Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 01 mai 2012Lecture 10 min
AVC et fibrillation atriale : les nouveaux anticoagulants oraux
J.-L. MAS, Service de Neurologie, Hôpital Sainte-Anne, Paris
La fibrillation atriale (FA) est une maladie fréquente affectant 1 à 2 % de la population. Sa prévalence augmente avec l’âge, allant de moins de 1 % avant 60 ans à environ 10 % au-delà de 80 ans. Passé l’âge de 40 ans, la probabilité d’être atteint de FA est de 25 %. Une augmentation importante de la prévalence de la FA est attendue dans les décennies à venir, du fait principalement du vieillissement des populations. La FA est associée à une augmentation du risque d’infarctus cérébral (multiplié par un facteur 4 à 5) et de décès (doublé), par rapport aux patients sans FA. Environ 15 % des AVC sont dus à la FA et cette proportion augmente avec l’âge, pouvant atteindre 25 % au-delà de 80 ans. Les infarctus cérébraux liés à la FA sont particulièrement sévères, avec une mortalité à la phase aiguë, des séquelles neurologiques et un risque de récidive, plus importants que chez les patients en rythme sinusal(1). Les antivitamines K (AVK) sont très efficaces pour réduire ces risques, mais restent largement sous-utilisés en raison de leurs nombreux inconvénients. De nouveaux anticoagulants oraux ont été développés et font l’objet de cet article.
Des antivitamines K aux nouveaux anticoagulants
Pendant plus de 50 ans les AVK ont été le traitement de référence pour réduire le risque d’événements thromboemboliques chez les patients ayant une FA. Ces médicaments sont très efficaces puisqu’ils réduisent d’environ deux tiers, comparativement au placebo, le risque d’AVC ou d’embolie systémique chez les patients FA. Ils sont aussi nettement plus efficaces que l’aspirine ou l’association d’aspirine et de clopidogrel(2). Cependant, les AVK ont une fenêtre thérapeutique étroite (INR 2 à 3) dans laquelle il est difficile de maintenir les patients, car la réponse au traitement est influencée par de nombreux facteurs, incluant des interactions avec l’alimentation et de nombreux médicaments. En dehors de cette fenêtre thérapeutique, les risques d’infarctus cérébral ou de complications hémorragiques augmentent rapidement. Le maintien dans la zone thérapeutique nécessite des contrôles sanguins et des ajustements thérapeutiques fréquents.
En pratique, de nombreux patients en FA candidats à ce traitement ne sont pas traités, ou lorsqu’ils le sont ne sont pas dans la zone d’efficacité thérapeutique. Même dans le cadre optimal des essais thérapeutiques, le pourcentage de temps moyen dans la cible thérapeutique est de l’ordre de 60 %.
Ces limitations ont conduit au développement de nouveaux anticoagulants par voie orale qui ciblent principalement la thrombine ou le facteur Xa. Ces médicaments sont d’utilisation beaucoup plus simple que les AVK. Ils ont une fenêtre thérapeutique large et ont l’avantage de ne pas nécessiter de contrôle sanguin, ni de précaution alimentaire. Les interactions médicamenteuses sont plus limitées qu’avec les AVK. Ces médicaments agissent rapidement (temps pour atteindre le concentration maximale : environ 2 heures) et leur effets disparaissent rapidement après l’arrêt (demi-vie d’environ 12 heures). Les principaux inconvénients par rapport aux AVK sont l’absence d’antidote et de test biologique permettant de connaître le niveau d’anticoagulation. Ces manques devraient être rapidement comblés. Enfin, compte tenu de leur élimination rapide, une mauvaise observance du traitement pourrait avoir plus de conséquences qu’avec les AVK.
Résultats des essais cliniques randomisés
Dabigatran
(figure 1)
Le dabigatran est un inhibiteur compétitif direct de la thrombine. Il est éliminé à 80 % par voie rénale(3).
Figure 1. Données de l’étude RELY.
