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Cardiologie générale

Publié le 23 jan 2013Lecture 12 min

La cardiologie non invasive : pour quoi faire ?

M. LEVY, F. POUILLART, T. PEREZ, P. JESSEN, HEP La Roseraie, GVM Aubervilliers

En 1974, Gould décrivit les effets d’une sténose coronaire d’installation progressive, sur le débit au repos et après vasodilatation pharmacologique. Il montra qu’une réduction du diamètre supérieure à 50 % entraîne une limitation du débit coronaire après vasodilatateur coronarien et qu’une réduction de 85 % de ce diamètre est associée à une diminution du débit coronarien en dehors de tout stress pharmacologique.
Ainsi est née la notion de sténose hémodynamiquement significative, c’est-à-dire au-delà de 50 % de la réduction du diamètre. À partir de là, allaient s’enchaîner une succession d’énoncés d’apparentes évidences, associant sténose supérieure à 50 % et ischémie.

Définition de l'ischémie - Influence du pronostic   Effectivement le maître mot dans la maladie coronaire est « l’ischémie ». Ce mot est très fortement lié dans l’esprit du cardiologue à « sténose coronaire ». Cette dernière est le plus souvent appréciée de façon visuelle, c’est-à-dire subjective. Le diagnostic d’ischémie est donc souvent porté sur une lésion anatomique, de façon par ailleurs variable d’un observateur à l’autre alors que l’ischémie est une notion fonctionnelle. C’est d’abord une diminution de la perfusion d’un segment myocardique après un stress s’améliorant au repos, ou bien c’est l’amélioration d’un trouble de la cinétique s’améliorant au repos. Ces constatations posent avec une certaine probabilité le diagnostic d’insuffisance coronaire. Cependant, il y a eu ces dernières années une révolution dans le mode de raisonnement : la notion de pronostic du patient a pris le pas sur la constatation de l’anomalie anatomique. De très nombreuses études ont conduit à cette interprétation. Par exemple, en scintigraphie cardiaque, des métaanalyses portant sur plusieurs dizaines de milliers de patients ont montré que le pronostic de survenue d’un événement cardiaque majeur est < 1 % par an en cas de scintigraphie normale. Il est important de bien comprendre que cette valeur pronostique est annoncée sans connaissance de l’anatomie des coronaires. Ce type de raisonnement a des implications importantes sur la prise en charge, puisque de très nombreuses études montrent que très peu de patients avec scintigraphie normale auront une coronarographie précoce. C’est en ce sens que la notion de pronostic a bouleversé le mode de raisonnement, puisque l’on ne cherche plus à faire référence à des lésions anatomiques pour adopter une attitude thérapeutique.   Nécessité de conforter cette attitude diagnostique : études cliniques et imagerie Des études plus précises, notamment incluant des patients avec des lésions coronaires documentées ont été conduites. Sans vouloir faire un énoncé exhaustif de tout ce qui a été publié ces dernières années, rappelons l’étude COURAGE (NEJM 2007). Celle-ci démontre, chez des patients, tous coronarographies, présentant des sténoses coronaires et un angor stable, qu’il n’y a pas de différence significative dans la survenue d’événements cardiaques majeurs (décès, infarctus, revascularisation et même persistance de douleur thoracique) que le patient soit sous traitement médical optimal ou qu’il soit sous ce même traitement associé à une angioplastie. Cette étude a été confortée par d’autres essais et par une métaanalyse récente portant sur 7 229 patients (Arch Intern Med 2012). En outre, un travail prospectif publié dans le JAMA en 2011 sur 144 737 angioplasties faites dans 1 091 hôpitaux aux États-Unis chez des patients ne présentant pas un syndrome coronarien aigu, a montré que 50 % sont considérées comme appropriées, 38 % comme douteuses et 12 % comme inappropriées, avec de plus des variations significatives d’un centre à l’autre. D’où la nécessité, selon les auteurs, de mieux évaluer les indications d’angioplastie. La paramètre « ischémie » : savoir si elle existe et mieux encore en évaluer l’étendue est actuellement déterminant pour poser éventuellement les indications de revascularisation. Ainsi, Hachamovitch (Circulation 2003) a présenté un travail utilisant la scintigraphie cardiaque qui retrouve qu’en dessous de 10 % d’ischémie la mortalité est supérieure post-angioplastie que sous traitement médical, et qu’au-delà de 10 %, la tendance s’inverse. Plus précisément, en l’absence totale d’ischémie, la mortalité est de 0,7 % alors qu’elle est de 6,3 % pour les patients revascularisés, et si l’ischémie est de 20 %, la mortalité post-revascularisation n’est que de 2 % contre 6,7 % pour le traitement médical. Cette étude a l’intérêt de donner un chiffre d’or : 10 % d’ischémie sont corrélés à un risque significatif nécessitant probablement une revascularisation.   