Échocardiographie
Publié le 07 fév 2006Lecture 9 min
Comment utiliser au mieux les différents critères de désynchronisation myocardique en écho-Doppler ?
T. TOUCHE, Centre Cardiologique du Nord, Saint-Denis
Actuellement en France, l’indication du traitement par resynchronisation cardiaque (TRC) concerne les patients insuffisants cardiaques :
• en classe III ou IV de la NYHA malgré un traitement médical optimal,
• en rythme sinusal,
• avec des QRS de durée > 120 ms (bloc de branche complet),
• avec dilatation ventriculaire gauche même modérée (diamètre télédiastolique DTD indexé à la surface corporelle > 27 mm/m2),
• avec hypokinésie ventriculaire gauche importante (fraction d’éjection < 35 %).
D’après ces critères, la place de l’écho-Doppler cardiaque paraît se limiter à la mesure de la fraction d’éjection (en écho 2D) et à la mesure du diamètre télédiastolique (en écho TM). En réalité, le rôle de l’écho-Doppler est beaucoup plus étendu car il est double.
Étude détaillée du fonctionnement cardiaque
Éléments pour sélectionner les patients répondeurs
Le premier rôle de l’écho-Doppler est de réaliser une étude détaillée du fonctionnement cardiaque qui servira de base pour étudier la réponse à la resynchronisation, optimiser le traitement médical associé et éventuellement modifier certains réglages de la stimulation. Chez les patients répondeurs, l'écho-Doppler montre les modifications suivantes :
• la réduction des diamètres et des volumes ventriculaires gauches (on peut retenir une réduction de 15 % du volume télésystolique), et amélioration de la fraction d’éjection,
• la régression des signes Doppler d’augmentation de la pression auriculaire gauche, de régression de l’insuffisance mitrale fonctionnelle et de diminution de la pression artérielle pulmonaire,
• l’amélioration de paramètres d’utilisation moins courante :
- réduction de l’index de sphéricité ventriculaire,
- réduction des durées de contraction et de relaxation isovolumique,
- allongement du temps de remplissage transmitral,
- l’amélioration de l'indice de performance myocardique (MPI) ou indice de Tei, égal à (durée de régurgitation mitrale - temps d'éjection TE)/TE, donc égal aussi à la somme des durées des deux phases isovolumiques/TE,
- augmentation de la vitesse de montée en pression ventriculaire gauche dP/dt, évaluée à partir de la courbe Doppler continue d’insuffisance mitrale.
Affiner les critères de sélection des patients pour la resynchronisation
En effet, il existe des patients qui remplissent les critères actuels sus-cités mais qui sont non-répondeurs. À l'inverse, il existe des patients avec QRS < 120 ms qui présentent des désynchronisations de contraction significatives et qui semblent pouvoir être améliorés.
Les critères validés restent à définir
Les critères proposés en écho-Doppler sont nombreux, et leurs validations sont encore incomplètes. Il faut distinguer les critères qui permettent d'affirmer une désynchronisation de ceux, plus récents, moins nombreux et plus restrictifs, qui permettent de prédire une réponse favorable à la resynchronisation.
Certains critères sont complexes et mesurables uniquement avec les techniques les plus récentes : Doppler tissulaire (DTI) ou échocardiographie tridimensionnel (3D). Cependant en pratique, il est tout à fait possible de recueillir plusieurs indices d'orientation au cours d'un écho-Doppler cardiaque conventionnel, quitte à confier ensuite le patient pour une étude plus approfondie à un service d’échocardiographie spécialisé situé dans un centre implanteur.
Un premier critère de dépistage est l'existence d'une désynchronisation interventriculaire
Elle est jugée sur la différence entre les périodes prééjectionnelles gauche et droite (PPE, délai entre le début du QRS et le début de l'éjection en Doppler pulsé) : PPE aortique - PPE pulmonaire. Cette différence indique un asynchronisme lorsqu'elle est > 40 ms. Un retard de l'éjection aortique ne fait que refléter une désynchronisation intraventriculaire gauche. La PPE gauche peut être utilisée comme critère isolé : elle indique une désynchronisation si elle est > 140 ms.
Le MPI a également été proposé : normalement < 0,50, il est en faveur d’une désynchronisation s'il est > 0,70.
Tous les autres critères comparent directement la chronologie de contraction des parois ventriculaires gauches.
