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Cardiologie générale

Publié le 14 fév 2012Lecture 4 min

Au-delà de la peau, le vrai visage du syndrome d’Ehlers-Danlos-Chernogubon

C. HAMONET*/**, J. MOHLER*, *Consultation du syndrome d’Ehlers-Danlos, service de médecine physique et de réadaptation, Hôtel-Dieu, Paris **Centre national de référence des maladies génétiques du tissu conjonctif, service de génétique médicale, hôpital Ra

On a longtemps réduit la symptomatologie du syndrome d’Ehlers-Danlos à deux signes spectaculaires : l’hyperétirabilité de la peau et l’hypermobilité des articulations. Cette vision cutanéo-articulaire assortie d’une réputation de bénignité est à la fois inappropriée et fausse. L’excès d’étirabilité cutanée manque ou est difficile à apprécier dans 31 % des cas. L’hypermobilité articulaire peut être très discrète ou inapparente et diminue ou disparaît avec l’âge. Par ailleurs, ce syndrome peut générer des symptômes (douleurs intolérables, asthénie, troubles proprioceptifs surtout) à l’origine de nombreuses situations de handicap pouvant conduire à l’exclusion sociale.

Curieusement, le syndrome d’Ehlers-Danlos a été oublié. Il est même occulté puisqu’il n’est jamais évoqué dans les discussions diagnostiques. Ceci conduit à des confusions préjudiciables, d’autant plus qu’il est possible d’améliorer ces patients par un traitement adapté. Il est grand temps de réhabiliter un syndrome qui, s’il ne doit plus être considéré comme rare, n’en reste pas moins orphelin. L’identification clinique du syndrome revient à des dermatologues qui lui ont laissé leur nom. Chernogubon (Société moscovite de vénéréologie et de dermatologie, 1891) a décrit, chez un jeune homme de 17 ans, l’association d’une étirabilité exagérée de la peau qui était très fragile et d’une hypermobilité articulaire. Le 15 décembre 1899, Edwards Ehlers présente un cas analogue à la Société danoise de vénéréologie et de dermatologie. Achille Miget le mentionne dans sa thèse (1933, hôpital Saint- Louis, Paris) : « L’auteur signale l’extrême laxité de la peau (figure 1), la laxité des articulations si importante qu’elle permet une subluxation du genou, les lésions cicatricielles nombreuses, diffuses et variées. Il insiste en outre sur la tendance hémorragique du sujet, non hémophile ».    Figure 1. L’hyperélasticité cutanée. Photo illustrant la thèse d’Achille Miget (1933).   Près de 9 ans plus tard, en 1908, c’est Henri-Alexandre Danlos, qui, devant la Société française de dermatologie, présente une nouvelle observation : « L’état spécial de la peau, d’une minceur anormale, d’une élasticité extraordinaire domine la situation et constitue, avec la vulnérabilité excessive, la caractéristique de l’état morbide ». Le syndrome d’Ehlers-Danlos est né !   L'apport de la génétique : une harmonisation à faire avec la clinique   Le syndrome d’Ehlers-Danlos est lié à un déficit génétique du collagène qui se transmet selon un mode autosomique dominant. Aujourd’hui, la typologie du syndrome d’Ehlers-Danlos comporte trois formes principales : – la forme « classique » (types I et II), rare, dominée par les manifestations cutanées avec une grande fragilité et des cicatrices très apparentes ; – la forme vasculaire (type IV) exceptionnelle, émaillée de complications artérielles, intestinales ou utérines graves ; – la forme hypermobile (type III), de très loin la plus fréquente, mais aussi la plus handicapante. Seule la forme vasculaire fait actuellement l’objet d’une identification biologique par la mise en évidence, à partir de cultures de fibroblastes, de la mutation du COL3A1. Ailleurs, le diagnostic est strictement clinique. En fait, les frontières entre ces formes ne semblent pas aussi étanches. C’est ainsi que des formes classiques peuvent être douloureuses et asthéniantes. Dans les formes hypermobiles, on peut découvrir des dilatations artérielles. L’échographie cardiaque objective parfois des modifications valvulaires, sans conséquence habituellement.   