Thérapeutique
Publié le 02 oct 2012Lecture 7 min
Angioplastie coronaire - Peut-on repérer les patients non compliants à l’aspirine ? Comment gérer le problème en pratique ?
T. CUISSET, J. QUILICI, CHU Timone, Marseille
L’importance des traitements antiplaquettaires chez le patient coronarien est clairement établie quelle que soit la présentation clinique. De plus, dans les suites du geste spécifique qu’est le stenting coronaire, les antiplaquettaires ont réduit de façon très significative l’incidence d’un accident clinique potentiellement dramatique, la thrombose de stent. Le principal facteur de risque de thrombose de stent est d’ailleurs logiquement l’arrêt prématuré du traitement antiplaquettaire. Celui-ci peut être imputable aux professionnels de santé dans un contexte périopératoire notamment, et il faudra lutter contre ces mauvaises habitudes. Le plus souvent, cet arrêt prématuré est lié à un défaut d’adhérence de la part du patient. Nous allons essayer dans cet article d’en comprendre les mécanismes, les méthodes de détection ainsi que les méthodes permettant d’améliorer l’adhérence.
« Résistance » à l’aspirine ?
De nombreux travaux ont investigué le concept de résistance à l’aspirine et ont rapporté des chiffres allant jusqu’à 28 % de « résistants » dans une métaanalyse récente. Toutefois, ces études ont sans doute surestimé la résistance biologique vraie par l’utilisation de tests non spécifiques de l’effet de l’aspirine (PFA-100 par exemple) mais surtout par une évaluation insuffisante de la compliance des patients testés. En utilisant un test spécifique (agrégation à l’acide arachidonique), nous avons observé que > 95 % des patients « répondaient » bien à l’hôpital lorsque le traitement était administré de façon contrôlée ; curieusement, à un mois, les mêmes patients présentaient une « résistance » biologique dans plus de 10 % des cas (figure 1).
Figure 1. Profil de réponse à l’aspirine, en hospitalier et en ambulatoire, évoquant des problèmes de compliance.
Un problème de compliance a bien entendu été évoqué devant ces résultats discordants. Nous avons donc mené une étude où les patients « devenant résistants » recevaient une prise contrôlée d’aspirine et étaient testés à nouveau. Cette étude nous a montré que la majorité des résistances à l’aspirine étaient liées à un problème de compliance, puisque la prise contrôlée d’aspirine corrigeait systématiquement le résultat du test. Cette étude a également validé l’utilisation de tests plaquettaires comme outils capable de repérer les patients non compliants à l’aspirine. Nous avons également constaté que près d’un tiers des malades non adhérents sur la base du test biologique n’avouaient pas l’arrêt du traitement lors de l’interrogatoire de routine ; cela souligne la grande difficulté à évaluer la prise médicamenteuse en consultation.
Depuis cette étude, nous utilisons ces tests afin de dépister d’éventuels défauts d’adhérence dans le mois suivant une angioplastie et de proposer une optimisation ciblée de l’éducation thérapeutique. Malheureusement, ces tests sont assez couteux et non disponibles dans la majorité des centres de cardiologie interventionnelle. Le développement de test bedside comme le Verify Now pour évaluer les fonctions plaquettaires permettra peut-être la diffusion de l’utilisation de tests plaquettaires pour le dépistage des patients non compliants à l’aspirine. Ce type d’approche semble plus difficile pour le clopidogrel ; en effet, la grande variabilité de réponse avec ce produit ne permet pas de faire la distinction entre mauvaise réponse et non compliance ; en revanche, avec les nouvelles molécules (prasugrel, ticagrelor), procurant une inhibition homogène et un taux de non-répondeurs très faibles (< 5 %), cette approche pourra être envisageable.
Quels sont les patients à risque de non-compliance ?
À défaut de pouvoir utiliser ces tests, il est important d’identifier les patients à risque de mauvaise adhérence afin de leur apporter une attention et une éducation particulière. Les résultats issus de plusieurs registres ont permis d’identifier les facteurs de risque de mauvaise adhérence aux antiplaquettaires,
et à l’aspirine en particulier :
Facteurs liés à la maladie : la pathologie coronarienne, même si elle est souvent perçue comme grave, se trouve banalisée par un traitement rapide et simple, les malades étant ensuite totalement asymptomatiques. Cet aspect s’associe à une moins bonne adhérence par rapport à des pathologies chroniques douloureuses ou génératrices de symptômes.
Facteurs liés au malade : un certain nombre de facteurs liés au malade ont été identifiés comme associés à une moins bonne adhésion au traitement : l’âge joue un rôle très important avec classiquement une courbe en J, c’est-à-dire un risque accru de mauvaise compliance aux âges extrêmes de la vie, chez les patients jeunes et les très âgés ; le sexe masculin ; le diabète ; un tabagisme actif ; l’absence de séjour en rééducation après l’accident coronaire ; le célibat ; un bas niveau socioéconomique, ou un faible niveau d’étude ; le caractère migrant du patient ; l’absence de couverture sociale.
