Publié le 17 mai 2005Lecture 6 min
Actualités sur l'hématome de paroi aortique - Ce que le clinicien doit savoir
R. ROUDAUT, CHU de Bordeaux, Pessac
À côté de la dissection aortique, de l’ulcère athéromateux et de la fissuration, l’hématome de paroi aortique représente l’une des grandes causes du « syndrome aortique aigu »/« aorte thoracique douloureuse ».
Méconnue du vivant du patient avant l’ère des méthodes de diagnostic non invasives modernes, sa prévalence est de nos jours comprise entre 10 à 30 % des suspicions de dissection aortique ; elle serait plus importante dans les pays asiatiques.
Cette pathologie devrait être bien connue car il s’agit d’un piège diagnostique dont l’évolution est capricieuse ; la prise en charge initiale doit se faire en milieu spécialisé sous haute surveillance.
Définition
L’hématome de paroi aortique (HPA) se définit par une hémorragie au sein de la paroi aortique (partie externe de la média) par rupture des vasa vasorum en l’absence de porte d’entrée et de membrane de dissection.
Classiquement, l’HPA est spontané mais il peut se développer à partir d’un ulcère athéromateux pénétrant (UAP) ou d’un traumatisme de la paroi aortique externe ou interne (chirurgie cardiaque, pompe de contrepulsion, cathétérisme, etc).
La conférence de consensus sur le diagnostic et la prise en charge de la dissection aortique différencie deux types d’HPA :
• le type 1 survient sur une paroi aortique lisse et une aorte de moins de 35 mm ;
• le type 2 survient sur une paroi aortique très athéromateuse et dilatée (Ž 35 mm). Il s’agit de la forme la plus fréquente qui touche alors plutôt les sujets âgés au niveau de l’aorte thoracique descendante.
Présentation clinique
Elle est habituellement superposable à celle de la dissection aortique : la douleur thoracique est retrouvée dans la quasi-totalité des cas. Une insuffisance aortique est notée dans 26 % des cas, une abolition des pouls dans 5 % des cas, un accident vasculaire cérébral inaugural dans 12 %.
La radiographie thoracique montre fréquemment un élargissement du médiastin et des épanchements pleuraux.
Le diagnostic de certitude
Il repose sur les examens complémentaires non invasifs. Selon les possibilités du plateau technique, les deux examens les plus performants et les plus rapides à mettre en œuvre sont l’échocardiographie (ETT + ETO) et l’angioscanner spiralé.
Échographie
Les critères échocardiographiques du diagnostic sont bien connus depuis la publication princeps de S. Mohr-Kahaly.
Il existe un épaississement en croissant ou circulaire de la paroi aortique, avec déplacement centroluminal des calcifications intimales. Il n’y a pas de porte d’entrée, pas de membrane de dissection.
Lorsque la thrombose de la paroi est complète, on retrouve un aspect plein et granité ; lorsqu’elle est partielle, on met en évidence des espaces libres d’écho mais « non perfusés » en Doppler couleur (figure 1).
Classiquement, S. Mohr-Kahaly exigeait un épaississement de 7 mm pour porter le diagnostic. J.-K. Song considère que dans la mesure où l’épaisseur normale d’une paroi aortique, quelle que soit la méthode d’imagerie utilisée est de 3 mm, un épaississement Ž 5 mm est suffisant pour faire le diagnostic. L’extension longitudinale est en moyenne de 11 mm.
L’ETT est en règle générale insuffisant pour faire le diagnostic d’HPA, a fortiori s’il s’agit d’un HPA qui siège au niveau de l’aorte thoracique descendante (type B).
Comme pour tout « syndrome d’aorte thoracique douloureuse », il ne faut pas hésiter à réaliser une ETO sous couvert des précautions d’usage dans ce contexte (maîtrise parfaite de la pression artérielle par les bêtabloquants et les inhibiteurs calciques, associée à une sédation par voie intraveineuse).
Figure 1. ETO illustrant un hématome en croissant au niveau de l’aorte ascendante.
Angioscanner
L’angioscanner est également une technique très performante et rapide. L’injection du produit de contraste iodé rend nécessaire une vérification de la fonction rénale. L’angioscanner met également en évidence l’épaississement de la paroi aortique, en croissant ou circulaire, avec déplacement centroluminal de l’intima.
Ces méthodes (échographie transœsophagienne et scanner multibarettes) sont performantes avec des sensibilités et spécificités dans toutes les études de l’ordre de 95 à 100 %.
Les limites, les pièges et les difficultés doivent cependant être bien connus :
Un faux négatif peut être dû à un hématome étroit peu évident, même pour un œil averti. On pense à la dissection, on ne voit pas le voile intimal immobile : l’épaississement en croissant de la paroi aortique ne saute pas aux yeux.
Les faux positifs classiques sont la dissection aortique (DA) avec thrombose d’un faux chenal étroit, un anévrisme fusiforme de l’aorte avec thrombus mural, une athéromatose pariétale étendue, et plus rarement, une aortite, une tumeur de la paroi aortique, etc.
