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Cardiologie générale

Publié le 15 sep 2009Lecture 10 min

Choc cardiogénique

M. MIRABEL, service de cardiologie, hôpital Pitié Salpêtrière, Paris

Chaque année, l’insuffisance cardiaque représente 1,4 millions d’admissions à l’hôpital en France. Une étude observationnelle française conduite en 2001 a permis d’estimer que 30 % des patients admis pour insuffisance cardiaque en soins intensifs présentaient un état de choc. L’état de choc se définit cliniquement par l’existence d’une pression artérielle systolique < 90 mmHg ou une baisse de 30 mmHg par rapport aux chiffres tensionnels habituels chez l’hypertendu, malgré un remplissage vasculaire, accompagnée de stigmates d’hypoperfusion d’organes.

L'origine cardiaque s’inscrit dans le contexte clinique. Elle peut être objectivée par la mesure d’un bas débit, que ce soit à l’échocardiographie ou au cathétérisme veineux pulmonaire (débit cardiaque < 2,2 l/min et pression artérielle pulmonaire d’occlusion > 18 mmHg). Le recours à ces moyens invasifs n’est plus recommandé de façon systématique étant donné l’absence de preuve en termes de bénéfice clinique, voire leur iatrogénie. Les critères cliniques et l’échocardiographie transthoracique suffisent à poser le plus souvent le diagnostic. Selon les recommandations récentes de l’ESC/ESICM, on distingue différents types d’insuffisance cardiaque aiguë : la décompensation d’insuffisance cardiaque chronique, l’insuffisance cardiaque aiguë d’origine diastolique et l’insuffisance cardiaque aiguë. Le syndrome coronarien aigu (SCA) est le premier pourvoyeur de choc cardiogénique, notamment en cas de sus-décalage du segment ST à l’électrocardiogramme. Première cause de mortalité dans les pays occidentaux, l’infarctus du myocarde (IDM) se complique dans environ 7 % des cas d’état de choc, grevant lourdement le pronostic. La mortalité à 30 jours est alors comprise entre 47,9 et 70 %. La prise en charge thérapeutique doit être à la fois étiologique et symptomatique. Le traitement symptomatique du choc cardiogénique comprend trois volets : l’appréciation de la volémie et sa correction, la mise en place d’un traitement inotrope positif par voie intraveineuse et le support ventilatoire. L’assistance circulatoire est en plein essor, seul recours en cas d’échec du traitement classique. Apprécier la volémie et la corriger Contrairement à la décompensation cardiaque globale au cours de cardiopathie préexistante, la volémie est le plus souvent normale voire basse au cours du choc cardiogénique d’installation aiguë. Dans les limites de la tolérance respiratoire, un remplissage vasculaire prudent peut augmenter le volume d’éjection ventriculaire gauche. Il existe plusieurs critères utilisables afin d’évaluer les pressions de remplissage et de prédire la réponse au remplissage. L’échocardiographie permet la mesure du diamètre de la veine cave inférieure par voie sous-xyphoïdienne, dont la valeur et la variation permettent de prédire la réponse au remplissage en dehors des mouvements respiratoires amples. Lorsque le diamètre est inférieur à 12 mm, il est licite d’entreprendre un remplissage vasculaire, alors qu’étant supérieur à 20 mm, le remplissage s’avère le plus souvent inefficace. Une épreuve de remplissage par le lever passif de jambes concomitant de la mesure de l’intégrale temps-vitesse au niveau de la chambre de chasse ventriculaire gauche peut également être utilisée lorsque le patient n’a pas d’orthopnée majeure. Lorsque le volume d’éjection systolique est majoré de 12,5 % par un lever passif de jambes, le remplissage par cristalloïde s’accompagne d’une augmentation du débit. Ces données sont à prendre avec précaution étant donné la fréquence de l’œdème pulmonaire accompagnant l’état de choc cardiogénique et la précharge indépendance ventriculaire gauche en cas de dysfonction myocardique majeure. Le traitement symptomatique Les catécholamines sont la pierre angulaire du traitement symptomatique du choc cardiogénique. Il est classique de distinguer