Intérêt de la FFR   La mesure de la réserve coronaire (FFR), réalisée en coronarographie en déterminant la perte de charge de part et d’autre de la sténose après injection intracoronarienne d’un vasodilatateur, est un important marqueur d’ischémie. Pour mémoire, les valeurs de normalité (> 0,8) ont été déterminées grâce à des corrélations faites avec les techniques non invasives de scintigraphie et d’écho-stress prises comme référence. L’étude FAME I (NEJM) montre qu’il est préférable, en termes de survie à un an, de pratiquer une angioplastie après avoir réalisé une FFR que de la faire sur l’appréciation visuelle de la sténose. L’étude FAME II (NEJM) montre la très forte valeur prédictive de la survenue d’événements indésirables si l’existence d’une ischémie a été mise en évidence par la mesure de la réserve coronaire (FFR).   Il faut rester critique et vigilant   Ainsi, d’une part, l’absence d’ischémie semble de bon pronostic (Hachamovitch) et, d’autre part, l’existence de lésions anatomiques connues avec un angor (étude COURAGE) ne semble pas globalement améliorer le pronostic du malade, qu’il soit revascularisé ou traité médicalement. Mais ceci n’est pas une vérité absolue et il faut affiner notre raisonnement. Dans les populations à scintigraphie normale, l’appréciation clinique doit inciter à la prudence. Certaines sous-populations à scintigraphie normale un jour peuvent voir leur statut évoluer, tels les diabétiques. La maladie athéromateuse étant évolutive, les études dites de garantie montrent qu’une scintigraphie normale ne garde sa valeur pronostique initiale valide que pendant 2 ans. C'est dire qu’il faut toujours préciser au patient que, même si son examen est normal, il est porteur d’une maladie évolutive, liée à des facteurs de risque plus ou moins bien contrôlés et que le bon pronostic d’aujourd’hui est susceptible de changer demain. Le suivi et l’observance thérapeutique sont donc très importants. Comment faire alors pour détecter ces malades avant d’en arriver à un geste en urgence ? Autrement dit, comment détecter les patients de moins bon pronostic dans une population globalement de bon pronostic ? Par exemple, l’étude Courage n’a pas pris en compte le statut ischémique des patients. Cependant, une sous-étude de Courage portant sur 374 patients suivis 18 mois ayant pour but de rechercher les malades avec une réduction en scintigraphie de l’étendue de l’ischémie de > 5 % en valeur absolue a montré que : – la réduction de la taille de l’ischémie est plus significative chez les patients avec angioplastie + traitement médical que chez les patients traités seulement médicalement (-2,7 % vs -0,5 %) ; – les patients ayant une réduction de l’étendue de l’ischémie ont un risque moindre de mortalité ou d’infarctus quel que soit le traitement. Ainsi, il y a 0 % de mortalité et d’infarctus dans le suivi s’il y a 0 % d’ischémie, alors que le taux d’événements est de 39 % s’il y a 10 % d’ischémie résiduelle. Les auteurs confirment le message de l’étude Courage, c’est-à-dire ne pas faire d’angioplastie systématique, mais qu’il pourrait être utile de détecter l’ischémie de façon à adresser à la revascularisation les patients traités médicalement et présentant une ischémie résiduelle significative. Cette nécessité de quantification a entraîné un fort développement des logiciels de quantification de l’ischémie en scintigraphie et l’on doit prendre en compte la taille de l’ischémie dans les rapports.   Quels examens pour évaluer l'ischémie ?   