Publié le 26 mai 2009Lecture 7 min
Conduite à tenir devant une aorte ascendante dilatée
P. SCHIANO, J.- P. OLLIVIER, Hôpital Militaire du Val de Grâce, Paris
L’aorte ascendante est comprise entre la valvule aortique et la crosse. L’observation d’une aorte ascendante dilatée appelle la réponse à 3 questions afin de décider de l’heure de la chirurgie prophylactique chez des patients le plus souvent asymptomatiques :
• comment mesurer ?
• que signifie « dilatée » ?
• comment surveiller ?
L'écoulement du sang dans l’aorte résulte de deux composantes :
- une composante axiale, vers la périphérie de l’arbre artériel ;
- une composante radiale, vers la paroi de l’aorte. Celle-ci dilate l’aorte initiale en jouant sur la longueur variable des fibres pariétales et stocke de l’énergie mécanique.
Ainsi, l’élasticité est la seule propriété physique importante en physiologie vasculaire. La rupture de la paroi aortique résulte de transferts anormaux de forces locales, secondaires au défaut d’élasticité.
Les circonstances du diagnostic sont souvent fortuites, à l’occasion d’une imagerie du thorax, parfois, à l’occasion d’une complication (dissection, rupture, hématome), rarement, à partir de symptômes (douleur, embolie).
Diagnostic
L’échocardiographie est l’examen clé.
En transthoracique, le mode TM est insuffisant. La mesure doit se faire en échographie bidimensionnelle, vue parasternale dans le grand axe, en télédiastole. La vue parasternale petit axe permet d’examiner la valvule aortique. La paroi aortique doit être évaluée.
La coupe apicale 5 cavités permet de procéder au Doppler d’une insuffisance aortique et d’observer la morphologie du culot aortique à la recherche d’une asymétrie des sinus de Valsalva. La voie suprasternale permet de mesurer le diamètre de la crosse.
Le recours à l’ETO est justifié dans une optique préopératoire. Les mesures sont plus exactes qu’en ETT, qui sous-estime les gros diamètres et méconnaît la dilatation asymétrique.
Scanner et IRM ne sont pas nécessaires en routine.
Ils sont indiqués pour :
– valider un diamètre échographique (échogénicité insuffisante, évolutivité importante) ;
– visualiser les segments de l’aorte non vus en ETT ;
– préciser l’indication opératoire, afin de disposer d’un examen complet de référence de l’ensemble de l’aorte.
Que signifie « dilatée » ?
Les diamètres normaux proposés par Roman (dès 1989) restent d’actualité : ils concernent le diamètre aortique au niveau des sinus de Valsalva, segment où, jusqu’à l’âge moyen de la vie, l’aorte présente son plus grand diamètre.
En pratique, on admet que le diamètre normal est inférieur à 21 mm/m2, et on parle d’anévrisme pour un diamètre égal à la somme de la valeur maximale normale et de la moitié de celle-ci (N + N/2). Plus simplement encore, pour le sinus aortique 3 ± 0,45 cm, et pour l’aorte ascendante 3,1± 0,40 cm.
Au cours des années, en l’absence de pathologie avérée, l’aorte ascendante présente souvent un diamètre supérieur au Valsalva. Le diamètre de l’anneau et des sinus est déterminé par la surface corporelle, alors que la jonction sinotubulaire et le segment qui lui fait suite sont déterminés par l’âge.
La périodicité de l’échographie transthoracique de surveillance est déterminée par la maladie causale, qui est le déterminant principal du risque évolutif. Les éléments d’orientation sont l’âge, une histoire familiale évocatrice de complications aortiques, des facteurs de risque, le format corporel, une valvulopathie aortique connue.
