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Cardiologie générale

Publié le 25 sep 2012Lecture 13 min

Vieillissement et fragilité

S. WEILL-ENGERER, Hôpital Rothschild, Paris

Tous les indicateurs démographiques (longévité maximale, espérance de vie moyenne à la naissance et à 70 ans, espérance de vie sans maladie, espérance de vie sans handicap) nous montrent que l’homme occidental vit de plus en plus longtemps, donc de plus en plus vieux. Pourtant, définir la vieillesse s’avère difficile, voire impossible. La recherche vise plutôt à définir si un vieillissement est normal (dû au temps exclusivement) ou pathologique (aggravé par des conditions pathologiques). Les concepts de vieillissement optimal et de vieillissement moyen se sont développés afin de progresser dans cette définition. La définition de normes correspondant à ces différentes notions avance lentement au sein d’une recherche difficile, onéreuse, présentant de fréquents risques de biais, et de nombreuses incertitudes  quant à l’applicabilité des résultats.

La part des personnes de plus de 65 ans dans la population est actuellement de 16 % (données INSEE 2011), et elle augmente chaque année. Quant à la part des plus de 85 ans, elle augmente au point de devenir un véritable problème d’économie et de santé publique. Mais les augmentations les plus spectaculaires concernent les plus âgés : ainsi, le nombre de centenaires en France a décuplé en quelques décennies. Bref, la population vieillit, et les Français sont de plus en plus souvent de vieux Français. Tout le monde a ces quelques notions, au point que les répéter relève peut-être plus du « Café du Commerce » que de l’article médical. Encore faut-il savoir sur quelles notions scientifiques et quelles définitions s’appuient ces observations.   Vieillissement de population   La baisse de la natalité est une des causes du vieillissement de la population. Cette baisse est sensible dans tous les pays occidentaux et affecte autant les pays méditerranéens que du nord de l’Europe.   L’autre cause de l’augmentation de la proportion des vieux dans notre population est l’augmentation de la durée de vie.   Celle-ci peut être appréciée par deux indicateurs : d’une part la longévité maximale connue de l’espèce. Elle est actuellement de 122 ans (Jeanne Calment) et le fait que le détenteur de ce record soit un contemporain et dans un pays développé n’est peut-être pas un hasard. Il semble en effet qu’il n’y ait eu aucun centenaire authentifié avant l’an 1800 dans aucun pays à faible niveau de développement.   Le deuxième indicateur de l’espérance de vie est l’espérance de vie à la naissance. Elle est actuellement de 82 ans chez les femmes et de 74 ans chez les hommes. L’espérance de vie moyenne à la naissance évolue beaucoup plus rapidement dans le temps que la longévité maximale : le gain en Europe est actuellement de 0,25 année d’espérance de vie/an, c’est-à-dire que l’espérance de vie des enfants qui naissent cette année est de 1 an supérieure à l’espérance de vie des enfants qui sont nés il y a 4 ans. Ce gain d’espérance de vie se fait désormais très peu par la diminution de la mortalité infantile, mais bien par un allongement de la durée de vie d’adulte. Ceci se traduit par la « rectangularisation » de la courbe dite des survivants (figure 1). Poussée à l’extrême, cette évolution finirait par également « rectangulariser » la classique pyramide des âges en un « gratte-ciel des âges » (figure 2).   Figure 1. Courbe des survivants au cours du temps. Figure 2. Pyramide des âges actuelle, et théorique selon une évolution rectangulaire de la courbe des survivants.   Une notion dérivée de l’espérance de vie à la naissance est l’espérance de vie à un âge donné.   Par exemple, un homme de 90 ans a 50 % de probabilité d’atteindre ou dépasser l’âge de 93 ans, et 25 % de probabilité d’atteindre ou dépasser l’âge de 99 ans. Plus modernes que l’espérance de vie sont l’espérance de vie sans maladie, l’espérance de vie sans aucune incapacité et l’espérance de vie avec incapacité légère, qui correspondent aux soucis de qualité de vie. L’espérance de vie présente des variations géographiques spectaculaires d’un continent à l’autre : alors qu’en Europe l’espérance de vie à la naissance est en moyenne de 75 ans et l’espérance de vie en bonne santé de 63 ans, en Afrique l’espérance de vie à la naissance est de 53 ans et l’espérance de vie en bonne santé de 52 ans. Outre la dramatique différence d’espérance de vie des habitants des deux continents, on constate qu’en Afrique l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé sont presque identiques, alors que les deux échéances sont séparées de 12 ans en moyenne en Europe. Bien que ces chiffres reposent sur une définition très restrictive de la bonne santé et de l’absence d’incapacité, ceci pose quand même la question du type de vie que nous apportent ces années en plus.   