L'examen 2D et TM peut fournir à lui seul des informations très utiles
Il est souhaitable d'enregistrer avec des vues 2D 4 cavités et petit axe et de les examiner au ralenti. Le TM peut être enregistré par voie parasternale et/ou sous-costale, éventuellement couplé au Doppler tissulaire TM pour une meilleure définition des pics de déplacement des parois (figure 1). Certains appareils comportent un TM orientable reconstitué à partir des vues 2D, cette technique peut également être très utile.
Figure 1. Différents moyens d’étudier la chronologie de la contraction d’un segment myocardique. A. Doppler tissulaire TM du ventricule gauche par voie parasternale, permettant une définition optimale des pics de déplacement des parois. Le pic de déplacement du segment basal de la paroi latérale (passage du rouge, la paroi se rapproche, au bleu, la paroi s’éloigne) survient 440 millisecondes après le début du QRS. Noter le retard normal par rapport au pic de déplacement du septum (passage du bleu au rouge). Le pic de déplacement est un critère télésystolique. B. Segment basal de la paroi latérale comme sur la figure 1A, mais étudié en Doppler tissulaire pulsé à partir de l’apex. Le début de la contraction soutenue survient 102 ms après le début du QRS, et le pic de vitesse survient 250 ms après le début du QRS. Le pic de vitesse est un critère mésosystolique.
Dans le cas typique du bloc de branche gauche sur cardiopathie non ischémique, la séquence de l'activation et de la contraction est bien connue. La face droite du septum et la paroi ventriculaire droite sont activées en premier, la montée de pression ventriculaire droite précède la montée de pression ventriculaire gauche et entraîne un bref ressaut septal vers le ventricule gauche, peu après le début du QRS, et avant l'éjection ventriculaire gauche (figure 2). L'activation traverse ensuite le septum de droite à gauche à des niveaux variables entre la base et la pointe, et donne lieu à un deuxième mouvement septal vers la cavité ventriculaire gauche, plus ou moins marqué selon les patients. L'activation et la contraction progressent ensuite « en U », elles descendent vers la région apicale, puis remontent la paroi latérale vers la base du ventricule, donnant un mouvement caractéristique de reptation de la paroi sur la boucle en vue 4 cavités.
Figure 2. Cardiomyopathie dilatée évoluée avec BBG très large. Diamètre télédiastolique de ventricule gauche : 75 mm. Contraste spontané intraventriculaire gauche. Bref ressaut septal vers le ventricule gauche commençant pendant le QRS, sans contraction septale vraie bien individualisable ensuite. Contraction de la paroi latérale extrêmement retardée.
Dans une approche simplifiée, il est possible de repérer sur les boucles 2D revues au ralenti, la région septale qui se contracte la première, et la région de la paroi libre qui se contracte la dernière, de faire passer un TM par ces deux zones, et de mesurer le délai entre les excursions maximales du septum et de la paroi libre.
Dans le travail initial de Pitzalis, ce délai prédisait une réponse au traitement lorsqu'il était > 130 ms, mais au niveau du septum c'est le ressaut initial en phase isovolumique, et non la contraction vraie (contraction « soutenue »), qui était pris en compte.
Une valeur actuellement proposée pour parler d'asynchronisme entre les excursions maximales des contractions vraies est de 80 ms.
Un autre critère simple en TM est le retard du pic d'excursion de la paroi libre. Normalement, il est synchrone de la fermeture aortique, à 20 ms près dans notre expérience. S'il survient plus tard, ou a fortiori après l'ouverture mitrale, il y a désynchronisation.
Le Doppler tissulaire en mode pulsé à partir de l'apex
(figure 3)
Figure 3. Doppler tissulaire, posttraitement. En haut, l’opérateur a enregistré une boucle de la vue 4 cavités en DTI, et a défini une ligne TM courbe suivant le contour de la paroi du ventricule gauche. À mi-hauteur, cette ligne TM est transformée en une droite verticale (en ordonnées) selon laquelle on étudie les changements des vitesses tissulaires (codées en rouge ou bleu) au cours du temps (en abcisses). En bas, les courbes de vitesse des différents segments du contour du ventricule sont reconstituées en post-traitement. La courbe rouge individualisée en gras est celle du segment basal du septum.
Il permet de mesurer avec précision la chronologie de la contraction longitudinale des segments basaux et éventuellement médioventriculaires, mais pas des segments apicaux, qui sont presque immobiles par rapport au capteur placé sur l’apex.
