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Coronaires

Publié le 31 mar 2009Lecture 8 min

Archéologie de la multiprescription chez le coronarien chronique

S. WEBER, Hôpital Cochin, Paris

Après avoir évoqué ces quelques principes méthodologiques et conceptuels de fond, visitons, en bon archéologue, strate par strate, la multiprescription du coronarien chronique.

La strate la plus profonde, les antiagrégants plaquettaires Elle était initialement représentée par l’aspirine. Le terrain n’était pas vierge, du moins dans les principaux pays européens où régnaient les antivitamines K. Le rôle crucial de la thrombose avait bien été « photographié » par nos prédécesseurs alors qu’il avait été sous-estimé par les auteurs nord-américains, mais la thérapeutique proposée, les antivitamines K, n’était guère adaptée. Elle n’était pas totalement dénuée d’efficacité, mais le rapport bénéfice/risque était médiocre, voire mauvais. L’efficacité de l’aspirine comparativement au placebo a été largement démontrée à la phase aiguë des syndromes coronaires comme en prévention secondaire chez le coronarien chronique. Après une bataille des doses et des rythmes d’administration s’étant étalée sur une petite décennie, la fourchette 75-300 mg en administration quotidienne a été admise et l’aspirine n’a plus quitté le paysage ni dans la pratique, ni dans les essais thérapeutiques, ce qui est très certainement raisonnable. Malgré son efficacité indiscutable, il est cependant très vite apparu qu’une proportion importante de patients étaient non répondeurs à l’aspirine, avec un certain degré de corrélation entre, d’une part, les tests in vitro ou ex vivo et, d’autre part, la survenue d’événements cliniques « thrombotiques ». Cette corrélation était cependant très imparfaite et aucun instrument utilisable simplement, à l’échelon individuel, n’avait été validé. Le problème de la résistance à l’aspirine a été en fait plus contourné que résolu, par l’utilisation d’une nouvelle classe pharmacologique d’antiagrégants plaquettaires, les thiénopyridines : ticlopidine, puis, clopidogrel, d’efficacité analogue avec une meilleure tolérance, notamment hématologique. Il est rapidement apparu au prescripteur que des non répondeurs aux thiénopyridines existaient également. Cependant cette fois, grâce à la sagacité des investigateurs et aux progrès de la physiologie de l’hémostase et de la pharmaco-génétique, le problème a été non pas contourné (en rajoutant une 3e classe d’antiplaquettaires oraux), mais réellement résolu, du moins partiellement, comme en témoignent les récentes et brillantes publications sur le polymorphisme du cytochrome P450 (figure 1). Il s’agit certainement de la plus belle démonstration en pathologie coronaire d’une variabilité biologique débouchant sur une variabilité de réponse thérapeutique et donc sur une tentative d’individualisation des traitements. Ces données récentes n’ont pas encore modifié nos recommandations. L’arrivée de nouvelles molécules anti-agrégantes, la diffusion et la simplification des tests d’hémostase et des tests génétiques viendront très certainement à moyen terme remuer le paysage de la prescription antithrombotique et l’améliorer, en l’individualisant enfin. Figure 1. Clopidogrel : le risque de survenue d’un évènement thrombotique sous clopidogrel dépend fortement du polymorphisme génétique du cytochrome P450 (New Engl.J Med : 2009 ; 360 : 156-61). La deuxième strate, celle des bêtabloquants Avant l’ère de la reperfusion L’archéologue devra être précautionneux, car cette deuxième strate est chronologiquement proche de la première, celle de l’aspirine, les overlaps sont donc possibles. Le paysage a cependant un peu évolué vers la fin des années 70. La plupart des patients, notamment dans le post-IDM, inclus dans les essais bêtabloquants, recevaient de l’aspirine ; les USIC n’avaient pas encore abordé l’ère de la reperfusion, mais avaient réussi à maîtriser partiellement les complications précoces de l’IDM, notamment les troubles du rythme et de la conduction. Enfin, certains patients, passée la phase aiguë, bénéficiaient d’une revascularisation myocardique par pontage. L’évaluation des bêtabloquants a cependant été effectuée sur une population bien différente des coronariens d’aujourd’hui : les malades n’étaient pas reperfusés en phase aiguë ; la gravité moyenne de ces patients du post-IDM était donc plus élevée, mais les patients les plus graves, ceux dont la fonction ventriculaire gauche avait été profondément altérée n’étaient pas inclus dans les études, car la dysfonction gauche représentait à cette époque une contre-indication formelle aux bêtabloquants. Sur cette population post-IDM, non reperfusée en phase aiguë, l’effet bénéfique des bêtabloquants était tout à fait évident, entraînant une réduction de 15 à 30 % de la mortalité, en partie par réduction du risque de mort subite, en partie par réduction du risque de rechute d’IDM et déjà (même si tout le monde ne l’avait pas remarqué) du risque d’évolution vers l’insuffisance cardiaque. Les premières métaanalyses (même si le terme n’était pas encore à la mode à cette époque) laissaient clairement entrevoir que l’amplitude du bénéfice des bêtabloquants était d’autant plus grande que la population de l’étude comportait des IDM plus graves. À l’heure d’aujourd’hui Ces résultats sont-ils encore pertinents aujourd’hui où la proportion d’infarctus non transmuraux est bien plus élevée, où la reperfusion est fort heureusement très largement réalisée ? La question mérite d’être posée ! En 2009, la mortalité des deux premières années du groupe placebo de ces études du post-IDM aurait été 2 à 3 fois plus faible que celle qui avait été observée. Notamment le risque de mort subite rythmique est considérablement réduit au prorata de la réduction de la taille de l’infarctus. Ces considérations ne représentent en rien une remise en cause de la prescription