les médicaments inotropes positifs des vasopresseurs. L’évaluation des catécholamines au cours du choc cardiogénique n’a pas bénéficié d’études bien conduites sur le plan méthodologique. Le recours aux inotropes découle en grande partie de travaux dans le cadre de décompensation d’insuffisance cardiaque chronique avec ou sans hypoperfusion périphérique. Ainsi, il n’existe pas à ce jour de recommandation clairement définie par les sociétés de réanimation ni de cardiologie. Les inotropes positifs Les inotropes positifs ont pour effet d’augmenter la contractilité myocardique et donc le débit cardiaque. Le mécanisme d’action varie d’un médicament à l’autre. La dobutamine est l’inotrope positif davantage prescrit en France devant un état de choc cardiogénique. Il s’agit d’un sympathomimétique de synthèse agissant sur les bêtarécepteurs, majorant l’inotropie et la fréquence cardiaque. L’isomère de la dobutamine a un effet alpha-inhibiteur, induisant une vasoplégie modérée. Une des limites à son utilisation est donc la baisse de la pression artérielle par diminution des résistances artérielles périphériques. La tachyphylaxie, par intériorisation des récepteurs bêta, limite l’effet de la dobutamine dans le temps. D’autres inotropes positifs sont disponibles, sans qu’aucun n’ait prouvé sa supériorité sur la dobutamine. Le levosimendan augmente la concentration de calcium intracellulaire, agissant ainsi sur la systole et la diastole, via un canal potassique. La milrinone inhibe la phosphodiestérase et donc la voie de dégradation de l’AMPc. Une limite majeure à leur utilisation est l’induction d’une baisse de la pression artérielle par baisse des résistances artérielles périphériques. Peu d’études ont évalué l’efficacité de la milrinone ou du levosimendan chez les patients en état de choc. Les travaux publiés portent sur des patients en insuffisance cardiaque chronique décompensée sans hypotension artérielle. Une étude récente comparant le levosimendan à la dobutamine n’a pas apporté de preuve quant à la supériorité de cette nouvelle molécule au cours des décompensations cardiaques globales. La dopexamine a des propriétés vasodilatatrices, et dans une moindre mesure, inotropes positives. Cette catécholamine synthétique n’a pas été évaluée en dehors du postopératoire de chirurgie cardiaque. Les vasoconstricteurs La mise en évidence de mécanismes inflammatoires a suggéré l’existence d’un paradigme au cours du choc cardiogénique compliquant le SCA. Le recours à un traitement vasoconstricteur peut alors s’avérer nécessaire. La dopamine à faible dose ne protège pas de l’apparition d’une insuffisance rénale et favorise l’hyperexcitabilité ventriculaire. La noradrénaline peut être adjointe à la dobutamine afin d’augmenter la pression artérielle moyenne. Étant donné l’action au niveau des récepteurs alpha- et bêta-adrénergiques, l’adrénaline peut remplacer la dobutamine en cas d’hypotension artérielle persistante. Les digitaliques ne sont pas recommandés dans le cadre du choc cardiogénique, notamment d’origine ischémique. Le support ventilatoire En cas d’œdème pulmonaire, outre l’oxygénothérapie, l’instauration d’une ventilation mécanique améliore l’oxygénation et diminue la consommation en oxygène du diaphragme. La ventilation non invasive a une place de choix dans l’œdème pulmonaire aigu cardiogénique. Elle peut être réalisée selon deux modalités, équivalentes en termes d’efficacité : l’application d’une pression expiratoire positive ou la ventilation en aide inspiratoire avec pression expiratoire positive à l’aide d’un masque facial étanche. Ces deux modes de ventilation permettent de réduire le recours à la ventilation invasive et la mortalité globale. Néanmoins, certaines études suggèrent la supériorité de la ventilation à pression expiratoire positive sans aide inspiratoire. Il n’existe pas de consensus quant aux critères d’initiation de la ventilation invasive. Elle s’avère nécessaire lors des états de choc graves sous vasopresseurs, avec des stigmates d’hypoperfusion périphérique sévères. L’assistance