Facteurs liés aux médicaments :
- le nombre de médicaments reçus par le patient joue un rôle majeur, le risque d’oublier un médicament étant directement lié au nombre de médicaments reçus. Il est important de se limiter aux médicaments indispensables. Nous observons souvent que les patients polymédiqués en post-angioplastie oublient préférentiellement les antiplaquettaires au profit d’autres traitements plus accessoires…
- la présentation du produit : en France, l’aspirine est proposée chez le patient coronarien sous forme de poudre, correspondant au Kardegic® 75 ou 160 mg. Cette présentation est parfois une limite à la prise régulière du traitement, notamment chez les malades âgés qui sont limités dans leur gestuelle, ou chez les patients pris dans leur activité professionnelle. L’incidence de l’ « oubli » du clopidogrel en comprimé est moindre que pour l’aspirine. Il existe donc un intérêt majeur pour les associations comprenant de l’aspirine comme le Duoplavin (aspirine + clopidogrel) et le Pravadual (aspirine + pravastatine) qui améliorent l’observance thérapeutique et facilitent la prise.
- la survenue d’effets indésirables est la première cause d’arrêt spontané du traitement par le patient. Pour l’aspirine, c’est en général des épigastralgies ou des hémorragies minimes qui conduisent le patient à arrêter de lui-même le traitement. En effet, si ces hémorragies minimes (BARC 1) n’ont que rarement des conséquences cliniques directes, elles peuvent conduire le patient à stopper le traitement et l’exposer in fine au risque de thrombose de stent. Il est capital d’expliquer clairement au patient les risques potentiels du traitement en lui recommandant de ne jamais arrêter ses antiplaquettaires sans l’aval du cardiologue, en particulier dans les premiers mois après implantation d’un stent coronaire.
Comment dépister ces patients en pratique clinique ?
Il est souvent difficile de déterminer l’adhésion de nos malades au projet thérapeutique établi au décours immédiat de l’accident coronaire. La qualité de communication avec le malade, la confiance mutuelle et l’expérience du praticien sont capitales ; il existe également quelques « trucs et astuces » qui peuvent faire soupçonner un défaut de prise médicamenteuse :
– l’interrogatoire du patient et de sa famille doit rester la première étape. Nous savons toutefois dans notre expérience que près d’un tiers des patients identifiés comme non compliants par les tests plaquettaires, l’avouent à l’interrogatoire ;
– l’utilisation de score prédictif de bonne adhérence basé sur un questionnaire comme le score de Morisky (MMAS-8) peut être utile, même si son utilisation à large échelle reste difficile ;
– l’évaluation de certains paramètres reliés à d’autres traitements que l’aspirine peut être utile : fréquence cardiaque si patient sous bétabloquant, tension artérielle chez patient traité, LDL-cholestérol si patient sous statine et bilan préalable disponible, glycémie à jeun et HbA1c chez les diabétiques ;
– enfin et comme nous l’avons démontré, les tests plaquettaires s’ils sont disponibles peuvent être très utiles afin d’identifier un patient non répondeur à l’aspirine.
Comment améliorer la compliance en pratique clinique ?
L’élément clé est l’éducation du patient, qui doit se dérouler lors d’un entretien spécifique, dans une relation basée sur l’écoute et la confiance mutuelle. Il est important d’établir des objectifs médicaux, d’exposer le bénéfice attendu des divers médicaments et d’obtenir l’adhésion active du malade au projet thérapeutique. Le patient doit être clairement informé au cours d’une consultation dédiée, et non pas au décours immédiat de l’angioplastie. Il sera informé en particulier des effets indésirables possibles (notamment hémorragiques et gastriques) et des conséquences d’un arrêt prématuré de l’aspirine en insistant sur le risque et la gravité de la thrombose de stent.
Nous devons également tout faire pour limiter le risque d’effet indésirable. Cela sous-entend la prescription d’inhibiteurs de la pompe à protons chez les patients sélectionnés ainsi que le choix de la molécule associée à l’aspirine (clopidogrel, prasugrel) en fonction du risque hémorragique du patient. Les faibles doses d’aspirine sont préférables dans ce contexte.
Il faut essayer de privilégier les présentations sous forme de comprimés, en monoprise, ainsi que les associations.
Enfin, des mesures d’aide à l’adhésion peuvent être associées. Dans ce cadre, nous distribuons systématiquement une carte à nos patients stentés afin de les sensibiliser à l’importance de ce traitement (figure 2). De plus, nous avons mis en place depuis quelques mois un système d’envoi de SMS, à l’aide d’un logiciel dédié, quotidiens personnalisés afin de rappeler aux patients de prendre leur médicament, avec des résultats encourageants sur le niveau de compliance à un mois (figure 3).
Figure 2. Exemple de carte de porteur de stent sous antiplaquettaires.
Figure 3. Exemple de SMS reçu par nos patients dans le cadre de l’optimisation de l’éducation thérapeutique.
En pratique
La non-adhérence aux antiplaquettaires, et à l’aspirine notamment, représente un enjeu clinique important, car c’est un phénomène assez fréquent (environ 10-15 % des patients durant le premier mois) qui est associé à des conséquences cliniques majeures, dont un risque important de thrombose de stent. La littérature récente nous a permis d’identifier les patients les plus à risque, et des outils innovants comme les tests plaquettaires peuvent apporter un vrai plus dans la détection de ce problème.
La mauvaise adhérence aux antiplaquettaires est le facteur de risque principal de thrombose de stent, c’est également celui sur lequel nous pouvons avoir le plus d’influence avec un bénéfice médico-économique important. Nous devons tout faire pour contribuer à l’amélioration de l’adhérence aux antiplaquettaires via l’éducation thérapeutique, des ordonnances « raisonnables » privilégiant des médicaments en monoprise d’administration simple, ainsi que des mesures associées telles qu’une carte de porteur de stent ou un système de rappel par SMS.
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