Nouvelle clinique du syndrome d'Ehlers-Danlos L’expérience présentée ici s’appuie sur l’analyse d’une série de 612 personnes (81 % de femmes), où un caractère familial est retrouvé dans 95 % des cas. Nous avons retenu 10 signes permettant d’aboutir facilement au diagnostic (encadré). La présence de 5 d’entre eux nous semble suffisante. Ils ont été choisis du fait de leur fréquence dans notre population et parce qu’ils sont l’expression du caractère diffus de l’atteinte du collagène.   Figure 2. Signe du pouce, par hypermobilité. Figure 3. Cicatrice opératoire pathologique et nombreuses ecchymoses. Figure 4. Lésions cutanées hypertrophiques per contact, lors de la position assise. Figure 5. Cette ecchymose témoigne, à la fois de la fragilité vasculaire et des troubles proprioceptifs (signe de la porte) à l'origine du traumatisme.  L’âge moyen des hommes au moment du diagnostic est de 21 ans, celui des femmes de 30 ans. Le retard du diagnostic est considérable après l’apparition des premières manifestations : 21 ans chez les femmes et 14 ans chez les hommes.   D’autres manifestations handicapantes sont observées : troubles du sommeil, hyperacousie, dysacousie, acouphènes, hyperosmie, vertiges, fatigue visuelle, diplopie, myopie, astigmatisme, hypotension, syndrome de Raynaud, frilosité, sueurs, variations du rythme cardiaque et palpitations, oedèmes, dysurie, urgenturies, douleurs et blocages des articulations temporo-maxillaires, gingivites, fragilité dentaire, dyspareunie, prolapsus, fausses couches, dysménorrhée, ménorragie, accouchements difficiles, calculs vésiculaires, kystes ovariens. Dans 85 % des cas, les patients ont un avant-pied plat et une rétraction de la voûte plantaire (figure 6), surprenante dans ce contexte, et dans 97 % des cas, des rétractions des muscles ischio-jambiers ! La scoliose est fréquente mais très discrète, nettement apparente dans 31 % des cas. La mémoire de travail, l’attention, la concentration sont souvent altérées. L’évolution est imprévisible avec des épisodes de crises au cours desquelles tous les symptômes s’accentuent. Elle peut être brutalement et durablement aggravée par un traumatisme tel un accident de voie publique.    Figure 6. Le pied d’Ehlers-Danlos : avant-pied plat et rétraction de l’aponévrose plantaire. Figure 7. Étirabilité excessive de la peau. Conclusions provisoires Pourtant très facile à identifier, le syndrome d’Ehlers-Danlos est constamment pris pour ce qu’il n’est pas : fibromyalgie, maladie musculaire, rhumatisme inflammatoire, sclérose en plaques, maladie de Crohn, endométriose, thyroïdite, Gougerot-Sjögren, asthme ; mais surtout, faute d’altération biologique ou d’images particulières à se mettre sous la dent à l’IRM, un état psychopathologique, qui va de la dépression au syndrome bipolaire, est souvent évoqué ou diagnostiqué à tort. Ce déni et cette psychiatrisation sont très mal vécus par les patients. Cette errance diagnostique et thérapeutique parfois iatrogène, alourdie par le discours négatif, voire méprisant, des médecins est décrit comme une « galère ». L’annonce du syndrome d’Ehlers-Danlos est une délivrance (« enfin, je sais que je ne suis pas folle ») et une ouverture thérapeutique avec la possibilité de lutter contre ses limitations fonctionnelles par les moyens efficaces. Dépister d’autres cas dans la famille est aussi un objectif prioritaire.     « Publié dans Dermatologie Pratique »

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