L’étude RE-LY(3) a comparé le dabigatran aux doses de 110 mg (2 fois par jour) ou de 150 mg (2 fois par jour) et la warfarine (INR 2-3) dans un essai de non-infériorité portant sur 18 113 patients ayant une FA et au moins 1 facteur de risque d’AVC. La comparaison entre les deux doses de dabigatran a été faite en double aveugle, contrairement à la comparaison entre dabigatran et warfarine qui a été faite en ouvert. L’analyse principale a été faite en intention de traiter.
L’âge moyen des patients était de 71 ans (36,4 % de femmes). Le score CHADS2 moyen était de 2,1 et 20 % avaient des antécédents d’AVC ou d’AIT. La moitié des patients avaient préalablement reçu des AVK. Les patients traités par warfarine ont passé en moyenne 64 % du temps dans la fourchette thérapeutique. Le taux d’arrêt des traitements de l’étude à 2 ans était plus élevé sous dabigatran 110 mg deux fois par jour (20,7 %) et 150 mg (21,2 %) de dabigatran que sous warfarine (16,6 %).
Au cours d’un suivi médian de 2 ans, les deux doses de dabigatran se sont avérées non inférieures à la warfarine pour réduire le risque d’AVC ou d’embolie systémique (critère de jugement principal). Le dabigatran 150 mg (2 fois par jour) était supérieur à la warfarine, réduisant de 34 % le risque d’AVC et d’embolie systémique. Le risque d’hémorragie sévère était réduit chez les patients traités par dabigatran 110 mg (2 fois par jour), et similaire à celui de la warfarine chez ceux traités par dabigatran 150 mg (2 fois par jour). Les saignements digestifs majeurs étaient plus fréquents sous dabigatran 150 mg (2 fois par jour). Le risque d’AVC hémorragique a été réduit de plus de deux tiers avec les deux doses de dabigatran. Le taux de mortalité totale n’était pas réduit de façon significative, bien que la réduction de mortalité sous dabigatran 150 mg (2 fois par jour) était proche du seuil de significativité statistique et le dépassait pour la mortalité cardiovasculaire. Le risque annuel d’infarctus du myocarde était plus élevé sous dabigatran 110 mg et 150 mg que sous warfarine, respectivement 0,72 %, 0,74 % et 0,53 % (RR pour dabigatran 110 mg 1,35, IC 95 % 0,98-1,87, p = 0,07 ; RR pour dabigatran 150 mg 1,38, IC 95 % 1,00-1,91, p = 0,048). Le seul effet secondaire significativement plus fréquent sous dabigatran 110 mg (11,8 %) et 150 mg (11,3 %) que sous warfarine (5,8 %) était la dyspepsie.
La comparaison des deux doses de dabigatran entre elles montre que la dose de 150 mg (2 fois par jour) diminue le risque d’AVC et d’embolie systémique, principalement du fait d’une réduction du risque d’AVC ischémique, alors que les risques d’hémorragie cérébrale étaient similaires avec les deux doses. Il n’y avait pas de différence significative du risque de décès. Il existait avec la dose de 150 mg une augmentation du risque hémorragique global avec une tendance à une augmentation du risque d’hémorragie sévère et une augmentation du risque d’hémorragie digestive.
Les analyses de sous-groupes n’ont pas montré d’interaction entre l’effet du dabigatran comparativement à la warfarine et l’utilisation d’un traitement par AVK préalablement à l’essai, la qualité de contrôle de l’INR dans les centres participants, ou la fonction rénale à l’entrée (sachant que les patients ayant une clairance de la créatinine < 30 ml/min n’ont pas été inclus). Les effets des deux doses de dabigatran chez les patients ayant des antécédents d’AIT ou d’AVC étaient cohérents avec ceux observés chez les autres patients de l’étude, chez lesquels, comparés à la warfarine, le dabigatran 150 mg (2 fois par jour) réduit le risque d’AVC et d’embolie systémique et le dabigatran 110 mg (2 fois par jour) n’est pas inférieur à la warfarine(4).
Il existait une interaction entre l’effet du traitement et l’âge. Avant 75 ans, les deux doses de dabigatran ont des risques plus faibles d’hémorragies intracrâniennes et extracrâniennes que la warfarine. Chez les patients âgés de 75 ans ou plus, le risque de saignement intracrânien est plus faible, mais le risque de saignement extracrânien est similaire ou plus élevé avec les deux doses de dabigatran comparativement à la warfarine(5).
