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Cardiologie générale

Publié le 25 oct 2011Lecture 11 min

Conséquences physiopathologiques de l’hypervolémie

G. JONDEAU, Hôpital Bichat, Paris

L’hypervolémie qui est un phénomène de compensation permettant de normaliser la pression artérielle grâce à l’augmentation du débit cardiaque lorsque le cœur est normal, peut devenir inefficace et même délétère chez les patients en insuffisance cardiaque, n’augmentant pas, mais diminuant à l’inverse le débit cardiaque, altérant le débit rénal et de ce fait la fonction rénale, altérant l’efficacité des diurétiques. La congestion pulmonaire, conséquence d’une hypervolémie pulmonaire, doit être intégrée dans le tableau clinique global du patient pour traiter au mieux la décompensation cardiaque (nécessité ou non de diurétiques, importance des vasodilatateurs). Traiter l’hypervolémie peut permettre d’améliorer la fonction rénale et de restaurer l’efficacité thérapeutique.

L'hypervolémie est la marque de l’insuffisance cardiaque congestive (congestion). On entend par là la congestion veineuse et l’hypervolémie veineuse.   Définition de la (ou des) volémie(s) Le volume sanguin n’est pas réparti également dans le système vasculaire artériel et veineux. Ainsi, 95 % du volume sanguin est dans le système veineux et seulement 5 % dans les artères. À l’inverse, la pression est beaucoup plus élevée dans le système artériel que dans le système veineux, et cette pression est une grandeur fondamentale qui est régulée finement. La pression artérielle correspond à l’énergie potentielle stockée dans le sang artériel après passage dans le ventricule gauche, qui va lui permettre de franchir tous les obstacles, irriguer toutes les parties du corps, et retourner dans la cage thoracique au niveau de l’oreillette droite. La pression artérielle est régulée finement grâce aux barorécepteurs situés juste sous le cerveau, dans la partie haute du cou. Ces barorécepteurs à haute pression ont la priorité sur les autres barorécepteurs, notamment sur les barorécepteurs à basse pression, situés dans le système veineux, aussi appelés volorécepteurs. Ainsi, lorsque la pression artérielle baisse, l’organisme perçoit une hypotension interprétée comme le témoin d’une hypovolémie (hypovolémie efficace) même si la volémie veineuse est normale. Il tente de la corriger en limitant la diurèse, ce qui augmente la volémie sanguine totale qui va, en fait, se répartir essentiellement dans le système veineux (hypervolémie veineuse avec persistance de la perception d’une hypovolémie par l’organisme). La pression veineuse s‘élève ainsi, ce qui peut entraîner l’apparition d’œdèmes lorsque la pression veineuse dépasse la somme de la pression interstitielle et de la pression oncotique. La congestion augmente encore, l’hypervolémie veineuse s’accompagne d’une hypervolémie interstitielle.   Conséquences cardiaques de l'hypervolémie   En l’absence d’insuffisance cardiaque Dans un organisme sans insuffisance cardiaque, cette augmentation de volémie se traduirait par une augmentation de la précharge ventriculaire droite, qui induirait une augmentation du débit ventriculaire droit, donc une augmentation secondaire de la précharge ventriculaire gauche, responsable d’une augmentation du débit ventriculaire gauche. L’augmentation du débit cardiaque augmente la pression artérielle si les résistances systémiques ne changent pas. Ainsi, la boucle est bouclée et le désordre initial (hypovolémie par saignement par exemple, ou par deshydratation) corrigé, l’homéostasie du système est préservée. En cas d’insuffisance cardiaque Quelles sont les conséquences de l’hypervolémie en cas d’insuffisance cardiaque ? La réponse est moins simple. D’abord parce qu’il existe différents types d’insuffisance cardiaque, avec altération ou non de la fonction systolique, et différentes cinétiques d’apparition de l’insuffisance cardiaque (suraiguë en cas de poussée hypertensive sur un cœur et des vaisseaux rigides, plus progressive chez un patient avec une cardiopathie dilatée évoluée qui décompense progressivement). L’augmentation de la pression de remplissage se traduit par une augmentation du volume télédiastolique si la relation entre pression ventriculaire gauche et volume ventriculaire gauche n’est pas verticale. Cette relation, la compliance