nette isolée. L’ECG confirme l’arythmie (figure 1) avec des salves de tachycardie atriale (TA) brèves, rapides (de 150 à 190/min), de 4 à 10 complexes avec retour en rythme sinusal sur 1 à 2 complexes, ainsi de suite. L’échocardiogramme montre un ventricule gauche, des valves, des cavités droites et un péricarde normaux. Une épreuve d’effort couplée à une scintigraphie myocardique, réalisée deux mois avant, était maximale et négative. Un bilan biologique complet, comprenant notamment : NFS, CRP, ionogramme sanguin, TSH, D-Dimères, troponine, BNP, s’avère strictement normal. Le patient est mis sous apixaban 5 et bisoprolol 2,5. Un Holter sur 24 heures est réalisé au 4e jour de ce traitement et montre la persistance de l’arythmie en salves courtes quasi permanentes, plusieurs milliers par 24 heures (figure 2). Pendant les 2 à 3 jours avant que la cause ne fût découverte, le seul symptôme était un bref étourdissement en règle en parlant.
Figure 1. ECG avec salves de tachycardie atriale (TA) récidivantes.
Figure 2. Holter avec salves de TA incessantes sur les 24 heures.
Discussion
Une cause toxique a été rapidement évoquée devant cette excitabilité sur cœur apparemment sain, mais kaliémie et TSH notamment étaient, comme on l’a vu, normales. Le patient qui nous avait dit ne prendre aucun médicament nous précise au 3e jour que, depuis 8 mois, tous les soirs à 19 heures, il met une goutte de latanoprost dans l’œil gauche à la demande de son ophtalmologiste.
Ce traitement local a rapidement permis de baisser la pression oculaire de cet œil de 26 à 17.
Le lanatoprost est un analogue de la prostaglandine F2a. Sous forme de solution collyre délivrée en récipient unidose de 0,2 ml dosé à 50 μg/ml, il a pour effet d’augmenter l’écoulement de l’humeur aqueuse ce qui contribue à faire diminuer la pression dans l’œil qui doit rester inférieure à 20.
Pratiquement pas métabolisé dans l’oeil, son métabolisme est principalement hépatique. Sa demi-vie est de 17 heures. Ses métabolites ont une activité faible à nulle et sont principalement éliminés dans les urines. Sur la notice d’utilisation de ce collyre, il est précisé qu’après avoir déposé une goutte dans l’œil à traiter, il faut appuyer légèrement avec le doigt sur le coin interne de l’œil, proche du nez, pendant une minute tout en gardant l’œil fermé (figure 3).
Figure 3. Comment administrer le collyre. (A) Dépôt de la goutte. (B) Compression à l’angle interne de l’oeil.
Le patient avait vu ce détail, mais a dit qu’il ne le faisait pas, pensant que son oeil avait été assez bien instillé sans cette compression, et qu’il ne voulait pas prendre le risque d’irriter son œil avec le doigt. Cette compression digitale de l’angle de l’œil vise en fait à occlure l’orifice d’entrée du canal lacrymal et éviter ainsi les effets systémiques du produit du fait de l’absorption par la muqueuse. L’arrêt du collyre sera efficace dès la 12e heure avec de très rares extrasystoles puis la normalisation complète de l’ECG avant la 24e heure. Le bisoprolol est arrêté. Un Holter de contrôle, réalisé trois jours après l’arrêt du bêtabloqueur, est strictement normal.
Cet effet indésirable à type d’étourdissement ou de palpitation est apparemment connu et rare (1 patient sur 10 000). En pharmacovigilance, en France, 2 cas de tachycardie régressant à l’arrêt ont été signalés, et dans le monde, 11 cas de fibrillation atriale ont été rapportés, dont 3 pour lesquels l’évolution est connue et a été favorable à l’arrêt du traitement. Notre observation est particulièrement bien documentée objectivant des milliers de salves de tachycardie atriale, sur cœur apparemment sain, rapidement régressives à l’arrêt du collyre.
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