Cardiologie générale
Publié le 11 déc 2012Lecture 12 min
« Cœur, artères et femmes » - Un parcours de soins innovant multidisciplinaire !
C. MOUNIER-VÉHIER1, N. KPOGBEMABOU1, P. DELSART1, G. CLAISSE1, I. JANKOWSKI-BAUX1, B. LETOMBE2 1Médecine vasculaire et HTA, Pôle cardiovasculaire-pulmonaire 2Clinique de gynécologie médicale, Pôle d’obstétrique et gynécologie - CHRU de Lille
L’impact des maladies cardiovasculaires (MCV) sur la mortalité féminine reste encore trop largement sous-estimé par les médecins (enquête IFOP 2011 auprès des médecins généralistes [www.fedecardio.org], enquête Parité auprès de cardiologues libéraux(1)) mais aussi par les femmes elles-mêmes, alors qu’elles tuent 7 fois plus que le cancer du sein(2-4). Les MCV totalisent ainsi 42 % des décès chez les femmes européennes, les cancers 27 %. Par ordre de fréquence, la pathologie numéro 1 reste l’infarctus du myocarde (18 % des décès féminins), suivi par l’accident vasculaire cérébral (AVC) (14 %) puis les autres pathologies vasculaires (10 %)(4).
La maladie cardiovasculaire de la femme : une urgence épidémiologique !
La progression des MCV sur ces 10 dernières années s’explique par les modifications des comportements des femmes devenus comparables à ceux des hommes. L’effet protecteur des estrogènes naturels pourrait être amoindri par la progression de l’obésité, du diabète, l’exposition précoce au tabac (11 ans en moyenne pour l’âge de la première cigarette : enquête de la Fédération française de cardiologie, 2012), le stress, la précarité et la sédentarité, rendant les femmes plus vulnérables à ces facteurs de risque.
D’autres situations à risque sont spécifiques aux femmes (prééclampsie, diabète gestationnel, contraception avec estrogènes de synthèse, hystérectomie précoce)(3,4).
Toutes ces données ont conduit à l’élaboration d’une classification américaine du risque cardiovasculaire (RCV) dédiée aux femmes. La femme est soit à « risque CV » élevé à très élevé, soit en « situation optimale de santé », lorsqu’elle ne présente aucun facteur de risque et une hygiène de vie parfaite.
Plus inquiétant encore, la MCV n’est plus « réservée » aujourd’hui aux seules femmes ménopausées(3).
Elle progresse aussi chez la jeune femme en devenant la 2e cause de mortalité derrière le cancer chez les 45-64 ans(2,4). En France, l’équipe de Nicolas Danchin vient de publier les résultats d’un registre national de 6 707 patients avec SCA ST+ (infarctus du myocarde avec élévation du segment ST) sur une période d’étude de 15 ans. Si la mortalité CV des patients ayant eu un SCA ST+ entre 1995 et 2010 régresse, il a aussi été constaté une augmentation de la proportion de femmes de moins de 60 ans (qui est passée de 11,8 à 25,5 %). Chez elles, on notait une plus forte prévalence de fumeuses actives (37,3 à 73,1 %) et d’obèses (17,6 à 27,1 %)(5).
Parallèlement, le dépistage des MCV est toujours insuffisant chez la femme, quel que soit son âge(1,6).
Les femmes sont de plus insuffisamment traitées au décours de l’accident cardiaque avec un suivi variable(3,4,7). Peu de femmes se rendent en rééducation cardiovasculaire pour privilégier leurs obligations familiales. Enfin, les femmes restent peu incluses dans les essais cliniques (10 à 15 %) et il n’y a pas d’études d’intervention thérapeutique conduites spécifiquement chez les femmes pour identifier d’éventuelles particularités pharmacologiques(7).