de bêtabloquants chez le coronarien chronique qui restent, dans le paysage actuel, une classe thérapeutique irremplaçable. Mais pendant combien de temps après un infarctus ? Surtout s’il a été précocement reperfusé et s’il n’y a pas de sténose résiduelle sur le reste du réseau ? Surtout si le traitement est médiocrement toléré ? S’il n’est pas question de prêcher pour une restriction de la prescription quotidienne des bêtabloquants, peut être est-il temps d’accepter, si la recherche fondamentale nous procure de nouvelles molécules anti-ischémiques « révolutionnaires », de les évaluer, non pas en plus des bêtabloquants, mais confrontées aux bêtabloquants. La troisième strate, celle des IEC Il s’agit d’une très belle histoire partant d’une réflexion intelligente sur l’implication du système rénine-angiotensine dans le post-IDM, continuant sur la mise au point d’un modèle expérimental animal performant et reproductible et débouchant enfin sur des essais contrôlés bien construits. N’oublions cependant pas que le modèle expérimental ayant permis de valider le concept de remodelage ventriculaire et le rôle bénéfique des IEC était un modèle d’occlusion chronique de l’IVA et non pas d’occlusion-reperfusion comme devrait l’être actuellement l’essentiel des infarctus. De surcroît, l’analyse des résultats des premiers essais IEC post-IDM montre bien que l’essentiel du bénéfice en matière de réduction de morbi-mortalité se concentre sur les patients ayant subi un infarctus de la paroi antérieure et n’ayant pas été reperfusés, c’est à dire dont l’IVA restait occluse en fin d’hospitalisation. Il s’agit bien sûr des malades les plus graves. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le maximum de l’effet thérapeutique s’observe chez eux. Cela ne signifie pas bien sûr que les autres patients n’en bénéficient pas. Cela nous conforte cependant dans le respect des recommandations, y compris celles « contrôlées » par le récent questionnaire de l’HAS, qui est de considérer que cette prescription n’est incontournable que si la fraction d’éjection ventriculaire gauche est significativement altérée dans le post-IDM. Là aussi, si une molécule réellement innovante du remodelage ventriculaire et/ou de la protection myocardique était proposée à l’évaluation, il serait raisonnable de l’étudier en confrontation et non pas en complément des IEC. La quatrième strate, celle des statines Leur évaluation dans le post-IDM est plus récente, concernant dans une large mesure des populations de patients ayant bénéficié d’une reperfusion myocardique en phase aiguë. Là encore, les résultats sont remarquablement convergents et il n’y a guère de doute que l’efficacité des statines en prévention secondaire est considérable et que, lorsque le mode de découverte de la maladie coronaire est un IDM, il n’y a aucune raison de retarder la prescription de statine. S’il est quelque peu naïf de penser que le comprimé d’une « turbostatine » fortement dosé ira, dans les heures qui suivent, stabiliser les plaques d’athéromes, il est plus raisonnable de considérer que la prescription très précoce de cette classe pharmacologique la fera intégrer par le patient comme par sa famille comme ayant participé à son sauvetage à la phase aiguë de l’infarctus. L’archéologue de cette quatrième couche, la plus récente, ne découvrira cependant pas un long fleuve tranquille. Il n’y a guère de doute que la réduction de morbi-mortalité obtenue par les statines représente un effet classe, même si chaque molécule doit faire l’objet d’une évaluation individualisée du rapport bénéfice/risque. Deux réels problèmes restent en débat. Il s’agit de la façon de gérer la minorité non négligeable de patients réellement intolérants aux statines. Soyons clairs, il n’y a pas aujourd’hui d’alternative réellement validée, c’est-à-dire ayant démontré non pas une réduction du taux de LDL-cholestérol, mais comme les statines, une réduction de morbi-mortalité. Le deuxième problème est celui de la posologie pouvant s’exprimer soit en dose de statine à administrer, soit en valeur cible de LDL-cholestérol à rechercher. Descendre en dessous de 1 g/l, valeur relativement facile à obtenir avec la plupart des statines, représente l’objectif de la raison et de la mesure. Descendre en deçà de cette limite en utilisant sur la longue durée des posologies plus fortes reste une démarche plus spéculative et, comme toute spéculation, porteuse certes de bénéfices plus substantiels, mais aussi de risques non négligeables sur la longue durée. La dissociation entre la réduction de la mortalité cardiovasculaire ne s’accompagnant pas de réduction de la mortalité toutes causes lors de l’utilisation prolongée de ces très fortes doses de statines, reste interpellante. En conclusion de ce travail de fouille Chacune des quatre grandes catégories de médicaments du coronarien chronique, antiagrégants plaquettaires pour tous, bêtabloquants pour tous, statines pour tous, IEC pour beaucoup, reste incontournable. Il est légitime de pouvoir justifier leur non-prescription, mais a contrario, il faut savoir que, chez de nombreux patients, ces justifications et absences de prescription sont fondées et représentent le choix du bon sens et de l’efficacité. Il faut espérer, surtout pour les trois premières strates antiagrégant-bêtabloquant-IEC, que la recherche se dirigera vers une individualisation de la prescription passant par l’élaboration d’études sur des malades profilés selon des critères génétiques, physiopathologiques, neurohumoraux, et qu’il pourra redevenir politiquement correct de concevoir une étude dont l’un des groupes ne comportera pas de bêtabloquant ou pas d’aspirine ou pas d’IEC pour permettre à d’éventuelles molécules prometteuses de faire leurs preuves et d’aboutir à des prescriptions médicamenteuses potentiellement moins « copieuses » et mieux ciblées.

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