Publié le 10 jan 2012Lecture 8 min
Resynchronisation cardiaque - Qu’est-ce qu’un patient non répondeur ?
F. ANSELME, A. SAVOURÉ, B. GODIN, A. GUYOT, CHU de Rouen
L’histoire de la resynchronisation cardiaque a débuté en 1994 avec la description d’un cas de resynchronisation épicardique avec deux sondes de stimulation atriale et deux sondes de stimulation ventriculaire chez un jeune patient en insuffisance cardiaque terminale(1). De grands essais cliniques ont démontré son efficacité sur les symptômes et même la mortalité, mais malgré les progrès réalisés, environ un tiers des patients resynchronisés sont non répondeurs.
Un bénéfice démontré
Depuis cette description initiale du concept de resynchronisation cardiaque par Serge Cazeau et coll.(1), de nombreux grands essais randomisés multicentriques internationaux ont démontré chez des patients insuffisants cardiaques en classe III ou IV de la NYHA, avec des QRS larges ≥ 120 ms, un ventricule gauche dilaté, que cette technique permettait non seulement d’améliorer la classe fonctionnelle, la qualité de vie, la capacité d’exercice, mais également la fonction ventriculaire gauche. De façon remarquable, elle permet également de réaliser un remodelage inverse, c’est-à-dire une diminution des volumes télésystolique et télédiastolique du ventricule gauche. Ceci a pour conséquence une diminution du taux d’hospitalisations, et surtout il a été démontré plus récemment que la resynchronisation cardiaque permettait d’améliorer la mortalité. Après tous ces essais cliniques incluant un nombre important de patients, on pourrait s’attendre à ce que la question de la définition des non-répondeurs à la technique de resynchronisation cardiaque soit résolue depuis de nombreuses années. En réalité, il n’en est rien. En effet, dans une étude rapportée dans Circulation cette année, Fornwalt et coll.(2) ont analysé les critères employés pour définir la réponse à la resynchronisation cardiaque dans 26 publications traitant de ce sujet. Dix-sept critères de réponses différents ont été identifiés. On pouvait y distinguer des critères échocardiographiques tels que l’amélioration de la fraction d’éjection du ventricule gauche ou bien la diminution des volumes télésystoliques du ventricule gauche ou encore l’augmentation du débit cardiaque, mais aussi des critères cliniques tels que la diminution de la classe fonctionnelle de la NYHA, l’amélioration du test de marche de 6 min, l’amélioration des scores obtenus aux questionnaires de qualité de vie, ou bien des critères combinés associant des critères échographiques et des critères cliniques. Si ces 17 différents critères de réponses à la resynchronisation cardiaque étaient appliqués aux patients de la population de l’étude PROSPECT, on obtiendrait des taux de réponses variant entre 32 et 91 %.
Cette grande variabilité dans la réponse montre de façon flagrante le peu de corrélation qu’il peut exister entre un critère et un autre.
Mais plusieurs obstacles
Ainsi, on se heurte à plusieurs difficultés pour évaluer la réponse à la resynchronisation cardiaque.
– Premièrement, à différents critères de réponses correspondent à l’évidence différents taux de réponses ;
– deuxièmement, un seul critère ne peut certainement pas refléter l’impact de la resynchronisation cardiaque sur une maladie aussi complexe que l’insuffisance cardiaque ;
– troisièmement, un seul critère ne peut prendre en compte l’ensemble des objectifs thérapeutiques de la resynchronisation cardiaque, au sein desquels on retrouve l’amélioration des symptômes et de la qualité de vie, la diminution de la morbidité et notamment des hospitalisations, l’amélioration de la survie, et la prévention de la progression de la maladie. Enfin, tous les critères ont leurs propres limites.
Différents types de critères peuvent être proposés comme éléments de réponse à la resynchronisation cardiaque. Chacun a ses avantages mais aussi ses inconvénients.
– L’évaluation de la classe NYHA est certainement le plus facile de ces critères. Cependant, bien qu’il soit très rapide à obtenir par le simple interrogatoire du patient, il est hautement subjectif. On sait que la resynchronisation cardiaque est associée à un effet placebo qui a pu être évalué à hauteur de 28 % dans l’étude MIRACLE(3). Ainsi, l’évaluation de la classe NYHA devrait théoriquement être appréhendée par un médecin « aveugle » quant à la thérapie appliquée chez un patient donné. Enfin, le dernier inconvénient de ce critère est qu’il est difficilement analysable chez des patients peu symptomatiques en classes I et II de la NYHA.
– L’évaluation de la capacité d’exercice est également simple à réaliser au travers du test de marche de 6 min. Cependant, il nécessite théoriquement d’être réalisé toujours dans les mêmes conditions par le même opérateur, de faire un test d’essai au préalable. Le test de VO2max est probablement plus précis, mais requiert un équipement spécifique et un opérateur entraîné. Enfin, ces tests d’appréciation de la capacité d’exercice ne sont pas toujours corrélés au ressenti du patient.
– L’appréciation de la qualité de vie est également simple à évaluer par le biais de questionnaires dédiés. Ils sont parfois subjectifs et doivent également tenir compte de l’effet placebo de la resynchronisation cardiaque qui, encore une fois, a bien été montré lors de l’étude MIRACLE(3).
