Thérapeutique
Publié le 23 nov 2010Lecture 5 min
Quid des fibrates en 2010 ?
J. FERRIERES, CHU Rangueil, Toulouse
CNCF
Quand un cardiologue pense aux dyslipidémies, le traitement par statines vient immédiatement à l’esprit. Il suffit de réfléchir quelques secondes pour se remémorer rapidement que les fibrates ont été utilisées bien avant les statines en pratique quotidienne. Jusqu’en 1994, la thérapeutique des dyslipidémies était dominée par la prescription de fibrates avec un choix de molécules relativement large. De très nombreux essais thérapeutiques ont été publiés sur les effets métaboliques des fibrates. Beaucoup d’essais cliniques ont également été réalisés sur des critères intermédiaires. Le premier grand essai réalisé avec le clofibrate s’est soldé par un échec mais cela n’a pas suffi pour empêcher la promotion et la diffusion très large des fibrates dans le traitement de toutes les dyslipidémies. Plus de 20 ans plus tard, la situation a bien changé mais certaines questions demeurent sans réponse.
Les statines ont-elles tout résolu ?
Les statines ont découlé de la recherche fondamentale dans le domaine de l’hypercholestérolémie familiale hétérozygote. C’est parce que l’on a découvert un récepteur du LDL-cholestérol qu’on a imaginé un traitement régulant le fonctionnement de ce récepteur. Ainsi, le traitement par statines est avant tout un traitement de l’hypercholestérolémie pure marquée par des valeurs très élevées du LDL-cholestérol. Ce traitement par statines n’a jamais été imaginé comme un traitement de l’hypertriglycéridémie. Cependant, les essais thérapeutiques menés avec des statines ont été réalisés essentiellement dans le domaine du risque cardiovasculaire. Ainsi, les statines ont été utilisées dans des situations à risque très variées, des patients coronariens jusqu’aux patients à risque cardiovasculaire, c’est-à-dire porteurs de facteurs de risque de l’athérosclérose.
Les statines resteront probablement pendant très longtemps dans la liste très restrictive des thérapeutiques en cardiologie qui améliorent l’espérance de vie. Face à un patient vasculaire présentant une hypertriglycéridémie pure ou une dyslipidémie mixte sévère, le cardiologue reste démuni.
Les triglycérides sont-ils un facteur de risque de la maladie coronaire ?
L’élévation des triglycérides et la baisse du HDL-cholestérol sont des anomalies fréquentes chez le sujet vasculaire. Dans l’étude DYSIS, chez les sujets à haut risque, 22,8 % des patients ont un HDL-cholestérol bas et 37,3 % ont des triglycérides élevés(1). De très nombreuses études ont testé la valeur prédictive des triglycérides dans des études de cohortes.
Dans une métaanalyse récente, les sujets dont les triglycérides sont dans le tertile supérieur ont un risque relatif de 1,72 (1,56-1,90) par rapport aux sujets qui sont dans le tertile le plus bas ; ce risque élevé de développer une maladie coronaire est vérifié dans toutes les sous-populations.
Une métaanalyse encore plus récente est venue confirmer le risque à long terme des triglycérides vis-à-vis de l’athérosclérose(2). Les triglycérides font donc partie du paysage métabolique que rencontre quotidiennement le cardiologue. Si l’hypercholestérolémie prédomine, l’élévation des triglycérides passe au second plan et les statines constitueront le traitement de première intention. Si l’hypertriglycéridémie est sévère ou si la dyslipidémie mixte est marquée, le cardiologue est tenté par des thérapeutiques visant à corriger les valeurs élevées de ces anomalies métaboliques. Quelles sont les preuves qui poussent à corriger les dyslipidémies mixtes chez un patient à haut risque ?