Il est très fréquent dans ce contexte, compte-tenu des difficultés de diagnostic, de demander un deuxième examen complémentaire de confirmation : ETO, angioscanner selon le cas.
IRM
Elle est classiquement moins utilisée à la phase aiguë d’une suspicion de DA compte-tenu de la difficulté de mise en œuvre de l’examen si l’état hémodynamique est instable. Il s’agit cependant d’un excellent examen, dont les performances sont égales à celles de l’ETO et de l’angioscanner, et qui permet d’affirmer la présence de sang frais dans la paroi aortique sous forme d’un hypersignal en T1 (présence de méthémoglobine) (figure 2).
Figure 2. IRM : hypersignal en T1 signant un hématome du mur postérieur de l’aorte thoracique descendante.
Le cathétérisme avec aortographie est à l’inverse un examen sans intérêt car la lumière aortique apparaît normale.
Histoire naturelle de l’HPA
Elle est de nos jours mieux connue. Si le pronostic est moins grave que celui de la dissection aortique, où chaque heure compte, en particulier lorsque l’aorte ascendante est concernée, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une pathologie grave avec une mortalité de 20 % à 30 jours et de 43 % à 5 ans.
Une stabilisation, voire une résorption d’HPA ont été rapportées chez quelques patients, en particulier au niveau de l’aorte thoracique descendante. À côté de cette situation favorable, des complications peuvent survenir soit précocement dans les 30 premiers jours, soit à distance : dissection aortique, rupture aortique, déformation anévrismale, accentuation de l’hématome, etc.
Ainsi, dans une étude multicentrique portant sur 66 patients avec un HPA hospitalisés avant la 48e heure, C.-A. Nienaber constate en phase précoce (30 premiers jours) :
• 13 DA, 17 ruptures, soit 45 %,
• 9 dilatations anévrismales (aorte > 70 mm),
• 13 décès (20 %).
En analyse multivariée, seules la localisation à l’aorte ascendante (type A) et une aorte modérément dilatée sont des facteurs prédictifs indépendants de complications.
Dans cette étude, une évolution retardée a été observée chez 14 patients (21 %) : 3 dissections, 11 ruptures et un décès chez 11 patients (17 %).
En analyse multivariée, le risque de progression tardive est associé de façon indépendante à l’âge au moment du diagnostic et à l’absence de traitement bêtabloquant.
En définitive, les facteurs prédictifs de complications (malades à haut risque) sont répertoriés dans le tableau 1.
Traitement
La prise en charge thérapeutique reste controversée et est souvent difficile du fait de l’âge des patients.
Aorte ascendante
Au niveau de l’aorte ascendante deux tendances s’opposent :
- la tendance « européenne » est celle de la chirurgie en urgence ;
- la tendance asiatique est celle d’une surveillance armée sous traitement médical en milieu hospitalier avec contrôle de l’évolution toutes les semaines pendant 1 mois. Les auteurs asiatiques fondent leur attitude sur la constatation de nombreux cas de régression ou de stabilisation de l’HPA.
Dans l’expérience de Nienaber, la comparaison entre le groupe traité médicalement (mortalité 55 %) et le groupe traité chirurgicalement (mortalité 8 %) plaide en faveur d’une chirurgie précoce.
Quoi qu’il en soit, dans l’HPA de type A, le traitement médical (bêtabloquants + antihypertenseurs) doit être débuté sans retard si l’abstention chirurgicale est choisie. Les patients à haut risque relèvent de la chirurgie d’emblée.
Toute récidive douloureuse doit conduire à réévaluer la pathologie et redéfinir la position.
Aorte descendante
Dans l’HPA de type B localisé à l’aorte thoracique descendante, l’étude de Nienaber ne fait pas apparaître de bénéfice en faveur de la chirurgie comparativement au traitement médical. Rappelons que toute chirurgie de l’aorte descendante fait courir un risque de paraplégie.
Depuis quelques années, la mise en place de stents couverts a été proposée par quelques équipes, en particulier en cas d’évolution vers la DA, ou en cas d’UAP associé à l’hématome de paroi, mais cela mérite d’être validé sur de grandes séries.
Le suivi de ces patients doit donc être étroit. La période de surveillance des 30 premiers jours, considérés comme à haut risque, doit conduire à répéter les examens complémentaires tous les 8 jours et plus tôt en cas de récidive douloureuse. À distance, comme dans la DA, on conseille un contrôle par imagerie à 3, 6 et 12 mois, puis une fois par an.
Au total
L’HPA apparaît comme une entité distincte de la dissection aortique avec ses particularités en termes de diagnostic plus difficile, de pronostic moins grave mais sérieux et imprévisible dans les 30 premiers jours. Ce processus évolutif va donc nécessiter une surveillance stricte par les méthodes d’imagerie médicale modernes hautement performantes.
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