– Les tests biochimiques tels que les dosages de BNP, de NT-PRO-BNP, peuvent paraître plus spécifiques tout en étant également simples à réaliser. Cependant, le niveau optimal de ces dosages pour chaque patient n’a jamais été réellement déterminé, et il existe des facteurs confondants tels que l’insuffisance rénale. D’autre part, le niveau de ces biomarqueurs de l’insuffisance cardiaque ne sont pas toujours corrélés avec le ressenti des patients.
Le remodelage inverse du ventricule gauche est très probablement un critère fort dans l’évaluation de la resynchronisation cardiaque, ce d’autant que l’on sait qu’il est un facteur pronostique important, quelle que soit l’étiologie de l’insuffisance cardiaque.
Dans une étude rapportée par Yu et coll. dans Circulation en 2005(4), il a été montré que la mortalité de toute cause était de 7 % chez les patients avec diminution de plus de 10 % des volumes systoliques du ventricule gauche, comparée à 30 % si les volumes ventriculaires gauches avaient diminué de moins de 10 %, au terme d’un suivi moyen de 695 jours. De même en ce qui concerne les évènements d’insuffisance cardiaque (11 % vs 33 %) ou si l’on combinait la mortalité et l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (14 % vs 39 %). L’inconvénient majeur de ce critère est qu’il dépend de la technique utilisée pour évaluer le remodelage et de l’opérateur, notamment lorsqu’il s’agit de l’échocardiographie.
– Un autre critère fort pour juger de la réponse à la resynchronisation cardiaque est le taux d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque, car il s’agit d’un objectif majeur du traitement. Cependant, son évaluation n’est pas toujours aussi simple que l’on pourrait imaginer. Les hospitalisations doivent être évaluées par un comité de médecins indépendants. D’autre part, le taux d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque doit être évalué en fonction de la longueur du suivi. Il est bien évident que plus le suivi est long et plus le taux d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque risque d’être élevé. De surcroît, il n’est pas certain qu’une hospitalisation pour une décompensation cardiaque modérée ait la même valeur pronostique qu’une hospitalisation pour un œdème aigu du poumon. Enfin, l’hospitalisation doit certainement être appréhendée en fonction de l’histoire clinique du patient et de ses hospitalisations antérieures.
– Le critère, peut-être le plus fort et le moins discutable, est la mortalité cardiovasculaire ou totale. Dans ce cas, il est tout de même nécessaire d’avoir une population contrôle, afin de définir le taux de décès dans la population étudiée d’insuffisants cardiaques.
Là aussi, il est important de tenir compte de la longueur du suivi puisque au final tous les patients mourront nécessairement.
On peut voir l’utilisation de critères combinés comme une solution avantageuse, car ils sont susceptibles de couvrir tous les objectifs du traitement de l’insuffisance cardiaque. On peut cependant déplorer que dans ces critères combinés, les différents paramètres qui les composent aient souvent le même poids. Ainsi, un décès peut avoir la même valeur qu’une hospitalisation pour fibrillation atriale ou pour pontage. Enfin, il ne faut pas oublier que les paramètres utilisés dans ces critères composites ont individuellement certains inconvénients décrits précédemment. Le critère combiné actuellement le plus utilisé est celui de Packer(5) qui permet de classifier les patients comme étant améliorés, inchangés ou détériorés au moment de l’évaluation. Si le patient a présenté un événement majeur, tel que décès, hospitalisation, dû ou en rapport avec une aggravation de l’insuffisance cardiaque, son état est considéré comme aggravé. Si le patient présente une classe NYHA ou une évaluation du questionnaire de qualité de vie détériorée, il est également considéré comme aggravé. Enfin, si la classe NYHA ou l’évaluation globale est inchangée, il est considéré comme inchangé ou si elle s’est améliorée, il est considéré comme amélioré.
Le patient non répondeur
Il est impossible aujourd’hui de donner une définition unique de ce qu’est un patient non répondeur. L’utilisation de critères combinés semble être la voie la plus appropriée pour définir au mieux la non-réponse à la resynchronisation cardiaque car ils tiennent potentiellement compte de l’ensemble des objectifs du traitement de l’insuffisance cardiaque. On pourrait ainsi proposer un critère combiné qui associerait la mortalité bien sûr, la réduction du taux d’hospitalisations, l’appréciation de la qualité de vie, la réduction du volume télésystolique du ventricule gauche, mais aussi une appréciation des complications liées directement au système de resynchronisation (infection, chocs inappropriés, etc.). Afin d’être plus pertinent, il pourrait y avoir une valeur différente pour chaque paramètre selon la durée du suivi. Ainsi, un décès qui surviendrait après 6 mois de traitement aurait une valeur différente d’un décès survenant après 5 ans de traitement. La question est de savoir s’il faut essayer d’obtenir une définition universelle des non-répondeurs. Dans le cadre de la construction d’essais multicentriques randomisés, la réponse est certainement oui, dans la mesure où on doit être capable au terme de ces essais, de généraliser les résultats. Cependant, à l’échelle individuelle et dans notre pratique quotidienne, il n’est pas certain que cela soit utile. En effet, en clinique, les objectifs de la resynchronisation cardiaque doivent être adaptés à chaque patient en accord avec les caractéristiques de celui-ci et son histoire clinique. À titre d’exemple, les objectifs thérapeutiques sont clairement différents chez un patient de 80 ans en classe III + de la NYHA et chez un patient de 40 ans en classe II à III de la NYHA. Dans le premier cas, l’objectif principal est certainement d’améliorer la qualité de vie, alors que dans le second, il s’agira essentiellement d’obtenir un remodelage inverse du ventricule gauche et d’améliorer la survie.
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