Publié le 01 mar 2011Lecture 11 min
Cardiopathies ischémiques, échocardiographie d’effort et de stress
J. JAUSSAUD, Hôpital Cardiologique, CHU de Bordeaux
Les Journées d’écho-Doppler de Bordeaux
Ischémie myocardique : de la physiopathologie à l’imagerie
G. Derumeaux (Lyon)
Il existe plusieurs cibles pour l’imageur cardiaque issues de la physiopathologie de l’ischémie myocardique tant à l’échelle de la microcirculation coronaire (échocardiographie de contraste), qu’à l’échelle myocytaire (fibrose cicatricielle, altération contractile et élastique) et métabolique (dysfonction mitochondriale).
• Dans le domaine de l’ischémie myocardique, les altérations de fonction segmentaire, liées à la diminution du débit de perfusion des couches sous-endocardiques au cours de l’exercice, entraînent une diminution de raccourcissement systolique qui peut se prolonger après la période ischémique (stunning) comme cela est démontré par des études sonomicrométriques expérimentales. Par ailleurs, il peut s’y associer un raccourcissement postsystolique.
D’ailleurs, le rapport entre le raccourcissement postsystolique et le raccourcissement systolique serait un excellent élément prédictif d’ischémie au cours du stress.
L’analyse des déformations segmentaires myocardiques («2D strain ») apparaît ainsi comme un outil de quantification fonctionnel intéressant et semble bien corrélée aux déformations obtenues expérimentalement en sonomicrométrie, comme l’a bien observé le Dr Réant sur un modèle d’ischémie aiguë progressive du cochon sous dobutamine (figure 1)(1). Néanmoins, les résultats sont décevants chez l’homme et ne semblent pas apporter de valeur supplémentaire à l’analyse qualitative au cours du stress.
Figure 1. Quantification des pics (flèches blanches) de strain circonférentiel en fin de systole de la zone à risque (jaune) et de la zone saine (bleue) en l’absence (A) et en présence (B) d’une réduction de flux coronaire (25 %) de l’artère coronaire IVA sous dobutamine sur modèle porcin, d’après Reant P. et al.(1)
• Dans le cadre de l’ischémie-reperfusion, il est clairement démontré que la taille de l’infarctus après revascularisation est un déterminant pronostique majeur tant en termes de mortalité que de remodelage ventriculaire gauche. La taille de l’infarctus est influencée par la durée d’ischémie, le degré de collatéralité et d’éventuelles mesures (pharmacologique ou mécanique) de cardioprotection. Il est retrouvé une corrélation entre les valeurs de strain myocardique et la profondeur de l’infarctus (transmural ou non), en préférant le strain longitudinal qui apparaît plus reproductible. Dans le domaine de la cardioprotection, La FeVG apparaît améliorée après post-conditionnement angioplastique chez l’homme et les mesures de strain sont améliorées après injection d’EPO uniquement chez le rat.
• Le remodelage ventriculaire gauche est directement lié à la taille de l’infarctus. D’après Park et coll., la valeur cut-off de -10 % de strain longitudinal global du ventricule gauche après IDM antérieur est prédictive de remodelage VG et la valeur de -8 % de décès et d’insuffisance cardiaque(2). Les analyses de déformations myocardiques apparaissent comme complémentaires à la mesure de FeVG après IDM. Ces données sont soutenues par une étude ayant inclus 659 patients, qui confirme le caractère prédictif de mortalité toute cause et de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque des valeurs de strain mais aussi de strain rate(3).
En pratique
Il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre de paramètres influant sur les valeurs de strain et notamment le stress pariétal, le remodelage VG, l’HVG, l’obstruction microvasculaire et l’asynchronisme mécanique.
Comment progresser en échocardiographie de stress ?
C. Chauvel (Bordeaux)
L’échocardiographie de stress apparaît comme une méthode fiable pour la détection de l’ischémie myocardique dont l’objectif reste la prédiction des lésions angiographiques des artères coronaires.