La tendance actuelle semble être une stagnation de l’espérance de vie sans maladie et un allongement parallèle de l’espérance de vie et de l’espérance de vie sans incapacité.   Etre vieux, c'est quoi ? Peut-on dire à partir de quand un individu est vieux ? Le début de la vieillesse avait jusqu’à il y a peu de temps une définition essentiellement sociale qui était l’entrée dans la retraite professionnelle. Cette définition marquait d’emblée ses limites : quid d’un individu qui n’avait jamais travaillé, ou qui ne prenait pas sa retraite, ou d’une société dans laquelle la retraite n’existait pas ? De plus, le passage à l’âge de la retraite correspond de moins en moins à une fin d’activité, tant familiale (chez des grands-parents qui s’occupent de plus en plus de leurs petits-enfants) que sociale (dans une société où la vie associative à une place de plus en plus grande). Peut-on imaginer une définition physiologique de la vieillesse ? Chez l’animal sauvage il est classique de résumer - et de restreindre - la fonction vitale à la fonction de reproduction, et de considérer la disparition de celle-ci comme le début de la vieillesse. Cette définition s’applique mal à l’être humain, tant à la femme chez laquelle la ménopause intervient désormais au milieu du cours de la vie, que chez l’homme qui, comme dans d’autres espèces, est fertile jusqu’à un âge très avancé. Trouver une condition physiologique précise qui corresponde à l’entrée dans la vieillesse semble donc difficile.   Nous percevons intuitivement la vieillesse comme l’état où l’espérance de vie est réduite. C’est donc dire que nous ne sommes pas vieux parce que nous avons beaucoup vécu, mais parce qu’il nous reste peu à vivre. A partir de combien d’années l’espérance de vie restante confine-t-elle à la vieillesse ? Faut-il envisager qu’un homme soit vieux à 50 ans au Mali, et à 85 ans en France... et que vivre plus âgé rende vieux plus tard ? Une situation analogue s’observe chez les animaux de laboratoire dont la longévité est le double de celle des animaux sauvages. En plus des difficultés de définition de la vieillesse, ceci témoigne des difficultés de la recherche et des incertitudes de l’applicabilité des découvertes scientifiques. Le vieillissement ne dépend en effet pas seulement de la programmation génétique de l’individu mais également de son environnement. Si on considère donc que la vieillesse est due à la conjonction de maladies ou de situation sociales - qui provoquent un vieillissement pathologique - et du temps - qui est la cause du vieillissement normal - c’est alors ce vieillissement normal qui doit avoir une définition universelle qui s’affranchirait des différences économiques, sociales et médicales.   Le but n’est donc pas de dire à partir de quand une personne est vieille, notion somme toute plus sociale ou philosophique que médicale, mais de pouvoir dire à quelqu’un d’âgé si son état de santé est en rapport avec un vieillissement normal ou pas.   Devenir âgé sans devenir vieux : le vieillissement réussi Individualiser l’évolution théorique au cours du vieillissement normal est difficile, aussi a-t-on remplacé cette notion par deux autres concepts. Le premier est celui de vieillissement optimal (ou réussi), observé sur une sélection de sujets âgés choisis pour la qualité de leur vieillissement. Ceci pose plusieurs problèmes. Quand faut-il juger de la qualité optimale du vieillissement d’un individu ? A un âge donné, au risque de méconnaître des tares latentes qui peuvent n’apparaître que plus tard, ou après la mort avec toutes les difficultés d’étude que cela comporte ? Quels paramètres choisir ? Le choix de paramètres ayant une relation connue avec le vieillissement, donc présentant une corrélation avec l’âge, est souhaitable. Si la corrélation est excellente le paramètre s’avérera inutile puisqu’il n’apportera pas de critère de plus que la seule connaissance de l’âge. Si la corrélation est forte sans être parfaite on pourra sélectionner directement les sujets ayant un vieillissement optimal selon ce paramètre, c’est-à-dire ceux qui « font moins que leur âge ». Par contre, si on utilise un paramètre peu lié à l’âge, il ne servira pas de critère de vieillissement mais de critère de pathologie, et pourra être utilisé pour écarter les patients ayant un vieillissement pathologique.   Les paramètres qualitatifs sont rares, et leur relation avec le vieillissement peut être d’une pertinence discutable ainsi que le prouve la récente redéfinition de l’ostéoporose : cette maladie qui est le paradigme du vieillissement osseux n’est plus définie par un paramètres qualitatif (la notion de fracture) mais bien plus logiquement par un paramètre quantitatif (une faible densité osseuse). Il existe néanmoins des indicateurs qualitatifs de vieillissement : l’hypertrophie bénigne de la prostate par exemple dont la prévalence est dans certaines séries de 80 % chez des hommes de plus de 40 ans et de 95 % chez des hommes de plus de 80 ans, ou encore le cancer latent de la prostate dont la prévalence à l’autopsie est de 20 % au-delà de 45 ans et de 40 % au-delà de 80 ans.   