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Thrombose

Publié le 04 avr 2006Lecture 6 min

Diagnostic d'embolie pulmonaire : quelle stratégie thérapeutique ?

G. GROLLIER et K. SOUIBRI, CHU de Caen

Dans ce numéro de Cardiologie Pratique, deux articles concernent la stratégie diagnostique de l’embolie pulmonaire. L’un est un plaidoyer pour la scintigraphie, l’autre évoque les stratégies diagnostiques actuelles incluant examens cliniques et paracliniques.

Une maladie qui reste grave Malgré les progrès réalisés dans les techniques diagnostiques, la maladie thromboembolique demeure un problème de santé publique : elle entraîne annuellement des centaines de milliers d’hospitalisations aux États-Unis et affecte mondialement des millions d’individus. Le taux de décès chez les patients non sélectionnés reste aux alentours de 15 % et, malgré les avancées diagnostiques et thérapeutiques, le diagnostic n’a été évoqué que chez 50 % des patients ayant une embolie pulmonaire à l’autopsie. Différents scores de probabilité cliniques intégrant anamnèse, données cliniques, électrocardiographiques et radiologiques ont été proposés et sont exposés dans l’article de N. Méneveau.   Mise en pratique du score de Wells Notre équipe a utilisé le score de Wells dans un cas récent d’embolie pulmonaire sévère admis dans notre unité de soins intensifs et que nous rapportons pour illustrer ce débat. Une patiente âgée de 36 ans est admise aux urgences en janvier 2006 pour la survenue brutale et au repos de palpitations, d’une lipothymie et d’une dyspnée. Ses antécédents sont marqués par un tabagisme occasionnel et un traitement par estroprogestatifs. Son examen clinique à l’admission révèle une pâleur, une tachycardie à 120 bpm, une polypnée à 30 bpm, une tension artérielle à 110/70 mmHg, des pouls perçus de manière symétrique, une absence d’insuffisance cardiaque droite ou gauche et aucun signe clinique évocateur de phlébite. L’électrocardiogramme enregistre une tachycardie sinusale à 120 bpm, un bloc de branche droit incomplet et des troubles de la repolarisation dans le territoire antérieur (figure 1). Figure 1. ECG à l’admission : tachycardie sinusale, bloc incomplet droit, troubles de la repolarisation dans le territoire antérieur. La gazométrie artérielle réalisée sous 5 litres d’oxygène, met en évidence une PaO2 à 15,5 kPa, une PaCO2 à 5,1 kPa et une saturation en oxygène à 98 %. La radiographie pulmonaire ne montre pas d’anomalie pleuro-parenchymateuse. Les D-dimères sont positifs à plus de 4 600 ng/ml (n < 400), et la troponine Ic culmine à 0,44 µg/l (n < 0,04). L’application du score de Wells dans ce cas précis est compatible avec une probabilité moyenne. L’échocardiographie réalisée en urgence retrouve une dilatation ventriculaire droite, un septum paradoxal et une régurgitation tricuspide permettant de mesurer la PAPS à 45 mmHg. La fonction systolique ventriculaire gauche est excellente. L’angioscanner thoracique hélicoïdal, dont les coupes s’étalent de l’apex pulmonaire aux creux poplités, montre des lacunes endovasculaires intéressant la partie distale de l’artère pulmonaire droite et des artères lobaires inférieures droite et gauche (figure 2). Les axes veineux fémoro-ilio-caves sont libres de tout thrombus, et, c’est ce qui fait l’originalité de ce cas, l’embolie pulmonaire résulte de migrations cruoriques émanant d’une veine ovarienne gauche bifide. Le thrombus n’apparaît pas complètement fixé à la paroi veineuse, sa mobilité étant suggérée par l’existence d’un halo hyperdense l’entourant (figure 3). Figure 2. Angioscanner spiralé thoracique : thrombus dans l’artère pulmonaire droite et dans les artères lobaires inférieures droite et gauche. APD = artère pulmonaire droite ; LIG = artère lobaire inférieure droite. Figure 3. Angioscanner spiralé abdominal : thrombus d’une veine ovarienne gauche bifide. Une thrombolyse est réalisée (Actilyse®). L’état clinique de la patiente s’améliore progressivement. Son visage se recolore, son pouls ralentit, et les valeurs de sa pression artérielle s’élèvent à 130/80 mmHg. Aucune hémorragie n’a été extériorisée et l’hémoglobine reste stable. Quarante-huit heures plus tard, l’échocardiographie se normalise (PAPS 15 mmHg), et la troponine s’abaisse à 0,22 µg/l.   