L’obtention de la fréquence cardiaque cible par injection précoce d’atropine, la position optimale du patient, l’évaluation de la cinétique segmentaire en post-charge, la possibilité d’une double lecture et l’imagerie d’harmonique ont permis d’améliorer significativement la qualité et la sensibilité de cet examen. Il est effectivement connu que la reproductibilité de lecture d’un examen est étroitement liée à la qualité de cet examen, en particulier à la définition de l’endocarde.
L’évaluation de la cinétique segmentaire par analyse de l’épaississement myocardique, de la fonction cardiaque globale et de la recherche d’un retard de contraction est limitée dans certains cas, notamment en cas d’ischémie du territoire de l’artère circonflexe en particulier sous dobutamine.
L’utilisation d’un signe tel que la bascule de la pointe vers le VD, non décrit dans les recommandations, améliore la spécificité (90 %) de l’examen.
Par ailleurs, l’imagerie 3D permet une acquisition volumique grâce aux nouvelles sondes matricielles. La reconstruction de coupes petits axes de la base à l’apex à partir d’une seule acquisition améliore significativement la sensibilité de détection de l’ischémie. Si cette technique est réalisable à l’effort, elle reste à confirmer pour la pratique quotidienne. Enfin, il a été rappelé l’intérêt de l’injection de produit de contraste au cours de ces examens afin d’améliorer la détection de l’endocarde et la reproductibilité de lecture.
Même si l’échocardiographie de stress apparaît comme une technique quotidienne fiable de dépistage de l’ischémie myocardique, un travail récent portant sur près de 1 500 patients ayant une échocardiographie de stress positive au pic (au moins 5 segments au pic) a rapporté une mortalité identique à 2 ans que des lésions significatives soient trouvées ou non à la coronoragraphie(4). Ainsi, même si les progrès technologiques permettent la progression de la sensibilité et spécificité de cet examen, des limites persistent et sont à connaître pour la pratique quotidienne.
Échocardiographie de stress : que retenir en pratique des recommandations de l’ESC ?
P. Lancellotti et L. Piérard (Liège, Belgique)
Au cours de cette session il a été rappelé que l’échocardiographie de stress n’apparait qu’en deuxième intention si le patient est capable de réaliser un test d’effort conventionnel avec ECG interprétable. Ces recommandations, publiées en 2009, précisent les indications de l’échocardiographie de stress qui sont : le diagnostic d’une athérosclérose avec lésion significative, l’évaluation d’une lésion intermédiaire, la stratification du risque périopératoire, l’évaluation diagnostique d’une dyspnée d’effort, l’évaluation pronostique après revascularisation coronarienne et l’évaluation des valvulopathies(5).
• Dans le cadre de la détection de l’ischémie, l’échocardiographie peut être réalisée soit au cours de l’effort sur table adaptée en position semi-couchée (sensibilité 82 % et spécificité 84 %), soit sous dobutamine à dose progressive (10 g/kg/min toutes les 3 min jusqu’à 40 g) avec ajout d’atropine dès 40 g/kg (Se 81 % et Sp 84 %), soit sous dipyridamole (0,56 mg/kg/min, puis 4 min d’arrêt, puis 0,28 mg/ kg/min en cas de négativité du test) en l’absence de trouble de conduction auriculo-ventriculaire ou d’asthme et de préférence en cas d’HTA sévère ou de tachyarythmie limitant l’utilisation de la dobutamine (Se 79 % et Sp 94 %). L’analyse des 17 segments se fait de façon qualitative par l’étude de l’épaississement et des délais de contraction myocardique (akinésie, dyskinésie, hypokinésie, tardokinésie, normokinésie) (tableau). La définition de l’endocarde peut être optimisée par ajout de produit de contraste si l’image est sous-optimale.
Les critères d’arrêt sont rappelés : dose ou charge tolérée maximale, fréquence cardiaque cible atteinte, positivité échographique ou électrique, douleurs thoraciques typiques, symptômes mal tolérés, HTA (220/110), hypotension artérielle symptomatique ou tachyarythmie.
La sévérité est jugée par l'apparition précoce de la positivité malgré l'absence d'arrêt des traitements anti-ischémiques, ou par l'existence d'une dysfonction VG de repos, une ischémie du territoire de l'IVA ou une récupération lente.