Les essais avec les fibrates
Comme nous l’avons évoqué plus haut, les essais thérapeutiques avec les fibrates ont débuté bien avant ceux réalisés avec des statines. En particulier, les essais thérapeutiques réalisés avec le clofibrate ont été publiés de 1971 à 1978. D’autres essais thérapeutiques ont été réalisés avec les fibrates mais ont porté sur des échantillons plus restreints et visaient en particulier à évaluer l’évolution de la maladie coronaire à l’aide de coronarographies répétées dans le temps ; c’est le cas des études BECAIT, LOCAT et DAIS. Les essais thérapeutiques réalisés sur des échantillons conséquents sont beaucoup plus récents ; c’est le cas de l’étude VA-HIT, de l’étude BIP, de l’étude FIELD(3) et de l’étude ACCORD(4). Globalement, ces essais thérapeutiques avec les fibrates montrent une baisse de 13 % des événements coronaires ; cette baisse est très significative(5). Malheureusement, cet effet des fibrates n’est pas significatif sur la mortalité totale, sur la mort cardiaque ou sur la mort cardiovasculaire (figure).
Figure. Effet des fibrates sur le risque d’événements coronaires.
Ces résultats globaux cachent en fait une disparité importante de l’effet des fibrates sur le risque cardiovasculaire. Ceci a été démontré de manière répétée dans de nombreux essais
thérapeutiques. C’est particulièrement vrai dans les deux grands essais publiés récemment, l’étude FIELD et l’étude ACCORD. Dans l’étude FIELD, chez les patients présentant des valeurs élevées des triglycérides (≥ 2 g/l) et un HDL-cholestérol bas (< 0,40 g/l chez l’homme et < 0,50 g/l chez la femme), l’effet du fénofibrate est marqué avec une baisse de 40 % des événements cardiovasculaires chez les sujets en prévention primaire (tableau)(3).
Conduite à tenir pratique
Une question récurrente posée par nos collègues pharmacologues est celle de la sécurité à long terme des traitements par fibrates. Ce débat avait été soulevé avec une médication qui n’est plus utilisée, le clofibrate. Depuis ces essais anciens, de nombreuses études ont prouvé la sécurité à long terme du traitement par fibrates ; ceci a été vérifié récemment dans les études FIELD ou ACCORD où la coprescription de fénofibrate et de statine n’a pas été accompagnée par une incidence marquée de rhabdomyolyse ou de troubles musculaires graves.
Dans notre propre expérience, nous avons suivi des sujets exposés aux dyslipidémies et aux traitements hypolipidémiants pendant de nombreuses années permettant une exposition de 74 104 personnes/années. Dans ce travail qui a été publié récemment(6), la prescription de fibrates et en particulier de fénofibrates, n’est pas associée à une augmentation du risque de cancer ni à une diminution de l’espérance de vie. Au contraire, la prescription de fibrates est associée à une amélioration du pronostic vital en pratique quotidienne en France.
En pratique, quelle est la conduite à adopter chez un patient présentant une dyslipidémie mixte ?
Dans le cas d’une hypertriglycéridémie majeure, la prescription de statines est inappropriée car l’anomalie est principalement une anomalie des lipoprotéines riches en triglycérides. Cette situation est rare mais pose néanmoins de gros problèmes thérapeutiques car la prescription de fibrates est loin de résoudre la situation si les triglycérides dépassent 10 g/l à jeun.
Le cas le plus fréquent est représenté par la présence d’une dyslipidémie mixte sévère où le cholestérol total et les triglycérides sont tous les deux > 3 g/l.
Chez le sujet à haut risque et en particulier chez le patient vasculaire, c’est la prescription de statines qui doit primer.
Si cette prescription de statines ne corrige pas les anomalies du LDL-cholestérol et laisse évoluer les triglycérides élevés, il est tout à fait approprié de prescrire un fibrate en association avec une statine. Il s’agit généralement d’un avis spécialisé car il faut bien vérifier que l’on n’expose pas le patient à un risque accru de rhabdomyolyse ou d’altération de la fonction rénale. Une fois ces précautions prises, l’association statines-fibrates est possible bien que la preuve de son efficacité à long terme sur le risque cardiovasculaire soit encore hypothétique.
En pratique
Les fibrates ont toujours une place en 2010 dans la pharmacopée du cardiologue. Cependant, les statines restent le traitement de première ligne dans la plupart des dyslipidémies. Ce n’est que dans le cas d’une dyslipidémie mixte sévère chez un sujet particulièrement à risque de rechutes que la coprescription d’une statine et d’un fibrate sera appropriée.
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