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Thérapeutique

Publié le 14 fév 2012Lecture 11 min

Situations cliniques, le traitement anticoagulant de la fibrillation atriale - Le point de vue du cardiologue

S. EDERHY, C. MEULEMAN, G. DUFAITRE, N. HADDOUR, S. ADAVANE, G. FLEURY, F. BOCCARA, A. COHEN, Hôpital Saint-Antoine, Paris

La prévention des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et des embolies artérielles périphériques est un des objectifs principaux de la prise en charge des patients en fibrillation atriale (FA)(1). Les antivitamines K (AVK) et, dans une moindre mesure, les antiagrégants plaquettaires (AAP) sont efficaces tant en prévention primaire que secondaire pour réduire la survenue des AVC(2). La prescription des AVK est associée à une majoration des accidents hémorragiques, mais le bénéfice clinique net reste en faveur de leur utilisation chez les patients à haut risque thromboembolique(3).
Les nouveaux anticoagulants récemment mis sur le marché ou en cours de validation dans la FA non valvulaire appartiennent schématiquement à deux grandes catégories que sont les inhibiteurs directs de la thrombine oraux (IDT) et les inhibiteurs direct du facteur Xa. Ils apparaissent comme une alternative au moins aussi efficace et sembleraient pouvoir répondre à nombre des limitations décrites avec les AVK(4).

Malgré une efficacité largement prouvée, la prescription des AVK se heurte dans la pratique à de nombreux écueils qui en limitent l’utilisation et finalement l’efficacité(5). Les principales limites à la prescription des AVK sont la fenêtre thérapeutique étroite, les interactions médicamenteuses et alimentaires, la nécessite d’un monitoring régulier, les difficultés à maintenir un INR dans la zone thérapeutique et les évènements hémorragiques(4).   Évaluation du risque thromboembolique La FA augmente le risque d’AVC d’un facteur 5(6). Le risque d’AVC dans la FA n’est pas homogène et peut varier de 1 à 20 % en fonction de la présence ou non de marqueurs de risque thromboembolique. L’antécédent d’AVC (RR = 2,5), l’age (RR = 1,5 par décennie), l’hypertension artérielle (RR = 2), le diabète (RR = 1,8) et le sexe féminin (RR = 1,6) ont été identifiés comme des marqueurs de risque par le groupe SPAF(6). Parmi les 12 échelles de risque décrites, le score CHADS2 publié en 2001 (retenu par les recommandations américaines et canadiennes) et le score CHA2DS2-VASc décrit en 2010 (retenu par les recommandations européennes) sont les 2 index les plus utilisés pour évaluer le risque thromboembolique(7,8) (tableau 1). La supériorité de l’un de ces scores par rapport à l’autre n’a pas été établie(9,10). Évaluation du risque hémorragique L’évaluation du niveau de risque hémorragique supposé d’un patient en FA est indissociable de celle du risque thromboembolique. La confrontation de ces 2 paramètres permet de guider au mieux le choix thérapeutique du clinicien entre AVK et AAP. Cinq scores ont été décrits afin d’évaluer le risque hémorragique sous AVK(11). Le score HAS-BLED (tableau 2) et HEMORR2AGES ont été établis à partir de cohorte de patients en FA(12,13). L’hypertension artérielle, une altération de la fonction rénale ou hépatique, des variations importantes des INR sous AVK, un antécédent d’AVC ou de saignement, un âge > 65 ans et une consommation de médicaments (AINS) ou d’alcool sont les principaux marqueurs de risque hémorragique regroupés dans le score HAS-BLED(12). La présence d’au moins 3 de ces marqueurs identifie une population à plus haut risque d’événements hémorragiques sous AVK. Traitement antithrombotique dans la FA non valvulaire (FANV) Comparativement au placebo, les AVK et plus particulièrement la warfarine diminuent le risque d’AVC de 64 % et la mortalité de 26 %(6). Les antiagrégants plaquettaires entraînent une diminution du risque d’AVC de 22 %. Comparativement à l’aspirine, les AVK réduisent le risque d’AVC de 37 %(6). Le niveau de prescription des AVK, et ce quelle que soit la population considérée, ne dépasse pas 30 à 60 % des patients éligibles(14).   