Thrombose
Publié le 31 mai 2012Lecture 9 min
Contraception, grossesse et exploration de l'hémostase : que peut-on mesurer ?
J.-C. GRIS, Laboratoire d'hématologie, CHU Carémeau, Nîmes
Les tests de coagulation traditionnels, réalisés in vitro, ne tiennent malheureusement pas compte de deux acteurs majeurs de l'hémostase : les cellules circulantes et la paroi vasculaire. L'hémostase est partie constituante d'une biologie vasculaire dont l'exploration globale n’est pas encore aboutie. Aussi les résultats des tests d'hémostase réalisés en laboratoire n'ont-ils souvent pas de signification univoque. Ils nécessitent, avant de pouvoir contribuer à l'analyse d'un parcours médical, une interprétation en fonction des connaissances séméiologiques biocliniques et de la littérature : un chiffre n'impose ni un risque donné, ni un niveau de risque invariant.
Les explorations courantes dont nous disposons ont le plus souvent été développées pour diagnostiquer les rares maladies hémorragiques monogéniques (hémophilie par déficit en facteur VIII ou IX, thrombasthénie de Glazmann par déficit en GpIIbIIIa plaquettaire, etc.). Elles sont peu adaptées à la prédiction individuelle de l'intensité du risque hémorragique associé à une circonstance favorisante (accouchement par exemple) et n'ont pas non plus de valeur établie dans la prédiction individuelle du risque vasculaire induit par une situation clinique pouvant la révéler (telle la prescription d'une contraception orale estroprogestative).
Quel apport en pratique ?
L'apport pratique de la caractérisation des particularités de l'hémostase initialement décrites comme favorisant la maladie thromboembolique veineuse, les « thrombophilies», est de plus en plus remis en cause.
La majorité des événements thromboemboliques surviennent en l’absence de toute thrombophilie identifiable. Les critères cliniques, anatomiques et circonstanciels, décrivant le premier incident clinique, permettent d'évaluer le risque de récidive davantage que les thrombophilies héréditaires(2,3).
Les études longitudinales portant sur des populations montrent que seulement 10 % des porteurs du polymorphisme génétique F5 1691A, dit facteur V Leiden, qui induit un phénotype plasmatique de syndrome de résistance à la protéine C activée, développeront une thrombose veineuse dans leur vie ; le risque ne se révèle que tardivement, après 60 ans, et n'est pas significatif en soi avant cet âge(4). Chez les patientes porteuses d'un facteur V Leiden ou du polymorphisme du gène de la prothrombine F2 1691A (facteur II Leiden), le risque de thrombose veineuse est, certes, majoré par la contraception orale estroprogestative et par la grossesse, mais les risques absolus sont faibles : le risque relatif encouru durant les 6 semaines du post-partum est en moyenne 8 fois supérieur à celui induit par la contraception orale(5). Chez une porteuse asymptomatique, une attitude d'information détaillée sur l'ensemble des contraceptions disponibles, mettant en perspective les risques de thrombose et les risques de grossesse non désirée, permet aux femmes de faire un choix éclairé.
Risque thrombotique veineux : tests disponibles
Parmi tous les tests explorant le système de l'hémostase, seule l'exploration de la coagulation a proposé des outils biologiques d'identification du risque thrombotique veineux. Ces outils sont :
– soit des tests fonctionnels, évaluant une fonction à risque reliée à la coagulation ;
– soit des tests de génétique moléculaire, recherchant un variant à risque de gène codant pour un acteur de la coagulation ;
– soit des tests immunologiques type ELISA, quantifiant les concentrations circulantes de marqueurs moléculaires du risque sans fonction facilement appréhendable.
Les tests globaux et semi-globaux
La thrombine est l'enzyme centrale de la coagulation : elle renforce l'activation de la coagulation, coagule le fibrinogène, inhibe la fibrinolyse en activant le TAFI (inhibiteur de la fibrinolyse activé par la thrombine), active les plaquettes et les cellules endothéliales en protéolysant des récepteurs cellulaires spécifiques de la famille des PAR (récepteurs activés par protéolyse). Quatre-vingt dix pour cent de la thrombine générée in vitro lors d'une réaction de coagulation n'est cependant détectable qu'après la constitution du caillot de fibrine. D'où l'axiome suivant : bien mieux qu'une coagulation classique, la génération totale de thrombine après stimulation de la coagulation pourrait signifier un risque thrombotique en cas d'excès, un risque hémorragique en cas de déficit, fournissant ainsi une clé universelle d'exploration et d'interprétation de la coagulation.