Le caractère pronostique d’un test négatif est limité en cas d’effort sous-maximal, de dysfonction VG, de traitements anti-ischémiques. La sensibilité de cet examen est diminuée en cas d’ischémie du territoire de l’artère circonflexe, de test sous-maximal, d’une collatéralité importante, du traitement médical ou d’un test inadéquat. La positivité de l’examen malgré une coronarographie normale est possible en cas de spasme sur lésion non significative, de cardiomyopathie, d’HTA importante au cours de l’examen, d’erreur d’interprétation (partie basale inférieure), d’hétérogénéité de contraction ou d’artefact. Enfin il est possible de réaliser cet examen en urgence dans l’exploration de douleurs thoraciques sans anomalie ECG ou enzymatique.
• Dans le cadre de la viabilité, l’échocardiographie dobutamine reste majoritairement réalisée aux dépens de l’échocardiographie au cours d’un faible exercice ou d’une demi-dose de dipyridamole.
Les résultats apparaissent néanmoins très bons et comparables à ceux de l’IRM. Une indication particulière est discutée, dans le cadre de la resynchronisation biventriculaire, de l’étude de la réserve contractile et du caractère dynamique de l’asynchronisme avant implantation.
Par ailleurs, même si des effets secondaires mineurs apparaissent dans moins de 10 % de ces tests il est noté une proportion de décès de 1/5 000 examens sous dobutamine contre 1/10 000 sous dipyridamole. Il est donc nécessaire de dépister les contre-indications, de respecter les doses recommandées, de réaliser l’examen après consentement éclairé sous surveillance médicale dans des indications de classe I, en préférant l’échocardiographie d’effort et en observant une surveillance de 60 min post-stress.
Malgré son caractère opérateur-dépendant, l’échocardiographie de stress est aujourd’hui la technique ayant le meilleur rapport coût-risque-efficacité parmi les examens d’imagerie dans le domaine du diagnostic non invasif des maladies coronariennes.
Recherche d’ischémie et imagerie multi-modalités
P. Guéret (Créteil)
Dans le cadre de la recherche d’ischémie myocardique deux examens sont largement validés : l’échocardiographie de stress (effort ou pharmacologique) et la scintigraphie myocardique. Néanmoins, l’échocardiographie de stress est de plus en plus appliquée et disponible en France. Ces examens permettent en sus les mesures de volume ventriculaire gauche et de fraction d’éjection ventriculaire gauche. Concernant les performances de ces techniques, nous constatons qu’en associant une technique d’imagerie à l’ECG conventionnel, les sensibilités et spécificités sont largement améliorées (88 % et 77 % pour la scintigraphie, 76 % et 88 % pour l’échocardiographie, 68 % et 77 % pour l’ECG d’effort).
La raison essentielle à ses différences résulte de l’approche physiopathologique différente puisqu’en scintigraphie les anomalies de la membrane cellulaires secondaires à l’ischémie sont étudiées, alors qu’en échocardiographie c’est le retentissement de ces anomalies sur la contraction.
• Les limites de l’échocardiographie de stress sont dominées par l’échogénicité, la qualité de l’image, la reproductibilité, l’importance de l’apprentissage, et le caractère qualitatif de l’interprétation. Néanmoins, la qualité de l’image est améliorée par l’innovation technologique, grâce à l’apport du contraste (Sonovue) qui permet un gain de sensibilité et de reproductibilité (débutant). Les techniques actuelles permettent par ailleurs, grâce aux sondes 3D, l’acquisition d’une imagerie volumique plus facile et plus rapide, qui n’améliore pas de manière significative la sensibilité quant à la détection de l’ischémie mais améliore la reproductibilité et la vitesse de l’examen (une seule acquisition)(6). En associant l’imagerie 3D au contraste, l’agrément entre deux lecteurs est amélioré de 43 à 77 %. Concernant l’imagerie de stress quantitative, l’intérêt se porte désormais vers l’analyse des déformations myocardiques et notamment les variations d’amplitude du pic systolique de strain longitudinal par speckle tracking aux dépens du Doppler tissulaire. Ces techniques, validées chez l’animal, restent néanmoins décevantes chez l’homme en pratique clinique. A noter que l’échocardiographie de contraste myocardique n’est pas validée dans la détection de l’ischémie.