Devant cette alerte rouge cardiovasculaire, l’American Heart Association (AHA)(3) et la Société européenne de cardiologie(4) recommandent de dépister attentivement les femmes aux trois étapes clés de leur vie hormonale : la contraception, la grossesse, la ménopause. Elles soulignent aussi l’urgence de développer des essais dédiés aux femmes. L’amélioration de la santé CV de la femme peut se faire également par une éducation à la santé dès l’enfance, par un dépistage régulier des situations à risque à l’échelle d’une vie et par une évolution de nos pratiques professionnelles. La mobilisation des femmes et des pouvoirs publics s’avère une autre clé indispensable, avec la possibilité pour tous de débattre sur la plateforme d’échanges dédiée (www. plan-cœur.fr). Ces réflexions permettront de contribuer à l’élaboration d’un livre blanc de la cardiologie qui sera remis aux ministères fin 2013 dans le cadre d’une proposition de « Plan Cœur ». Un des chantiers du Plan Cœur est ainsi consacré « aux femmes, ou les grandes oubliées ». Le comité d’experts, à travers ce chantier, espère faire évoluer les mentalités, améliorer la prévention et l’information, réduire les inégalités de soins chez la femme en structurant les prises en charge.
Développer un projet dédié à la santé cardiovasculaire des femmes
En tenant compte des recommandations(3,4), une des pistes serait de développer une prise en charge structurée multidisciplinaire associant en autres le gynécologue, l’obstétricien, l’anesthésiste, le cardiologue, le diabétologue, le médecin généraliste, etc. Au CHRU de Lille, s’est ainsi progressivement dégagée une volonté commune d’équipes appartenant à des pôles différents de formaliser une filière de soins « Cœur, artères et femmes ».
Un état de lieux de l’existant souligne que des partenariats existent déjà avec un parcours de soins « Diabète et femmes » pour les patientes diabétiques souhaitant débuter une grossesse et pour les femmes ayant un diabète gestationnel. Un autre circuit fonctionne depuis de nombreuses années entre néphrologues, hypertensiologues et obstétriciens pour la prise en charge des néphropathies gravidiques, de la prééclampsie et le suivi des femmes hypertendues enceintes. La fiche projet « Cœur, artères et femmes », portée par les auteurs travaillant dans le Pôle cardiovasculaire- pulmonaire, a été inscrite dans le plan d’actions du CHRU de Lille 2012-2016, et viendra en complémentarité de l’existant.
Des objectifs innovants
Le projet « Cœur, artères et femmes » a pour objectif de formaliser un parcours de soins plus global des femmes à RCV en intégrant les 3 phases clés de leur vie hormonale : mise en route ou changement d’une contraception, programmation et suivi de grossesse, périménopause et traitement hormonal de la ménopause (THM). La mise en œuvre du projet est aussi l’occasion d’échanger pour améliorer et harmoniser nos pratiques professionnelles en impliquant également le médecin généraliste, la médecine du travail et le pharmacien. Les bénéfices escomptés sont d’améliorer la qualité des soins, limiter les risques d’iatrogénie, proposer plus souvent le THM et améliorer le dépistage des maladies CV chez la femme à risque.
Une population ciblée de femmes à risque
Le circuit « Cœur, artères et femmes » est destiné aux femmes à RCV élevé à très élevé selon les recommandations américaines(3), nécessitant un bilan cardiovasculaire et/ou une expertise gynécologique (tableau). Ce parcours de soins est particulièrement intéressant chez la femme en précarité ayant un accès aux soins restreint. Chez ces femmes, la grossesse pourra être l’occasion de rentrer dans le parcours. Pour les autres femmes, par expérience, c’est fréquemment la découverte d’une HTA ou d’un diabète, la survenue d’un accident CV ou neurovasculaire qui devrait réinscrire ces femmes dans un suivi gynécologique, l’ensemble des acteurs du projet gynécovasculaire ayant été sensibilisé à cette prise globale des femmes.
Un réseau d’acteurs impliqués dans la prévention féminine
Ce parcours de soins innovant va contribuer au développement d’une transversalité inter-pôles : Pôle cardiovasculaire-pulmonaire, Pôle de gynécologie-obstétrique, Pôle d’endocrinologie-métabolisme, Pôle neurologie, Pôle urgences, Pôle santé publique-médecine du travail, etc. La santé cardiovasculaire et gynécologique implique l’intervention de multiples acteurs. Il s’agit d’un projet fédérateur pour tous les professionnels de santé. Le circuit « Cœur, artères et femmes » s’appuie déjà sur la médecine de ville avec les médecins généralistes, les cardiologues, les gynécologues, les angiologues libéraux et les sexologues. Les pharmaciens vont être associés à la démarche.