Le test de génération de thrombine (TGT)
Il peut être réalisé par thrombinographie automatisée calibrée (CAT).
Le TGT peut être utilisé tel quel : la quantité de thrombine générée dans le plasma stimulé est le paramètre dont on teste la signification clinique. On peut aussi le modifier par ajout de molécules purifiées aux plasmas testés : en présence de thrombomoduline purifiée et/ou en présence de protéine C activée (PCa).
Dans chaque cas, le résultat est exprimé sous forme de « rapport normalisé » ([ETP plasma patient avec ajout/ETP plasma patient sans ajout]/[ETP plasma témoin avec ajout/ETP plasma témoin sans ajout]). La valeur normale tourne autour de 1. Plus elle s'élève, plus le plasma du patient est suspect de posséder des propriétés hypercoagulantes.
Dosage des peptides circulants issus de l'activation de la coagulation, donc de la génération de thrombine
Un seul d'entre eux a acquis une dimension clinique : les D-dimères, dimères du fragment D de la fibrine reliés par du facteur XIII activé. Leur demi-vie suffisamment prolongée les met à l'abri des fluctuations, par exemple favorisées par les difficultés de prélèvement. Une valeur normale permet d'éliminer une suspicion de phlébite profonde ou d'embolie pulmonaire.
Le temps de céphaline activée (TCa)
Une valeur courte de ce test semi-global a aussi été associée au risque de maladie thromboembolique veineuse(8).
Les tests spécifiques
Déficits en antithrombine, en protéine C ou en protéine S
Ces thrombophilies « historiques » sont dépistées par des tests de coagulation évaluant directement, en première intention, l'activité spécifique de ces facteurs de régulation de la coagulation. Le risque associé à leur déficit est significatif mais varie selon le sous-type de déficit. Ils sont cependant rares, considérés comme des maladies orphelines prises en charge par des filières médicales très spécialisées et exceptionnellement impliqués dans la maladie thromboembolique veineuse en pratique courante. Leur prescription doit être ciblée, réservée aux cas les plus sévères, à composante familiale.
Le syndrome de résistance plasmatique à la protéine C activée
Il se définit initialement comme un déficit d'allongement du TCa lorsque le plasma testé est supplémenté en PCa exogène. Sa forme constitutive, héréditaire et familiale, est principalement induite par un variant du gène du facteur V de la coagulation, le polymorphisme (c'est-à-dire mutation atteignant plus de 1 % de la population générale) F5 1691A, habituellement présent chez les patients à l'état hétérozygote, plus exceptionnellement homozygote. Ce variant génétique appelé facteur V Leiden(10) est retrouvé selon un gradient descendant nord-sud (Lille : 8 %, Nîmes : 2 %) et absent dans certaines populations (Afrique, Asie).
Les syndromes acquis de résistance à la protéine C activée sans facteur V Leiden
Ils ont aussi été associés au risque thrombotique veineux(11) et peuvent parfois être induits par les anticorps antiphospholipides, les anomalies de la protéine S, etc. Les contraceptifs oraux induisent un syndrome acquis de résistance à la protéine C activée, dont l'intensité varie selon le composé : il dépend essentiellement de la baisse des concentrations de protéine S et de TFPI (inhibiteur de la voie du facteur tissulaire) induite par les composants hormonaux de la contraception orale. Les différents travaux montrent une baisse graduée de la réponse biologique de type homme/femme sans contraception orale – femme sous contraception de 2e génération – femmes sous contraception de 3e génération, qui correspond à l'épidémiologie générale du risque thrombotique veineux dans la tranche d'âge explorée. En revanche, il est impossible de déterminer un risque individuel, et la modification du(des) test(s) induite par la prise d'un contraceptif ne permet pas d’indiquer un risque individuel.
Facteurs VIII, IX et XI, TFPU, TAFI
De fortes concentrations plasmatiques de ces facteurs de la voie intrinsèque de la coagulation (dont les déficits produisent une maladie hémorragique), ont été décrits comme associés au risque thrombotique veineux. Il en est de même de faibles taux de TFPI (inhibiteur de la voie du facteur tissulaire) et de forts taux de TAFI, (inhibiteur de la fibrinolyse activé par la thrombine). On manque cependant ici aussi de modèle intégré prenant en compte tous les cofacteurs de la thrombose pour faire la part des choses et dégager les facteurs prédictifs indépendants. De la même facon, les variations induites de ces facteurs, par une contraception orale ou autre, n'ont jamais été associées au risque individuel.