On peut proposer parmi les paramètres quantitatifs la rigidité artérielle, la densité osseuse, la masse musculaire, la clairance rénale de la créatinine, le temps de réaction en psychométrie ou la testostéronémie (chez l’homme).   La difficulté devient alors le choix, au sein de ces paramètres, des seuils qui marqueront la frontière du vieillissement optimal. Les seuils de normalité basés sur la relation avec un état pathologique sont rares. Moins contestable, car plus universel, est un seuil basé sur une définition statistique de la normalité – par exemple les 95 meilleurs centiles (ou la meilleure moitié, le meilleur quartile, décile, centile...) de répartition d’un paramètre quantitatif. Ce type de seuil a en revanche l’inconvénient d’empêcher de connaître la proportion de la population âgée qui a un vieillissement optimal, puisque cette proportion est fixée a priori.   En fin de compte, le choix judicieux des paramètres et de leurs seuils permet de sélectionner une population ayant un vieillissement optimal. L’observation, au sein de cette population, de l’évolution de variables – évidemment différentes des paramètres ayant servi comme critères de vieillissement réussi - au cours du temps, permettra de mieux appréhender les conséquences du vieillissement. Le risque vient de la possibilité, non rare, d’une forte corrélation entre les paramètres de sélection et les variables étudiées, aboutissant à des conclusions tautologiques. Quoiqu’il en soit, il est ainsi possible de calculer l’écart d’une variable d’un individu par rapport au vieillissement optimal théorique. Le T-score anglo-saxon dérive de ce concept puisqu’il exprime pour une variable quantitative donnée, en pourcentage ou en déviation standard, l’écart d’un individu par rapport à une population jeune, qui est donc en l’occurrence et paradoxalement considérée comme la référence du vieillissement optimal.   Définition du vieillissement moyen... avec de nouveaux outils Le deuxième concept pour définir le vieillissement normal est celui de vieillissement moyen. Il se définit d’une manière statistique par l’état moyen observé dans l’ensemble de la population âgée ou d’une classe d’âge élevée, y compris les malades et les handicapés. C’est cette définition qui a mené à l’élaboration du Z-score des anglo-saxons qui quantifie l’écart d’un individu par rapport aux valeurs moyennes de référence pour les individus de son âge et de son sexe. Un des inconvénients de cette méthode est de confondre le vieillissement normal avec le vieillissement pathologique en mélangeant l’observation des effets du vieillissement avec les effets des maladies dont la prévalence augmente avec l’âge. Un autre inconvénient est la difficulté de réaliser un échantillonnage représentatif de la population. Dans les années 50, les études sur le vieillissement ont souvent été réalisées sur des sujets âgés institutionnalisés et les échantillons sélectionnés ont, de fait, favorisé les cas de vieillissement pathologique. A l’inverse, les études des années 90, en ne recrutant que des sujets vivant à domicile, ont conclu à une augmentation de la supernormalité. La loi Huriet, en imposant le recrutement d’une population apte à donner son consentement éclairé et volontaire pour participer à la recherche, contribue vraisemblablement au recueil de valeurs de référence intermédiaires entre vieillissement optimal et vieillissement moyen. Une fois constituée la référence du vieillissement moyen, la normalité se définit, comme chez l’adulte, par un écart défini a priori (une ou 2 déviations standards) autour de cette moyenne   Vieillir ne rend pas que vieux La définition du vieillissement normal ne se limite pas à l’établissement de valeurs de référence pour la population âgée. A part quelques exceptions, l’augmentation de la variabilité interindividuelle avec l’âge est un phénomène général. Ceci peut avoir plusieurs raisons.   Une première raison, indépendante du vieillissement, serait l’expression tardive d’une diversité innée.   Une deuxième raison est évidemment la diversité de l’acquis dont l’influence cumulative au cours du temps s’exprime d’autant plus que l’âge est avancé.   