circulatoire Le recours à l’une des techniques d’assistance circulatoire peut être nécessaire au cours d’un état de choc cardiogénique non contrôlé par le traitement médical. Le ballon de contrepulsion intra-aortique (BCPIA) a été la première technique utilisée à large échelle. Il s’agit d’un dispositif mis en place par voie percutanée en salle de cathéterisme. Il améliore la perfusion coronaire et favoriserait l’éjection systolique. L’ESC recommande la mise en place d’un BCPIA au cours de l’infarctus du myocarde compliqué d’état de choc. Alors que la pratique s’étend au-delà du cadre de l’insuffisance circulatoire aiguë, il demeure sous-utilisé au cours de l’infarctus du myocarde avec choc. D’autres méthodes permettent une assistance circulatoire totale ou partielle En premier lieu, la circulation artério-veineuse munie d’un oxygénateur est une technique temporaire, adaptée aux situations d’urgence. L’ECMO (extracorporeal membrane oxygenator) s’applique au lit du patient par l’abord périphérique, notamment au niveau du scarpa (artère et veine fémorales) (figures 1 et 2). Les indications restent néanmoins à préciser, l’expérience rapportée dans la littérature étant hétérogène. La mise en place d’assistances mono- ou biventriculaire a également été évaluée chez des patients en état de choc sous traitement inotrope. Il s’agit de patients présentant une défaillance cardiaque isolée ou double, cardiaque et respiratoire. Ces études portant sur un faible nombre de patients, ont été conduites dans des centres hautement spécialisés. Leur utilisation demeure encourageante, notamment dans le cadre de cardiopathie avec une possibilité de récupération. La place de l’assistance circulatoire, par rapport à la transplantation cardiaque orthotopique, reste à préciser. La mise en place de procédure de « super » urgence permet d’envisager une transplantation cardiaque avec des délais d’attente plus courts. Figure 1. ECMO périphérique, site de canulation fémorale. Figure 2. ECMO. Actuellement, la persistance d’un état de choc malgré la mise en œuvre d’un traitement médical doit faire envisager l’assistance circulatoire temporaire par ECMO. Assurant un débit, elle permet de limiter la défaillance d’autres organes et d’attendre une éventuelle récupération cardiaque. En cas d’amélioration, l’ECMO peut être sevrée. S’il persiste une défaillance cardiaque, sans atteinte d’autres organes, une transplantation ou un autre type d’assistance peuvent être proposés. En revanche, si l’évolution est défavorable sous ECMO, la mortalité est très élevée. Traiter la cause Parallèlement au traitement symptomatique, le traitement de la cause demeure indispensable. SCA Cela s’applique en premier lieu aux SCA se compliquant d’état de choc. Hochman et coll. ont montré que la revascularisation à la phase aiguë entraîne une diminution de la mortalité à 6 et 12 mois au cours d’une étude multicentrique randomisée comparant le traitement médical maximal, y compris la thrombolyse, à la revascularisation par voie percutanée ou chirurgicale. Ainsi, l’American Heart Association (AHA) a révisé en 1999 ses recommandations sur la prise en charge de l’infarctus du myocarde en faveur d’une revascularisation précoce en présence d’état de choc. Le recours aux techniques de revascularisation demeure insuffisant. Entre 1994 et 2004, une large étude épidémiologique aux États-Unis a montré, malgré l’augmentation du nombre de patients bénéficiant d’une revascularisation, l’insuffisance de suivi des recommandations émises par l’AHA/ACA. Quant à l’utilisation du ballon de contre-pulsion intra-aortique, son indication est consensuelle à l’occasion de la revascularisation par angioplastie transluminale au cours de l’IDM en état de choc. Le recours aux anti-GpIIb/IIIa est recommandé au cours des SCA avec sus-décalage du segment ST, et sans sus-décalage de ST associé à des signes de gravité. Le niveau de preuve est moindre pour les patients en état de choc. Les données disponibles se limitent à des études ancillaires ou incluant un faible