Facteur II Leiden
De fortes concentrations de facteur II sont aussi associées au risque thrombotique. Un polymorphisme du gène du facteur II de la coagulation, la prothrombine, dénommé F2 20210A (ou facteur II Leiden), est un second variant génétique fréquent qui induit, comme le facteur V Leiden, un sur-risque faible de maladie thromboembolique veineuse(13), pouvant être potentialisé par la mise sous contraceptifs oraux. Ce polymorphisme (dont la prévalence suit un gradient descendant sud-nord) s'associe inconstamment à de fortes concentrations plasmatiques de prothrombine.
La prescription de la recherche des polymorphismes V Leiden et II Leiden nécessite un consentement spécifique signé par le patient et la délivrance du résultat et de l'information associée est encadrée par les textes régissant l'activité de génétique moléculaire.
Les anticorps antiphospholipides, ou antiphospholipides/cofacteurs
Cette nébuleuse d'auto-anticorps constitue de véritables thrombophilies acquises à fort impact pronostique clinique. Les variétés reconnues sont l'anticoagulant lupique, détecté par des tests de coagulation, et deux variétés détectées par des tests immunologiques type ELISA, les anticorps anticardiolipide et les anticorps anti-β2-glycoprotéine I. Leur positivité, souvent dissociée, peut être transitoire et doit donc être confirmée persistante sur deux prélèvements distants d'au moins 12 semaines avant d'être définitivement retenue. Les ELISA positifs peuvent être des IgG ou des IgM, à des taux significatifs (> 99e percentile de la population témoin), les IgM étant actuellement battues en brèche. Une positivité persistante conduit au diagnostic de syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL), qui peut être primitif (absence de maladie systémique associée) ou secondaire (collagénose, néoplasie, infection chronique, etc.). Une positivité pour les 3 marqueurs, dite « triple positivité », semble constituer une association de marqueurs très pathogène ; le risque clinique semble dépendre du niveau de positivité des anticorps. Une variation du titre des anticorps, induite par une intervention clinique, n'a jamais été démontrée comme capable d'indiquer un risque clinique dès lors que les anticorps restent négatifs.
Au total
L'exploration de la coagulation peut fournir de nombreux paramètres d'exploration du risque thrombotique veineux. Leur valeur clinique est cependant relative et parfois remise en cause, l'analyse séméiologique clinique semblant apporter une grille de lecture plus efficace et cohérente, aussi bien dans l'identification des patients à risque que dans la perception du risque de récidive.
Il n'y a pas de martingale biologique permettant, de nos jours, d'identifier un patient qui deviendra symptomatique, parmi d'autres exposés à une situation clinique à risque, ou un patient devenant à risque après une prescription potentiellement thrombogène, comme la contraception orale estroprogestative.
En absence de possibilité de lecture globale du système de l'hémostase, il semble pertinent de favoriser les interventions qui ont démontré une moindre modification des composantes évaluables du système de l’hémostase, parfois reliées au risque thrombotique épidémiologique, sans rechercher au préalable leur réactivité à l'échelon individuel.
Les antécédents familiaux, survenus chez les apparentés au 1er degré, doivent être scrupuleusement pris en compte et inciter à la prudence. L'information du patient est cruciale. La pharmacovigilance des nouveaux composés disponibles doit ensuite alerter si la réalité diffère, comme elle le fut par l'OMS sur les contraceptions orales de troisième génération.
Schéma de coagulation. TF : facteur tissulaire ; TFPI : inhibiteur de la voie du facteur tissulaire ; TM : thrombomoduline ; PC : protéine C ; PS : protéine S ; PZ : protéine Z ; PZPI : inhibiteur associé à la protéine Z ; a : facteur activé. L'expression cellulaire du TF initie la coagulation en se liant au facteur VII activé : à forte dose en activant le facteur X, à faible dose plus physiologique en activant le facteur IX. Les premières traces de thrombine ne suffisent pas à générer de la fibrine mais activent rétroactivement le V, le VIII, le XI ; ceci majore la quantité de facteur Xa produit qui dope la génération de thrombine et lui permet alors de coaguler le fibrinogène en fibrine. La thrombine active aussi le système de la protéine C en se liant à la thrombomoduline, donc limite sa propre génération, et active le TAFI qui protège la fibrine de sa fibrinolyse précoce en inhibant la fixation du plasminogène à la surface de la fibrine.
"Publié dans Contraception Pratique"
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