Deux maladies fréquentes et particulières par leur potentiel évolutif aortique : la bicuspidie et le Marfan
Bicuspidie aortique
Ne pas passer à côté d’une bicuspidie aortique, pas toujours évidente, reste le premier impératif. Fréquente (1 % des jeunes soumis à des échocardiographies systématiques), elle s’accompagne de d’insuffisance aortique de grade 2 et 3 chez 2 % dès l’adolescence. Suspecter puis définir le type de bicuspidie dépend du degré de facilité d’examen de la valvule aortique. Le raphé (ligne de soudure entre deux cuspides) est unique et joint les sigmoïdes coronaires dans la forme la plus commune de bicuspidie. L’absence de raphé avec une valvule bicuspide symétrique et orientée latéralement est plus rare. Enfin, plus rare encore, le double raphé unissant en particulier la sigmoïde coronaire gauche aux deux autres sigmoïdes droites et non coronaires.
Figure 1. Aorte en ETT.
Figure 2. Les 4 diamètres. SV = sinus de valsalva. JST = Jonction sinotubulaire. AA : Aorte ascendante. ANN : Anneau.
Figure 3. Valvule aortique en ETO.
La dilatation aortique qui accompagne la biscuspidie est indépendante du degré de la régurgitation et de l’âge du sujet. Elle peut être importante alors que l’insuffisance aortique est minime. Elle s’étend volontiers à la jonction sinotubulaire et au-delà. L’association à une coarctation n’est pas rare.
Syndrome de Marfan
Il est volontiers reconnu : fréquent (3/10 000 personnes), longtemps latent chez le porteur, grave (80 % de mortalité à 40 ans avant la prise en charge « moderne »). Il peut être moins évocateur en raison d’une bicuspidie qui retient toute l’attention, ou chez les phénotypes de petite taille…
Les critères diagnostiques du Marfan définis par De Paepe en 1996 regroupent des facteurs multiples :
- génétiques (atteinte familiale, présence d’une mutation sur un gène (fibrinogène de type 1) avec cette particularité que chaque famille possède sa propre mutation) ;
- cardiovasculaires (dilatation ou dissection de l’aorte ascendante, avec ou sans remaniement valvulaire ; prolapsus, calcification mitrale, atteinte de l’artère pulmonaire) ;
- oculaire (ectopie du cristallin) ;
- squelettique (déformation du thorax mais l’hyperlaxité n’est pas un critère majeur) ;
- neurologique (anomalies lombo-sacrées) ;
- pulmonaire (emphysème) ;
- cutané (vergetures).
La dilatation du Marfan intéresse l’anneau, les sinus de Valsalva, réalisant un « bulbe d’oignon » caractéristique. Les ostia coronaires sont surélevés. La dilatation peut s’étendre à la jonction sinotubulaire et au-dessus. La probabilité d’un syndrome de Marfan appelle un examen échocardiographique particulièrement soigneux à la recherche des anomalies associées à la dilatation aortique.
Figure 4. Aspects de l’aorte.
Figure 5. Bicuspidie.
Figure 6. Géométrie de la racine aortique.
Autres étiologies
La maladie annulo-ectasiante
Non génétiquement déterminée, elle est identifiée sur un terrain bien différent du Marfan : l’âge > 50 ans, l’existence de facteurs de risque notables et la fréquence de l’hypertension artérielle.
Dans la moitié des cas, la dilatation intéresse les sinus de Valsalva seuls. À diamètre égal, le risque de complications est bien inférieur à celui du Marfan.
Les autres étiologies sont bien plus rares.
L’anévrisme d’un sinus de Valsalva peut être congénital (penser alors à une communication interventriculaire, une bicuspidie), révéler une maladie du tissu conjonctif différente du Marfan, compliquer l’endocardite infectieuse, ou encore compliquer une aortite inflammatoire.
La dissection chronique de l’aorte ne se présente qu’exceptionnellement sur l’aorte ascendante. Le diagnostic peut être fortuit, mais se faire par la découverte d’une insuffisance aortique, voire de manifestations d’insuffisance ventriculaire gauche.