Discussion   Que nous montre cette observation ? Le diagnostic clinique d’embolie pulmonaire reste difficile. • L’application des scores de probabilité clinique dans ce cas précis est compatible avec une probabilité moyenne selon Wells. • Les signes cliniques de l’embolie pulmonaire sont, en effet, peu spécifiques et, dans nombre de cas, peuvent être noyés par d’autres signes ou pathologies associés (patients âgés, malades de réanimation, insuffisants cardiaques et respiratoires), ce qui explique que le diagnostic d’embolie pulmonaire fatale confirmé à l’autopsie n’est pas évoqué du vivant du patient dans un cas sur deux. • Une autre conséquence de la non-spécificité de ces signes cliniques, expliquant d’ailleurs également la mortalité élevée de la maladie thromboembolique, est le retard au diagnostic. Dans le cas particulier de notre patiente, le diagnostic avait malgré tout été évoqué sur les éléments cliniques et ECG. La clinique nous était apparue inquiétante, même si la patiente insistait plus sur les palpitations que sur la dyspnée ; la tachycardie, les phénomènes lipothymiques et l’absence de signes auscultatoires pulmonaires nous ont fait évoquer un cœur pulmonaire aigu éventuellement sévère. L’ECG allait, selon nous, dans ce sens avec, outre la tachycardie, un bloc incomplet droit et des troubles de la repolarisation en antérieur. L’étude échocardiographique effectuée aux urgences a confirmé quasi-immédiatement le diagnostic de cœur pulmonaire aigu. L’angioscanner a confirmé, lui, le diagnostic d’embolie pulmonaire et il a, de plus, permis de définir le point de départ inhabituel des emboles pulmonaires dans le cas particulier de notre patiente : si, dans 90 % des cas, le point de départ se situe dans les veines des membres inférieurs, l’embolie pulmonaire sus-citée résultait d’une migration cruorique émanant d’une veine ovarienne gauche bifide. L’élévation de troponine est, comme le cœur pulmonaire aigu échographique, un critère de gravité. En analyse multivariée, la combinaison d’une dilatation ventriculaire droite et d’une élévation de la troponine I > 0,1µg/l expose les patients ayant une embolie pulmonaire à un risque de décès à 30 jours 7 fois plus élevé que celui constaté chez ceux d’entre eux n’ayant ni dilatation ventriculaire droite ni élévation de la troponine : 38 vs 5 %. L’absence de contre-indication à la fibrinolyse, et de critères prédictifs d’hémorragie secondaire à la fibrinolyse nous ont amenés à traiter cette patiente par Actilyse®, avec un excellent résultat clinique et échographique. Une recherche de thrombophilie acquise ou congénitale est actuellement en cours.   En pratique   Plusieurs objectifs sont nécessaires et intriqués dans le cas de l’embolie pulmonaire : évoquer le diagnostic par la clinique, le confirmer, en apprécier la sévérité par les moyens adéquats pour définir la meilleure attitude thérapeutique. Il faut également définir le point de départ des emboles et les circonstances favorisant le phénomène thrombotique (thrombophilie acquise ou congénitale). La stratégie diagnostique est très variable et dépend de nombreux facteurs, dont l’état clinique du patient et les moyens paracliniques disponibles. Ainsi, la confirmation diagnostique — et la thérapeutique qui en découle — peut être obtenue par la seule échocardiographie chez un patient en choc cardiogénique. En cas d’embolie pulmonaire cliniquement sévère (intérêt pronostique de la troponine et du BNP) mais en l’absence de choc, l’angioscanner est souhaitable pour non seulement confirmer le diagnostic d’embolie pulmonaire, mais aussi en apprécier les conséquences pulmonaires (infarctus pulmonaire) et rechercher éventuellement le point de départ des emboles, voire une cause au phénomène thrombotique (néoplasie). En l’absence de signes de gravité, le diagnostic peut faire appel au dosage des D-dimères, à l’écho-Doppler des membres inférieurs, à la scintigraphie pulmonaire, etc., selon les recommandations de la Société européenne de cardiologie.    

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