Nous voilà donc face au paramètre majeur : « la taille de l’ischémie » et sa détection. De nombreuses techniques d’imagerie cardiaque non invasives sont disponibles : scintigraphie d’effort, IRM, écho d’effort, écho dobutamine, scanner coronaire, FFR. Aucune technique ne détient la vérité absolue au point de rendre caduque, quelles que soient les circonstances, les autres techniques. Par ailleurs, il n’y a pas un algorithme décisionnel unique, qui puisse servir de référence absolue à notre conduite diagnostique et thérapeutique. Mais il nous semble que l’association de certaines d’entre elles peut améliorer notre efficacité tant sur le plan médical qu’économique. La scintigraphie Avant d’aller plus loin, nous rappellerons brièvement les caractéristiques de la scintigraphie, puis essayer de montrer comment elle peut s’associer au scanner, qui est une technique non fonctionnelle, et à la FFR qui est une technique invasive et fonctionnelle. La scintigraphie de perfusion est la technique qui a le plus de références et d’ancienneté et qui est à l’origine de la notion de pronostic. C’est une technique robuste, bien codifiée, avec plusieurs millions d’examens réalisés annuellement dans le monde (9 millions/an aux États-Unis, 300 000/an en France, etc.). De plus, la mise sur le marché récente des caméras à acquisition rapide (CZT) permet de faire une acquisition en 4 minutes, avec une excellente résolution, ainsi que la détermination couplée de la perfusion, de la cinétique, de la FEVG et des volumes. Et cela, à la suite d’une épreuve d’effort classique, dont on connaît l’intérêt clinique que lui porte le cardiologue, ou bien au décours d’un test vasodilatateur si nécessaire, couplé ou non à une épreuve d’effort. De plus, l’irradiation est extrêmement faible, moins de 2 mSv pour un examen normal et la technique est peu opérateur-dépendante. Le scanner coronaire Il importe de le positionner par rapport aux examens fonctionnels. Son grand avantage est qu’il est reconnu comme ayant une excellente valeur prédictive négative d’insuffisance coronaire. Mais dans la pratique on est souvent gêné par les calcifications coronaires qui peuvent rendre très difficile l’évaluation correcte de l’éventuelle sténose. Et les calcifications sont très fréquentes chez les sujets âgés. Enfin, et surtout, il n’est pas en mesure de préciser si une sténose est hémodynamiquement significative et l’on sait maintenant combien est importante la détection de l’ischémie dans le choix de la thérapeutique. Il n’en demeure pas moins que l’on peut toujours faire secondairement le scanner si on veut rester non invasif, mais il y a là une multiplication des procédures d’évaluation. Le score calcique est à part : fait avant injection d’iode, facile à réaliser, peu irradiant, il permet de découvrir l’étendue de la maladie athéromateuse en visualisant des calcifications coronaires. La détermination par un score de leur importance (score calcique) a une bonne valeur pronostique et doit nous inciter à ne pas injecter le patient en iode s’il est trop élevé, car l’interprétation du scanner coronaire sera hasardeuse. La FFR Reste la FFR (fractionnal flow reserve) réalisée au cours de la coronarographie, qui est donc un examen invasif, mais qui semble majeur pour bien poser les indications de revascularisation quand on ne dispose pas de toutes les informations apportées par la cardiologie non invasive. L’association des examens Actuellement les guidelines recommandent de pratiquer un test d’ischémie chez les patients symptomatiques à titre diagnostique (en dehors de l’angor sévère qui relève de la coronarographie d’emblée), à prévalence faible ou moyenne. Le diagnostic d’insuffisance coronaire ainsi fait ne préjuge pas du nombre de troncs coronaires présentant une sténose. Par exemple, en scintigraphie, étant donné que l’on compare la perfusion d’un territoire par rapport aux autres, une sténose coronaire peut « ne pas parler » en termes de défaut de perfusion si les autres artères ont le même degré de sténose. Cependant, il est important d’évaluer le nombre de troncs atteints. Dans la pratique courante, les patients anormaux en scintigraphie sont très souvent envoyés en coronarographie. En théorie, l’artère coupable devrait être dilatée si l’ischémie est > 10 % et maintenant on peut imaginer de faire une recherche d’ischémie par la FFR sur les autres sténoses. Parfois, la scintigraphie (ou autre technique fonctionnelle) est équivoque (par exemple, doute sur une paroi inférieure ou apicale) et peut inciter à demander un scanner coronaire pour éviter une coronarographie très probablement normale. Enfin, dans certains cas il est préférable de faire d’emblée un scanner coronaire, comme chez un patient ayant un BBG ou qui présente une cardiomyopathie très dilatée avec fonction ventriculaire gauche altérée, nécessitant d’éliminer des lésions tritronculaires. Mais avant de le prescrire il faudra se donner toutes les chances que cela soit efficace en analysant les facteurs de risque (dont l’âge), de ne pas avoir une trop forte probabilité de tomber sur des calcifications coronaires trop importantes pour juger de