La troisième raison enfin est proprement due au vieillissement, au point d’en être une manifestation évidente : l’augmentation de la variabilité interindividuelle est, en partie, la manifestation de l’augmentation de la variabilité intra-individuelle, elle-même étant la manifestation de la diversité du traitement instantané des événements, autrement dit de ce que l’on nomme la fragilité. Ce phénomène d’augmentation de la variabilité avec l’âge, en augmentant la variance des valeurs observées, rend difficile la définition d’une zone de normalité utilisable en médecine.   Le dogme de la normalité absolue par rapport à un groupe se voit remplacé, chez les sujets âgés, par l’idée d’une normalité relative par rapport à soi-même car la variabilité intra-individuelle est toujours inférieure à la variabilité interindividuelle.   Enquêtes Il est également important de mesurer l’évolution d’un organe, d’une fonction ou d’un paramètre avec l’âge d’un point de vue dynamique Il ne suffit en effet pas d’avoir comparé le niveau d’une variable dans une population âgée - au vieillissement normal - à une population adulte en bonne santé pour pouvoir affirmer l’importance de l’évolution de cette variable avec l’âge. Ceci se heurte à des problèmes méthodologiques. Les enquêtes transversales comparent la valeur d’un paramètre entre plusieurs groupes d’âge différent, donc extrapolent une différence intra-individuelle (l’évolution d’un paramètre chez un individu au cours du temps) à partir de l’observation d’évolutions interindividuelles. Ce type d’enquête est soumis à deux types d’erreurs. Le premier est appelé biais de cohorte du fait que chaque groupe d’âge appartient à une cohorte - dans le sens de génération - différente. Chaque génération a en effet été soumise à des influences - diététiques, sociales, politiques (guerres), médicales, culturelles... - différentes qui ont pu sélectionner certains individus ou influencer différemment les paramètres étudiés. Le deuxième type d’erreur, appelé biais de sélection, est le lien qui peut exister entre le paramètre étudié et le type de patient participant à l’étude (figure 3). En pratique, il s’agit le plus souvent d’une relation entre le paramètre et la mortalité. Par exemple, en négligeant le fait que les personnes ayant des valeurs élevées d’un certain paramètre ont une espérance de vie plus faible que les autres personnes, ce biais peut faire croire à l’observateur que les valeurs de ce paramètre baissent avec l’âge. Ainsi, une mauvaise interprétation d’une étude présentant ce biais pourrait amener à la conclusion que, puisque ce paramètre semble baisser avec l’âge, il faut donc trouver les moyens, peut-être médicamenteux, d’augmenter ce paramètre afin de vivre plus vieux... ce qui aboutirait à une augmentation de la mortalité. En pratique dans une étude transversale, le biais de cohorte influencera la totalité de la pente de comparaison inter-âge. Si on admet que l’état de santé de la population s’améliore d’une génération à l’autre, le biais de cohorte tend à donner, dans les études transversales, une perception exagérément accrue des différences inter-âge. Par contre, le biais de sélection (par la mortalité) porte sur les tranches d’âge où la mortalité est forte... donc principalement sur les tranches d’âge les plus élevées. Le biais de sélection dans les études transversales tend donc à minimiser la pente apparente des différences inter-âge. L’erreur peut être telle que la pente apparente s’inverse par rapport à la pente réelle. Les enquêtes longitudinales constituent le deuxième type d’étude. Elles consistent à suivre au cours du temps l’évolution d’une – et une seule - cohorte. Si leur avantage est de ne pas être soumise au risque de biais de cohorte, leurs inconvénients sont leur durée et leur coût, mais aussi le fait que les biais de sélection y sont majeurs puisqu’à la sélection initiale s’ajoute la sélection des survivants. Figure 3. Exemple de biais de sélection. Chaque trait fin correspond à un cas. Le trait gras correspond à leur sommation. Malgré une baisse individuelle du paramètre considéré au cours du temps (traits fins), la surmortalité ou les sorties d’étude plus fréquentes des patients ayant les valeurs les plus basses provoquent la stabilisation de la moyenne des valeurs avec l’âge (trait rouge), et donc l’illusion d’une stabilité du paramètre au cours du vieillissement.   En pratique   On l’aura compris, étudier le vieillissement est une tâche difficile. La réflexion sur la définition de la vieillesse sort heureusement souvent du champ strict de la médecine, et profite de la vision philosophique et sociale de notre société toute entière. La mise en œuvre d’une recherche de qualité sur le vieillissement ne butte, elle, que sur l’importance des moyens mis à disposition. Sur ce point, il faut bien avouer que la recherche européenne en générale, et française entre autres, a bien du mal à émerger. C’est pourquoi il faut saluer les enquêtes exemplaires encore trop rares telles que PAQUID et EPIDOS.

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