Inhibiteurs directs de la thrombine (IDT) ou anti-IIa Le ximelagatran, le dabigatran et l’AZD 0837 appartiennent à la famille des IDT(5). Les IDT se lient directement à la thrombine en inhibant son interaction avec ses substrats. Contrairement à l’héparine et aux héparines de bas poids moléculaires, les IDT peuvent à la fois se lier à la thrombine libre et à la thrombine liée à la fibrine. L’absence de liaison aux protéines plasmatiques rendent leur réponse anticoagulante prédictible. Le ximelagatran, premier représentant de cette nouvelle classe, n’a pas été mis sur le marché en raison d’une toxicité hépatique jugée inacceptable par les autorités de régulation(15,16).   Dabigatran Dix-huit mille cent treize patients présentant une FA non valvulaire (FANV) associée à au moins un facteur de risque thromboembolique ont été randomisés en ouvert dans l’étude RE-LY pour recevoir des doses fixes de dabigatran (110 mg x 2/j ou 150 mg x 2/j, en aveugle) ou une dose ajustée de warfarine (INR 2-3)(17). Étaient exclus les patients ayant une clairance de la créatinine < 30 ml/min. La survenue du critère primaire de jugement (AVC ou embolies artérielles périphériques) a été de 1,69 %/an dans le groupe warfarine, de 1,53 %/an dans le groupe dabigatran 110 mg x 2/j (RR pour le dabigatran, 0,91 ; IC95% : 0,74-1,11 ; p < 0,001 pour la non-infériorité) et de 1,11 %/an dans le groupe dabigatran 150 mg x 2/j (p < 0,001). Le taux d’événements hémorragiques a été de 3,36 %/an pour les patients sous AVK, 2,71 %/an dans le groupe de patients traités par 110 mg x 2/j de dabigatran (p = 0,003) et 3,11 %/an dans le groupe 150 mg x 2/j (p = 0,31). Le taux d’AVC hémorragiques a été réduit de moitié et ce, quelle que soit la dose de dabigatran considérée (0,12 %/ an sous 110 mg x 2 , 0,10 %/an sous 150 mg x 2 et 0,38 % sous warfarine, p < 0,001). La faible dose de dabigatran (110 mg) est donc non inférieure aux AVK en prévention des AVC et la forte dose supérieure. Les événements hémorragiques ont été moins fréquents avec la faible dose de dabigatran que sous AVK et similaires avec la forte dose(17).   Inhibiteurs du facteur Xa   Apixaban L’étude AVERROES est une étude en double aveugle, randomisée comparant un inhibiteur oral du facteur Xa à l’aspirine dans la prévention des AVC chez des patients ne pouvant recevoir un traitement par AVK(18). Cinq mille six cents patients âgés de plus de 50 ans et ayant une FANV associée à au moins 1 facteur de risque thromboembolique ont été randomisés entre 5 mg x 2/j d’apixaban ou de l’aspirine à une dose variant de 81 à 324 mg/j. Soixante-douze pour cent des patients avaient un score CHADS ≥ 2 et 28 % un score CHADS ≥ 3. Le critère primaire de jugement (AVC ischémique ou hémorragique ou embolie artérielle périphérique) a été de 3,7 %/an des patients sous aspirine et 1,6 %/an sous apixaban (HR pour l’apixaban, 0,45 ; IC : 0,32-0,62 ; p < 0,001). Le taux d’événements hémorragiques a été de 1,2 %/an sous aspirine et 1,4 %/an sous apixaban (HR pour l’apixaban, 1,13 ; IC : 0,74-1,75 ; p = 0,57) sans différence significative pour le taux d’AVC hémorragiques (0,2 %/an dans les 2 groupes). L’étude a été interrompue avant son terme, car l’analyse intermédiaire montrait une réduction significative de près de 50 % du critère primaire de jugement(18). L’efficacité de l’apixaban a été évaluée dans l’étude ARISTOTLE comparant l’apixaban (5 mg x 2/j) à la warfarine (INR cible 2-3) chez 18 201 patients en FANV, présentant au moins un facteur de risque thromboembolique(19). Le taux de survenue du critère de jugement principal (AVC ischémique ou hémorragique ou embolie artérielle périphérique) a été de 1,27 %/an dans le groupe apixaban, 1,60 %/an dans le groupe warfarine (HR : 0,79 ; IC : 0,66-0,95 ; p < 0,001 pour la non-infériorité ; p = 0,01 pour la supériorité). Le taux de survenue des saignements majeurs a été de respectivement de 2,13 %/an et 3,09 %/an (HR : 0,69, IC : 0,60-0,80, p < 0,001)(19).   