Rivaroxaban
(figure 2)
Le rivaroxaban est un inhibiteur direct du facteur Xa. Il est éliminé inchangé à environ un tiers par voie rénale, et métabolisé pour deux tiers par le foie(6).
Figure 2. Résultats de l’étude ROCKET-AF.
L’étude ROCKET AF(6) a comparé le rivaroxaban à la dose de 20 mg une fois par jour et la warfarine (INR 2-3) dans un essai de non-infériorité portant sur 14 264 patients ayant une FA à risque élevé d’AVC. L’essai a été conduit en double aveugle et l’analyse principale a été faite en per-protocole (patients sous traitements à l’étude).
L’âge médian des patients était de 73 ans (39,7 % de femmes). Le score CHADS2 moyen était de 3,5 ; 62,4 % des patients avaient préalablement reçu des AVK et 54,8 % avaient des antécédents d’AVC ou d’AIT. Les patients traités par warfarine ont passé en moyenne 55 % du temps (médiane 58 %) dans la fourchette thérapeutique. Les taux d’arrêt des traitements à l’étude (avant survenue d’un critère de jugement) étaient de 23,7 % sous rivaroxaban et de 22,2 % sous warfarine.
Au cours d’un suivi médian sous traitement de 1,6 ans, le rivaroxaban a été non inférieur à la warfarine pour réduire le risque d’AVC ou d’embolie systémique chez les patients recevant les traitements de l’étude. Lorsque l’analyse était faite en intention de traiter (tous les patients randomisés, recevant ou non les traitements de l’étude), le rivaroxaban restait non inférieur à la warfarine, mais la réduction du critère de jugement principal (HR 0,88, 0,75-1,03) n’était pas statistiquement significative en termes de supériorité (p = 0,12). Les risques d’hémorragie majeure ou non majeure mais cliniquement importante, n’étaient pas différents entre les deux groupes, bien que les risques d’hémorragie intracrânienne et d’hémorragie fatale étaient plus faibles sous rivaroxaban. De même, il n’y avait pas de différence concernant les risques annuels d’infarctus du myocarde (0,9 % vs 1,1 % sous warfarine, HR 0,81, IC 95 % 0,63-1,06, p = 0,12) ou de mortalité (4,5 % vs 4,9 % sous warfarine, HR 0,92, IC 95 % 0,82-1,03, p = 0,15).
Les analyses de sous-groupes n’ont pas montré d’interaction entre les effets du rivaroxaban comparativement à la warfarine et les sous-groupes prédéfinis. En particulier, les résultats en termes d’efficacité et de risque hémorragique du rivaroxaban chez les patients ayant des antécédents d’AIT ou d’AVC, qui représentaient plus de 50 % des patients, étaient cohérents avec les résultats globaux de l’étude(7).
Apixaban
(figure 3)
L’apixaban est un inhibiteur direct du facteur Xa. Il est éliminé à 25 % par voie rénale(8). Il a fait l’objet de deux essais cliniques randomisés en double aveugle chez les patients atteints de FA.
Figure 3. Résultats de l’étude aristotle.
AVERROES(8) a comparé l’apixaban (5 mg deux fois par jour) à l’aspirine (81 à 324 mg par jour) chez 5 599 patients ayant une FA à risque élevé d’AVC, considérés comme de mauvais candidats aux AVK. L’étude a été arrêtée avant son terme prévu en raison d’une supériorité évidente de l’apixaban sur l’aspirine en prévention des AVC et embolies systémiques (1,6 % par an vs 3,4 % par an sous aspirine ; HR 0,45, IC 95 % 0,32-0,62, p < 0,001). Le taux annuel de décès était de 3,5 % sous apixaban et de 4,4 % sous aspirine (HR 0,79, IC 95 % 0,62-1,02, p = 0,07). Ce bénéfice a été obtenu sans majoration significative du risque d’hémorragie sévère (1,4 % par an vs 1,2 % par an sous aspirine ; HR 1,13, IC 95 % 0,74-1,75, p = 0,57).
