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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 14 nov 2012Lecture 8 min

Fibrillation atriale et personnes âgées : ralentir ou réduire ?

J.-P. ÉMERIAU, Bordeaux

Faut-il essayer de rétablir un rythme sinusal (réduire) ou se contenter de ralentir la fréquence ventriculaire ? La discussion entre réduire et ralentir est un exercice de logique entre ce qui est possible et ce qui souhaitable pour ces malades âgés pour lesquels la qualité de vie doit être privilégiée.

Pourquoi cette question ?   Dans la physiologie de la contraction cardiaque, la systole auriculaire joue un rôle important en fin de diastole en complétant de manière active le remplissage du ventricule gauche (VG) qui était passif jusque-là (simple différence de pression entre oreillette et ventricule). Chez les personnes âgées, de nombreux facteurs comme l’hypertension artérielle, la maladie coronaire, les valvulopathies augmentent la rigidité de la paroi ventriculaire, ce qui freine et réduit le remplissage passif du VG. Dans ces conditions, la systole auriculaire a un rôle essentiel en complétant le remplissage ventriculaire, ce qui permet (effet Starling) de maintenir le débit cardiaque à un niveau adapté aux besoins. Lorsqu’une FA survient, cette séquence n’est plus respectée, ce qui entraîne une baisse du débit cardiaque de 20 à 30 % chez une personne âgée, avec un retentissement clinique variable allant d’une simple difficulté à réaliser des efforts de la vie courante à un tableau d’insuffisance cardiaque.   La « réduction » de la FA a pour objectif de rétablir une systole auriculaire efficace sur un plan hémodynamique. Le « ralentissement » allonge la diastole, mais avec un résultat hémodynamique inférieur.   Réduire ?   Compte tenu des données qui viennent d’être exposées, la réduction de la FA apparaît comme une quasi-nécessité. Pourtant, de nombreuses questions doivent être résolues au préalable.   Quelle est la date de survenue de la FA ? Le trouble du rythme est-il apparu très récemment, depuis moins de 48 heures ou, au contraire, est-il plus ancien ? Il est bien souvent impossible de répondre à cette question qui est pourtant essentielle dans la mesure où plus la FA est ancienne, plus le risque embolique est important.   Quand une réponse précise ne peut pas être donnée, il est prudent et recommandé d’attendre 3 semaines après qu’un traitement anticoagulant a été mis en place avant d’essayer de réduire la FA. La solution pour passer outre cette recommandation serait de vérifier l’absence de thrombus dans l’oreillette en réalisant une échocardiographie par voie transœsophagienne… ce qui est loin d’être une pratique courante chez les personnes âgées !   La FA est-elle mal tolérée ? Une circonstance particulière est celle d’une FA avec une tachyarythmie qui provoque une situation hémodynamique instable, c’est-à-dire une insuffisance cardiaque difficile à contrôler avec les traitements usuels. En pratique, cette situation nécessite un transfert en milieu spécialisé pour réaliser soit un choc électrique externe (CEE) sous anesthésie générale, soit en utilisant des antiarythmiques par voie parentérale avec une surveillance stricte des effets indésirables.   Quand et comment réduire ? Dans la majorité des cas, un délai de 3 semaines à 1 mois est respecté après la mise en route d’un traitement anticoagulant et avant toute tentative de réduction. Cette tentative sera soit un CEE, soit un traitement antiarythmique par voie orale. Deux molécules sont utilisées : l’amiodarone et la flécaïnide. Le choix doit tenir compte des effets indésirables de chacune de ces deux drogues, avec une contre-indication pour l’amiodarone en cas d’antécédent de dysthyroïdie et une contre-indication formelle pour la flécaïnide en cas d’antécédent d’insuffisance cardiaque et/ou d’infarctus du myocarde. La tentative de réduction est réalisée avec une dose de charge d’amiodarone à raison de 20 comprimés dosés à 200 mg répartis sur une période de 3 à 5 jours. La flécaïnide est utilisée en commençant par 50 mg deux fois par jour pendant 4 à 5 jours, avant de passer à 100 g deux fois par jour. Pour ces deux traitements, les précautions d’emploi sont à respecter sous forme d’une surveillance de l’électrocardiogramme pour dépister à temps la survenue d’un trouble de conduction. Le résultat attendu est un rétablissement du rythme sinusal dans un délai de quelques heures au mieux et quelques jours en règle générale. Si la FA persiste après une quinzaine de jours, le traitement doit être considéré comme un échec et doit être arrêté. Une deuxième tentative peut être envisagée avec le deuxième antiarythmique (amiodarone puis flécaïnide, ou l’inverse) en respectant un intervalle libre entre les deux. En cas de nouvel échec, le traitement antiarythmique doit être définitivement arrêté.   Comment prévenir la rechute ? À l’inverse, après une réduction de la FA, le rythme sinusal doit être maintenu avec l’antiarythmique qui a été efficace. Ce traitement sera poursuivi aussi longtemps que le rythme sinusal persistera. Les posologies habituelles sont de 200 mg, 5 à 7 jours par semaine pour l’amiodarone et de 50 ou 100 mg deux fois par jour pour la flécaïnide. L’efficacité de l’amiodarone serait discrètement supérieure à celle de la flécaïnide. La dronédarone, dont l’efficacité est assez comparable à celle de l’amiodarone mais sans les risques thyroïdiens du fait de l’absence d’iode dans la molécule, est apparue comme une solution. Malheureusement, des complications hépatiques graves ont annihilé les espoirs placés dans cette nouvelle molécule.   