Rivaroxaban Près de 14 000 patients présentant une FA non valvulaire et un score CHADS2 ≥ 2 ont été inclus dans l’étude ROCKET-AF et randomisés entre 20 mg de rivaroxaban ou de la warfarine pour obtenir un INR entre 2 et 3(20). Les patients présentant une clairance de la créatinine comprise entre 30 et 49 ml/min recevaient 15 mg/j de rivaroxaban. Le critère primaire de jugement (AVC et embolies artérielles périphériques) a été observé chez 2,1 % des patients traités par rivaroxaban et 2,4 % des patients traités par warfarine (HR : 0,88, IC : 0,74-0,1,03 p < 0,001 pour la non-infériorité). Le taux d’événements hémorragiques était de 3,6 %/an sous rivaroxaban et 3,45 %/an sous warfarine (p = 0,576). Le taux d’AVC hémorragiques a été significativement plus bas chez les patients sous rivaroxaban que sous warfarine (0,50 % versus 0,7 %) (p = 0,02)(20).   Edoxaban L’edoxaban a été évalué dans une étude de phase II parmi 1 146 patients en FANV. Cette étude a montré que les doses de 30 mg et 60 mg étaient le mieux tolérées du point de vue hémorragique. Une étude plus large de phase III (ENGAGE AF TIMI-48) est actuellement en cours, comparant chez 16 800 patients les doses de 30 et 60 mg/j versus AVK(21).   Betrixaban Le betrixaban est un inhibiteur du facteur Xa actif par voie orale et éliminé majoritairement par voie biliaire. EXPLORE Xa est une étude de phase II comparant les doses de 40 mg, 60 mg et 80 mg/j à une administration en ouvert de warfarine   YM 150 YM 150 est un inhibiteur du facteur Xa actuellement évalué dans une étude de phase II. Les résultats préliminaires de sécurité ont été rapportés à l’ESC 2010.   Quelle thrombo-prophylaxie en pratique ? Les recommandations européennes(1), canadiennes(22) et américaines(23) s’accordent pour considérer que le risque thromboembolique de la FANV et du flutter est équivalent et que le risque de la FA paroxystique et permanente est comparable. Ces recommandations ont été publiées avant l’autorisation de mise sur le marché du dabigatran, du rivaroxaban et de l’apixaban pour les recommandations européennes, et du rivaroxaban et de l’apixaban pour les recommandations américaines et canadiennes. La place du rivaroxaban et de l’apixaban n’est donc envisagée dans aucune de ces recommandations.   Quelle thrombo-prophylaxie pour les patients à faible risque thromboembolique (CHADS2 = 0 ou CHA2DS2-VASc = 0) ? Les recommandations européennes préconisent l’utilisation du score CHA2DS2-VASc pour évaluer le risque thrombo-embolique des patients en FANV. Les patients présentant un score CHA2DS2-VASc= 0 peuvent être traités par de l’aspirine à faible dose ou pourraient ne recevoir aucun traitement, attitude plutôt recommandée. Les recommandations américaines et canadiennes proposent d’évaluer le risque thromboembolique à l’aide du score CHADS2. Elles préconisent la prescription d’aspirine à une dose comprise entre 81 et 324 mg/j pour cette catégorie de patients (tableau 3). Quelle thrombo-prophylaxie pour les patients en FA non valvulaire et à risque thromboembolique intermédiaire (CHADS2 = 1 ou CHA2DS2-VASc = 1) ? Les recommandations européennes proposent d’utiliser les AVK ou l’aspirine dans ce groupe de patients en attribuant cependant un niveau de recommandation supérieur pour les AVK. Le dabigatran à la dose de 150 mg x 2 est proposé dans ces recommandations à titre optionnel pour les patients à faible risque hémorragique défini par un score HAS-BLED < 3 et la dose de 110 mg x 2 pour les patients à haut risque hémorragique (score HAS-BLED > 3). Les recommandations américaines proposent de prescrire dans cette catégorie de risque des AVK ou de l’aspirine, mais, là aussi, avec un niveau de recommandation supérieur pour les AVK. Le dabigatran à la dose de 150 mg x 2 est considéré comme une alternative possible dans cette catégorie de risque chez les patients en FA sans prothèse mécanique, sans cardiopathie valvulaire et ayant une fonction rénale et hépatique conservée. Les recommandations canadiennes proposent d’utiliser les AVK ou le dabigatran à la dose de 150 mg x 2 en cas de score CHADS2 = 1 (tableau 3).   Quelle thrombo-prophylaxie pour les patients en FA non valvulaire et à haut risque thrombo-embolique (CHADS2 > 1 ou CHA2DS2-VASc > 1) ? Les recommandations publiées sont unanimement en faveur d’une utilisation des AVK chez les patients à haut risque thromboembolique. Les recommandations américaines et européennes proposent, en alternative aux AVK, le dabigatran à la dose de 150 mg en 2 prises. Seules les recommandations canadiennes proposent de manière formelle d’instaurer un traitement par dabigatran (150 mg x 2) à la place des AVK (tableau 3).   