• La scintigraphie myocardique présente une résolution spatiale limitée ne permettant pas la distinction entre une ischémie sous-endocardique et une ischémie transmurale.
Par ailleurs, elle apporte une information dont l’analyse reste qualitative et limitée par des artefacts de mouvements et d’atténuation, impose des délais entre les acquisitions de repos et d’effort, présente une spécificité limitée et expose le patient aux rayons irradiants (15 à 30 mSv).
Néanmoins, les gammas caméras sont actuellement en cours d’amélioration avec notamment l’arrivée des caméras CZT diminuées de taille, fixes, limitant l’irradiation et le temps d’acquisition (5 min vs 15 min actuellement).
• Autres techniques de détection d’ischémie. L’IRM de perfusion au premier passage (gadolinium) présente une haute résolution spatiale mais le gain diagnostique apparaît peu important face à la scintigraphie ; l’analyse reste qualitative et l’accessibilité est variable selon les centres. Le scanner apparaît intéressant, notamment l’étude de la cinétique du produit de contraste au sein du myocarde dont l’élimination est ralentie en cas d’ischémie. Enfin, l’imagerie de perfusion permettrait à l’avenir l’étude de l’anatomie coronaire et la perfusion myocardique.
En pratique
Plusieurs techniques de détection de l’ischémie, dont l’accessibilité est variable selon les centres, présentent des approches physiopathologiques différentes. Le choix du cardiologue se fait donc parmi ces techniques dont les limites sont à connaître.
Stratification du risque cardiovasculaire en pré- et peropératoire lors d’une chirurgie non cardiaque : les recommandations
O. Dubourg (Boulogne-Billancourt)
Cette présentation reprenait les recommandations européennes publiées en 2009 dans l’European Heart Journal(7). L’objectif est la stratification du risque selon plusieurs étapes (figure 2).
Figure 2. Algorithme décisionnel adapté de la communication de Dubourg. Stratification du risque cardiovasculaire dans le cadre d’une chirurgie non cardiaque.
Dans le cadre où une revascularisation est envisagée, une angioplastie seule peut être réalisée permettant une chirurgie précoce après 2 semaines en maintenant l’aspirine. La pose d’un stent nu retarde la chirurgie de 6 semaines après traitement par double antiagrégation plaquettaire (idéalement 3 mois). Enfin, la chirurgie après pose d’un stent actif est réalisable après 12 mois de double antiagrégation plaquettaire.
Par ailleurs, les recommandations indiquent que la réalisation d’une échocardiographie peut être réalisée avant chirurgie à haut risque (IIa C) uniquement.
Concernant les valvulopathies, il est recommandé en cas de RAo serré de réaliser une ETT avant chirurgie (I C). Par ailleurs, il est recommandé (IIa A) un remplacement valvulaire en cas de RAo serré symptomatique, ou la réalisation d’une dilatation valvulaire par ballon simple (IIb C). La place des endoprothèses peut être discutée dans cette indication (IIb C). Néanmoins, ces techniques ne sont pas recommandées en cas de chirurgie urgente (IIa C). En présence d’un rétrécissement mitral symptomatique ou asymptomatique avec une surface valvulaire < 1,5 cm² et une PAPs > 50 mmHg, il est recommandé soit le remplacement valvulaire soit une commissurotomie percutanée. Si la surface est > 1,5 cm² ou < 1,5 cm² chez un patient asymptomatique avec une PAPs < 50 mmHg, le risque chirurgical est faible. Enfin, l’intervention est réalisable en cas de fuite sans dysfonction VG.
Ainsi, ces recommandations permettent de suivre un schéma logique d’exploration des patients en fonction des risques de la chirurgie non cardiaque et du malade, faisant intervenir l’ensemble des médecins ayant un rôle dans la prise en charge périopératoire.
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