Réduire ou ralentir ?   Cette étrange question est liée au fait que le rythme sinusal est difficile à maintenir et que les tentatives répétées de réduction ont une pénibilité importante pour les malades du fait des hospitalisations répétées et un coût important en termes financiers… Il y a un peu plus de 10 ans, la question s’est posée de savoir si paradoxalement le mieux n’était pas de laisser la FA persister mais en maintenant une fréquence ventriculaire peu rapide. Quatre études observationnelles ont apporté la réponse à cette question.   • En 2000, l’étude PIAF (Hohnloser SH. Lancet 2000 ; 356 : 1789-94) a apporté une première réponse : 250 malades en FA depuis plus d’une semaine mais moins d’un an ont été randomisés en deux groupes traités respectivement par du diltiazem pour ralentir ou de l’amiodarone pour maintenir le rythme sinusal après réduction par un CEE. Après 1 an de traitement, l’amélioration des signes fonctionnels a été identique dans les deux groupes. Le rythme sinusal a été maintenu chez 23 % des malades sous amiodarone et la distance parcourue après 6 minutes de marche était plus importante dans ce groupe. Ces résultats attendus étaient contrebalancés par des qualités de vie identiques dans les deux groupes et surtout des hospitalisations significativement plus fréquentes dans le groupe amiodarone (69 % versus 24 %). La conclusion de cette étude a provoqué une première réflexion sur la conduite à tenir.   • Deux autres études, RACE (Hagens VE. Card Electrophysiol Rev 2003 ; 7 : 118-21) et STAF (Carlsson J. J Am Coll Cardiol 2003 ; 41(10) : 1690-6) ont abouti à des conclusions identiques, à savoir qu’il n’y avait pas de différence entre les deux stratégies, que les hospitalisations étaient plus fréquentes dans le bras « réduire » et que les effets indésirables des différents traitements grevaient l’amélioration fonctionnelle.   • L’étude AFFIRM (N Engl J Med 2002 ; 347 : 1825-34) a apporté les réponses aux questions qui restaient en suspens : 4 060 malades de 70 ans d’âge moyen ont été randomisés en deux groupes : ralentir par les moyens classiques et des anticoagulants sine die ou réduire avec un CEE ou un antiarythmique, mais avec des anticoagulants maintenus 1 à 3 mois après le rétablissement du rythme sinusal. Les résultats observés ont confirmé les conclusions des trois études précédentes avec une puissance statistique liée au grand nombre de malades inclus. Un élément important supplémentaire a été mis en évidence avec une mortalité significativement plus importante dans le groupe « réduire ». Ce résultat a provoqué de nouvelles analyses et deux nouvelles réflexions : - La première concerne le risque associé aux traitements antiarythmiques. Tous les antiarythmiques ont un effet « proarythmogène » avec une exception relative pour l’amiodarone. À la suite de l’étude CAST (Echt DS. N Engl J Med 1991 ; 324 : 781-8), le risque de provoquer des troubles du rythme ventriculaire graves et des morts subites avait été mis en évidence. Ce risque est associé aux pathologies cardiaques, telles qu’une hypertrophie ventriculaire gauche, une insuffisance cardiaque et une séquelle d’infarctus du myocarde. AFFIRM a permis de retrouver ce danger dans la prise en charge de la FA. - La deuxième réflexion concerne le vieillissement qui constitue un facteur de risque supplémentaire de récidive de la FA du fait des différents problèmes pathologiques qui lui sont associés (Akiyama T. J Am Geriatr Soc 1992 ; 40 : 666-72).   Au total, ces différents éléments incitent à la prudence vis-à-vis de l’indication de la réduction d’une FA chez une personne âgée.   En conclusion, que retenir ?   Au cours du vieillissement, le maintien du débit cardiaque au repos et à l’effort est de plus en plus dépendant de la systole auriculaire. Mais la dilatation de l’oreillette gauche secondaire à l’âge et aux maladies cardiaques associées (hypertrophie ventriculaire gauche secondaire à l’hypertension artérielle, cicatrices d’infarctus du myocarde, valvulopathies dégénératives…) est un facteur de risque de plus en plus important de survenue d’une FA et de récidive après réduction. Ces deux éléments opposés doivent être considérés pour déLcider de la conduite à tenir chez une personne âgée. Laisser une personne en FA sans tenter de rétablir un rythme sinusal sous le prétexte qu’elle est trop âgée n’est pas logique. Mais l’enseignement tiré d’AFFIRM et des autres études établit le fait que tenter des réductions itératives n’est pas raisonnable. La qualité de vie de ces malades est hypothéquée par les réhospitalisations et le risque de décès qui est augmenté du fait des complications iatrogènes.   Il faut donc, dans un premier temps, faire une tentative pour essayer de réduire. Et si elle échoue, il faut alors se contenter de ralentir.   Restent deux points importants : - Une des conclusions des études RACE et AFFIRM indique que, même chez les malades qui ont récupéré un rythme sinusal, le risque ultérieur d’embolie artérielle et d’AVC justifie un traitement anticoagulant « à vie », ce qui malheureusement est loin d’être la règle. - Le deuxième point est un espoir avec l’ablation : chez des octogénaires et quelques nonagénaires, plusieurs études rapportent le maintien du rythme sinusal 18 mois après l’ablation chez 70 % des malades. Une restriction doit cependant tempérer l’enthousiasme dans la mesure où ces personnes âgées avaient peu ou pas de pathologie cardiaque associée à la FA !   "Publié dans Gérontologie Pratique"

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