Quelle place pour l’association aspirine, clopidogrel ? En cas de contre-indication aux AVK ou de refus du patient de prendre des AVK, l’association aspirine + clopidogrel est proposée dans les recommandations européennes et américaines, alors que les recommandations canadiennes proposent le dabigatran en lieu et place de la double association d’antiagrégant plaquettaire.   Limites des nouveaux anticoagulants La demi-vie courte des anti-IIa (14 à 17 heures pour le dabigatran) et des anti-Xa (9 à 15 heures pour le rivaroxaban et 9 à 14 heures pour l’apixaban) nécessite une bonne adhésion des patients et leur sensibilisation à la double prise, notamment pour le dabigatran et l’apixaban. Les interactions médicamenteuses, notamment avec les inhibiteurs du cytochrome CYP 3A4 (vérapamil, érythromycine, ciclosporine), les inducteurs du CYP 3A4 (carbamazépine, éfavirenz, névirapine, rifampicine) et les inhibiteurs de la glycoprotéine p (amiodarone, vérapamil, ciclosporine) doivent être prises en compte avant la prescription d’un anti-IIa ou Xa. L’absence d’antagoniste, d’antidote et de test biologique permettant d’évaluer le niveau d’anticoagulation peuvent rendre difficiles la neutralisation de ces molécules et la gestion des accidents hémorragiques(24).   Indications potentielles des nouveaux anticoagulants Schématiquement, les anti-IIa et anti-Xa pourraient être prescrits en première intention chez les patients en FANV naïfs pour les AVK et ayant un score CHADS2 ou CHA2DS2-VASc > 1 et une fonction rénale normale. Ils peuvent être substitués aux AVK chez les patients ayant présenté un AVC sous AVK malgré un INR adéquat. Ils pourraient constituer une alternative aux AVK chez les patients difficiles à éduquer, présentant une grande labilité des INR sous AVK, des difficultés à maintenir au cours du temps un INR en zone thérapeutique et/ou dans l’impossibilité de réaliser un monitorage correct des INR.   Quelles indications des AVK dans la FANV ? Les indications résiduelles des AVK pourraient être représentées par les patients bien équilibrés sous AVK et n’ayant jamais présenté d’AVC sous ce traitement ainsi que les patients ayant des antécédents de saignements digestifs, ou présentant une altération de la fonction rénale (clairance de la créatinine < 15 ml/min). La warfarine pourrait être proposée en première intention aux patients présentant une cardiopathie ischémique en raison du risque de majoration des événements coronariens (en cours d’évaluation dans les essais de prévention de la maladie veineuse thromboembolique) et de l’efficacité établie des AVK en prévention des événements coronariens, tant en prévention primaire que secondaire. Les patients porteurs de prothèses valvulaires mécaniques, au décours d’une cardioversion médicamenteuse, présentant une thrombose intracardiaque constituent un groupe de patients chez lesquels il n’est pas recommandé de prescrire les AVK.   Indications des antiagrégants plaquettaires La prescription d’un antiagrégant plaquettaire pourrait être envisagée chez les patients à faible risque thromboembolique ou chez les patients présentant une contre-indication aux AVK ou un risque hémorragique important. Cependant, il est probable que l’apixaban doive progressivement se substituer à l’aspirine en cas de contre-indications aux AVK.   En pratique   L’évaluation du risque thromboembolique et du risque hémorragique est une étape indispensable permettant au clinicien de préciser au mieux la place des AVK, AAP ou des nouveaux anticoagulants pour un patient donné en FANV. La validation récente dans des essais d’envergure de phase III des inhibiteurs de la thrombine (dabigatran) et des anti-Xa (rivaroxaban et apixaban) va modifier la prise en charge de ces patients. Ces nouvelles molécules semblent répondre en partie et en théorie aux limitations décrites avec les AVK. Les données du monde réel après leur introduction sur le marché sont essentielles à prendre en considération, afin de prescrire au mieux ces molécules et gérer les situations à risque : observance insuffisante, périodes de relais, accidents hémorragiques, geste invasif ou chirurgie… 

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