ARISTOTLE(9) a comparé l’apixaban (5 mg deux fois par jour) à la warfarine (INR 2-3) dans un essai de non-infériorité portant sur 18 201 patients ayant une FA et au moins un facteur de risque d’AVC. L’âge médian des patients était de 70 ans (35,3 % de femmes). Le score CHADS2 moyen était de 2,1. Environ 57 % des patients avaient préalablement reçu des AVK et 19 % avaient des antécédents d’AVC ou d’AIT. Une dose réduite (2,5 mg deux fois par jour) a été utilisée si le patient avait au moins deux des critères suivants : âge ≥ 80 ans, poids ≤ 60 kg, créatininémie ≤ 1,5 mg/dl. Les patients traités par warfarine ont passé en moyenne 66 % du temps (médiane 62,2 %) dans la fourchette thérapeutique.
Le taux d’arrêt des traitements à l’étude était moins élevé sous apixaban (25,3 %, 3,6 % pour décès) que sous warfarine (27,5 %, 3,8 % pour décès) (p = 0,001). Au cours d’un suivi médian de 1,8 ans, l’apixaban s’est révélé supérieur à la warfarine en réduisant de 21 % le risque d’AVC ou d’embolie systémique. Les risques d’hémorragie majeure, d’AVC hémorragique et de décès étaient réduits, respectivement de 31 %, 49 % et 11 % sous apixaban. La réduction du critère de jugement sous apixaban était cohérente dans tous les sous-groupes prédéfinis, comme par exemple la tranche d’âge (< 65, 65 - 75, ≥ 75 ans), le niveau de réduction de la fonction rénale, l’utilisation de warfarine avant l’essai ou des antécédents d’AIT ou d’AVC.
En résumé
• Les trois essais actuellement disponibles, comparant un inhibiteur de la thrombine (dabigatran) ou un inhibiteur du facteur Xa (rivaroxaban, apixaban) par voie orale à la warfarine, ont des résultats similaires.
• Ces médicaments ont un risque moindre d’AVC hémorragique comparativement à la warfarine. En fait, dans les 3 études, la réduction du critère de jugement principal, qui inclut les AVC ischémiques et hémorragiques, était largement influencée par la réduction du risque d’AVC hémorragique.
Seul le dabigatran à la dose de 150 mg (2 fois par jour) a réduit aussi de façon significative le risque d’AVC ischémique par rapport à la warfarine.
• Le risque d’hémorragie grave était réduit avec chacun des trois médicaments par rapport à la warfarine. Enfin, l’effet sur la mortalité globale de ces 3 médicaments allait dans le sens d’une réduction, mais celle-ci n’était statistiquement significative qu’avec l’apixaban.
En l’absence d’essai comparant les molécules entre elles, les conclusions issues de comparaisons indirectes entre les résultats des trois études doivent rester très prudentes, car il existe entre ces études des différences notables concernant les patients inclus (à plus ou moins haut risque d’AVC), les modalités d’administration du traitement, la méthodologie de l’étude, et l’analyse statistique des résultats (tableau).
Conclusion
Les patients atteints de FA constituent une vaste population de patients à haut risque d’AVC sévère. Dans la mesure où la plupart des AVC survenant chez ces patients peuvent être prévenus, les patients atteints de FA sont une cible thérapeutique essentielle pour réduire le fardeau global des AVC. Les AVK sont très efficaces pour diminuer le risque d’AVC chez ces patients, mais leurs nombreux inconvénients les rendent difficiles à utiliser en pratique et ils sont de fait largement sous-utilisés.
Les nouveaux anticoagulants ont de nombreux avantages comparativement aux AVK, mais leur facilité d’utilisation ne doit pas faire oublier la nécessité d’une stricte observance du traitement par les patients et des règles d’utilisation par le médecin, au risque sinon de perdre le bénéfice de ces nouveaux traitements. On doit espérer que ces traitements combleront le fossé actuel existant entre les patients qui devraient recevoir un traitement anticoagulant et ceux qui le reçoivent effectivement.
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