La femme, vecteur de sa propre prévention
Conjointement, les femmes de la région sont de plus en plus sensibilisées dans leur prévention au travers d’actions menées par l’Association régionale de cardiologie Nord-Pas-de- Calais (émanation de la Fédération française de cardiologie : www.fedecardio.org). Les femmes peuvent bénéficier près de chez elles d’actions de dépistage, venir à des conférences grand public, participer aux parcours du cœur famille. Les médias grand public et la mutuelle Apreva accompagnent ces actions d’envergure dédiées à la santé CV des femmes dans la région. Ces femmes à risque ont aussi accès à des programmes d’éducation thérapeutique (www.htavasc.fr) sur Lille Sud et Arras dans des secteurs de précarité(8).
Amélioration des pratiques professionnelles
Pour sensibiliser les professionnels de santé et améliorer leurs pratiques, des formations multidisciplinaires (cardiologues, angiologues, médecins généralistes, gynécologues, diabétologues) ont lieu depuis 2 ans dans toute la région Nord-Pasde- Calais et à l’université de Lille II.
Promotion de la recherche
Afin de mieux connaître les particularités féminines du RCV et évaluer l’impact du parcours de soins « Cœur, artères et femmes », un registre prospectif des données sera initié dès la mise en place effective du projet avec l’aide méthodologique de la Délégation à la recherche du CHRU.
Mise en œuvre concrète du circuit "Cœur, artères et femmes"
Des audits ciblés sur les prises en charge actuelles
Deux travaux de thèse de médecine générale en 2011 et 2012 ont réalisé un audit des pratiques professionnelles en cardiologie, gynécologie et obstétrique au CHRU sur une pathologie ciblée, l’HTA de la femme, véritable porte d’entrée du risque CV féminin (Stéphanie Moronval, Lille II, octobre 2011 ; Juliette Lecocq, Lille II, octobre 2012). Ces travaux ont permis l’élaboration d’une fiche « Femme à risque CV ». Ils ont aussi identifié les points faibles des prises en charge actuelles, à savoir un bilan CV trop tardif après l’accident vasculaire de la grossesse, un sous-dépistage du syndrome d’apnée du sommeil et de l’ischémie myocardique, un manque de recueil des données obstétricales et gynécologiques dans les dossiers cardiologiques, un manque de connaissance des cardiologues sur les indications des THM, voire une frilosité à les recommander, une connaissance insuffisante des différentes contraceptions hormonales et de leurs alternatives. Ces travaux préliminaires ont aussi interpellé les gynécologues et les obstétriciens sur l’utilité de la mesure ambulatoire de la pression artérielle chez la femme à risque(9), sur l’opportunité du dépistage de l’ischémie myocardique chez la femme fumeuse et en périménopause. Tous les acteurs du projet ont ainsi été sensibilisés sur les points d’amélioration à mettre en place dans le circuit « Cœur, artère et femmes ».
Première étape : élaboration du groupe de travail et d’un calendrier de réunions préparatoires
Concrètement, dès janvier 2013, un groupe de travail se réunira une fois par mois, impliquant les équipes médicales et paramédicales et les cadres de santé pour travailler concrètement sur le circuit « Cœur, artères et femmes » avec un suivi opérationnel du projet. Les directeurs et coordonnateurs des pôles seront invités à participer aux réunions de travail.