ventriculaire diastolique, est dépendante des propriétés du ventricule gauche, mais aussi du niveau de remplissage du ventricule. Lorsque la pression en diastole est basse, une petite modification de cette pression entraîne une grande modification de volume, car la relation pression-volume est plate, le ventricule gauche très facile à distendre (à remplir), sa compliance est grande. Lorsque la pression s’élève dans le ventricule gauche en diastole, le ventricule gauche devient plus rigide et il devient plus difficile de le remplir : une même augmentation de pression produit une moindre augmentation de volume. En fait, le ventricule gauche se comporte comme un ballon qu’il est facile de gonfler initialement (la compliance est grande, le volume augmente alors que la pression d’insufflation reste faible), puis il devient de plus en plus difficile de gonfler (la pression d’insufflation doit s’élever beaucoup pour qu’un faible volume d’air soit injecté). Ceci est traduit par la relation curvi-linéraire de la relation pression/volume en diastole du ventricule gauche (figure 1).   Figure 1. A. En diastole, l’augmentation de volume pour une même augmentation de pression est moindre si le ventricule gauche est dilaté (pente de la relation pression-volume). B. L’hypervolémie augmente peu ou pas le débit cardiaque si le VG n’est pas compliant en diastole. Dans le cas d’une insuffisance cardiaque par dysfonction diastolique, l’anomalie consiste en ce que la compliance du ventricule gauche est diminuée, c’est-à-dire que le ventricule ne se laisse pas distendre facilement. L’augmentation de pression en diastole ne peut donc pas être très efficace pour augmenter le volume et donc le débit cardiaque. En cas de dysfonction systolique, le ventricule gauche se dilate et travaille sur une partie plus verticale de la relation pression volume. Autrement dit, l’augmentation de la pression veineuse se traduit par une augmentation modérée du volume ventriculaire gauche en diastole, l’efficacité de l’augmentation de pression diastolique pour augmenter le débit cardiaque est également modérée. Les choses sont compliquées par d’autres facteurs en cas de dysfonction systolique avec dilatation ventriculaire gauche : - Lorsque le ventricule gauche se dilate, la valve mitrale a tendance à devenir incontinente, d’une part parce que l’orifice mitral se dilate, d’autre part parce que le ventricule gauche prend une forme plus ronde (l’index de sphéricité augmente), ce qui désaxe les cordages mitraux. Le résultat est une moindre surface de coaptation entre les 2 feuillets mitraux avec apparition d’une fuite mitrale fonctionnelle. L‘augmentation du retour veineux, conséquence de l’hypervolémie, va avoir tendance à augmenter la taille du ventricule gauche et, de ce fait, la fuite mitrale. On sait que les fuites mitrales fonctionnelles s’aggravent lors des décompensations cardiaques lorsque le ventricule se dilate d’avantage. À l’inverse, lorsque la décompensation cardiaque est terminée, la fuite mitrale peut avoir régressé, lorsqu’une thérapeutique permet une diminution de la taille du ventricule gauche (remodelage inverse) la fuite mitrale diminue, que ce soit sous bêtabloquant ou par resynchronisation. L’effet aigu de la TNT chez des patients en insuffisance cardiaque par dysfonction systolique avec fuite mitrale fonctionnelle est encore plus illustratif. La pression capillaire baisse, alors que le débit cardiaque augmente. Lorsque l’on surveillait l’hémodynamique par sonde de Swan, on voyait disparaître l’onde V sur la pression capillaire pulmonaire, onde V qui correspond au reflux de sang du ventricule gauche vers l’oreillette et le capillaire pulmonaire (figure 2). Ainsi, chez ces patients, l’hypervolémie ne permet pas l’augmentation du débit cardiaque, mais entraîne sa diminution.   Figure 2. Effet de la trinitrine (NTG) et de la dobutamine (DOB) au repos (R) et à l’effort (IEX) sur la pression capillaire pulmonaire (axe des X) et le volume d’éjection systolique (VES) (axe des Y). Au repos, l’effet de la TNT est de diminuer la pression capillaire et d’augmenter le débit antérograde, car la fuite mitrale, importante chez ces patients, a diminué (Keren G. Circulation 1989 ; 80 : 306).   - Le deuxième facteur confondant est le ventricule droit. Lorsque la pression veineuse s’élève, le retour veineux vers le ventricule droit augmente et le volume ventriculaire droit augmente en diastole. Ceci peut devenir un problème pour le ventricule gauche dilaté : la cavité péricardique, qui contient les 2 ventricules n’est pas extensible à l’infini d’une part, et pas distensible en aigu d’autre part, comme en témoigne la survenue d’une tamponnade en cas d’épanchement péricardique aigu. Dans le cas de l’insuffisance cardiaque chronique par dysfonction systolique, le ventricule gauche peut ne plus avoir la place de se dilater harmonieusement, car la pression intrapéricardique sera élevée du fait de la dilatation ventriculaire droite qui va déformer le ventricule gauche (figure 3). Ainsi, l’augmentation de précharge peut, sur fond de dilatation ventriculaire droite et ventriculaire gauche du fait d’une pathologie chronique, ne pas permettre d’augmentation du débit cardiaque, car la précharge ventriculaire gauche est paradoxalement diminuée.   Figure 3. Disparition de la fuite mitrale avec le nitroprussiate (vasodilatateur artériel et veineux), (Chatterjee Circulation 1973 ; 48 : 684).   Conséquences extracardiaques de la volémie   Effet sur la fonction rénale L’augmentation de la volémie peut avoir des conséquences délétères en dehors de ses effets cardiaques, et notamment induire une insuffisance rénale. L’interprétation initiale et classique était que plus l’insuffisance cardiaque est grave, plus les signes congestifs sont présents, et plus le retentissement rénal est important. Mais la compréhension a évolué au cours de ces dernières années avec une relation de cause à effet qui n’était pas reconnue auparavant. Tout d’abord il a été observé que la pression abdominale pouvait être un paramètre important, comme l’ont observé les réanimateurs qui prennent en charge des patients polytraumatisés(1). Chez ces patients, l’élévation de la pression intra-abdominale a été associée à une altération de la fonction rénale, etc. Chez des patients en insuffisance cardiaque, hospitalisés pour décompensation chez lesquels une sonde de Swan était posée (cathétérisme droit), Mullens a mesuré la pression intra-abdominale(2), à l’aide d’un ballonnet gonflé dans la vessie. Il a regardé la relation qui existait entre l’évolution de la pression abdominale et l’évolution de la pression rénale et a observé une corrélation entre la baisse de la pression intra-abdominale et la baisse de la créatininémie, alors que dans cette population, il n’a pas retrouvé de relation entre l’évolution de la pression de l’oreillette droite, du débit cardiaque de la pression capillaire et l’évolution de la fonction rénale. Ceci suggère que la pression abdominale est un déterminant important de la fonction rénale. Ceci est conceptuellement possible car la pression abdominale, autour de la veine rénale, constitue une limitation à l’écoulement du sang de l’artère rénale vers la veine rénale, donc une limitation du débit sanguin rénal que l’on sait être un déterminant important de la fonction rénale. Dans une étude de design similaire, mais avec peut-être des patients moins congestifs, Mullens(3) et l’équipe de Voors(4) ont également retrouvé une corrélation entre la pression de l’oreillette droite (c’est-à-dire le témoin de la congestion) et l’altération de la fonction rénale (figure 5). Les patients qui avaient une fonction rénale altérée étaient ceux qui non seulement avaient un débit cardiaque diminué, mais dont la pression de l’oreillette droite était également élevée.   Figure 4. Interaction VD/VG. Dans le sac péricardique inextensible, la dilatation ventriculaire droite limite le remplissage du ventricule gauche. Figure 5. GFR (débit de filtration rénal), RBF (débit sanguin rénal), RAP (pression dans l’oreillette droite) de patients avec hypertension artérielle pulmonaire, évalués pour transplantation cardiaque. (Damman K. Eur J Heart Fail 2007 ; 9 : 872). L‘élévation de la pression de l’oreillette droite témoigne de l’augmentation de la pression veineuse y compris dans la veine rénale, et ceci limite le débit sanguin rénal en diminuant le gradient de pression entre artère rénale et veine rénale. Une vision un peu simpliste est illustrée sur le schéma de la figure 6. Lorsque la pression veineuse centrale est élevée, le gradient de pression à travers le rein est faible et donc le débit rénal faible, alors que lorsque la pression veineuse s’abaisse (diminution des signes de congestion) le gradient trans-rénal augmente et le débit rénal également, la fonction rénale s’améliore.   