nombre de patients. Malgré la méthodologie imparfaite de ces travaux, elles sont en faveur de l’utilisation des anti-GpIIb/IIa lors des SCA compliqués de choc cardiogénique. Les complications mécaniques Plus rares, les complications mécaniques peuvent être responsables d’état de choc, comme la rupture septale, l’insuffisance mitrale aiguë avec ou sans rupture du pilier, la communication interventriculaire, et la rupture de la paroi libre du ventricule aboutissant à la tamponnade. Ces complications représenteraient 15 % des états de choc. Une réparation chirurgicale est alors indiquée en urgence. Physiopathologie de l’état de choc cardiogénique Du point de vue physiopathologique, l’état de choc cardiogénique a longtemps été imputé à l’importance du myocarde lésé au cours de l’IDM. Une étude autopsique des années 1970 a montré la corrélation entre la masse de myocarde nécrosée et la survenue d’un choc. Depuis lors, des mécanismes autres, tels l’ischémie sans nécrose, les troubles de la relaxation, ont été identifiés comme des facteurs liés à la survenue d’un état de choc. Étant donné l’hétérogénéité des patients (degrés divers de dysfonction ventriculaire systolique), des mécanismes complexes semblent être en jeu. L’effondrement des résistances vasculaires périphériques au cours de l’état de choc cardiogénique chez certains patients suggère l’existence d’un état mimant le choc septique. Cela correspond à ce que J. Hochman et coll. ont nommé le « nouveau paradoxe ». Ainsi, l’augmentation des médiateurs de l’inflammation au cours des SCA, tels l’IL6, le TNF ou le facteur de complément C5, est corrélée à la survenue d’un état de choc. Le stress oxydatif généré par le phénomène d’ischémie-reperfusion, véhiculé par la surrexpression de la NO synthase inductible (NOSi), semblerait contribuer à la gravité de l’état de choc. La mise en évidence d’une complexité supplémentaire au cours de la physiopathologie de l’état de choc cardiogénique suggère l’ouverture de nouvelles voies de recherche. Malgré des études préliminaires intéressantes, une étude récente portant sur l’inhibition de la NOSi au cours du choc cardiogénique réfractaire compliquant l’IDM est négative en termes de mortalité. Myocardite aiguë, intoxication médicamenteuse, traumatisme D’autres causes d’insuffisance cardiaque aiguë peuvent être à l’origine d’état de choc cardiogénique : myocardite aiguë, intoxication médicamenteuse, traumatisme. Le traitement dans ce cadre se limite à la prise en charge symptomatique. La rapidité d’installation de l’état de choc et le potentiel de récupération ad-integrum de la fonction myocardique rendent attractive l’assistance circulatoire temporaire. En cas d’échec du traitement classique, les résultats avec l’ECMO sont encourageants. Décompensations d’IC L’état de choc peut également survenir au cours d’une cardiopathie préexistante évoluée. Il s’agit des décompensations des patients insuffisants cardiaques chroniques. Contrairement aux événements aigus des SCA, l’installation des signes de choc est plus lente et s’accompagne d’une surcharge hydrosodée. Il est important de traiter un éventuel facteur déclenchant. En pratique Le traitement de l’état de choc cardiogénique nécessite la prise en charge à la fois symptomatique – rétablissement d’un débit suffisant, de l’oxygénation – et étiologique. L’hospitalisation dans une structure de soins intensifs, à proximité d’une unité de cathétérisme cardiaque pour coronarographie en urgence s’avère indispensable. La mortalité au cours de l’état de choc cardiogénique demeure élevée malgré le traitement classique. L’échec du traitement conventionnel doit faire envisager une option chirurgicale : l’assistance circulatoire ou la transplantation cardiaque d’emblée. L’ECMO est une alternative intéressante chez les patients présentant un choc cardiogénique grave avec début de défaillance d’autres organes. L’ECMO est accessible, solution d’attente en vue d’une récupération ou un pont vers d’autres techniques.

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