Cette première étape (janvier-mai 2013) va permettre de définir rapidement le contenu du circuit « Cœur, artères et femmes » avec les objectifs suivants :
- identifier une équipe médicale et paramédicale référente : gynécologues, obstétriciens, diabétologues, cardiologues et médecins vasculaires, IDE, sagesfemmes avec un secteur ou des secteurs d’hospitalisation dédiés dans les pôles respectifs ;
- définir le mode de recrutement des patientes relevant du bilan CV : avant la mise en route d’une contraception, programmation d’une grossesse chez une femme à risque (hypertendue, diabétique, etc.), bilan après un accident vasculaire de la grossesse, bilan CV à la périménopause (figure 1) ;
- définir le mode d’hospitalisation : hospitalisation courte ou ambulatoire ; et les modalités de programmation du bilan ;
- définir le contenu de l’hospitalisation avec les examens à réaliser ; la consultation diététique, la consultation avec la tabacologue, la psychologue, l’assistante sociale ;
- faire valider les demandes de bilans CV par le cardiologue référent à partir d’une fiche de pré-inclusion spécifique. Le groupe de travail validera des outils tels que :
- la fiche « femme à risque CV », à insérer dans le dossier patient renseignant sur les antécédents gynécologiques et obstétricaux, le statut hormonal, la contraception en cours, le suivi gynécologique, la dernière mammographie ; les facteurs de risque, les situations à risque CV, les antécédents cardio-neuro-vasculaires, les traitements CV en cours ;
- des courriers de sortie spécifiques incluant les données de la fiche « femmes à risque CV ». Le groupe de travail définira les modalités de suivi cardiovasculaire, gynécologique, diabétologique en s’appuyant sur le réseau des médecins de ville…
Figure 1. Le circuit « Coeur, artères et femmes » : des situations cliniques à risque communes aux cardiologues et aux gynéco-obstétriciens.
Deuxième étape : mise en place d’un calendrier
Un calendrier opérationnel sera mis en place à partir de mai 2013 avec présentation du parcours de soins aux instances et aux deux pôles.
Troisième étape : communiquer sur le parcours « Cœur, artères et femmes » en région
En associant la médecine de ville et les pharmaciens, sera mise en place une communication sur le parcours (figure 2). En effet, si le CHRU porte bien ce projet innovant et fédérateur, les acteurs des territoires de santé doivent aussi être impliqués dès la mise en œuvre pour obtenir le bénéfice escompté de l’amélioration régionale de la santé CV et gynécologique des femmes à risque.
Figure 2. Le parcours « Cœur, artères et femmes » : le circuit concrètement.
Le parcours de soins "Cœur, artères et femmes"
Ce parcours a été présenté pour la première fois aux États généraux vers un Plan Cœur consacrés à la thématique « Les femmes ou les grandes oubliées » à Lille le 27 septembre 2012. Il a eu un accueil favorable du public d’origines diverses. Il répond à une attente bien verbalisée lors des états généraux de prise en charge globale, d’écoute, de consultations plus longues, d’une organisation des soins, d’un accès au gynécologue pour les plus démunies et d’un suivi structuré.
La mise en œuvre du projet « Cœur, artères et femmes » est une expérience qui pourrait être utile à l’élaboration d’un guide national sur le RCV de la femme. Ce projet répond aux objectifs de la HAS en regard du référentiel « parcours de soins » sur les critères suivants : pertinence, sécurité, efficacité clinique, accessibilité, continuité et « point de vue » de la patiente. Il permet la promotion d’une gestion prospective et coordonnée de la prise en charge des femmes à RCV auprès de la HAS (www.hassante. fr).
Il va également impliquer des femmes sensibilisées dans une prévention citoyenne. Actrices de « terrain », elles deviendront des vecteurs efficaces d’une prise en charge structurée du risque CV et gynécologique.
Conflits d’intérêts C. Mounier-Véhier, auteur principal, est consultante pour plusieurs firmes pharmaceutiques pour la rédaction d’articles et de diaporamas, la réalisation de conférences, des missions de conseil. C. Mounier-Véhier a reçu des subventions et des bourses de recherche pour conduire des actions de recherche dans le domaine de l’éducation thérapeutique. Elle a bénéficié de prises en charge pour la participation à des congrès scientifiques. Les partenaires sont les suivants : Astra-Zeneca, Bayer Pharma, BMS, Bœringher-Inghelheim, Bouchara- Recordati, Daiichi-Sankyo, Ardix-Therval - Euthérapie - Servier, Novartis Pharma, Menarini, Merck Serono, Microlife, Resmed, MSD, Omron, Sanofi.
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