Il est possible de mesurer le délai entre le début du QRS et soit :
• le début de la montée en vitesse (= délai électromécanique = temps précontraction = time to onset of systolic velocity),
• le pic de vitesse (= délai électrosystolique = temps prépic de contraction = time to peak systolic velocity = TS).
Le pic de vitesse pariétale est mésosystolique : sur un TM, la vitesse de la paroi est nulle au début de l'éjection, et nulle aussi au moment de l'excursion maximale de la paroi en fin de systole, elle passe donc par un maximum entre ces deux points (comparer les tracés a et b sur la figure 1). Les ondes de vitesses pariétales brèves, au cours de la contraction isovolumique, ne doivent pas être prises en compte, c'est l'onde de contraction soutenue qui soit être utilisée pour les mesures.
Pour Bax, les patients seraient répondeurs en cas d’écart entre deux TS > 65 ms. Le Doppler tissulaire pulsé peut être utilisé en temps réel (figure 3) ou en posttraitement à partir de boucles DTI 2D (figure 4). L'étude en différé peut fournir, outre les courbes de vitesse, des courbes de déformation (strain) et des courbes de vitesse de déformation (strain rate) : ces indices ont été utilisés pour l'étude du phénomène de raccourcissement postsystolique de certains segments et préciser s’il s’agit d’une contraction active ou d’un déplacement passif (cas d'une cicatrice d'infarctus).
Pour Sogaard, le pourcentage de segments de la base qui présente une contraction longitudinale retardée, après la fermeture aortique, est prédictif de succès de la CRT. Mais pour Yu, l'indice qui a la meilleure valeur prédictive de succès est l'écart-type de TS calculé sur 12 segments (6 basaux et 6 médioventriculaires) ou à défaut sur 6 segments. L'écart entre les TS du septum et de la paroi latérale est également prédictif mais sa valeur est moindre. Le raccourcissement postsystolique est moins intéressant, et n'a de valeur que dans les cardiomyopathies non ischémiques.
Figure 4. Échocardiographie tridimensionnel. Le ventricule gauche est divisé en segments codés en couleur. L’évolution du volume régional de chaque segment est représentée par une courbe (en bas). Dans cet exemple, les temps de survenue des minimum des volumes régionaux sont synchrones. Le programme informatique calcule l’écart type de ces temps de survenue des volumes minimaux, exprimés ici en pourcentage de l’intervalle RR.
L'écho tridimensionnel
L'écho tridimensionnel a été proposé tout récemment, notamment par Kapetanakis et coll. Il permet de chiffrer rapidement la participation au volume éjecté de tous les segments myocardiques, y compris ceux de l'apex (16 segments au total), et la dispersion des chronologies des volumes régionaux minimum (figure 5), exprimée là-aussi sous forme d'écart-type. Le chiffre de cet indice qui sera prédictif de succès reste à déterminer.
En pratique
L’écho-Doppler permet de prouver ce que l’on pouvait anticiper à l'arrivée de la resynchronisation : plus le nombre de segments désynchronisés est grand et plus la désynchronisation de chacun d'eux est importante et plus le traitement a de chances d'être efficace.
Il faut aussi que la valeur contractile de chacun d'eux reste suffisante : aux stades les plus tardifs, dans les dilatations ventriculaires gauches les plus sévères, la gravité de l'altération des fibres myocardiques réduit considérablement les possibilités de réponse au traitement.
Le nombre des indices proposés peut déconcerter mais permet une réponse utile quel que soit l'appareil dont on dispose.
Pour les études approfondies, la compétition est ouverte entre Doppler tissulaire et écho 3D pour savoir quelle technique aura la meilleure valeur prédictive du succès de la CRT. Le Doppler tissulaire étudie la contraction longitudinale et la proto-mésosystole, au plus près de l'activation électrique, il est peu influencé par la postcharge et par les déplacements du reste de la cavité ventriculaire en systole. À l'inverse, le TM (éventuellement orientable), le 2D et le 3D étudient la contraction radiale et l'excursion maximale télésystolique ; ils ont l'avantage d'étudier le « produit fini » de la contraction, la participation de chaque segment au volume éjecté.
L’auteur remercie l’équipe de rythmologie et stimulation du Centre Cardiologique du Nord (Xavier Copie, Gilles Lascault, Olivier Paziaud et Olivier Piot) qui lui a donné l’occasion de travailler sur ce thème.
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