Figure 6. Importance de la pression veineuse (CVP) dans le gradient de pression transrénal. Ceci explique des observations faites après diminution de la volémie chez certains patients très congestifs : amélioration de la fonction rénale, reprise de la diurèse chez des patients résistants aux diurétiques. La diminution de la volémie peut être le fait de différentes techniques : ultrafiltration comme cela est réalisé dans l’étude de Guazzi(5) illustrée figure 7. Dans cette étude, une ultrafiltration de 500 ml/heure pour obtenir une diminution de 50 % de la pression de l’oreillette droite entraîne une reprise de la diurèse, une diminution de la stimulation hormonale, et une amélioration de la clairance de la créatinine. Des observations identiques ont été faites après ponction d’ascite chez des patients similaires. Le problème de la ponction d’ascite est celui de la perte protidique qui l’accompagne, qui en fait une thérapeutique qu’il ne faut pas répéter.   Figure 7.  A. Guazzi MD. Br Heart J 1994 ; 72 : 534. B : à l’état basal ; UF : ultrafiltration ; 24 h : 24 h après ultrafiltration ; 48 h : 48 h après ultrafiltration ; ARP : activité rénine plasmatique.   Effet sur la fonction hépatique Une autre conséquence extracardiaque de l’hypervolémie est l’altération de la fonction hépatique. Ainsi, Van Deursen(6) a étudié la fonction hépatique chez 323 patients chez lesquels étaient mesurés la pression veineuse centrale et le débit cardiaque. Il a ensuite recherché les relations observées entre différents paramètres. La pression veineuse centrale était liée à l’élévation des gamma-GT, de la bilirubine, des transaminases (lesquelles s’élevaient quand le débit cardiaque était bas en plus de la pression centrale élevée). Dans cette étude, l’altération hépatique n’avait pas de valeur pronostique propre indépendante de l’hémodynamique.   Effet pulmonaire La conséquence extracardiaque la plus classique de l’hypervolémie, celle qui en fait la gravité, est la congestion pulmonaire qui conduit à l’œdème pulmonaire. Cet œdème se développe lorsqu’une certaine valeur seuil de pression capillaire est franchie, et se développe d’autant plus vite que cette pression est plus élevée. L’augmentation de la pression capillaire pulmonaire peut résulter de deux mécanismes différents (qui peuvent s’associer). Elle augmente lorsque la pression veineuse de l’ensemble de l’organisme augmente, c’est-à-dire lorsqu’il y a des signes de congestion à droite (œdèmes périphériques, ascite, épanchement pleural...) comme à gauche. Alors souvent l’œdème pulmonaire survient de façon progressive sur plusieurs jours et le traitement reposera avant tout sur la diminution de la volémie globale qui est élevée. La pression capillaire peut également augmenter du fait d’une redistribution de la volémie au profit du poumon (au cours d’une poussée tensionnelle lors de laquelle le ventricule gauche devient brusquement plus rigide). L‘œdème pulmonaire ne s’accompagne alors pas de signes de surcharge droite. La volémie globale est ici peu ou pas augmentée et le traitement devra favoriser les vasodilatateurs si l’on veut éviter la survenue d’une insuffisance rénale sous traitement, conséquence d’une hypovolémie. Ainsi, la congestion pulmonaire ne s’accompagne pas forcément d’une hypervolémie globale. Enfin, la pression à laquelle survient un œdème pulmonaire n’est pas identique d’un sujet à l’autre. Chez les insuffisants cardiaques chroniques, des mécanismes compensateurs se mettent en place qui vont limiter les conséquences de l’élévation de la pression capillaire pulmonaire. La perméabilité alvéolo-capillaire diminue, le drainage lymphatique augmente, et l’œdème pulmonaire n’apparaît que pour des pressions capillaires élevées (par exemple > 25 mmHg) et ce, de façon progressive. À l’inverse, chez des patients qui n’ont pas une élévation chronique de la pression capillaire, l’œdème pulmonaire pourra apparaître pour des pressions plus basses (18 mmHg par exemple) et sera plus brutal ; c’est classiquement ce que l’on observe chez les patients qui ont une fonction systolique préservée.

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