Les maladies inflammatoires ne sont que rarement en cause. En pratique, la maladie de Horton seule peut donner des manifestations cliniques d’aortite, sous forme de dilatation et de dissection. L’insuffisance aortique est observée chez près de 15 % des patients, mais 80 % présentent des lésions à l’autopsie. Les maladies de Takayashu, de Behçet ne touchent qu’exceptionnellement l’aorte ascendante. La syphilis, facteur majeur de maladie aortique, appartient aujourd’hui à l’histoire de la médecine
L’anévrisme athéromateux limité à l’aorte ascendante est une rareté : il touche l’homme après 55 ans dans un contexte d’athérome extensif sévère, avec une atteinte coronaire. Il est toujours étendu vers la crosse.
Quelle conduite devant une aorte ascendante dilatée ?
La faire opérer au bon moment… Et, en attendant l’heure de la chirurgie, en ce qui concerne tout au moins les formes d’origine dystrophique, surveiller régulièrement le diamètre de l’aorte, mettre le patient sous bêtabloquant et lui interdire les sports isométriques.
Pour l’heure, on dispose d’excellentes recommandations en ce qui concerne la chirurgie prophylactique des formes non compliquées. En 2005, la Société française de cardiologie donnait les recommandations suivantes :
« On recommande une intervention non différée en présence d’un syndrome de Marfan, d’une bicuspidie ou d’une maladie annulo-ectasiante, indépendamment de la symptomatologie fonctionnelle, de la sévérité de l’IA et de la fonction du VG :
- dès que le diamètre de l’aorte ascendante dépasse : 50 mm (syndrome de Marfan, bicuspidie) ; ou 55 mm (maladie annulo-ectasiante),
- quand le diamètre de l’aorte ascendante augmente très rapidement au cours du suivi (par exemple de plus de 5 mm en moins d’un an). »
En 2007, les modificationns suivantes ont été apportées :
• dilatation aortique « isolée » (l’IA seule ne fait pas l’indication opératoire) :
– Marfan : indication ≥ 4,5 cm,
– bicuspidie : indication ≥ 5 cm,
– autres dysplasies : indication ≥ 5,5 cm.
• si la maladie valvulaire (insuffisance ou rétrécissement aortiques) est à l’origine de l’indication opératoire, la bicuspidie appelle l’intervention sur l’aorte pour un diamètre ≥ 4,5 cm.
Les Guidelines on the Management of Valvular Heart Disease (Eur Heart J 2007 ; 28 : 230) ajoutent ceci : « Des antécédents familiaux de dissection aortique, une SC réduite et un désir de grossesse incitent à opérer plus précocement les patients jeunes si le risque opératoire est faible ».
De façon plus générale, si le problème de l’insuffisance aortique semble au premier plan, retenons que :
- IA sans dilatation de l’aorte = pronostic de l’IA ;
- IA avec dilatation de l’aorte = pronostic de l’aorte.
Reste en pratique un seul problème difficile : l’association d’une insuffisance aortique chirurgicale associée à une aorte ascendante « un peu » dilatée. On procède à une ETO à l’induction, et la décision d’intervenir ou non sur le segment 1 de l’aorte peut se prendre soit à thorax ouvert (en fonction de l’aspect de l’aorte), soit après ouverture de l’aorte (selon l’aspect des sinus de Valsalva), et enfin en fonction du degré de possibilité de conservation de la valvule aortique. Une autre notion pratique : la dilatation aortique non opérée au cours du remplacement valvulaire aortique génère un risque de complication ultérieure bien plus important chez la femme que chez l’homme.
Figure 7. Maladie anulo-ectasiante en IRM.
Figure 8. Anévrisme syphilitique.
En pratique
Des mécanismes physiques univoques expliquent la survenue des complications pariétales ; il existe une unité de toutes les formes à composante dystrophique, particulières par leur risque d’évolution rapide et demandant de ce fait une surveillance attentive.
L’évolution des moyens chirurgicaux incite à une intervention plus précoce.
La surveillance postopératoire soigneuse ne doit jamais être omise.
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