l’existence d’une sténose, ce qui contraindrait à réaliser une coronarographie et à injecter deux fois de l’iode. En outre, chez le patient asymptomatique, un score calcique nul est fort rassurant et devrait voir ses indications augmenter dans le temps (dans le guideline du diagnostic chez le patient asymptomatique, il est coté IIA alors que le scanner coronaire est coté III, donc non adapté). De plus, on a montré que, pour un score calcique (sans injection d’iode) compris entre 0 et 100, la probabilité d’avoir une ischémie à la scintigraphie est de 2 %, donc de bon pronostic. En revanche, au-delà d’un score calcique de 100, la probabilité d’une insuffisance coronaire n’est pas négligeable et la réalisation d’un test d’ischémie semble utile, surtout s’il est > 400. Si on complète le scanner avec injection d’iode, on ne pourra pas évaluer le degré d’ischémie. Cependant, en fonction de l’anatomie, on peut être amené à poser l’indication d’une coronarographie et à réaliser la FFR en coronarographie pour apprécier l’ischémie. Il semble plus adapté et moins coûteux de pratiquer d’abord un test fonctionnel.   Évaluation du coronarien connu   La scintigraphie est très adaptée par rapport au scanner, car le but est clairement de rechercher l’apparition d’une ischémie qui n’existait pas auparavant, par exemple sur une artère qui était évaluée comme présentant une sténose non significative, ou une ischémie sur resténose de stent, ou une ischémie dans un nouveau territoire. Dans ce cadre, le scanner ne nous semble pas toujours adapté du fait de l’ischémie potentielle ; surtout, s’agissant de coronariens avérés, il est probable que le score calcique sera trop élevé pour injecter le patient en iode et apprécier l’existence éventuelle d’une sténose. De plus, le scanner n’est pas toujours très performant pour l’évaluation des stents.   En pratique : choisir l'examen le plus adapté au patient   Hormis le patient présentant une symptomatologie sévère où la coronarographie s’impose d’emblée, le diagnostic anatomique n’est plus au centre de la prise en charge du patient coronarien. C’est le pronostic du malade qui guide actuellement notre attitude thérapeutique. La mise en évidence de l’ischémie et de son étendue est un élément majeur de ce pronostic. La scintigraphie est une technique d’imagerie fonctionnelle particulièrement bien adaptée à ce type d’évaluation. La mesure de la FFR est aussi une méthode fonctionnelle mais invasive. Elle permet de détecter l’ischémie au cours de la coronarographie et a démontré sa grande valeur pronostique. Elle sera certainement d’une très grande utilité pour déterminer les artères à dilater au cours de la coronarographie chez les patients pluritronculaires, adressés par les techniques non invasives, ces dernières ne pouvant pas toujours détecter toutes les sténoses coronaires. Le scanner a une grande valeur prédictive négative mais ne peut détecter l’ischémie ; chez le coronarien âgé on est limité par l’existence de calcifications coronaires qui gênent la détection des sténoses. Cependant, il y a des cas où l’association d’un examen fonctionnel et d’un examen anatomique permet de mieux évaluer la maladie coronaire, par exemple un scanner normal chez un patient ayant un examen fonctionnel équivoque. Des centres d’imagerie cardiaque non invasive, regroupant toutes les techniques (scintigraphie cardiaque, IRM cardiaque, scanner cardiaque, écho de stress) commencent à se développer aux Etats-Unis, permettant de pratiquer l’examen le plus adapté au cas du patient. La cardiologie non invasive est une nouvelle spécialité qui doit faire travailler ensemble le cardiologue clinicien, le cardiologue invasif et le cardiologue imageur.   Hypoperfusion septale se normalisant au repos, témoignant d’une ischémie évaluée à 8 % de la totalité du ventricule gauche. Sténose hyperserrée de l’IVAP. Patiente de 42 ans avec douleurs très suspectes sans aucun facteur de risque. Scintigraphie normale et épreuve d’effort positive. La clinique étant suspecte, on fait un score calcique au décours immédiat de la scintigraphie qui montre des calcifications très importantes (pas d’injection d’iode). Tritronculaires à la coronarographie. Patiente marathonienne âgée de 50 ans. Douleurs thoraciques atypiques. Bloc de branche gauche. Scintigraphie avec défect septal non interprétable du fait du BBG. Scanner normal avec score calcique nul.   "Cardiologie Pratique : publication avancée en ligne"

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